Enfin ! Dire que dans mes plans initiaux, j’aurais déjà dû avoir quitté cet hôpital depuis 3 chapitres.
A peine installé sur le siège passager de la voiture, ma mère me regarda avec des yeux presque amoureux, la joie à peine contenue sur le visage. Maintenant que j’étais avec elle, elle comprenait que son cauchemar était fini, que son enfant quittait enfin cet hôpital où elle l’avait vue inconsciente, branchée à des machines. Elle se pencha pour m’embrasser sur la joue et émit un gloussement extatique comme celui qui sort tout seul à l’arrivée sur une scène [des Beatles, de Claude François, de Patric Bruel, des 2B3, des BTS ou, si vous lisez ce livre dans le futur, de n’importe quelle autre idole pour adolescente à la mode, dont vous insérerez vous-même le nom]. Je m’écrasais dans mon siège, avec un sourire embarrassé, sentant le rouge me monter aux tempes. A part ma femme et les membres de ma famille, personne d’ « inconnu » ne m’embrassait. Je devais aussi admettre que, derrière ces yeux cernés, elle était une bien belle femme. je rougis de plus belle tout en sachant que je ne devais pas avoir ce genre de sentiment à l’égard de ma mère, même si elle n’était pas vraiment ma mère, mais j’étais sa fille tout en ne l’étant pas… Freud lui-même aurait eu besoin d’une psychanalyse en étudiant ce cas.
Toujours euphorique, elle tourna la clé de contact une fois, deux fois, et, à la troisième, le moteur asthmatique se mit en marche. La voiture fit un brusque soubresaut et ma mère, avec un juron contenu, enleva le frein à main. C’est trop tard pour demander un taxi ?
Je vais encore passer pour un macho qui vomit de clichés réducteurs sur les femmes au volant (j’ai dit « encore » ? non…) mais, au vu de mes premières observations, j’avais des a priori assez négatifs sur cette balade en voiture. Pendant qu’elle essayait de redémarrer, j’abaissai le pare-soleil pour tromper mon appréhension et profitai du minuscule miroir de courtoisie pour faire un peu connaissance avec moi-même morceau par morceau.
D’abord, mes yeux : deux, gris et j’y décelais une petite pointe de vert. Mon regard était vif et intelligent (normal, c’était le mien).
Puis, mon nez : tout petit, à se demander si on aurait pu y poser une paire de lunettes, heureusement que je n’en avais plus besoin. Je me rendis compte d’une autre preuve de la perfection du corps humain en me grattant : quelles que soient la forme et la taille de la narine, elle est toujours adaptée au diamètre de l’index au cas où l’on aurait quelque chose à y chercher.
Enfin, ma bouche : pas grand-chose à en dire, j’envie les grands auteurs qui sont capables d’écrire de dithyrambiques diatribes sur une simple bouche. Ce qui était sûr c’est que j’en avais une, il y avait même des dents à l’intérieur qui me seront sûrement très utile le jour où quelqu’un voudra enfin daigner me filer quelque chose à bouffer !
Ces trois morceaux, en eux-mêmes, pris à part, n’étaient pas spécialement laids, mais il me fallait attendre d’avoir une glace un peu plus conséquente pour voir si l’ensemble était harmonieux.
Et nous partîmes à vive allure, elle faisait « hop » à chaque coup de volant. De mon côté, j’imprimais mes doigts de la main gauche dans le tissu du siège tandis que la droit agrippait la poignée au-dessus de la vitre. Je tentais de tromper mon angoisse en écoutant à la discrète radio Shania Twain chanter « Man, I feel like a woman. » Je parvenais à sourire à l’ironie littérale de cette phrase.
J’admets ne pas me souvenir de tous les us et coutumes des années 90 mais je reste quasiment sûr que, à l’époque, il ne fallait pas accélérer à l’orange. Pour en rajouter, elle avait les yeux embués de larmes, je conçus que c’étaient des larmes de joie, qu’elle essuyait d’un revers de la manche. Sa vision m’inquiétait un peu. Par habitude, sans y réfléchir, j’hasardai :
« Tout va bien, tu veux que je conduise ?
