chap 11: l’ennemie du cœur ( partie 2)

Je me tournais vers Cassiopée. Elle avait suivi toute la conversation, attentive, presque suspendue aux mots. Son expression était indéchiffrable, partagée entre une douce mélancolie et un éclat de fierté. Un instant, ses yeux semblèrent brillants de larmes contenues, puis elle reprit un air jovial en se tournant vers les enfants, qui l’entouraient déjà avec excitation, lui posant mille questions sur les éléments. Leur innocence tranchait avec la gravité du moment.

Sa sœur devait lui manquer. Je posai à nouveau le regard sur elle. Figée dans la glace, son visage demeurait empreint d’une paix austère, mais sa posture, sa présence… tout en elle irradiait une force tranquille et une sagesse qui m’inspiraient. J’étais convaincue que sa dernière réponse ne venait pas de la mécanique de son enfermement, mais bien d’elle, de ce qu’il restait de vivant dans ce corps prisonnier.

Je compris que je ne pouvais plus seulement chercher des alliés. Je devais me faire des amis. De vrais amis. Des gens sur qui compter, pas uniquement pour survivre, mais pour tenir debout quand mes forces me trahiraient.

Le combat final approchait, et cette vérité, aussi terrifiante soit-elle, devenait inévitable.

J’avais besoin de personnes qui veilleraient sur moi. Comme Stan l’avait fait, quand il était encore là. Des gens capables de me sortir de mon propre refus d’être heureuse.

  Partant de ce principe, je m’approchai des enfants. Ils eurent l’intelligence, ou peut-être simplement la sensibilité, de ne pas me poser de questions. Probablement avaient-ils deviné que je ne connaissais pas grand-chose au sujet. Je les observais un instant, curieuse de voir comment Cassiopée allait présenter les choses.

Elle prit son temps avec eux, usant d’une voix douce et d’un vocabulaire soigneusement choisi. Elle expliqua qui était la statue, sans jamais mentionner qu’il s’agissait de sa sœur, ni qu’elle était encore en vie, figée dans la glace. Elle raconta donc l’histoire d’Ariane, la grande arapaïma affiliée à la lumière, ancienne garde postée sur les remparts de la cité. Une héroïne d’il y a trois générations, qui avait protégé son peuple avec bravoure et mené son escadron à la victoire contre l’arme d’une ville voisine.

Je comprenais mieux, à présent, le sens de ses paroles. Toute sa vie, Ariane avait tourné les yeux vers l’extérieur des murs, surveillant les menaces au loin… sans jamais réaliser que l’ennemi pouvait aussi venir de l’intérieur.

Je devais être plus attentive. Bien plus que je ne l’étais.

Mon ancienne colocataire, par exemple… elle aurait très bien pu m’espionner pour le compte de Marianna, me dénoncer au moment des enchères. Et Cassiopée, aussi bienveillante qu’elle paraisse, pourrait très bien me mentir sur les moments où les caméras fonctionnent encore ou non.

Mais plus inquiétant encore…

La rébellion elle-même pouvait me voir comme un outil, un pion. Une diversion. Une future martyre à brandir : Une chair à canon.

Stop.

Si je continuais à penser comme ça, maintenant, je ne pourrais pas suivre son autre conseil : faire confiance à mon cœur. Il savait reconnaître ce qui était bon. Même si la rébellion se servait de moi, elle poursuivait le même but que moi : détruire Marianna.

La seule dont je devais encore me méfier, c’était Cassiopée.

Elle avait beau m’enseigner certaines choses, elle m’avait avoué ne pas vouloir risquer sa vie. Même si elle était sincère, même si elle voulait bien faire… elle pourrait, un jour, se retourner contre moi pour sauver sa peau.

Je devais être prête. Être capable de me débarrasser d’elle, par tous les moyens. Et je savais très précisément où.

De retour à la tour, à ses côtés, je gardai mes pensées pour moi. Ce n’était pas le moment d’aborder le sujet. Il me faudrait un contexte plus favorable, un instant où Marianna croirait en ma loyauté, où elle aurait besoin de moi, ou du moins plus besoin de moi que de sa précieuse conseillère.

J’attendrais.

Le moment où Marianna aurait besoin de Cassiopée, mais plus de moi, serait l’instant parfait pour inverser la balance. Pour gagner sa confiance. Pour éliminer un obstacle.

Aurais-je le temps pour ce plan ? Impossible de le savoir.

