Ses appartements étaient bien plus grands que ceux que Mina et moi avions partagés. On aurait dit une véritable maison, perchée dans la tour mais tournée vers le monde, avec un jardin suspendu qui s’étendait sur une terrasse de pierre, stratégiquement positionnée côté sud. Là, sous un ciel voilé, le gazon jauni formait un tapis irrégulier autour de massifs de plantes étranges, à moitié fanées, à moitié trop vivantes, comme si le lieu oscillait sans cesse entre oubli et entretien. Des fleurs bleues translucides pendaient d’un petit arbre noueux, tandis qu’un bassin central, à moitié asséché, laissait apparaître ses pierres fendues et des reflets troubles.
Pourtant, malgré ce décor presque poétique, elle ne me laissa pas le luxe de visiter. Cassiopée s’affala dans un transat incliné face à la baie vitrée, le regard perdu vers l’horizon, les tentacules repliées dans une posture de lassitude maîtrisée.
— Tu peux respirer, rien ne fonctionne ici… les puces, les caméras, les micros… absolument rien.
Elle avait lancé ça avec un tel dédain, un mépris glacé qui semblait mordre l’air. J’eus du mal à croire que j’étais face à la même personne qui, quelques heures plus tôt, posait sur moi ses questions avec ce calme chirurgical.
— Comment je pourrais vous faire confiance ?
Ses yeux translucides se tournèrent lentement vers moi, pleins d’une douceur inattendue et d’une amertume contenue.
— Tu as raison, je ne me ferais pas confiance non plus. Comment pourrait-on, après les deux semaines que je viens de passer à te torturer ?
Je pris mon temps pour m’asseoir près d’elle, juché sur le rebord fendu du marbre qui entourait le bassin. La pierre était tiède, rugueuse sous mes doigts, fissurée par le temps ou les coups.
— Vous en avez conscience… Pourquoi rester comme ça, au juste ?
Les filaments translucides de ses cheveux frémirent au vent léger, se teintant doucement d’un bleu délicat, plus clair encore que celui des fleurs suspendues au-dessus de nous. Ce n’était pas un changement brusque, mais une sorte de soupir visuel, comme si ses pensées coloraient son corps malgré elle.
— J’attends quelqu’un… Il doit encore me chercher. Nous chercher.
Sa voix avait tremblé, à peine, mais assez pour se glisser dans le silence comme une lame fine. Ses jambes, qu’elle replia contre elle, semblaient fuir quelque chose. Elle s’enroulait presque sur elle-même, minuscule, alors qu’elle avait l’habitude de se tenir droite, redressée comme un pilier de verre.
— Cette personne a l’air de beaucoup compter pour vous… mais est-ce que ça vous donne le droit de faire tout ça ?
Je ne savais pas exactement à quoi je faisais référence : la torture, les mensonges, le silence ou l’attente. Peut-être tout à la fois.
— Non, tu n’es pas la première à le souligner… mais si je pars, il me cherchera en vain.
Pas besoin d’être un génie pour comprendre le sous-entendu : Marrianna ne laisserait personne sortir de cet endroit vivant. Encore moins Cassiopée — elle en savait trop. Cependant, elle me sourit doucement, comme si ça n’avait aucune sorte d’importance.
— En vérité, je me fiche pas mal de ce que tu fais ici. Et je me fiche de ce que tu comptes faire. Si tu m’en parles, je risquerais de tout compromettre. Mais je vais te raconter quelques petites choses qui pourraient t’aider… ou pas. Ça dépendra de ce que tu comptes faire. Mais je ne veux pas le savoir.
— D’accord…
Lui rendant son sourire, je posai les yeux sur le paysage devant nous, tandis que mon hôte se détendait un peu plus, certaine que j’avais compris ce qu’elle voulait dire.
— Je vais commencer par le plus choquant pour toi… Marianna et Patricia sont parentes.
Je ne réagis pas tout de suite. Mon esprit refusait d’assembler les pièces. C’était absurde. Patricia ? L’esclave rebelle ? La femme que tout dans ce système désignait comme inférieure, réductible, effaçable ? Parente de l’impératrice ?
— Je crois que ça n’a pas d’importance, soufflai-je, plus par réflexe que par conviction.
— Détrompe-toi. Ça pourrait en avoir… bien plus que tu ne l’imagines. Il y a une cinquantaine d’années, la mère de Marianna était la dernière héritière directe de la couronne. Elle avait plusieurs frères, tous plus âgés. Elle les a fait assassiner un à un, avec une froideur presque légendaire. Sauf le dernier. Un nourrisson. Peut-être que le bébé ne pleurait pas. Peut-être qu’elle y a vu une forme de rédemption. Va savoir.
