Chap 12: Ronald

Par MaxPic

Assis, face à face dans leur chambre, les garçons discutaient des évènements de la journée. Léon aussi avait été approché au forum. Il y avait du travail aux écuries de Versailles et la paye était bonne. Il était partagé. La proposition de M. Rivet leur permettrait non seulement de rester ensemble à Paris, mais aussi de suivre les traces de son père. Des questions persistaient autour de sa mort lors d’une mission en Allemagne six ans plus tôt. Une part de lui avait besoin d’éclaircir cette zone d’ombre pour tourner la page. Georges aussi en aurait besoin.

Thomas aborda le message laissé par Boule à son attention :

— Demain, j’irai seul avec Saka, dit-il en étudiant une carte du métro empruntée à un pensionnaire. Seul, mais accompagné, c’est forcément ça.

— Possible, oui, dit Georges qui examinait la lettre. Vous êtes sûr que cette tête de chien est la même que celle gravée sur la table de la pièce secrète ?

— Oui, répondirent Thomas et Léon d’une même voix.

— Alors il ne nous reste plus qu’à assurer tes arrières pendant que vous ferez le mur avec Saka.

Le chat dressa la tête et les oreilles à l’écoute de son nom.

On parle de moi ?

Oui, sourit Thomas, demain, je t’emmène faire un tour en ville !

***

Thomas assurait ses prises sur le lierre du mur d’enceinte sous un soleil de plomb. Il portait un pantalon léger maron, un peu trop court, une chemise beige noircie par le temps et son blouson de cuir par-dessus. Il ne le quittait plus désormais. Il leva les yeux vers le sommet et vit la tête de Saka dépasser, l’air hautain. Quelques secondes plus tôt, le chat était encore à côté de lui. Il avait dû sauter sur la crête depuis un arbre. Thomas pesta puis commença à grimper. Il le rejoignit rapidement, salua Georges et Léon qui faisaient le guet et avança jusqu’au lampadaire qui leur permettrait de descendre. Il s’accroupit face à Saka :

Là dehors, les rues et les routes ne sont pas vraiment faites pour un chat, on a presque une heure de trajet. Il faut qu’on marche jusqu’au métropolitain, tu me suis à la trace compris ?

Comme si je n’avais jamais traversé vos fichues routes, dit Saka avant de descendre du mur en prenant tout juste appui sur quelques pierres qui dépassaient pour ralentir sa chute.

La confiance du chat disparue au fur et à mesure qu’ils approchèrent du sud de Paris. Les bâtiments oppressants se faisaient de plus en plus nombreux, les voitures plus bruyantes dans les rues et la place sur les trottoirs plus rare. Saka ne quittait pas Thomas d’une semelle. Il sursautait à chaque klaxon et faillit même se faire marcher dessus au milieu d’une foule plus dense dans les quartiers de la porte d’Auteuil. Si la plupart des passants ne les remarquaient pas, le visage soucieux baissé sur des journaux alarmistes, d’autres s’arrêtaient pour les observer dès qu’ils remarquaient ce grand chat sans laisse suivant un jeune homme et s’arrêtant avant de traverser.

C’est encore loin ? miaula le chat lors d’une halte. Je déteste quand vous êtes trop nombreux, et je ne te parle même pas de vos machines roulantes.

L’entrée du métropolitain est droit devant, je crois.

Un homme en costume sombre se retourna pour dévisager Thomas. Il allait peut-être devoir faire plus attention quand il parlait le chat en présence d’inconnus.

Devant la bouche d’entrée de la ligne 10, les poils de Saka se hérissèrent. Le bruit des rames plus bas, tous ces gens agglutinés et cette odeur d’œuf qui soufflait dans les escaliers avaient fini d’enterrer son assurance. Thomas glissa non sans mal le chat dans son blouson pour n’en laisser dépasser que la tête sous son menton. Il prit lui aussi son courage à deux mains, c’était la première fois qu’il prenait le métro. Pour un aller-retour en deuxième classe, il tendit la pièce de un franc dérobée par Léon dans la panière de l’église de Meudon sans que ni le père Christophe ni le seigneur ne lui en tiennent rigueur. Thomas sentit le chat se crisper et rentrer la tête quand la rame se mit en marche. Il ne la sortit qu’aux arrêts pour observer les tunnels de carreaux blancs et le vas et viens des passagers.

—  Plus jamais ça !  pesta-t-il, une fois dehors, face à l’entrée du jardin.

