Ch. 7 - Disparaissant de nuit

T. II – Chapitre 7Disparaissant de nuit

— Maman ! appela Maxine en culotte et t-shirt, s'engageant dans l'étroit escalier. Maman !

Sa mère était déjà à l'étage du dessous et se contenta de lui répondre un « Oui ? » sans plus de précision. Maxine cherchait dans quelle pièce sa mère avait bien pu se fourrer sans songer à regarder dans la chambre de ses parents en premier, ce qui avait pourtant plus de logique. C'est allongée sur son lit qu'elle retrouva finalement sa mère après s'être demandé par quelle magie elle avait pu s'envoler.

— Maman, la bêtise... la bêtise dont je t'ai parlé, fit-elle en reprenant son souffle, appuyée au chambranle. Il y a un homme, dans la chaufferie.

— Quoi ?

Madame Teapot se redressa sur un coude avec la tête de celle qui essaye de comprendre, sans vexer, le rêve un peu tordu que lui raconte son enfant au petit déjeuner.

— J'ai vu quelqu'un à côté de là où on stockait le charbon. Je sais pas qui c'est, je crois qu'il était blessé.

— Maxine ! Mais pourquoi tu ne m'as rien dit avant ?

Sa mère tomba du lit plus qu'elle n'en descendit. Elle défit le nœud de sa robe de chambre qu'elle avait enfilée par dessus sa tenue encore mouillée et força le passage pour sortir de la pièce, abandonnant le vêtement par terre.

— Et il y a quelqu'un d'autre qui vient d'y entrer, ajouta Maxine sans croire tout à fait qu'elle avait réussi à le prononcer.

— D'y entrer ?

— Dans la chaufferie !

Ça y est, c'était dit, c'était avoué. À l'étage encore au-dessous, au rez-de-chaussée, sa mère enfila un blouson usé comme elle aurait enfilé une cape de super héros. L'apathie l'avait quittée et Maxine ne savait pas encore quel instinct l'avait remplacée, celui de l'infirmière, celui du chien de garde ? Il y avait tout à parier que l'image de sa petite dernière coincée avec un inconnu au milieu des décombres l'avait revigorée. Mais si Maxine était bien contente d'avoir pu se décharger, elle n'était pas fan du scénario où maman se serait rendue seule à la cave.

— Attends-moi, je vais mettre un pantalon !

Elle voulait comprendre, savoir pourquoi elle s'était sentie aussi violentée. Elle remonta jusqu'au deuxième, récupéra des vêtements dans la salle de bain et dans sa chambre, mit la main sur la lampe de poche toujours cachée sous son oreiller, et quand elle redescendit jusqu'à son point de départ, aperçut sa mère qui glissait un couteau dans l'une de ses bottes. Elle en fut quelque peu douchée.

— On ne sait jamais, chérie, se justifia madame Teapot. On ne sait pas à qui on a à faire, on ne sait pas ce qu'il se passe.

Comment sa mère pouvait-elle passer d'un extrême à l'autre avec autant de facilité ? De la maman qui pouponne, de la femme au bord du désespoir, à cette amazone qui s’apprêtait à relever le défi à venir, peu importait sa nature ?

— Tu veux qu'on aille chercher papa ? osa Maxine sans parvenir à cacher tout à fait son trouble.

— Il est trop loin, on n'a pas de temps à perdre si ce sont des voleurs.

— Mais je t'ai dit qu'il y en avait un qui...

— Maxxie, tu ne t'en souviens peut-être pas parce que tu étais trop petite et qu'il n'y avait pas de raison que tu sois mêlée à ça, mais ce n'est pas la première fois qu'on traite avec des vandales, crois-moi. Quand ils voient quelqu'un rappliquer, peu importe qui, en général, ils filent.

Sauf que cette logique était toute inverse avec leur cas de figure puisque personne n'avait décampé ; pire, une autre personne s'était ajoutée aux festivités. Maxine eut beau en faire part aux autorités maternelles, le plan ne changea pas. Enfilant ses bottes qu'elle n'avait pas eu le temps de nettoyer, elle perdait de plus en plus de sa motivation mais se coula dans le sillage de sa mère en espérant que ça lui donnerait plus de cran. À mesure qu'elles avançaient dans la cour, Maxine sentit l'angoisse revenir et lui tordre lentement les intestins, mais si sa mère ne renonçait pas, il était hors de question qu'elle la laisse se débrouiller sans aide.

