« Nous sommes rentrées ! annonça ma mère en défaisant son écharpe et accrochant son manteau à l’un des patères de l’entrée. »
Elle mit une emphase particulière sur le nous. Elle tendit l’oreille, semblant attendre une réponse qui ne venait pas. Puis, se parlant moitié à elle-même et peut-être moitié à moi :
« Ta sœur devrait être là pourtant à cette heure. Voyons, ne reste pas plantée là, mon ange, déshabille-toi, enlève tes chaussures, mets-toi à l’aise. »
Elle se pencha vers moi et passa sa main dans mes cheveux :
« Tu es chez toi, ma Cerise, c’est ta maison. Tu te souviens ? Ca ne te rappelle rien ? »
Je hochai la tête, sentant la déception dans ses yeux, mais je ne voulais pas lui mentir. Par contre, je lui obéis bien docilement : se retrouver au sein d’un foyer où je pouvais me mettre un peu à l’aise (mais pas trop tout de même) me rassurait. Mon manteau rejoignit les autres sur le mur et je profitais d’un tabouret en bois pour retirer mes baskets (j’avais retiré les lacets de celle de gauche pour plus de facilité). Maman avait ouvert le meuble à chaussures et en avait sorti des chaussons qu’elle posa devant moi. Ils étaient usés, l’empreinte du talon avait enfoncé le bout de la semelle. Littéralement, je me mettais dans les souliers d’une autre. Le rose n’était pas forcément à mon goût, mais la douceur de la pantoufle prit l’ascendant sur la couleur.
Pendant ce temps, Maman appelait encore une fois :
« Alice ? Tu es là ? »
Alice ? Je recherchai dans mon logiciel mental : ma sœur. Moi qui n’avais eu que des frères et avais vécu dans un contexte plutôt masculin, je me retrouvais dans une famille majoritairement féminine. On fait quoi avec une sœur ? Je ne pense pas qu’on fasse la bagarre avec elle. On joue à quoi avec une sœur ? On parle de quoi ? J’espérais bien m’entendre avec elle, après tout, je ne la connaissais pas. J’avais cru comprendre qu’il s’agissait d’une grande sœur, mais l’information restait vague : plus grande de combien. 1, 2, 3, 10 ans ? 10 ans, ça ferait beaucoup, ma mère l’aurait eu au berceau (ça ne ressemblait pas à ce genre de famille). Si elle était ado, elle subissait peut-être cette grave défaillance mentale qu’on appelle la crise d’adolescence. Allait-elle trouver tout nul ? Au moins, vue l’époque, Je ne la trouverais pas scotchée sur son portable, à faire des Story Insta, postant des photos vulgaires de duck face, likant les posts de ses copines qu’elle aurait quittées quelques minutes auparavant pour avoir un résumé de la journée qu’elles ont passée ensemble. Je suis prêt à présenter mes excuses à tous les ados qui ne se reconnaissent pas dans ce portrait pour avoir été médisant, par contre, si vous vous reconnaissez là-dedans, je suis également désolé … pour vous. Je sais que je suis médisant mais comme dirait je-ne-sais-plus-qui (auteur très connu, souvent cité par les gens comme vous) : « Sans liberté de blâmer, que ferais-je de mes journées ? » Sérieusement, il y a tant de choses à faire autour de vous, moi qui passe mes journées sur mon canapé à écrire toutes ces bêtises, je sais de quoi je parle ; vous pourriez, par exemple, aller ranger cette vaisselle qui n’a toujours pas été sortie depuis 3 jours du lave-vaisselle et comme on n’a plus de fourchettes avec quoi on va manger ce que vous ne m’avez toujours pas cuisiné !
Comment exprimait-on la crise d’adolescence à l’époque sans les réseaux sociaux? En monopolisant le téléphone familial pour comparer avec les copines qui a les parents les plus nuls ou en l’écrivant dans son journal intime. Et une petite sœur ? C’est chiant, non ? Devais-je, pour coller au rôle, rester dans ses pattes et la prendre pour exemple, fasciné par sa maturité ? Pseudo-maturité, dira-t-on, plutôt une volonté de vouloir gâcher les dernières années de son insouciante enfance pour entrer dans le monde des adultes. Certes, on a le droit de boire de l’alcool, mais est-ce que cela compense les emmerdes conséquentes ? Personnellement (car je suis sûr que ma vie vous passionne), mon passage à cette phase fût assez tranquille, j’étais déjà très casanier, je n’ai jamais fait de caprices pour sortir tard ou aller chez des copains louches. Mes seules expériences de rébellion étaient avec mon père : j’étais un enfant très intelligent (et je suis modeste car j’étais, en fait, extrêmement intelligent) et je ne voulais pas me contenter à mes interrogations existentielles à des réponses du genre « c’est comme ça et pas autrement ». On a tous connu cela, je pense.