Mais en attendant, Cassiopée m’emmena dans les jardins pour aider à la récolte.

Des légumes, oui.

Des citrouilles, apparemment.

Mais… roses.

Des citrouilles roses.

J’aime pas le rose. D’accord ? Ce n’est pas une couleur naturelle. Pas pour un légume, en tout cas. La seule plante rose que je connaissais avant toute cette histoire, c’était les baies de rosier, utilisées dans la composition du poil à gratter. Alors bon, niveau association agréable, on repassera.

Mais ici, les gens semblaient contents de les ramasser, ces… citrouilles à gratter ? Oui, ça leur irait bien comme nom, si ce n’était pas aussi ridicule.

Enfin. Toujours est-il que tout le monde souriait en les cueillant, certains avaient même l’air pressés de les goûter. Moi, ça me faisait grimacer rien qu’à l’idée.

Je n’eus pas vraiment l’occasion de discuter avec eux, mais j’appris que la plupart étaient des esclaves envoyés en renfort pour les récoltes. Certains, cependant, venaient de familles extérieures à la tour. Ils semblaient bien traités, nourris, logés… rien à voir avec ceux nés ici : amaigris, cernés, parfois même marqués de bleus. Le contraste me frappa.

Je ne pouvais pas laisser la rébellion arracher ces esclaves-là à leur quotidien sans réfléchir aux conséquences. Certains risqueraient de finir à la rue, sans eau, sans nourriture, sans rien — et ça, c’est quand même la base.

Mais je ne pouvais pas non plus empêcher la libération de ceux de la tour. Eux méritaient mieux. Bien mieux. Une vraie vie, loin de Marianna et de sa politique abjecte.

Il faudrait que j’en parle à Patricia, dès mon retour au camp. Mais pour l’instant, ce genre de réflexion ne me regardait pas. Je n’étais plus à la rébellion.

Je devais attendre. Être patiente.

Je m’attelais tout de même à la tâche, les mains dans la terre, sous les yeux de Cassiopée… et probablement sous ceux de Marianna, à travers l’une de ses innombrables caméras. Je devais faire bonne impression. Montrer que j’étais docile, obéissante, motivée. La parfaite petite recrue.

Ma « souveraine » devait me voir comme une pièce utile, assez loyale pour mériter un peu de liberté, juste ce qu’il faut pour avancer mes pions.

Tout devait bien se passer. Aucun faux pas.

Je devais devenir une fidèle de la couronne, quitte à trahir momentanément la rébellion.

C’était ma seule chance.

La journée s’étira, monotone et feutrée. Les tâches s’enchaînèrent comme elles avaient commencé, rythmées par les ordres polis de Cassiopée. Elle me traînait de salle en salle, m’enseignant l’histoire telle que les impératrices l’avaient écrite, réécrite, lavée de tout ce qui pouvait salir leur image.

Aucune activité militaire au programme. Uniquement des services civils : tri de plantes, nettoyage, lecture de vieux textes aux enfants : autant de prétextes pour m’occuper sans m’armer.

Et, entre deux explications officielles, Cassiopée glissait des sous-entendus. Rien de clair, jamais de frontal. Mais des mots choisis, des regards lourds de sens, des silences parlants.

Elle ne disait rien qui puisse être retenu contre elle. Mais elle laissait le doute s’immiscer, au cas où Marianna écouterait.

Et Marianna écoutait.

Ce soir-là, j’étais épuisée — lessivée, vidée, aussi bien mentalement que physiquement.

Devoir jouer les petits chiens fidèles pour plaire à la souveraine, ce n’était pas franchement dans mes habitudes. Et encore moins dans mes principes.

Mon moral de bornée en avait pris un coup. Je suis franche, j’ai du mordant, et je n’aime pas faire semblant. Je suis lion, d’ailleurs.

Je crois que je vous l’avais pas dit ? Pardon.

Toujours est-il que je me suis littéralement effondrée sur mon lit, sans attendre les consignes de ma supérieure. Cassiopée parlait déjà, sûrement pour me donner l’emploi du temps du lendemain, mais je n’écoutais que d’une oreille. Jusqu’à ce qu’un mot me fasse tiquer.

— … Demain, je t’emmènerai voler.

— Attends… pour de vrai ? dis-je en me redressant à moitié, surprise.

— Oui. Nous avons une salle de vol qui traverse quatre étages, visible de l’extérieur de la tour. Et bien sûr, toutes les restrictions y sont levées. Tu pourras voler comme tu le veux. Sans limite de dix mètres.