— La chaufferie, tu dis ?

— Hm-hm.

Il y avait une pente douce qui menait jusqu'à la grosse porte du sous-sol, dont une trentaine de centimètres étaient sous l'eau. Le battant était ouvert, tel que Maxine l'avait laissé. Mère et fille observèrent un instant mais rien ne semblait bouger, même pas une ride en surface. On n'entendait aucun bruit sinon celui des moteurs de tracteur, de groupes électrogènes et des coups de marteau et de masse dans le corps de ferme le plus proche – celui des Hunnissett. L'odeur des bottes de Maxine commençait à remonter à ses narines, la replongeant dans les eaux troubles, dans les ombres et les souvenirs qu'elle essayait de refouler.

— Tu restes derrière moi, trancha enfin sa mère. Tu gardes quelques pas de distance et tu cours jusqu'à ton père si ça se passe mal. Tu lui prends le téléphone portable et tu essayes de joindre la police, les pompiers, ce qui pourra te répondre. En ville, le courant est certainement déjà revenu... Ce n'est même pas sûr qu'il ait été coupé.

— Mais tu veux pas qu'on appelle maintenant, plutôt ?

Sa mère recommençait à l'inquiéter malgré la détermination dont elle faisait preuve. Elle l'avait déjà vue craquer sans prévenir et flancher d'un coup quand le costume devenait trop lourd. Maxine espérait sincèrement que sa mère était prête, et qu'elle ne tentait pas de faire bonne figure devant sa fille dans le seul but qu'elles tiennent le coup, à deux. Son discours provoquait de toute façon l’inverse.

Pour toute réponse, madame Teapot s'en alla perturber la nappe de boue et gagna le sous-sol en quelques grandes enjambées appuyées. Elle appela sans que, bien évidement, aucun écho ne lui parvienne.

— Éclaire-moi, s'il te plaît, fit-elle à l'intention de Maxine.

Sa petite lampe au poing, elle tâchait de garder ses distances tout en illuminant le chemin pour sa mère, qui buta malgré tout dans plusieurs objets pendant sa difficile progression. La chouette morte était toujours là, à l'autre bout de la pièce, en train de dériver nonchalamment dans les remous causés par la nouvelle arrivante.

— Bon sang, cette odeur, marmonna sa mère en remontant son col sur le nez. Il est censé être où ton bonhomme, Maxxie ?

— L'autre pièce, chuchota-t-elle, incapable de parler plus fort de crainte d'être entendue par les mauvaises oreilles.

Elle lui montra du doigt et du faisceau de sa lampe la porte concernée et eut un hoquet, se rendant compte qu'elle était grande ouverte. Ça, ce n'était pas elle. Elle n'avait pas réussi à l'ouvrir et se souvenait très bien avoir piqué de peu droit dans la boue en forçant sur le battant.

— Maman, chuchota-t-elle.

Sa mère ne lui en demanda pas plus et franchit résolument le pas inondé de la porte. La lampe à batterie que Maxine avait fait tomber dans l'eau lors de sa retraite n'éclairait plus, sûrement noyée, toutefois madame Teapot ne semblait pas avoir de problème pour se repérer. La salle était petite et les meubles tous repoussés le long des murs. Seuls quelques antiques coupe-vent, sur les patères, pouvaient éventuellement être pris pour des silhouettes menaçantes, mais si ce fut le cas, sa mère ne montra aucun signe de recul.

— Personne.

— Quoi ?

— C'est bon, c'est vide, il n'y a personne.

De soulagement, Maxine relâcha ses épaules, réalisant seulement qu'elle les avait contractées. Elle se demanda vite où avaient bien pu passer les deux inconnus, mais c'était une trop bonne nouvelle pour ne pas la savourer. Les soucis s'en étaient allés d'eux-mêmes. La fin de l'histoire était un happy end ! Maxine se sentait juste un peu stupide d'avoir traîné sa mère dans cette galère pour rien.

— Maman, je te jure, il y avait quelqu'un.

— Je sais, chérie.

— … Hein ?