Il nous faudra bien le prendre au retour... répondit Thomas.

Les grilles d’un portail ouvert leur faisaient face ainsi qu’un long bâtiment de pierre calcaire à l’angle des rues Buffon et Geoffroy-Saint-Hilaire. Les gens entraient et sortaient sous les yeux d’un gardien, sans s’adresser la parole. Thomas se colla à un petit groupe pour passer discrètement. Il le suivit jusqu’à de grandes portes où une file d’attente s’était formée, il fallait payer plus qu’il ne leur restait pour aller plus loin. Thomas cherchait un autre chemin quand il aperçut le contenu de la salle. Des animaux empaillés sous un toit de verre lumineux de la hauteur d’une cathédrale. Une galerie zoologique ! Il n’avait jamais rien vu d’aussi magnifique. La tentation de voir ça de plus près était trop forte !

Il repéra un groupe de scoutes de son âge. Le dernier de la troupe avait attaché un foulard rayé sur son sac à dos en plus de celui qu’il portait autour du cou comme tous les autres, cela ferait l’affaire. Le gardien ne prit pas le temps de les compter quand ils franchirent les portes. Même s’il ne portait pas la chemise et le bermuda adéquat, l’astuce du foulard en collier suffit.

Une fois à l'intérieur, ils restèrent tous les deux ébahis devant tant de beauté. Une lumière éblouissante traversait le plafond d’une galerie sans fin pour illuminer d’immenses squelettes de baleines et des animaux que Thomas et Saka n’avaient jamais vus ailleurs que dans les livres. Trois étages d’allées voutées en bois occupaient les murs latéraux couverts de spécimens plus surprenants les uns que les autres. Des poissons de toutes les tailles et de toutes les couleurs flottaient dans des flacons de formol d’un côté, des papillons et autres insectes épinglés sur des présentoirs de l’autre. Il y en avait des milliers.

Ils… ils sont morts ? demanda Saka peu rassuré en quittant lentement le blouson.

Oui, séchés, remplis de paille ou baignant dans l’alcool j’imagine, viens.

Ils s’avancèrent sous le regard plus vrai que nature d’un éléphant et d’une girafe, écrasés par leurs tailles démesurées. Plus loin, un gorille les intimidait, rugissant, le torse bombé et un rhinocéros menaçait de les charger. Toutes ces espèces dans une même pièce ! Thomas n’avait jamais rien vu d’aussi fascinant, et, à en juger par la position de sa queue et de ses oreilles en bernes, Saka non plus. Ils tombèrent ensuite nez à nez avec deux lions, la gueule grande ouverte.

Par tous les lions, ils existent vraiment ! s’exclama Saka.

Tes cousins, oui, ils sont magnifiques.

Tant qu’ils ne bougent pas !

La visite se poursuivait avec les mammifères marins et le squelette interminable d’une baleine et d’un cachalot. Venaient ensuite les reptiles et les oiseaux. Un aigle majestueux aux ailes déployées les fixait avec insistance, quel que soit l’endroit depuis lequel on l’observait.

On pourrait croire que celui-là était encore vivant, dit Thomas.

J’aimerai bien, j’ai toujours trouvé les oiseaux savoureux. Quoique celui-là me donnerait probablement du fil à retordre.

— Hey ! Là-bas ! cria un gardien en les pointant du doigt. Les animaux vivants sont interdits dans la galerie.

— Désolé monsieur, répondit Thomas, on s’en va !

Il se dirigea vers la sortie opposée en prenant Saka dans ses bras.

On ferait mieux de déguerpir si tu ne veux pas finir cloué au mur pour représenter ton espèce.

Ils franchirent les portes en vitesse pour rejoindre l’extérieur et faire face à un jardin arboré lui aussi d’une taille gigantesque. De profondes allées dessinaient des espaces verts où poussaient toutes sortes de plantes. Sur leur gauche se dressaient des serres magnifiques aux vitres couvertes de buée. Ça et là, de larges feuilles d’arbres tropicaux léchaient les carreaux comme des animaux assoiffés.

Bon, il faut chercher Ronald maintenant. Reste un peu à distance, je vais demander où on peut le trouver.

Le premier gardien croisé ne fut pas d’une grande aide alors, Thomas tenta sa chance avec un jardinier boueux aux prises avec un arbre à liane dans une des serres.