— Waouh… Merci. Je… je sais pas trop quoi dire.

Et pour une fois, c’était vrai.

Je n’avais rien à dire. Juste un sourire idiot au coin des lèvres, et une envie soudaine d’être déjà demain.

— Ne me remercie pas. C’est le programme de Marianna.

— Oh… Elle veut quoi avec ça ? Faire de moi une arme ? Ce n’était pas dans notre accord…

— Les termes ont dû changer avec le coup d’État. Elle est persuadée que tu y as joué un rôle. Moi aussi, d’ailleurs… mais seulement parce que tu m’as confié vouloir libérer les esclaves. Et ça, elle ne le sait pas.

— Elle le sait peut-être…

Cassiopée s’arrêta net. Un pli d’inquiétude se forma entre ses sourcils.

— Comment ça ? demanda-t-elle.

— Comment peux-tu être sûre qu’elle n’a pas fait poser un micro à ton insu dans cet appartement ?

Elle posa une main sur son front, comme pour retenir une migraine. Mais je voyais bien que ce n’était pas la douleur physique qui la rongeait. C’était ce sentiment de bêtise, de désespoir, cette prise de conscience brutale.

— Mentir et manipuler sont des compétences dans lesquelles elle excelle, murmura-t-elle.

— … Tu comprends, maintenant ? Elle a peut-être tout entendu. Elle sait que tu tiens trop à ta vie pour la trahir frontalement. Alors elle te confie les personnes dont elle doute. Pour qu’elles se livrent à toi. Pensant que tu es une alliée…

— … Pendant qu’elle récolte leurs aveux, compléta Cassiopée d’une voix blanche.

Elle s’assit près de moi, le souffle court, au bord de la crise de nerfs.

Je posai ma main sur son épaule et lui offris un sourire doux, rassurant.

— Si elle nous a entendues, c’est trop tard. J’enclenche mon plan B… Alors ne t’en fais pas pour moi. Mais garde ça précieusement en tête pour les prochains. Et puis, on a encore un avantage ici, un truc qu’aucun autre appartement n’a.

Son visage s’éclaira, réalisant ce que j’insinuais. J’avais raison : il n’y avait pas de caméras dans cet appartement. Elle pouvait encore m’écrire… ou me montrer ce qu’elle voulait.

Le lendemain, la perspective de voler ne rendit pas le réveil plus agréable.

Cassiopée me tira du lit à deux heures du matin. Elle ne voulait pas que je fasse de bruit, alors elle me fit signe de m’approcher de la fenêtre.

Le nuage avait commencé à engloutir les champs des rebelles. Les choses devenaient urgentes.

Je n’aurais pas le temps de mettre mon plan à exécution si je n’agissais pas très vite.

— Allons voler.

Ce fut sa seule explication. Elle m’emmena dans la grande salle dédiée au vol, et une fois là-bas, elle disparut. Je ne la revis plus pendant un long moment. Elle devait être avec Marianna, sans doute pour lui faire un rapport à mon sujet. J’avais beau me douter que tout était surveillé ici, je ne m’étais pas rendu compte à quel point c’était oppressant.

Une fois loin du sol, l’air qui passait dans mon plumage semblait plus léger, dénouant un nœud dans mon estomac dont je n’avais même pas conscience : voler m’avait libérée.

L’esprit délesté de ce poids, je pus assembler les pièces que j’avais en ma possession et les mettre en parallèle avec l’image du plan que j’avais en tête. Ce puzzle s’assemblait peu à peu, me donnant à voir les pièces qui me manquaient : comment sortir de l’appartement ? Sans Cassiopée, qui plus est ? Et à quel étage étaient les esclaves que je cherchais ?

Cassiopée n’était pas là… sortir sans Cassiopée…

Ça me frappa.

La solution était sous mes yeux. Je devais simplement comprendre comment fonctionnait cette pièce.

Je me posai près des murs, les examinant avec attention. La matière n’était pas la même que celle des autres parois de la tour. Elle semblait plus rêche, et le noir de sa surface n’était pas de la peinture. C’était comme un métal pulvérisé, brisé, puis collé contre les parois. Il dégageait une impression de froideur, aussi bien à la vue qu’au toucher. Rien dans cet alliage ne semblait bon, mais j’étais presque certaine qu’il était la source de la perturbation des puces, et donc ma clef pour accéder à toute la tour.