Si ça n'avait été qu'un coup monté depuis le début, ses proches allaient entendre parler du pays. Ce n'était pas drôle, ce n'était absolument pas drôle et Maxine en tremblait maintenant que ses nerfs se détendaient.

— Je plaisante pas, gronda-t-elle.

— Regarde, lui intima sa mère.

Elle fit l’effort, de mauvaise foi, prête à voir surgir Andrew, Daniel ou un voisin de derrière la porte. Pour sûr, elle n'y avait pas pensé à ce scénario-là. Mais ce que sa mère lui montra fut d'une toute autre nature. Du bout du couteau, madame Teapot grattait le verni là où d'étranges marques zébraient le bois. Comme des coups de griffes. Des petites griffes. Peut-être à échelle humaine.

— La vache...

Madame Teapot avait gentiment récupéré la lampe de poche des mains de sa fille et passé un bras autour de sa nuque pour la rapprocher d'elle.

— On va peut-être aller chercher ton père, finalement.

Les questions s'étoffaient et la conclusion de l'histoire s'éloignait. Que s'était-il passé dans cette cave ? Les griffures le long de la porte rappelaient douloureusement ces films où les victimes sont enterrées vivantes et grattent le couvercle de leur cercueil pour espérer atteindre l'air libre. Sauf que là, le cercueil se trouvait sous sa maison et Maxine ne savait pas comment elle allait réussir à s'endormir rien qu'à cette idée.

— Viens, on y va, la pressa sa mère.

Mais Maxine ne pouvait pas détacher son attention du battant et, même en quittant la pièce, elle jeta un regard en arrière pour se persuader qu'elles n'étaient pas en train de rêver. Elle crut alors voir comme une énorme araignée juchée sur l'autre versant de la porte. Avec un sursaut de dégoût et un cri aspiré, éclaboussante de maladresse, elle effraya sa mère qui braqua sa lumière dans leurs dos.

— Quoi ? Quoi, qu'est-ce qu'il y a ?

— Le truc sur la porte !

— Le truc sur...

Elles se rapprochèrent, le regard mauvais. Ce n'était pas une araignée qui les attendait et sa mère se remit à gratter de la pointe de son arme les drôles de résidus qui tachaient le bois. Il y avait, à peu près là où l'on aurait trouvé le numéro sur une porte de chambre d’hôtel, une brûlure imprimée en forme de main droite. Maxine avait eu assez d'émotions pour la journée et ne se contrôla pas quand elle approcha la sienne de la sinistre empreinte. Elle l'y superposa pour se rendre compte que leur taille était relativement semblable, celle de Maxine n'étant pourtant pas bien grande.

×

Le chaos de la route faisait tanguer la voiture et Maxine se cognait parfois la tête contre la vitre. Coincée sur la banquette arrière avec son frère Andrew et la femme de monsieur Hunnissett, lui-même au volant, elle luttait contre le mal de mer et ne pouvait toujours pas ouvrir la fenêtre à cause des flaques interminables qui parsemaient le chemin. Le 4x4 de devant ouvrait la voie sur des routes de campagne pas toujours très accueillantes, mais en meilleur état que vingt-quatre heures plus tôt. Plus de rivières dévalant le bitume ; encore quelques mares ci et là, cependant.

La veille, Maxine s'était faite sauvagement enguirlandée par ses parents après qu'ils aient échangé plusieurs appels téléphoniques avec la police. Son père, surtout, voyait rouge : comment pouvait-on être aussi irresponsable ? On ne pouvait pas se permettre, avec le genre de traces retrouvées sur les murs, de faire comme si rien n'avait jamais existé. Les choses auraient pu très mal tourner, mais ce qui inquiétait principalement monsieur Teapot, c'était qu'à part la prise en flagrant délit de Maxine, incapable de donner des détails, il ne restait plus de preuves pouvant servir à retrouver les intrus : l'ADN était noyé, l'estropié, disparu.

Maxine avait longtemps fait la tête, même après une fin de journée à faire la sieste et à réparer les carreaux cassés du grenier avec sa mère. Ce n'était pas comme si elle n'avait pas essayé, après tout, d'aller se réfugier auprès de quelqu'un suite à sa découverte. Et son père ne l'avait pas beaucoup encouragée à continuer.