Mes réflexions furent interrompues par la réponse d’une jeune voix de fille :
« Oui, oui, j’arrive ! »
La porte sur le côté gauche du couloir s’ouvrit (pour se donner une idée : donc une porte à gauche, sur la droite, une ouverture fermée par des volets battants façon saloon, une seconde porte plus loin et encore une autre au fond. Tant de possibilités d’explorations… quelles merveilles se cachaient derrière ? Il ne fallait pas se faire trop d’illusions, je trouverais sûrement cuisine, salle d’eau ou salle de bain avec un peu de chance, les toilettes ou, comble d’exotisme, un débarras contenant des trésors inconnus ou, encore plus exotique, un squelette dans un placard, je ne savais pas encore comment je devrais réagir dans cette éventualité). Une silhouette se détachait dans l’encadrement, la lumière provenant du salon m’obligea à prendre une seconde pour compenser le contrejour artificiel et… Saluuuuuut, Nounou !
Je tombais instantanément amoureux. Je sais, on dit « pas la famille », mais, dans ce cas, ce n’était pas vraiment la famille. Mais comment ne pas se pâmer face à cette magnifique blonde aux yeux clairs teintés d’une craquante lassitude ? Elle retira le casque qui dissimulait ses oreilles pour le mettre autour de son cou et appuya sur un bouton du Walkman qu’elle portait à la ceinture de son jean troué. Son T-shirt noir, détendu et délavé, arborait le logo du groupe Nirvana (la pauvre avait dû passer une bien triste année).
« Regarde qui je te ramène ? claironna ma, notre mère en me désignant comme un magicien dévoilant le résultat de son tour. »
Je voulus me décaler pour rester derrière elle comme un petit enfant trop timide, mais je restai sur place, me grattant nerveusement la joue, évitant de la regarder droit dans les yeux, ne sachant quoi faire. De son côté, son regard se fit plus circonspect (hostile ?). En tout cas, ce n’était pas celui d’une douce jeune fille heureuse de retrouver enfin sa sœur qui avait frôlé la mort. Maman nous regarda tour à tour et s’agaça de ne voir aucune de nous faire le premier pas vers l’autre
« Allez, c’est fini, vos disputes de gamines ! »
Sans me quitter des yeux, ma sœur demanda :
« C’est vrai ce que tu m’as dit au téléphone ? Sur sa mémoire ?
- Oui, mon ange, elle a tout oublié. Nous sommes comme une nouvelle famille pour elle, il nous faudra être patientes, très patientes. Mais nous allons tout faire pour l’aider à retrouver ses souvenirs et je compte sur toi aussi !
- Mouais… »
Elle s’approcha lentement comme face à un animal sauvage. Arrivée à quelques centimètre, elle me considéra (j’étais toujours paralysé) et finit par se pencher pour me tendre sa joue. Je ne parvenais toujours pas à bouger, intimidé, je bredouillais des syllabes aléatoires (quelque chose comme guerulominecoju, une vraie énigme pour les amateurs de langues oubliées) puis finis par me reculer un peu en murmurant : « désolé ». Je suis un grand timide, voyez-vous, une très jolie fille inconnue veut me faire la bise et, moi, je n’ose pas, ne serait-ce que, m’approcher d’elle. Vous ne vous en douteriez pas en voyant un si bel homme (que, je l’admets, vous avez du mal à voir maintenant), il devrait être évident que les femmes se bousculent pour avoir l’attention de mes faveurs et là est le problème : comment m’offrir à une et faire le malheur des autres ? Quel dilemme donc pour me choisir une femme et la convaincre qu’elle était celle qu’il me fallait (et surtout pas m’aplatir pour la persuader du contraire) ! MSN aida beaucoup. Vous ne connaissez pas MSN ? Ce n’était que le premier échelon d’une longue escalade à la futilité : Avec MSN, vous pouviez parler de ce que vous avez mangé à des gens qui s’en foutent, puis vint Facebook, vous pouviez montrer des photos de ce que vous avez mangé à des gens qui s’en foutent, enfin Tik Tok pour montrer des vidéos de ce que vous avez mangé à des gens qui s’en foutent. Enfin, juste pour dire que j’ai séduit ma femme grâce à MSN.
Quand je pense que cette fillette est censée avoir un copain, elle est beaucoup plus avancée sur le plan sentimental que je ne l’étais à son âge, quelle honte ! Non pas que je ne sois pas tombé amoureux avant elle mais j’attendais tellement à chaque fois (j’attendais le « bon moment ») que je finissais toujours par trouver la fille que j’aimais très heureuse avec son nouveau compagnon (parfois même présenté par votre serviteur).