-Bien sûr que non, mon chat, tu es bien trop jeune pour cela, mais c’est gentil de penser à moi. Je sais parfaitement conduire, si ce n’est ce connard qui m’a coupé la route ! Non, mais tu l’as vu ? »
Oui, j’avais parfaitement vu qu’il venait de la droite et avait la priorité. Je sentais qu’il était inutile de le préciser. Je voyais déjà les titres dans les journaux du lendemain : La petite miraculée d’un accident de la route meurt dans un accident de la route. Retrouvez tous les détails page 4, tous ses morceaux un peu partout…
Pour me changer de ces idées noires, je regardais par la fenêtre. Malgré l’heure tardive, plus de 19h, les rues étaient encore pleines de monde. Au-dessus de nous, accrochées entre les lampadaires, les décorations de Noël brillaient, clignotaient, scintillaient : des flocons, des anges, des arabesques… Des haut-parleurs diffusaient une version vieillotte et fatiguée de « Petit Papa Noël », l’original avec la voix froufroutante de Tino Rossi qui roule ses R ad nauseam. Les vitrines étaient floquées de neige artificielle figurant des paysages hivernaux surmontées par des stickers de traineau pendant que des figurines festives étaient disposées à l’arrière. Je me laissais peu à peu gagner par l’ambiance tandis que la conductrice fustigeait, je cite, « cette tête de nœud » (qui avait eut l’outrecuidance de passer au vert). Nous traversâmes le centre-ville, non sans avoir manqué de renverser « cette pouffiasse » (qui traversait sur les clous, cette inconsciente).
Elle se gara le long du trottoir en annonçant qu’il fallait prendre du pain pour ce soir. Bien qu’elle voulait que je reste au chaud dans la voiture, j’insistais pour venir avec elle (et, accessoirement, échapper aux relents suspects de l’habitacle venant probablement d’un blaireau mort dans la boîte à gants, mais hors de question de vérifier).
Elle m’aida à sortir de la voiture le temps que je me hisse sur mes cannes et que je prenne mon équilibre. Je la suivis en direction de la boutique mais elle dût me rappeler alors que j’étais tombé en extase en face d’une cabine téléphonique, relique du passé non encore transformée en œuvre d’art ou en boîte à livres. La boulangerie était, à l’opposé, incroyablement moderne (des années 90) avec ses meubles clairs tout en rondeur et ses vitrines recourbées. Derrière, s’alignaient des gâteaux et des viennoiseries, magnifiquement rangés. De l’autre côté du comptoir, des cases de bonbons à 10 ou 20 centimes avec leurs grands classiques de l’époque : les bâtons de réglisse (quelqu’un a-t-il vraiment senti une quelconque saveur en mâchonnant ce truc autre que l’impression de bouffer un vrai bâton ?), la poudre acidulée (qui vous claque dans le crâne pendant plus de 10 minutes), les sachets de graines de tournesol (rien à dire, je continue d’aimer encore aujourd’hui) à 1 franc, ces chewing gums semi liquides contenus dans des sortes de tubes de dentifrice obèses, les paquets de cigarettes au chocolat (au prix exorbitant de 2 francs pour que les enfants comprennent déjà que le besoin d’avoir l’air cool les rendra malades et pauvres) et surtout les Malabar, les vrais avec M. Malabar pas ce chat ennuyeux à mourir (n’oublions pas les bigoûts !). Alors que je bavais devant ce supplice tantalien, je remarquais la vendeuse me regarder avec un œil soupçonneux. Je me reculais. Ne vous en faîtes pas, je ne touche à rien… Même si j’allais finir par tomber d’inanition.
Une fois sa baguette achetée, Maman proposa de prendre des pâtisseries pour donner un air festif à mon retour. Je protestais en lui disant de ne pas s’en faire pour moi. Elle me sourit du genre « mais qu’est-ce que tu racontes ? Tu es ma fille, tu as été absente pendant plus d’un mois, j’ai cru que tu allais mourir et on ne devrait pas fêter ça ? Si tu vois une meilleure occasion de faire la fête, je ne vois pas. De toute façon, je sais que tu en meures d’envie, essuie ce filet de bave qui pend jusqu’au sol, ce n’est pas très esthétique. » (Quel sourire !) Elle commanda :
« Alors, pour ta sœur, on va prendre une religieuse chocolat, ton père, si il ne rentre pas trop tard, appréciera une tarte au citron, je vais prendre un flan. Et toi, mon chat ? »
Je détaillais chaque douceur une par une d’un air critique essayant de concilier mes goûts et les prix. Je ne voulais pas faire trop dépenser pour moi. Je ne fais pas exactement partie de cette famille, je ne compte pas rester, il n’est pas utile de faire de grands investissements sur moi. Finalement, je me décidais pour une tartelette aux fraises. Comment ils avaient pu se procurer des fraises aussi rouges et aussi belles en plein décembre ? J’avoue ne pas m’être posé la question et je ne voulais pas connaître la réponse qui impliquerait, sans doute, l’importation à fort taux carbone de fruits étrangers, ce qui ferait criser tous les producteurs locaux. Elle me murmura :
« Tu ne devrais pas, je te rappelle que tu es allergique aux fruits rouges… »
Comment ! Pas de fruits rouges ? Pas de fraises, framboises, groseilles… Je ne le supporterai pas ! Refoutez-moi dans le coma ! Cryogénisez-moi le temps de trouver un remède ! Comment vais-je pouvoir vivre ? Et les mûres ? C’est noir, les mûres, non ? Et les cerises ? Accordez-moi au moins une immunité pour les cerises ! Quoique, à y réfléchir, Cerise qui mange des cerises, ne serait-ce pas une forme de cannibalisme ? La voix maternelle mit fin à ce bug mental :
« Tu vois autre chose ?