La majorité des groupes électrogènes avaient terminé de pomper l'eau dans les soubassements du trio de fermes voisines – dont récemment celle des Teapot. Leur rôle était désormais de fournir l'énergie nécessaire au fonctionnement, en particulier, des frigos et congélateurs dont les contenus avait pris un sacré coup pendant leur privation post-apocalyptique. Beaucoup était parti à la poubelle, ce pourquoi Maxine, que les voisins emmenaient en mission de ravitaillement, faisait route vers la ville la plus proche. Corvée de courses : là où l'on pensait qu'elle ferait le moins de bêtises, sûrement. Après une deuxième journée passée avec Andrew à faire l'inventaire de la nourriture et du matériel relatif au troupeau d'ovidés sans qu'aucun incident ne survienne, elle était d'autant plus contrariée d'être envoyée acheter les vivres alors que le soir tomberait avant leur retour et que l'envie d'un bain chaud croîtrait exponentiellement.

— Votre mère n'en finit pas d'allonger cette liste, leur dit Josephine, qui consultait ses SMS sur le siège passager devant Maxine. Autant vous faire un récapitulatif de tout une fois arrivés, parce qu'on ne va pas s'en sortir.

Puisque ses enfants n'avaient pas de téléphone, madame Teapot profitait de celui de Josie, l'amour d'enfance d'Andrew, pour faire passer ses directives. Plus le temps s'égrainait, plus Maxine sentait qu'ils allaient devoir acheter tout le supermarché. Mais elle savait surtout qu'en pratique plusieurs produits serraient boudés car, les inquiétudes et les névroses de sa mère refaisant sûrement surface, elle passerait avec son frère un certain temps à faire le tri entre ce qui était nécessaire et ce qui servirait plutôt à tenir un siège de guerre.

Andrew tapotait nerveusement la carte bancaire de leurs parents sur l'ongle de son pouce ce qui, combiné aux cailloux qui ricochaient contre les garde-boues et la carrosserie qui n'en finissait pas de gémir, commençait réellement à mettre les nerfs de Maxine en pelote. Elle priait pour qu'Alnwick se rapproche malgré le rythme cahin-caha des deux véhicules qui se suivaient sans faillir.

Sortant un mp3 de la poche de son ciré, elle se blottit dans un monde de sons clairs, un peu tristes, mais réconfortant, car familiers. Elle laissa les minutes, les morceaux et les discutions entre voyageurs défiler sans les compter. Elle ne prêta pas non plus attention aux changements de route à cause des culs-de-sac inattendus, des cours d'eau en crue ou des arbres allongés sur la chaussée. La buée sur les vitres comblait son imaginaire qui dérivait avec la musique. À quelques kilomètres de leur point de chute, son frère lui piqua une oreillette et se cala davantage contre elle, s’immisçant parmi ses rêves éveillés sans que cela ne la déstabilise de trop. Quand, enfin sur le parking, tous sortirent de voiture pour s'étirer et se réjouir de la réussite du convoi, Maxine se surprit même à sourire.

— Tiens, lui glissa Andrew en même temps qu'un morceau de feuille qu'il venait de déchirer d'un gros calepin. La moitié chacun, comme ça on se retrouve à la caisse deux fois plus vite.

— Ouais, d'accord.

En meute, tout le monde attrapa un caddie et Maxine remarqua qu'une bonne partie n'était plus disponible, ce qui allait de paire avec le nombre de véhicules stationnés sur le parking. La lutte serait rude entre les rayonnages, surtout si le réapprovisionnement datait. Maxine n'aimait pas beaucoup les grands rassemblements et les fortes concentrations de population. Elle était habituée à avoir de l'espace, de l'air, une liberté de mouvement et d'action qui lui manquait à chaque fois qu'elle se rendait au lycée. Elle appréhendait d'autant plus les courses au milieu de citadins et rescapés provinciaux qui avaient passé deux jours en enfer et elle augmenta le volume de la musique dans ses oreilles pour s'en protéger. Derrière la barrière des sons entraînants, éviter les autres consommateurs serait un peu plus comme une danse qu'une esquive agacée.