Elle soupira, les yeux perdus dans le souvenir.
— Elle a alors chargé l’une de ses esclaves de l’emmener loin, très loin, jusqu’aux frontières du camp rebelle. En échange, elle lui avait promis la liberté. Mais tu t’en doutes…
— Elle ne l’a jamais libérée.
— Évidemment que non. Elle l’a même fait surveiller de loin, sans doute par crainte qu’elle parle. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Cette esclave avait un fils. Quand elle est revenue réclamer sa liberté, elle est venue me voir. Pas pour supplier, non. Pour m’informer. Elle voulait que quelqu’un sache. Que si jamais elle ne revenait pas, quelqu’un puisse aider son fils.
Je restai muette. Tout en moi se fissurait, comme le marbre sur lequel j’étais assise.
— Et qu’est-ce qu’il s’est passé ?
— Elle a été exécutée. En place publique. Devant toute la cour. Officiellement, pour outrage à la couronne. En réalité, Gahela, la mère de Marianna, voulait la faire taire. Personne ne devait savoir ce qu’elle avait fait.
— Et toi… tu n’as rien pu faire ?
— J’ai sauvé son fils. Je l’ai sorti du système. Mais sa mère… elle est morte sans que personne ne défende sa cause. Et ensuite, Marianna a pris le pouvoir. Elle a renforcé le système de surveillance : caméras, puces, micros… partout. Je ne peux parler librement que chez moi.
Je secouai la tête, abasourdie.
— Mais alors… Patricia… c’est la fille de ce nourrisson ? Elle descend directement de la famille royale ?
— Oui. Et ça, tu comprends ce que ça signifie, n’est-ce pas ?
Bien sûr que je comprenais. Ce ne serait d’aucune aide aujourd’hui, pas dans l’instant, pas face à l’urgence. Mais si nous trouvions des preuves de tout cela… alors la rébellion pourrait rallier à sa cause des alliés fidèles à la véritable couronne.
— Malheureusement, ce n’est pas la seule chose que je dois te confier…
Elle poussa un long soupir, tendant un tentacule tremblant. À son extrémité, un petit dispositif clignotait faiblement. Pas plus gros qu’un pois, mais étrangement menaçant.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Un traceur… Il fonctionne sans batterie, alimenté directement par mon cœur. Si je coupe ce tentacule, le GPS s’éteint et un signal est immédiatement envoyé au dispositif logé entre mes organes vitaux. Il déclenche alors une détonation interne… et je me désintègre.
Je pris doucement le tentacule entre mes mains, avec une délicatesse que je ne me connaissais pas. Il tremblait encore un peu. À son extrémité, le minuscule traceur clignotait faiblement. À cette taille-là, rien n’était vraiment visible, même en l’approchant tout près de mon visage. Juste un éclat, presque innocent. Et pourtant, il portait la mort.
— C’est pour ça que les conseillers sont aussi inaccessibles pour la rébellion… Ce n’est pas de la loyauté.
— Plus depuis que Gahela est montée sur le trône, précisa-t-elle dans un souffle. Avant ça, il y avait un espoir. Un traité de paix était en cours, un accord entre plusieurs empires du monde. Les négociations étaient lentes, mais réelles.
Elle détourna les yeux vers la baie vitrée. Le nuage radioactif au loin semblait lui peser lourd, tel un étau sur ses espérances.
— Et après ces événements ? demandai-je.
— Plus rien. Silence radio. Comme si tout avait été effacé.
Alors c’était ça ? Plus rien ? Des années de pourparlers, de compromis, de sacrifices… tout balayé d’un revers de main.
La guerre reprenait de plus belle. Et le Nuage, affamé, retrouvait l’appétit.
Tout ça à cause d’une seule femme. Une psychopathe avide de pouvoir.
M’allongeant sur l’herbe seche, rugueuse et piquante, je songeait a tout se que cassiopée venait de me revelé, chaque phrase tournait dans ma tete. Elle ne m’aiderait pas, ne pouvant s’echappé. Une paix aurait été possible. Ma patronne était la cousine de notre ennemie. Et rien de tout sa n’avait la moindre utilité dans ma condition.
Le saule bleu me toisait, comme un être ancien cherchant à m’apaiser, à souffler un peu de calme dans la tempête que j’étais. Mais ma tête, elle, ressemblait plus à un chili con carne trop cuit qu’à une prairie ensoleillée.
— Je ne vois pas encore comment faire, mais je vais trouver. Je dois trouver. Je m’échapperai… quand tout le monde sera sorti.
— C’est ton unique but ?