Plus besoin de réfléchir à comment m’introduire dans les étages si je pouvais porter une bande de ce matériau sur le bras.

Restait à savoir comment en récupérer sans être vue… et surtout, comment faire sortir tous les esclaves de la tour. Ils étaient répartis sur des étages semblables en termes de sécurité, mais radicalement différents dans leurs conditions et façons d’être surveillés.

Je ne pouvais pas simplement faire exploser un mur dans les sous-sols, ni créer une tyrolienne assez grande depuis l’avant-dernier étage.

Ma plus grande chance résidait dans une idée saugrenue : réunir tous les esclaves au même endroit…

Mais comment ? Et où ?

La tour était immense, et les esclaves seraient terrorisés. Je ne pouvais pas leur demander de traverser la moitié du bâtiment, effrayés, en risquant de se faire déchiqueter le bras par une éventuelle explosion de leurs puces. La plupart d’entre eux étaient nés à leur étage respectif — ils ne connaissaient ni les chemins, ni les dangers potentiels qui pouvaient se cacher dans les couloirs.

Je fus interrompue par un surveillant qui exigea une explication.

Vous me connaissez, non ? Je lui ai sorti que j’avais encore du mal à voler, que je m’étais posée pour me reposer, et que la matière du mur m’avait intriguée. Une bonne partie était vraie, et il sembla s’en satisfaire. Il me raccompagna jusqu’à une plateforme de décollage pour m’éviter de devoir m’élancer depuis une zone aussi basse.

Cassiopée vint me récupérer peu de temps après, me pressant de la suivre pour rejoindre une nouvelle fois les jardins, un étage en dessous de celui de la veille. L’atmosphère y était différente, plus fraîche, presque paradisiaque. Ici, de grands arbres poussaient, leurs fruits odorants rappelant la forme des tomates, mais dans une multitude de couleurs éclatantes. Je trouvais les bleus absolument magnifiques, presque irréels sous la lumière tamisée du matin.

Encore cette fois, les esclaves venus de l’extérieur semblaient heureux d’être là et en bonne santé, contrastant fortement avec l’apparence émaciée de ceux qui étaient venus de la tour. Leur teint était plus vif, leurs regards plus francs, comme s’ils se sentaient libres, malgré leur statut. L’un des esclave de la tour m’aborda en aparté. Il me confia, d’un air presque résigné, qu’il n’avait pas quitté l’étage depuis le début des récoltes, et qu’ils n’étaient jamais autorisés à goûter aux fruits. Pourtant, personne ne venait leur donner à manger, et ils étaient contraints de se contenter de ce qu’ils pouvaient trouver, dans l’espoir d’éviter la famine.

Les jours passèrent ainsi, une semaine durant : le matin, j’allais voler et réfléchir à des solutions ; l’après-midi, j’étais dans les champs avec différents esclaves, pour “le bien de la tour”. J’avais commencé à gratter, petit à petit, les parois du mur de vol. Je voulais tester cette matière par moi-même. À force d’en appliquer sur mon bras, je m’étais éloignée de Cassiopée, tantôt sans, tantôt avec cette poussière étrange… et ma puce clignotait de moins en moins. Plus j’en rajoutais, plus le signal faiblissait. Une piste. Une arme. Peut-être même une clé.

Mais je ne pouvais pas faire ça n’importe où. Alors je le faisais dans les champs, là où l’agitation et le désordre me protégeaient un peu mieux que dans les couloirs toujours encombrés.

Je communiquais avec certains esclaves, ceux qui m’observaient sans peur dans les yeux. Des jeunes pour la plupart. Nés ici. Résignés, mais encore assez lucides pour écouter. Je leur promettais que je les sortirais de là s’ils me faisaient confiance, s’ils communiquaient entre eux, discrètement. Je leur glissais des consignes simples, codées, comme un jeu entre les rangées de citrouilles roses : ramasser un peu de cette poussière noire et la cacher, l’éparpiller autour de leurs cellules, au sol, sur les murs, entre les barreaux. C’était risqué. Mais c’était notre seule chance.

 

Un jour, alors que je désherbais près d’un vieil homme au dos voûté, il me glissa doucement, presque dans un souffle :

— T’as raison… La matière, elle brouille la puce. J’ai vu un gamin tomber dans le mur une fois, y a pas eu d’alarme. Mais il s’est fait prendre juste après… Ils surveillent de près ceux de l’avant-dernier étage.