On retrouvait certains produits par terre ou abandonnés dans des endroits improbables, mais dans l'ensemble, Maxine réalisa avec étonnement que l’intérieur du supermarché était loin de ressembler à un champ de bataille. À chaque automne ses chances d'inondation, et bien que celle-ci arrivait très en avance, Maxine devait reconnaître que les gens savaient manifestement y faire.

Avec application, elle essayait de s'accorder entre ce que sa mère voulait qu'ils rapportent, ce que le supermarché avait encore à offrir et le degré de pertinence des articles inscrits sur la liste. Les quatre paquets de sucre en morceaux, par exemple, lui faisait faire les gros yeux, et que pouvait-elle dire des vingt-cinq types différents de conserves pour remplacer les bocaux détruits de leur propre réserve ? De toute façon, le rayon des boîtes avait été largement raflé par leurs prédécesseurs et Maxine progressait comme elle le pouvait au milieu des embouteillages et du brouhaha des consommateurs excédés par les intempéries passées. Elle fut d'autant plus étonnée de constater qu'il n'y eut qu'une seule bonne femme qui, après une collision, la fixa comme si elle se retenait de lui balancer des noms d'oiseaux, les lèvres pincées.

Au rayon des fruits et légumes, alors qu'elle faisait le plein de pommes de terre, Maxine fut pourtant confrontée à une énième rencontre qu'elle ne sut ignorer. Plusieurs étalages en amont, il y avait un garçon qui paraissait la regarder droit dans les yeux. Prise d'un doute, elle suspendit ses mouvements et se retourna pour vérifier qu'il n'observait pas bêtement quelqu'un d'autre, un peu après elle. Sauf que, à moins qu'il ait été subjugué par la publicité grandeur nature d'un pêcheur local ventant son produit confié à la chaîne de market, il n'y avait pas grand-chose d’intéressant à étudier dans sa direction.

Elle appréhenda une poignée de secondes l'idée de croiser à nouveau son regard et Maxine continua son chargement sans relever les yeux. Un deuxième filet de patates aux poings, elle sentit des couleurs lui monter aux pommettes. C'était puéril. Mais qu'est-ce que c'était flatteur. Elle devait avoir une tête de déterrée et ses cheveux n'étaient pas toujours au goût des jeunes hommes. Autant dire que ça ne lui arrivait pas souvent ; trop peu pour qu'elle le remarque, en tout cas. Maxine réalisa alors qu'elle ne voulait pas passer à côté de ce moment et, reprenant courage, elle dressa le menton et reporta son attention sur le garçon qui n'avait pas changé de position.

N'était-ce pas carrément impoli de fixer les inconnus avec cette intensité ? Avec un bonnet mal coiffé sur la tête et les drôles de traces verdâtres, assez subtiles, qui lui couvraient la face, c'en était encore un qui avait l'air d'avoir passé quelques bonnes nuits de galère. Maxine commençait d'ailleurs à se demander s'il n'était pas en train de se dire qu'elle avait l'air aussi miteuse que lui. Plus il la dévisageait sans expression et plus la magie s'estompait. Elle ne savait pas trop à quoi il s'était frotté pour avoir le visage barbouillé, mais ça lui rappelait des images peu sympathiques, à base de cave et de rescapé bigarré qu'elle ne voulait plus voir resurgir dans ses pensées.

Juste avant qu'il ne regarde enfin ailleurs, attrape un fruit et s'en aille, elle s'appliqua à se remémorer un autre détail et se fabriquer un plus joli souvenir de cette rencontre éclair. Ce ne fut d'ailleurs pas spécialement compliqué puisque le trait qui l'avait harponnée en premier, c'était ses yeux. Si bleus qu'ils en faisaient mal ; si vifs qu'ils donnaient l'impression que le monde était en noir et blanc et qu'elle ne s'en était jamais rendu compte avant. Dans ses oreilles, il y avait une musique qu'elle aimait bien, peut-être trop rythmée pour la situation, mais qui allait parfaitement avec son cœur qui accéléra quand le garçon quitta les allées quelque part en direction de l'entrée du supermarché.

