Parvenue devant chez elle, Astrid tapa ses bottes sur le paillasson à l’extérieur pour en chasser les feuilles et la terre, puis les ôta avant d’entrer. Elle déposa le panier sur la commode derrière la porte, le temps de défaire son foulard et son châle qu’elle accrocha au mur. Elle passa une main dans ses cheveux pour les libérer tout à fait et s’empressa d’aller ranger les courses.
Quand elle se retourna, Ivar se tenait déjà à table, les mains jointes sur le bois usé, les sourcils froncés.
Astrid sursauta en le voyant là qui la fixait de ses yeux noirs. Elle déglutit pour faire passer la boule d’angoisse dans sa gorge et se composa un air innocent, accrochant un léger sourire à ses lèvres fines.
– Où tu étais passée, encore ? lui reprocha son mari.
Il la suivit du regard quand elle passa près de lui pour aller déposer le panier lourd sur le plan de travail.
– J’étais au marché, comme tous les matins. J’ai racheté de la viande et du pain.
– Pourquoi ça t’a pris si longtemps ? Tu as encore traînassé, hein ? Quel besoin tu as de lambiner ? Tu vas au village, tu fais tes courses et tu rentres, c’est pas si compliqué ? J’ai bien le droit de trouver mon petit-déjeuner quand je me lève ! Là, je me prépare, je viens dans la cuisine, et rien n'est prêt !
– Je suis désolée. J’ai fait aussi vite que j’ai pu, mais il fallait bien racheter de la viande. Et puis, Sonja nous a encore invités chez eux. Sa fille veut que je lui apprenne à tricoter. Elle a treize ans, elle apprendra vite, j’en suis sûre.
Ivar renifla bruyamment et attrapa la miche de pain encore tiède pour la déposer sur la table à côté de son écuelle et de son couteau.
– Je t’ai déjà dit qu’il était hors de question qu’on accepte les invitations des autres. On sera obligé de les inviter en échange. C’est ce qu’ils attendent : venir chez nous, pour fouiner et se mêler de ce qui ne les regarde pas.
Astrid soupira et s’affaira pour préparer le petit-déjeuner en silence, alors qu’Ivar se rasseyait à sa place. Il découpa plusieurs grandes tranches de pain et commença à les beurrer pendant qu’Astrid faisait cuire les œufs dans la poêle. Une fois prêts, elle les versa dans l’assiette d’Ivar.
Il lui attrapa le bras et leva les yeux vers elle. Il paraissait soudain plus doux, plus calme et lui offrit même un léger sourire. Il pencha la tête pour l’observer et dit :
– Tu en fais déjà assez dans cette maison. Si on invitait des personnes ici, ça te ferait encore plus de travail, et je refuse. Je ne veux que ton bien, tu comprends ?
Son pouce caressa la peau claire de son épouse qui le regarda à son tour, les yeux brillants. Elle lui sourit et hocha la tête.
– Merci de prendre soin de moi, Ivar, déclara-t-elle d’une petite voix à peine audible.
Satisfait, il la relâcha enfin pour qu’elle retourne près des fourneaux terminer la préparation.
Elle se massa le poignet en grimaçant et ferma les yeux, pour réprimer les larmes qui menaçaient de couler.
Son petit-déjeuner englouti, Ivar enfila son manteau chaud, enfonça son bonnet sur la tête et une écharpe autour du cou, puis il sortit sans un regard pour son épouse.
Astrid l’observa s’éloigner par la fenêtre de la cuisine. Quand il disparut de son champ de vision, elle se pencha brusquement au-dessus de l’évier en pierre pour rendre le peu qu’elle s’était forcée à manger, dans une ambiance pesante. Elle crispa ses doigts tremblants et passa une main sur son front en sueur.