— Peut-être. Je ne sais même pas vraiment ce que je fais là, alors savoir si j’ai quelque chose à accomplir ici… c’est une autre histoire.
Je marquai une pause, incertaine, cherchant mes mots comme on cherche une sortie dans le noir.
— Je me sens… redevable au destin, je crois. Stan est mort, et moi je suis toujours là. Alors je me dis qu’il doit bien y avoir une raison. C’est la seule chose qui me fait tenir.
Je ne pouvais pas lui dire la vérité. Pas entièrement. Pas maintenant. Je devais la mettre en sécurité, quoi qu’il m’en coûte.
— Ce n’est pas très bon pour ta santé mentale… ni physique.
— Ne t’inquiète pas pour ça. Elle est détruite depuis longtemps. Rien ne va plus dans ma vie depuis mes neuf ans.
Je laissai échapper un ricanement sans joie.
— Je dois juste accepter que ma vie n’a que le sens que je choisis de lui donner. Et pour l’instant, ce sens, c’est de sauver le plus de vies possible.
— C’est vraiment ce que tu veux ? Ça te rend heureuse ?
— Non… Mais toi non plus, cette vie ne te convient pas. Alors ne me blâme pas pour ce que tu n’appliques pas toi-même.
Elle ne répondit pas tout de suite. Ses yeux se perdirent un instant vers le ciel délavé.
— Moi… j’ai le temps. Tout le temps du monde. Et j’ai déjà été heureuse, ici, dans cette tour. Contrairement à beaucoup d’autres. Ce n’est qu’un mauvais passage, une saison de plus.
Elle reposa son regard sur moi.
— Pour toi, ce que tu vis… ça risque de résumer le reste de tes jours. Les choses ne s’arrangeront pas si tu continues à te forcer à être productive au péril de ta propre vie. Tu ne peux pas penser qu’aux autres, à ceux qui sont partis.
Je déglutis difficilement, incapable de lui répondre. Une partie de moi savait qu’elle avait raison, mais l’autre refusait d’entendre. C’était plus facile de rester en mouvement.
— Tu voudrais que je me remette en question… Je le sais. C’est sûrement ce qu’il me faudrait. Mais comment faire, quand le temps ne s’offre jamais à nous quand on en a besoin ?
— La force de se rendre ne serait pas de trop, tu sais.
Sa voix s’adoucit encore.
— Tu as besoin de repos, pas d’une nouvelle mission impossible. N’y pense plus… Va te coucher.
Elle ne me laissa pas le choix. Mais ses mots ne quittèrent pas mon esprit, comme un écho lancinant. Rien n’irait mieux si je restais immobile. Rien ne s’arrangerait sans action. Si je ne bougeais pas, tout le monde mourrait.
Il fallait commencer par arrêter Marianna. La faire tomber. Prendre le pouvoir. Ensuite, peut-être, il serait possible de parlementer avec les autres nations pour stopper l’avancée du Nuage. Le tout sans mourir, ni finir réduite en esclavage, ni perdre ce qu’il me restait de moi-même.
Je n’avais pas le luxe du doute. Pas le temps pour les questions existentielles sur ma santé mentale, l’amour, ou le sens profond de ma survie. Ce n’était pas un luxe, c’était un danger. Si je m’arrêtais pour y penser, je pourrais m’effondrer.
La première étape, c’était libérer les esclaves. Nous avions besoin de renforts pour grossir les rangs de la rébellion. Mais prendre la ville de front poserait un sérieux problème. Les civils seraient forcément touchés. Et je voulais éviter autant que possible les effusions de sang inutiles.
La nuit fut longue, mais malgré l’épuisement, Cassiopée me "réveilla" assez tôt pour m'emmener dans le jardin, à l’entrée de la tour. Ce n'était pas la même scène que lors de ma première visite. Le jardin était nettement moins fleuri, bien que la température n'ait pas changé. J’eus un instant de doute. Peut-être étions-nous dans une version plus tardive de l’automne, une sorte de mort temporaire de la nature, comme un prélude au repos avant la renaissance.
Le Krotsin, cependant, était toujours en fleur, mais il exhalait une fragrance beaucoup plus forte qu’à notre première rencontre. Son éclat changeant tranchait avec le reste du jardin, son écrin de verdure encore intact, mais les roses autour de lui avaient fané. Elles restaient là, jaunes et sèches, comme figées dans le temps, abandonnées par le cycle naturel.
Le bruit des grilles qui s'ouvraient en grinçant brisa ma contemplation, me ramenant brutalement à la réalité.
—Nous allons en ville ?