— Pas de Ronald dans les jardins, dit-il, mais tu peux essayer la ménagerie mon gars.

Il indiqua vaguement une zone plus au nord. Thomas n’était pas certain du sens du mot ménagerie, mais il ne tarda pas à comprendre quand ils se trouvèrent devant les grilles d’un gigantesque zoo. Les cris de toutes sortes d’animaux se mêlaient en une indescriptible cacophonie. Là aussi, il fallait passer devant un guichet et payer pour entrer, seulement cette fois, il n’y avait personne dans la file. Après une rapide évaluation de leurs options avec Saka, Thomas tenta sa chance avec la gardienne. Une maigrelette à lunette avachie derrière son comptoir, les yeux et les épaules de celle qui n’a jamais connu le bonheur et le même sourire que le gorille de la galerie.

— Bonjour, j’ai perdu mon groupe, une troupe de scoutes avec ce foulard, ils ne seraient pas entrés ici par hasard ?

— Pas vus, dit-elle en plissant les yeux.

— C’est Ronald qui devait nous faire visiter, vous savez ou je peux le trouver ?

— Y’a pas de Ronald qui travaille ici.

Elle baissa ses lunettes pour juger Thomas de la tête aux pieds avant de poursuivre :

—T’as pas une tête de scoute avec ce blouson, tu ne chercherais pas à entrer gratis par hasard?

— Non, bien s…

Soudain, Saka grimpa sur le comptoir d’un bon et feula à quelques centimètres des bras de la gardienne.

— Mais qu’est-ce que …

La bonne femme tomba de sa chaise en arrière, se redressa gauchement, attrapa un balai et se mis à l’agiter en hurlant pour chasser Saka. Thomas en profita pour disparaitre derrière les grilles. Le chat ne tarda pas à le rejoindre alors qu’il entendait toujours la gardienne crier et taper dans sa cabine. Ils filèrent dans la ménagerie à la recherche de Ronald.

Leur exploration fut vite ralentie par l’émerveillement qui les saisissait devant des animaux vivants cette fois-ci, chameaux, ours, singes, crocodiles et oiseaux en tout genre. Saka semblait prendre la mesure de sa petite place dans la faune terrestre quand, d’un coup, il se mit ventre à terre. Un rugissement spectaculaire venait de les surprendre. Ils s’approchèrent timidement de sa source, un bâtiment de brique et d’acier dans un style architectural moderne, une fauverie. Derrière de solides barreaux, un lion et une lionne allongés leur faisaient face. Dans la cage suivante, un tigre à la fourrure rayée les fixait également. Thomas s’avança face au lion. Si son corps musclé et sa tête massive donnaient l’impression d’une bête féroce, son regard vide et hagard avait quelque chose de troublant. Saka approcha à son tour, ventre à terre.

Je vous présente Saka, tenta Thomas.

Pas de réponse.

Je suis à la fois rassuré et désolé de les voir derrière ces barreaux, dit le chat.

Oui, ils ont l’air si tristes.

Si Thomas avait l’impression d’être en prison à l’orphelinat, il se demandait ce qu’on pouvait ressentir en passant sa vie dans une cellule de trente mètres carrés. Cette idée lui serra le cœur à mesure qu’il lisait le désespoir dans les yeux de ces grands félins. Personne ne méritait cela.

Saka s’approcha encore et le Lion se leva, les oreilles dressées, comme si une étincelle l’avait réveillé. Un face à face silencieux durant lequel Saka se redressa petit à petit, faisant gonfler sa modeste crinière dans un élan de courage, enfin, le genre de courage que permettaient les barreaux, pour toiser fièrement le grand fauve. Les deux animaux se jugeaient-ils ?

Le lion rugit et Saka miaula de concert formant une sorte de grognement plaintif, comme deux rois déchus.

Leur place n’est pas ici, dit le chat.

Je sais, mais nous n’y pouvons rien.

Ils s’éloignèrent, contrariés, toujours à la recherche de Ronald.

Aucun des employés du parc ne semblait le connaitre. Ils allaient bientôt finir le parcours et rejoindre leur point d’entrée dans la ménagerie quand ils tombèrent sur une impressionnante bulle de verre dans laquelle semblait évoluer toute sorte d'oiseaux. La grande Volière indiquait le panneau d’entrée. Le visage de Saka n’aurait pu s’approcher plus d’un sourire,

Laisse-moi entrer, supplia-t-il.

D’accord, mais tu restes tranquille compris ? Pas question de chasser maintenant !