Maxine termina sa partie de la liste très vite et se dirigea résolument vers les caisses pour y attendre Andrew ou ne serait-ce qu'un autre membre du groupe ; elle aurait aimé que les choses accélèrent mais le reste de la troupe n'était apparemment pas branchée sur le même fuseau horaire. Pendant qu'elle patientait, appuyée sur son caddie comme si l'ennui pesait très lourd, elle pouvait voir de temps en temps, si elle y faisait assez attention, le jour décliner à travers la façade vitrée du supermarché. En s'y reprenant parfois à plusieurs reprises, les lampadaires commencèrent à s'allumer sur le parking alors que le jour traînait encore un peu la patte en ville. Maxine avait l'impression qu'elle n'avait plus vu pareille quantité de lumière artificielle depuis des temps trop lointains pour se les remémorer.

Quand les voisins se retrouvèrent enfin à jouer au Tetris pour remplir les modestes coffres, le soleil était caché par les bâtiments. Il était 18h40 tout pile selon Josephine qui, dans la voiture, cherchait une station de radio pour se motiver. Tout le monde perdait un peu patience face au casse-tête des courses à incruster dans les véhicules et Maxine savait pertinemment qu'elle en aurait jusque sous les pieds et sur les genoux malgré leurs stratagèmes de plus en plus compliqués. Après un temps, il ne restait plus que monsieur Hunnisett pour les dernières touches stratégiques, sa femme ayant filé plus tôt pour réparer quelques oublis dans sa liste d'achats, Josephine et Andrew parlant musique dans la voiture et les deux derniers membres de l'expédition s'étant éloignés pour fumer en parlant des décès et des personnes encore non retrouvées. Maxine aidait comme elle pouvait avec le peu de neurones encore fonctionnels qu'il lui restait, ce qui n'était pas assez pour empêcher une pile de basculer hors du coffre.

— C'est pas vrai ! bougonna monsieur Hunnisett.

Elle lui aurait bien fait écho mais ne réussit à articuler que des grognements obscurs.

— Attention, Maxxie !

Hagarde, elle avait reculé en plein sur les pots d'un lot de crèmes au chocolat qui avaient littéralement explosé sous sa botte. Le reste était en accordéon, relativement fuyant.

— Si tu n'en voulais pas, le mieux, c'était de ne pas les acheter, lui dit-il avec une tête désolée, fatiguée, mais amusée aussi. Elles sont bonnes pour la poubelle, je ne crois pas qu'on arrivera à en sauver.

Se disant il se pencha lentement pour épargner ses vertèbres et récupérer les courses qui s'étaient réfugiées sous la voiture et entre ses jambes. Maxine l'imita pour attraper les crèmes du bout des doigts. Elles coulaient de partout et l'adolescente se mit en route pour la poubelle de l'abri à caddies le plus proche tandis qu'elle semait à sa suite des taches de chocolat tel un Bambi dans la neige. L'appel de son lit, de sa maison, refaisait des siennes et Maxine ne fonctionnait plus que par missions successives pour ne pas craquer. Franchir vingt mètres, encore vingt mètres, trouver une poubelle parmi toutes celles arrachées de leur montant par les automobilistes maladroits. Il lui fallut un second pôle à caddies pour enfin tomber sur ce qu'elle cherchait. Maxine y avait à peine largué son fardeau qu'elle se sentit tirée en arrière, maintenue dans une position atroce pour le dos et l'équilibre, un bras étranger autour du cou tandis qu'une main lui plaquait ce qu'elle prit pour une serpillière, très rêche, sur la bouche et le nez.

Elle ne parvint pas à crier. Elle avait du tissu jusque dans la bouche et un drôle de produit à l'odeur très forte lui gouttait un peu dans le gosier. La panique l'avait complètement réveillée mais un drôle d'engourdissement commençait en même temps à la gagner. On lui soufflait des « chut, chut » à n'en plus finir et Maxine était dans un tel état d'horreur qu'elle mit plusieurs secondes avant de lancer ses premières claques au hasard, ne dérangeant pas plus qu'un bonnet miteux qui roula au sol.

