Chap 1 - scène 3

Par Meryma

Ivar ne rentrerait pas avant la tombée de la nuit, alors Astrid profita de ce répit pour retourner au village. Elle entra dans la boutique de l’herboriste et rabattit son foulard en arrière. Ester conseillait un villageois sur une tisane pour améliorer son sommeil quand son regard se porta sur la jeune femme.

– Je t’assure que le Krampus ne s’en prendra pas à toi, Viggo. Tu es un homme bon, qui prend soin de sa famille. Tu peux dormir tranquille. 

L’homme tamponna son front à l’aide d’un mouchoir en tissu et remercia l’herboriste, puis lui laissa quelques pièces avant de quitter la boutique, sans un regard pour Astrid.

– Deux fois en une journée ! s’exclama la vendeuse en apercevant sa cliente. Qu’est-ce que je peux faire pour toi, Astrid ?

Si elle remarqua les cernes et les traits tirés de la jeune femme, Ester n’en laissa rien paraître et rangea quelques sachets de feuilles séchées, l’air de rien. Astrid s’approcha du comptoir après s’être assurée que la boutique était déserte. Mal à l’aise, elle tritura ses doigts, retenant mal les larmes qui menaçaient de déborder de ses yeux bleus. Ester sentit son trouble et s’approcha.

– J’aurais besoin d’une tisane pour… déloger un… indésirable, avoua la jeune femme d’une voix tremblante.

L’herboriste se redressa un peu et retint involontairement son souffle. Elle la fixa quelques secondes sans rien dire, testant sa patience, sa détermination, mais Astrid ne cilla pas. Elle paraissait avoir pris sa décision.

– Il y a d’autres solutions, tu sais, commença-t-elle.

– Je t’en prie, ne rends pas les choses plus difficiles qu’elles ne le sont déjà. Peux-tu m’aider ou non ?

Il y a quelques années, Astrid avait fait une grossesse particulière, peut-être à cause de l’ambiance à la maison, ou des gestes un peu trop brusques d’Ivar. Toujours était-il que l’enfant ne s’était pas logé où il le devait et la douleur était devenue insupportable. Ivar était venu chercher Ester pour qu’elle aide sa femme. Ce jour-là, elle avait compris la situation. Elle s’était juré de toujours être présente pour Astrid, même si elle refusait inlassablement l’assistance que son amie souhaitait lui apporter.

– Ester ? supplia encore la jeune femme.

Elle hocha la tête, résignée, et se retourna pour fouiller dans ses mini tiroirs. Elle prépara un mélange d’herbes qu’elle fourra dans un petit sachet de toile et le tendit à Astrid par-dessus le comptoir. Alors qu’elle s’en saisissait, Ester attrapa ses mains et planta son regard dans le sien. Quand elle parla, sa voix n’était qu’un murmure, ses lèvres remuant à peine.

– Tu pourrais le garder et t’enfuir. Recommencer une nouvelle vie, loin de lui…

Astrid secoua la tête, soudain terrifiée.

– Comment ? répondit-elle sur le même ton. Je ne sais rien faire d’autre que tenir une maison. Je serais incapable de me débrouiller seule. Et pour aller où ? Il me retrouverait toujours, de toute manière.

Debout devant son évier de pierre, dans sa cuisine vide et sombre, Astrid plongea les quelques herbes dans l’eau bouillante. Elle laissa infuser et versa le contenu dans un gobelet en terre qu’elle porta à ses lèvres. Elle souffla pour le refroidir un peu, le regard perdu sur le chemin qui menait au village. Elle ferma les yeux, libérant une larme salée, puis approcha encore le godet de sa bouche.

Elle hésita longuement, les paroles de son amie tournant en boucle dans sa tête, porteuses d’un espoir qu’elle n’avait jamais envisagé. Elle était prisonnière depuis trop longtemps, rêver d’une autre vie ne lui était pas permis. Ses nombreuses grossesses s’étaient toutes terminées de la même manière. Cet espoir n’était pas pour elle.

Pourtant, au moment de boire le poison, le gobelet lui échappa des mains et répandit son contenu sur le sol.

Astrid se laissa glisser le long du placard et pleura longtemps. Elle n’était même pas capable de prendre cette simple décision ! Quel genre de mère serait-elle ?

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