—Oui, je dois te montrer quelque chose et te présenter quelqu’un, mais prends garde, la puce fonctionne toujours à l’extérieur de la tour.
—Super.
Nous ne sommes pas partis dans la direction par laquelle je suis arrivée, mais avons longé le mur de la tour pour rejoindre une petite rue. Là, des enfants jouaient sous la surveillance attentive de mutants. La rue pavée me rappelait mon enfance, et les murs des appartements étaient entrecoupés de cordes à linge, sur lesquelles séchait parfois de la lingerie rapiécée.
— La plupart des gens ont des esclaves, n’est-ce pas ?
— Oui, mais la plupart les traitent bien.
Elle désigna d’un geste discret un groupe de femmes un peu plus loin, assises à l’ombre d’un auvent.
— Regarde les nourrices, là-bas. Demande-leur, si tu veux. Nous ne sommes pas pressés.
Je tournai les yeux vers elles. L’une berçait doucement un enfant mutant, une autre chantonnait pour calmer un petit qui pleurait. Elles semblaient sereines, concentrées sur leur tâche. Une bulle d’apaisement dans ce monde tordu.
— … Il ne faudrait peut-être pas supprimer complètement l’esclavage dans un premier temps. Juste le réglementer, comme on le faisait avec les animaux à mon époque… Si on l’abolit d’un coup, une grande partie de ces familles se retrouvera à la rue.
Je passai une main dans mes cheveux, nerveusement.
— C’est pour ça, non ? C’est pour ça que vous n’avez même pas envie de rejoindre la rébellion ?
— Tout juste. Les précédents souverains l’avaient aussi compris.
Elle me lança un regard appréciateur, presque surpris.
— Je te félicite, peu de gens réalisent ça aussi vite.
— Ce n’est pas si difficile à comprendre, mais c’est difficile à accepter…
Je serrai les poings.
— Les êtres humains ne sont pas des animaux de compagnie. Ils pensent, ils communiquent, ils souffrent. Ils sont dotés de conscience, tout comme nous.
— Et c’est précisément pour cette raison que la rébellion est à la fois une bonne et une mauvaise chose.
Elle soupira longuement, comme si le poids de cette vérité la dépassait.
— Elle vise la liberté, mais ignore parfois les conséquences immédiates.
— Ils n’accepteront jamais que l’esclavage demeure, surtout pas dans sa forme actuelle. La majorité des esclaves sont dans la tour, et on les y traite avec une cruauté sans nom.
— Les anciens souverains avaient eux aussi de nombreux esclaves… mais ils les considéraient, les respectaient, et leur offraient parfois bien plus que de simples chaînes.
Nous marchions depuis un moment parmi les rues étroites de la ville, serpentant entre les bâtiments comme deux ombres discrètes. Puis, brusquement, nous avons débouché sur une grande place, ouverte et baignée de lumière. L’air y était plus frais, presque pur, comme si l’espace lui-même respirait enfin.
En son centre trônait une statue. Elle me parut immense, mais peut-être était-elle simplement à taille réelle. Une créature majestueuse, m’étant inconnu jusqu’alors.
La femme qu’elle représentait avait quelque chose du poisson, mais d’une noblesse aquatique qui dépassait toute comparaison. Ses écailles noires, hérissées comme une armure, reflétaient des éclats arc-en-ciel à mesure que la lumière glissait dessus. Sa chevelure — ou plutôt sa coupe — était formée de nageoires souples, rouge orangé, qui semblaient onduler malgré leur immobilité.
Mais ce n’est pas cela qui me frappa le plus. Ce furent ses yeux.
Autour d’eux, de fins tatouages blancs, tracés avec une précision délicate, dessinaient des spirales et des lignes comme autant de mystères en sommeil. Et ses yeux eux-mêmes… d’un blanc pur, presque lumineux, irradiaient une force sourde, ancestrale. Quelque chose dans ce regard me parlait, me frôlait l’âme avec une familiarité dérangeante.
Je restai figé un instant, incapable de détourner les yeux.
— Qui est-ce ?
— Ma sœur, répondit Cassiopée avec une fierté mêlée d’amertume. L’une des plus grandes protectrices de la cité.
Je détaillai à nouveau la figure figée, l’éclat étrange de ses yeux.
— Ses yeux sont… radioactifs.
— C’est l’une des conséquences de la magie bienveillante, dit-elle doucement.
Je haussai un sourcil.
— La magie bienveillante ? Il en existe une malveillante ?
Elle hocha la tête avec gravité, puis fit un pas de côté.
— Elle va tout t’expliquer.
