Cette lettre qui l'a poussé à tout quitter

Très cher Mo,

J'ai longtemps hésité avant de t'écrire. Je dois en être à mon trente-troisième jet. Et, je me suis juré de garder cette lettre et de ne pas la rouler en boule pour la mettre à la poubelle. Très franchement, je n'aurai pas le courage d'en tenter une trente-quatrième.

Cela fait longtemps que l'on ne s'est ni vus, ni même parlés. Je suis incapable de me rappeler comment on a fait pour en arriver là. Ce que je peux dire, c'est que j'aurai aimé reprendre contact dans d'autres circonstances.

Quatre ans déjà qu'on s'est éloignés. Si mes souvenirs sont exacts. Mille-quatre-cent-soixante jours sans communiquer, à quelques jours près. Si tu savais comme je suis attristé par cette distance...

Pour tout te dire, il s'en est passé des choses depuis tout ce temps.

Je ne suis pas certain que tu me reconnaîtrais. D'abord, j'ai laissé pousser la barbe. J'ai longtemps hésité mais je me suis lancé. Je ne marche pas encore dessus et je n'ai pas assez pour me faire des couettes barbues mais bon...

Je me suis fait tatouer sur l'épaule aussi. Une phrase en latin. Je te la montrerai à l'occasion. Je suis certain que tu parviendras à la traduire sans soucis.

Sinon, j'ai aussi rencontré quelqu'un. On a emménagé ensemble, elle et moi, il y a quelques mois. Les débuts étaient un peu difficiles, le temps que chacun trouve sa place. Aujourd'hui, je peux dire que tout se passe bien et que j'envisage la suite de notre relation avec le plus grand sérieux.

Après des années de doute, je me suis jeté à corps perdu dans la cuisine. Je suis actuellement en apprentissage dans un restaurant plutôt sympa. C'est vraiment chouette ! Je t'inviterai à l'occasion.

Hélas, ce n'est pas pour cela que je t'écris...

Tu sais que j'ai vraiment eu du mal à trouver ta nouvelle adresse... Tu as changé de numéro de téléphone apparemment. Tu restes assez discret sur les réseaux sociaux. Mais, avec Internet et le bouche-à-oreille, j'ai réussi. Je l'espère, en tout cas...

Je n'attends pas de réponse particulière mais si tu pouvais me faire signe que tu as bien eu le message, j'apprécierais.

Si je t'écris, c'est pour t'annoncer une bien mauvaise nouvelle.

Quelque part, ça m'arrange de ne pas être parvenu à te joindre par téléphone ou en visio... Je n'aurais pas supporté te dire ça en face-à-face... Par écrit, c'est déjà bien trop douloureux...

Hier soir, mamie s'est éteinte. Elle était très malade ces derniers mois. J'aurais pu te contacter plus tôt mais personne ne savait où tu étais. On ne voulait pas t'inquiéter. On avait espoir que son état s'améliore. J'espère que tu me pardonneras pour ça...

Tu sais, elle parlait beaucoup de son Mo. Elle t'idolâtrait. Ça s'entendait rien qu'au son de sa voix.

Je sais que, comme moi, tu vas beaucoup pleurer. C'est normal de pleurer. On a perdu un être qu'on aimait. La douleur, le chagrin a besoin de sortir. C'est jamais bon de tout garder pour soi...

J'essaie de me dire qu'elle voudrait que l'on conserve notre bonne humeur, que l'on continue notre vie en ne cessant pas de penser à elle. Les souvenirs font qu'elle est et restera toujours avec nous.

J'aimerais que tu me promettes une chose, frérot ! Juste une chose.

Ne te renferme pas sur toi-même.

Encore une fois, tu n'es pas obligé de me répondre. Sache seulement que je suis là pour toi si tu as besoin. Tu es comme mamie, tu es toujours avec moi quelque part quoi qu'il arrive.

Ta bonne humeur me manque.

Ta sagesse me manque.

Ton grain de folie me manque.

Tu me manques, tout simplement.

Mes sincères salutations (je ne savais pas quoi dire d'autre pour terminer cette lettre...),

Ju, ton frère.