Thomas ouvrit la porte et vit Saka bondir dans la volière sans tenir compte de sa mise en garde, une cacophonie de cris d’oiseaux lui perçait déjà les oreilles. Il prit la mesure de son erreur en observant tous ces volatiles tournoyant sous les grandes vitres, apeurés. Saka bondissait de rocher en arbre avec une agilité déconcertante, il finit par attraper ce qui ressemblait à une perruche bleu et grise. Sur le point de planter des ses crocs dans l’oiseau, Thomas l’arrêta.

Stoooop ! Qu'est-ce que tu n’as pas compris pas dans « pas question de chasser » ?

Le chat s’était arrêté à quelques centimètres de l’oiseau, gueule ouverte, et sa tête faisait maintenant des aller-retour entre Thomas et sa victime, indécis. Le calme commençait à revenir dans la volière quand Thomas vit un grand perroquet blanc à crête jaune se poser à coter de lui et hurler :

— Féral, Féral, Féral ! Relâche Mireille tout de suite fichue sac de poil !

Ses expressions étaient différentes, mais aucun doute possibles … il parlait le chat !

Je ne me suis peut-être pas bien fait comprendre, ça doit faire vingt ans que je n’ai pas parlé le Léonir, LIBÈRE LA DEMOISELLE !

Saka desserra lentement ses pattes, l’air aussi surpris que Thomas. La perruche s’envola rejoindre les autres oiseaux au sommet de la volière en laissant quelques plumes sur les griffes du chat.

Tutu parles le chat ? demanda Thomas.

Je ne parle pas le chat, bougre d’andouille, mais le Léonir. Vous sortez d’où tous les deux ? Il n'y a plus de Féral à Paris depuis bien longtemps. L'horizon est déja bien sombre, votre présence n'augure rien de bon.

Fé...Féral ? bégaya Thomas pendant que Saka se positionnait derrière le perroquet prêt à bondir.

N’essaye même pas mon minou, miaula l’oiseau comme s’il avait des yeux dans le dos. J’ose espérer que vous n’êtes pas là pour vous nourrir. Je vous préviens, les espèces rares ne sont pas comestibles.

On cherche un certain Ronald, intervint Saka

Le perroquet s’envola pour se percher sur un arbre face à eux, il manquait plusieurs plumes au bout de ses ailes et sur son ventre et une de ses pattes était tordue.

Ronald, l’être le plus intelligent de la planète... se tient devant vous !

Et le perroquet le plus modeste aussi, ajouta le chat.

JE SUIS UN CACATOÈS !

Je parie qu’ ça a le même gout...

Saka ça suffit ! grogna Thomas

Il n’en revenait pas, leur contact était un oiseau. Cette possibilité ne lui avait jamais traversé l’esprit et le fait qu’il puisse parler leur langue encore moins. C’était brillant ! Enthousiaste, il sortit la lettre que lui avait laissée Mr Rivet et la déplia devant lui.

Vous... vous êtes sensé nous mener jusqu’à Boule.

Je ne suis sensé rien du tout ! Même si je reconnais bien là le blason Mollor et sa signature.

Quelle vue ! songea Thomas. L’animal se trouvait peut-être à dix mètres de lui !

J’imagine qu’un Féral à Paris, c’est forcément un de ses sales coups. Il aurait pu me prévenir… Tsss...suivez-moi, dit le perroquet en s’envolant vers le fond de la serre.

Il disparut derrière une petite forêt de bambous. Saka et Thomas n’eurent pas d’autres choix que de se faufiler au milieu des cannes. Tâche aisée pour un chat, mais nettement moins pour un humain, tant les espaces étaient étroits. Ils débouchèrent dans une petite clairière de quelques mètres carrés. Ronald les attendait, perché sur un bambou courbé par son poids.

Et le perroquet se mit à aboyer comme un chien. Une fois, deux fois, puis… rien.

Saka et Thomas se dévisagèrent.

Un cliquetis les fit reculer. Le même bruit de mécanisme que dans la bibliothèque. Une section d’herbe venait de disparaitre devant eux, laissant un trou sans fond sur le sol, tout juste assez large pour le passage d’un humain.

Le serpent, une entrée Volaris dans le Terrier. J'imagine qu'il vous faudra sauter, dit Ronald avec un air presque ravis qui inquiéta Thomas. Bienvenue me semble éxagéré alors... bon vent !

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