Je me redressai légèrement, le cœur battant plus vite. Il continua sans me regarder :

— Les “privilégiés”, ceux de l’impératrice… ils sont là-bas. On le sait tous. On n’y envoie personne d’autre. Y a des cris la nuit… pas des cris de douleur, tu vois ? Des cris… éteints. Fatigués.

Je n’avais rien dit, mais il avait senti mon trouble. Il se tourna lentement vers moi, ses yeux fatigués mais francs.

— Si tu veux les sortir, c’est là qu’il faut aller. Mais t’auras qu’un essai.

Bref, je n’avais plus qu’à trouver une solution pour ceux du haut, et je pourrais enfin mettre le plan à exécution. Mais comment leur fournir assez de poussière alors que je ne pouvais même pas les atteindre ? C’était là la grande question à laquelle je réfléchissais jour et nuit, sans relâche, jusqu’à en perdre le sommeil. Chaque idée semblait trop risquée, ou trop lente, ou simplement impossible à réaliser sans alerter les mauvaises personnes.

Et pendant ce temps, le nuage… le nuage se rapprochait dangereusement. Il avalait les terres des rebelles à une vitesse folle, laissant derrière lui une nappe silencieuse, grise, sans vie. Je n’avais plus le luxe d’attendre. Je devais agir. Vite.

— Morgan, lève-toi, sa majesté te demande dans son bureau !

Je sursautai légèrement. La voix résonna dans la pièce comme une gifle dans le silence. J’inspirai à fond.

— D’accord, j’arrive…

Je remis ma tunique en place, passai une main dans mes cheveux pour chasser l’air endormi, et me levai sans un mot de plus. Que pouvait-elle bien me vouloir, à cette heure ? Une mission ? Un reproche ? Une mise en garde ? Ou… avait-elle compris quelque chose ?

Je n’en savais rien. Mais mon cœur, lui, battait déjà plus fort.

Cassiopée m’attendait déjà devant la porte, visiblement tendue. Elle m’emmena sans un mot jusqu’à l’ascenseur, et appuya d’un geste nerveux sur le bouton doré — celui que j’avais à peine osé toucher deux semaines plus tôt.

L’ascension fut rapide, silencieuse, presque solennelle.

La salle d’attente qui nous accueillit était somptueuse, mais l’opulence ne masquait pas l’inconfort. C’était un décor pour dissimuler l’essentiel : le bureau de Marianna, et les deux autres portes qu’il ne valait mieux pas ouvrir.

Un garde s’avança et frappa à l’une d’elles. Aussitôt, une odeur âcre s’échappa par les interstices : un mélange d’encens lourd et d’huile musquée, saturé d’humidité. Aucune lumière ne filtrait du dessous. Mais nous étions à l’avant-dernier étage.

Pas besoin d’être un génie pour deviner ce qu’elle faisait.

Ni avec qui.

Le dégoût me monta à la gorge.

Marianna sortit enfin, les yeux brillants, le souffle à peine ralenti. Elle portait un col roulé beige… taché de rouge.

Je n’aurais pas su dire si c’était du vin, du sang ou autre chose. Et je n’étais pas sûre de vouloir savoir.

— Sois la bienvenue, Morgan, dit-elle d’un sourire paisible. Je t’en prie, daigne prendre place.

— Vous comptez faire copain-copain avec moi, maintenant ?

— Ce n’est guère le cas, dit-elle en prenant place avec une lenteur étudiée. Il m’importait simplement de t’adresser une unique interrogation…

Elle tira une pile de photos d’un dossier posé sur le bureau et les fit glisser vers moi. Lentement. L’une après l’autre.

Je les reconnus immédiatement. Les jardins. Les champs. Des visages familiers. Des échanges de mots. Des regards complices.

Moi, toujours moi. En train de parler à plusieurs esclaves. De rire. De chuchoter.

Et sur l’une d’elles, plus nette que les autres, on me voyait tendre quelque chose à un esclave.

Ce n’était pas clair. On ne distinguait pas ce que je lui donnais. Mais le geste était évident.

Trop évident.

Elle croisa les doigts devant elle et me fixa de ses yeux froids, insondables.

— Une curiosité me pousse à demander : quel était donc l’objet de cette discussion si absorbante ?

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DSWritter
Posté le 05/08/2025
À la place de Morgan, je ne ferais absolument pas confiance à Cassiopée. Elle est trop sympa et elle lui apprend trop de chose d'un seul coup, c'est louche !

(La partie sur les citrouilles roses m'a bien fait rire XD)
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