- Un éclair ?
-Chocolat ? »
Bof… ce n’est pas que je n’aime pas le chocolat. J’aime le chocolat mais pas ce qui est au chocolat, je trouve que c’est vite écœurant.
« Café ?
- Tu es sûre ? Comme tu voudras. Tu ne veux pas une religieuse, plutôt, c’est plus gros.
- Je ne veux pas que tu dépenses trop pour moi…
- Que dis-tu, voyons ? »
Et une religieuse café rejoignit les autres gâteux dans la boîte en carton qu’une apprentie exténuée scella d’un ruban torsadée alors qu’elle aurait préférée finir de ranger pour s’en aller.
N’ayant pas trouvé d’autre moyen de transport, je me résolus à retourner dans la voiture pour continuer le trajet. Heureusement, le trajet ne fût pas trop long. Alors qu’il aurait duré au moins 5 minutes pour une personne normale dans des conditions de route normale (en respectant le code de la route), ma mère réussit l’exploit de nous mener à destination en 2 à peine. Elle s’arrêta enfin en face d’une maison dans un quartier résidentiel. Elle sortit pour ouvrir la porte d’un garage et, à ma grande surprise, réussit à y insérer l’auto sans aucune explosion, mais en tirant la langue.
« Nous y voilà, tu es enfin de retour ! »
Je m’extirpai du véhicule en prenant appui sur le mur de pierre grossière qui constituait la structure du petit édifice. Je la suivis à travers la petite porte dans le fond qui nous mena à un chemin de pavés empierrés qui arrivait à la maison dont on discernait les contours dans la nuit noire. Je percevais la présence de la pelouse de part et d’autre du chemin et sur ma gauche un sapin immense dont les larges branches se balançaient sous le léger vent qui s’introduisait sous ma jupe, tandis que je resserrais les pans de mon manteau autour de moi. L’ambiance avait un petit air lugubre, l’arbre avec son aspect fantomatique, surnaturel, je ne me sentais pas tout à fait rassuré. Je progressais avec mes béquilles sur le pavé humide à mon propre rythme, glanant le maximum d’informations sur mon environnement. En tout cas, le quartier était tranquille, seules quelques maisons étaient décorées de guirlandes électriques. Deux escaliers se présentaient à nous, celui descendant menait à une cave et l’autre arrivait à la porte d’entrée à travers laquelle filtrait la lumière électrique. Maman appuya sur la poignée ouvragée et la porte percée de petits carreaux jaunes et gaufrés.
Je restais un instant dans la nuit puis, prenant une profonde respiration, je pénétrais dans ce qui allait être « chez moi » pour un temps indéterminé.
Est-ce qu'elle avait une ceinture de sécurité arrière cette voiture au moins ?
Alors, ce n'est peut-être pas un blaireau mort, mais un sandwich fossilisé dont on a oublié de retirer les organes.
En tout cas, continuation tranquille, elle découvre son habitat.
Trop bien de changer de cadre, je suis sûr que dans la nouvelle maison il va y avoir pleins d'occasions de faire des références aux années 90 et petites touches d'humour, curieux de voir ce que ça va donner !
J'ai beaucoup aimé les passages au volant, c'était super drôle^^ Mon préféré :
" je cite, « cette tête de nœud » (qui avait eut l’outrecuidance de passer au vert). Nous traversâmes le centre-ville, non sans avoir manqué de renverser « cette pouffiasse » (qui traversait sur les clous, cette inconsciente)."
L'ambiance de Noël est très sympa également, avec la pâtisserie qu'on imagine facilement et les décorations dans les rues. J'ai beaucoup aimé le passage sur l'allergie aux fruits rouges où Cerise demande à retomber inconsciente, c'était excellent ahah !
Petites remarques :
"tandis que la droit agrippait la poignée" -> droite
'qui avait eut l’outrecuidance de passer' -> eu
Un plaisir,
A très vite !
Bonne suite!