Je restai sceptique, un poids nouveau sur la poitrine. Mais son regard, calme et assuré, me poussa à m’approcher. À examiner la statue de plus près… son socle, ses lignes, les moindres détails.
Et c’est là que je compris. Ce n’était pas une statue. Ce n’était pas du marbre. Pas de la pierre.
La femme était réelle. Figée, maintenue là, droite, imposante, les yeux ouverts sur un monde figé. Un socle sophistiqué l’enveloppait jusqu’à la taille, la maintenant dans un état suspendu, entre présence et absence.
Un frisson me parcourut.
— Quelle horreur… Qui a bien pu faire une chose pareille ? murmurai-je, la gorge serrée.
Je sursautai violemment lorsque j’entendis un bruit sec au-dessus de ma tête. De la glace venait de se briser en éclats minuscules, comme une cloche de verre fendue. La statue… non, la femme… venait de se défiger. Juste assez pour libérer sa mâchoire, comme si son corps restait prisonnier mais sa parole, elle, pouvait encore s’échapper.
— Son Altesse Gahela m’a figée dans la glace, dit-elle d’une voix paisible, presque détachée. Elle m’a permis de veiller sur la cité et les miens pour l’éternité.
Puis, comme si elle n’avait jamais bougé, son visage se figea à nouveau. Le silence retomba, chargé d’une solennité étrange.
Des enfants commencèrent à se rassembler autour de moi, les yeux grands ouverts, fascinés. Cassiopée, elle, s’éloigna brièvement pour en ramener d’autres du même âge. Elle organisait une sorte de cours — une mise en scène peut-être — pour m’apprendre quelque chose sans trop en dire. C’était à moi de poser les bonnes questions.
Je pris une inspiration et me lançai :
— Qu’est-ce que la magie bienveillante ?
— Elle est la conséquence des intentions de son porteur, répondit la voix glacée. Si le porteur veut protéger son prochain, elle lui donnera la puissance nécessaire pour vaincre.
— Et tes yeux… ? Qu’est-ce qui leur est arrivé ?
— Je les ai perdus au profit de mes autres sens, et de mes pouvoirs. Ils demeureront les phares qui guideront le peuple, même dans l’obscurité.
Son ton n’avait pas varié, ni d’émotion ni de douleur. Juste une certitude tranquille.
— Et la magie malveillante ? demandai-je encore.
— Elle affaiblit son porteur avide de pouvoir. Elle ronge ceux que l’égoïsme et l’avidité ont déjà corrompus. Elle ne touche pas seulement les yeux : elle commence par les chairs les plus faibles… puis finit par empoisonner tout le corps.
— Et… les autres magies ? Il n’y en a pas d’autres ?
— Non. Seules les affiliations aux sept éléments demeurent. Mais toutes peuvent être bienveillantes ou malveillantes, selon la volonté première de celui qui les invoque. Bon ou mauvais.
— Peu importe les conséquences de ses actes… ?
— Oui. Seul le cœur de son porteur est sondé, pour connaître sa véritable volonté.
Je sentais que je n’en apprendrais pas davantage de ce côté-là. Les réponses devenaient répétitives, creuses. Pourtant, une dernière question me trottait encore dans la tête, obsédante.
— Comment puis-je contourner mes obstacles ?
Cette fois, la glace craqua un peu plus fort. Des fissures se dessinèrent autour du torse de la statue. La femme en dessous semblait lutter, comme si l’acte de répondre exigeait d’elle un effort surhumain. Un instant, j’eus l’impression qu’elle allait s’extirper de sa prison de givre.
Avais-je atteint une limite ? Ou bien... donnerait-elle un peu de la vraie elle dans sa réponse ?
— Garde le cœur ouvert… et les yeux sur tes ennemis, souffla-t-elle, chaque mot comme arraché au silence.
Le givre se referma presque aussitôt, comme si la glace avait repris ses droits. Le calme revint.
Je restai un moment sans voix, le regard fixé sur elle.
— Merci… murmurai-je finalement, sans savoir si elle m’entendait encore.
Du coup pour ce chapitre, j'avoue ne pas avoir compris la réflexion de Morgan "— Vous en avez conscience… Pourquoi rester comme ça, au juste ?". "Vous en avez conscience", elle parle du fait que c'est normal qu'elle n'ait pas confiance en elle, ok. Mais du coup pour le reste, je ne suis pas sûr de comprendre.
Est-ce qu'elle parle de son apparence, vu qu'il y a une description après ? Mais du coup le changement de sujet n'est pas clair. Ou est-ce qu'elle parle encore de la torture, mais du coup la phrase me parait bancale ?
Ou peut-être que c'est juste moi qui suis à côté de la plaque aussi XD