C'était la première fois qu'elle se faisait agresser et Maxine n'était même pas sûre de savoir ce qu'il fallait faire. Était-ce vraiment en train d'arriver ? Ses efforts gagnèrent en intensité. Elle se débattait, tapait le vide, tapait parfois une épaule ou une tête. Ses appels étouffés n'avaient pas l'air de donner la moindre suite et elle pleurait de peur et de panique. En plus de ne pas savoir ce qu'on lui voulait et de ne pas vraiment comprendre la portée de ce qui était en train de se passer, Maxine réalisait surtout qu'il n'y avait personne pour l'aider. Où était son frère, où était monsieur Hunnisett ? Elle et son agresseur leurs tournaient le dos et le manège durait bien trop. Le produit qu'on lui avait plaqué sur le visage tardait à agir et elle enrageait d'avoir tout ce temps à disposition et de ne pouvoir rien en faire pour s'en sortir.

Elle se cabra, rua, lança du pied dans des directions folles sous l'ampoule clignotante d'un lampadaire épileptique. Elle arracha des cheveux, réussit à frapper un caddie. Maxine eut l'impression que le bruit avait été terrible, comme un coup de tonnerre, mais peut-être son esprit divaguait déjà trop, à demi conscient. Absolument personne n'apparut comme par magie dans son champ de vision pour lui porter secours, personne ne se demanda où elle était passée depuis tout ce temps, cachée derrière un abri à caddies pourtant à moitié transparent.

 