Pour en revenir au sujet, Alice sembla décontenancée par ma singulière réaction puis haussa des épaules en direction de sa mère d’un air de dire : « Au moins, j’aurais essayé. » Maman essaya de garder la bonne humeur :
« C’est pas grave ! On va manger, je suis sûre que vous devez être mortes de faim ! (Sans blague, si je ne suis pas devant une assiette dans les 5 minutes, je bouffe l’une de vous deux) Cerise, je vais te faire ton plat préféré ! »
C’est pas vrai ! Elle est donc au courant ? Un magret de canard avec une délicate sauce au vin rouge et des petites morilles ? Non,non ! Un filet mignon à la crème, oignons confits (petite astuce pour ne pas faire bruler ses oignons : il suffit de les saler avant de les faire cuire, ils devraient caraméliser. C’est gratuit, c’est cadeau) et petites pommes de terre vapeur (des Amandines et pensez à percer les plus grosses pour une cuisson plus uniforme) persillées ?
« Saucisses et purée ! »
Ah… Certes, je ne peux pas dire que je n’apprécie pas, la simplicité du plat et la promesse qu’il apporte, surtout à quelqu’un d’affamé, ne peut que ravir à l’avance les papilles mais je me sentais quelque peu déçu tout au fond de moi.
« Alice, tu peux faire chauffer du lait et sortir un sachet ? (En plus, c’est CE genre de purée, il faudra que je revoie mes exigences à la baisse.)
- OK. Au fait, Papa a appelé, il rentrera encore tard ce soir, on mangera toutes les trois.
- D’accord, c’est un peu dommage qu’il ne soit pas là pour le retour de Cerise. Ma chérie, je vais te rappeler un peu comment est la maison : nous sommes dans l’entrée, Alice vient de sortir du salon et se dirige vers la cuisine (la pièce avec ce type de porte battante comme les saloons de Western). La salle de bain est là avec les toilettes. Dans le salon, un escalier mène à l’étage. Mon Dieu, tu pourras monter ?
- Ca ira, je me débrouillerai.
-En haut, donc, les chambres, la tienne, celle d’Alice et la nôtre avec Papa et d’autres toilettes. »
Je pensais pouvoir m’en sortir. Juste au cas où, si, un jour, j’allais pisser et que je ne revenais pas au bout d’une heure, envoyez les secours, vous les guiderez. Maman me mena à la cuisine et me fit asseoir à une table en bois verni avec des pieds en métal, des pieds carrés, ceux qui font bien mal quand vous vous mettez le genou dedans. Elle disposa assiettes et couverts en face de moi et de deux des trois autres chaises. Enfin, elle rangea les gâteaux dans le réfrigérateur et ressortit une barquette orange. Enfin, on allait entrer dans vif du sujet, ce que tout le monde attendait, surtout moi.
Alors, patère, c'est féminin ^^
Saucisse purée, je suis affligée. Et la lasagne maison ? tous les enfants adorent ça (je testerai l'astuce des oignons pour vérifier la véracité de tes recommandations, et sache que si c'était un mensonge, il en cuira à cerise ou du moins son alter-égo masculin).
On sent bien le côté famille moyenne des années 90... en plus je suis sure que c'est la vieille mousline qui sent le carton (pas la version noix de muscade à l'ancienne, dans laquelle on rajoute plein de trucs pour réanimer les papilles).
Le seul bon point, c'est la grande soeur qui a l'air normalement équilibrée pour une ado.
Merci pour la patère, je l'avais vue en relisant mais pas corrigé. :p
J'aime bien la grande sœur aussi, j'espère toujours donner des visions assez réalistes des ados, même si je n'en côtoie pas.
Trop intéressant le personnage de la soeur, et le ressenti de Cerise à son égard. La relation entre les deux risque d'être pour le moins ... particulière. Ca va donner des situations bien gênantes j'imagine, surtout que tu as un don pour les inventer xD
Le titre est bien trouvé, ça marche bien de jouer avec les accords au vu de ton histoire.
J'ai bien aimé le passage sur le purée / saucisses, c'était assez amusant^^
Comme Amélie, je suis assez curieux de voir qui est le père. Ca va être intéressant de le découvrir. Bientôt j'imagine.
Mes remarques :
"Au moins, vue l’époque," -> vu ?
"l’époque, Je ne la trouverais pas" je sans majuscule
"de la journée qu’elles ont passée ensemble." le "qu'elles ont" peut être coupé "j’étais déjà très casanier," espace en trop
"(et je suis modeste car j’étais, en fait, extrêmement intelligent)" xD
"nous faire le premier pas vers l’autre" manque le point
"toujours par trouver la fille" espace en trop
Un plaisir,
A bientôt !