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Jowie
Posté le 21/11/2015
Hello, hello !<br /><br />Eh ben, quel chapitre ! Je me lance :<br /><br />J'aime bien la façon dont tu prends le point de vue d'une enfant : Maxine admire sa maman mais appréhende aussi qu'il lui arrive quelque chose à la cave. (euh...à un moment tu dis que Maxxie est ado, mais je ne sais pas pourquoi dans ma tête elle est toute jeune! Elle a quel âge, en fait ?) <br />Je ne sais pas si je te l'ai déjà dit, mais j'aime bien le vocabulaire que tu utilises dans tes histoires : ça passe du familier au soutenu des fois; et j'ai l'impression de me sentir très près du texte, comme s'il était chaleureux (tu vas sûrement hausser les sourcils en lisant ça xD). Voilà c'est mon impression hahah !<br /><br />Oh my god, flippant, cette histoire de griffures et de brûlure sur la porte...c'est glauque...IL Y A TROP DE SUSPENSE ! AAAH! JE VEUX SAVOIR CE QUI S'EST PASSEEEE !!! La réponse promet d'être farfelue, en tout cas. (En plus avec la pauvre chouette qui flotte encore là-bas dessous, quelle ambiance ! (Je tiens à préciser que j'ai beaucoup aimé ;D ) <br /><br />Et à côté de tout ça, il y a ce garçon mystérieux avec ces traces bizarres sur le visage...à mon avis il a quelque chose à avoir dans l'histoire, même si je ne sais pas encore quoi...peut-être était-ce lui dans la cave de Maxxie...?<br /><br />Oh non, la fin ! :((( Qui voudrait faire du mal à Maxxie ? La pauvre ! C'est horrible que ses proches soient à peine plus loin et qu'ils n'ont aucune idée de ce qui lui arrive ! Nooon ! J'espère qu'elle va s'en sortir !<br />Je ne sais pas quelles conclusions tirer par rapport à ce qui est arrivé ; seule la suite m'éclaircira tout ça ! Je me demande d'ailleurs comment le récit de Maxxie se rattachera à celui de Marina et compagnie...bref, bref.<br />Très bon chapitre, franchement, tu crées une ambiance humide et boueuse que j'adore et tu as certainement réussi à maintenir mon intérêt et ma curiosité ! J'ai hâte de repasser bientôt  !<br /><br />Quelques petites remarques :<br />“En culotte et en t-shirt” : au début j'avoue qu j'ai cru que tu parlais de la mère xD<br />“Maxxie” : Trop chou comme surnom ! Ça m'a juste surprise que tu l'écrives avec deux X je ne sais pas pourquoi ^^<br /><br />A touuute ! ;) et bon weekend !
BeuldesBois
Posté le 21/11/2015
Ma Jowie *hug*<br /><br />Alors oui, en fait, il y a un petit problème parce qu'elle est vraiment supposée être adolescente la pauvre Max x'D. (Oui je ne l'appelle jamais Maxxie je ne sais pas pourquoi ahah (D'ailleurs il faudra que je revienne sur ce nom, AAAAH)) Quinze ou seize ans, je ne sais plus ce que j'en dis dans l'histoire. (Ca démarre bien...)<br />Elle est pas censé être hyper extravertie, ce qui peut-être la fait passer pour plus jeune qu'elle ne l'est, je me disais... Puis j'ai eu une remarque de Elka sur un petit truc dans le chapitre 6 où Max parle du reste des personnages comme "les grands", ce que je voulais plutôt ironique, comme si Maxine râlait du fait qu'elle est souvent considéré comme moins mature qu'elle ne l'est vraiment... Mais en fait ça ne se comprends pas du tout comme ça, je crois, j'ai merdé xD ! Et pour peu qu'il y ait d'autres trucs comme ça dans le texte, ben ça doit pas aider le lecteur à savoir quel âge elle a vraiment. Bien joué Beulou.<br /><br />Et concernant le Maxxie avec deux X et bien... J'en ai aucune fichue idée. Je ne me suis jamais posée la question je ne sais pas pourquoi je l'écris comme ça, je l'avais peut-être trouvé dans une liste de diminutifs sans vérifier, ou j'ai pas fait gaffe et je l'ai mal orthographié une première fois puis suivi le même modèle après, je... Vraiment j'en sais rien. C'est moche Maxxie ? Trop peu courant ? Moi je passe au "un seul X" tout de suite si c'est ça. Ca ne m'engage à rien, c'est vraiment pas un choix esthétique de ma part. >_> (Quel boulet p*tain.)<br /><br /><br /> Si je hausse les sourcils face à tes compliments sur le style c'est juste parce qu'il me font très chaud au coeur. Wah ! C'est vraiment hyper cool - si j'ai bien compris ce que tu veux me dire. Je ne pensais pas que ça avait cet effet là, c'est vraiment une bonne nouvelle \\o/. (D'autant plus qu'avec tous ces passages de cave, d'eau sale et d'obsucirté, j'aurais pas parié sur l'aspect chaleureux du texte, moh !) <br /><br />Ahah c'est génial de voir les hypothèses du lecteur en live. Je ne peux rien te dire bien entendu mais j'adore lire tes idées sur ce qu'il se pase, ou qui est impliqué. (C'est marrant d'ailleurs de voir où ça diverge d'un lecteur à l'autre.)<br />Je ne peux pas nier le côté farfelue de la réponse, en tout cas x'D !<br /><br />Je te remercie Jowie t'es commentaires sont toujours enjoués c'est un régal ! ♥ Ahah j'espère que le fameux passage où les histoires de Maxine et Marina vont se rejoindre ne seront pas trop ratés. C'est ma grande peur du moment, je suis un peu en train de tâtonner là et ça n'annonce jamais rien de bon, ça :p. Je vais travailler deux fois plus dur pour être digne de ton interêt ! Merci encore ♥ Bisous !
Seja Administratrice
Posté le 09/04/2016
Meeeeh. C'est quoi cette horrible fin de chapitre, méchante ?
J'allais faire un commentaire super intelligent sur des trucs très enlevés. Mais maintenant, j'ai mon petit coeur qui se serre et mon cerveau qui hurle. Parce que cette histoire, elle a une telle ambiance que je la vis en direct. C'est beau et terriiiible.
Franchement, je suis toujours aussi fascinée par tes descriptions. Je veux dire, ce chapitre, à part sa fin, c'est du rien. Des scènes parfaitement banales de la vie de tous les jours. On roule en voiture, on va faire les courses... Mais bordel, que c'est efficace. Peut-être justement parce que ça parle à tout le monde, va savoir.
En tout cas, moi, j'aime <3 
BeuldesBois
Posté le 09/04/2016
Oh non xD J'étais curieuse de lire ce commentaire super intelligent et très enlevé ! (Vraiment !)<br /><br />J'ai dû relire la fin pour me remettre en mémoire ce qui pouvait éventuellement te mettre dans cet état là. Beau et terrible ahahah. En tout cas si c'est imersif c'est un très très beau compliment TvT. Merchi. Moi encore une fois si on me demande je dirais qu'il faut que ça aille plus vite parce que y'a des passages où on doit en avoir rien à faaaire et pourtant tu es là à me dire que ça te plait et tout bouhouhou tu es trop bonne ma Seja trop bonne mercii TxT.<br /><br /><3 <3 <3 <3<br />
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