Chap 16: Section Circus

Par MaxPic

Des mots qui résonnaient encore dans la tête de Thomas le lendemain quand il s’arrêta avenue du général de Gaule, face au portail blanc de l’école vétérinaire.

 

Avant de le quitter, Caboche lui avait laissé des instructions : emmener Saka et ses affaires avec lui et demander le professeur Garm une fois sur place. Il avait fini par lui souhaiter bonne chance avec un ton chargé d’un peu trop de sous-entendus à son goùt.

Pour traverser Paris avec un chat dissimulé, il lui avait fallu se préparer, mieux que la que la dernière fois di moins. Il avait eu l’idée de modifier son sac à dos et avait donc passé son dimanche après-midi dans l’atelier de Sellerie. Les portes verrouillées ne l’avaient pas empéché d'entrer comme un voleur par une des fenêtres qui fermait mal. S’il n’avait jamais pensé y remettre les pieds une fois le diplôme en main, il s’était surpris à aimer cet instant, seul avec Saka à découper et coudre le cuir, l’esprit vide. Il avait élaboré un nouvel agencement avec la poche principale du sac destinée au chat qui y resterait camouflé. Une petite section en motif alvéolé le laisserait voir et respirer. Deux boutons pression permettraient aussi d’ouvrir suffisamment le flanc pour qu’il puisse sortir sa tête. Le félin s’était plié non sans mal aux essayages, mais avait fini par apprécier le côté confortable, mais surtout exigu de l’espace qui lui était dédié au point de ne plus vouloir le quitter. Thomas avait ensuite compartimenté des annexes pour y loger le flacon d'anosine, quelques outils de sellier, un rouleau de cuir dérobé et ses figurines. Enfin, sa pièce d’identité irait dans la doublure du rabat. Il avait la même cachette dans son blouson, au cas ou. Satisfait du résultat final, il s’était tout de même désolé que sa vie entière puisse tenir dans un sac, même bien agencé.

Une vie qui prit un tournant radical quand il franchit le portail de l’école avec d’autres visiteurs. Ceux-ci tenaient chien, chat, lapin ou poules malades, en laisse ou dans leurs bras, si  bien qu'on aurait pu se croire dans une ferme. Seulement il y avait ces bâtiments chic autour. L’image même d’une université bourgeoise, le porche donnait sur une cour d'honneur où un jardin bien entretenu entourait deux statues d’illustres inconnus en pierre calcaire. Un espace lui-même encadré par des pavillons de deux ou trois étages dans un style parisien classique et soigné.

Un gardien orientait les gens soit vers les consultations soit vers l’administration. On indiqua à Thomas l'espace Marcenac pour y trouver le professeur Garm. Il se dirigea vers un dôme, ou plutôt une large toiture supportée par trois édifices en U, comme le préau d’une école. Des étudiants en blouse de travail grises y examinaient les chevaux qu’ils sortaient de box aménagés au rez-de-chaussée. Un homme plus âgé, probablement un enseignant, en tablier blanc avec une casquette noire et une pipe à la bouche leur montrait comment manipuler les articulations de pareil animal. Après quelques minutes d’observation, Thomas entra dans le bâtiment central et gravit l’escalier qui montait à l’étage. Le bureau du professeur se trouvait au bout d’un couloir désert.

 

Alors qu’il s’apprêtait à frapper à la porte, celle-ci s’ouvrit sur une tête presque familière. L’examinateur du diplôme de sellier. Il affichait, cependant, une mine bien moins souriante que lors de leur dernière rencontre.

— C’est… c’est vous le professeur Garm ?  demanda Thomas.

— Non, malheureusement pour toi mon garçon. Je te souhaite bonne chance. N’abandonne pas surtout.

Le vieil homme posa une main sur l’épaule de Thomas et disparu derrière lui.

Cela faisait deux fois qu’on lui souhaitait bonne chance, il sentait une boule se nouer dans son ventre et n’était plus très sûr d'avoir fait le bon choix.

— Je suis là. Entre Thomas, dit une voix depuis l'intérieur, je t’attendais.

Thomas exécuta cet ordre simple. Il ne le savait pas encore, mais ce serait le premier d’une longue série.

Assis derrière son bureau, sous une fenêtre, se trouvait un homme d’une quarantaine d’années, trapu, aux traits nerveux, posant sur Thomas un regard observateur. Une marque de peau type tache de vin entourait son œil gauche façon pirate. Sa voix calme et ses bras croisés contrastaient avec la tension qui régnait dans chacune de ses articulations. Il donnait l’impression de pouvoir bondir à tout moment. Sa tenue n’était pas le tablier des quelques enseignants qu’il avait reconnus, mais quelque chose de plus militaire. Une vareuse col aiglon, bleu vert, avec des pattes d’épaule et un écusson.

Il ouvrit les bras et indiqua la chaise face à lui. C’est alors que Thomas aperçut le vide dans une manche. Le professeur n’avait pas de main droite.

En s’asseyant, il perçut aussi, presque autant qu’il les remarqua, deux hommes et un chien, derrière lui, dans les deux coins de la pièce. Difficile de faire plus intimidant.

— Professeur Garm, enchanté, dit l’homme face à lui en se levant, la main gauche tendue.

— Thomas Avril et Saka, enchantés.

La poignée de main qu’ils échangèrent laissa à Thomas une sensation d’inconfort. Il n’avait pas l’habitude d’utiliser la gauche pour saluer les gens, et encore moins de sentir ses articulations craquer.

— J’ai reçu de mes supérieurs une demande de vous former, toi et… le chat. Bien que je ne vous pense pas capable d’atteindre un niveau opérationnel, je suis curieux de voir ce qu’un couple de Féral a dans le ventre. Les histoires contées par nos anciens ne sont peut-être que des fables après tout.

Un mince sourire étira les lèvres du professeur et son regard espiègle semblait attendre une réponse qui ne vint pas, alors il se rassit et poursuivit :

— Je sens le chat dissimulé dans ton sac, très ingénieux. Mais je sens aussi le doute n'est-ce pas ? Êtes-vous bien surs de vouloir suivre ce chemin tous les deux ?

Thomas envisagea de partir. La rencontre ne prenait pas la tournure imaginée. Seulement il avait l’impression d’être mis au défi maintenant, un de ses points faibles. Il n’avait jamais su refuser un « cap ou pas cap » à l’orphelinat. Saleté d’orgueil.

— C’est notre dernière chance de faire demi-tour, dit-il à Saka.

Thomas entendit les deux hommes dans son dos s’exclamer et les yeux du professeur s’arrondir.

— Je n’aime pas ça, la manière qu’ils ont de nous encercler, répondit le chat. Mais ma décision n’a pas changé, quand est-ce qu’on sort les griffes ?

— Nous n’avons rien d’autre de prévu de toute façon, dit Thomas, et tellement hâte d’être… opérationnels.

— Bien. Si le nom de Saka ne pose pas de problème, il va nous falloir t’en trouver un nouveau mon garçon. Il serait dommage que nos ennemies te fassent chanter en remontant jusqu’à ta famille.

Thomas souri

— Bien au contraire. Ce serait fort pratique. Mon nom fait référence à la date de mon abandon, rien de plus. Si quelqu’un retrouve mes parents, je ne manquerai pas de le remercier, et s’il espère faire pression sur moi en les menaçant, il se trompe. Vous pouvez m’appeler Avril ou Thomas, ça n’a pas d’importance.

Le professeur grimaça.

— Je ne me souviens pas t’avoir demandé ton avis, mais passons, nous en reparlerons. Le respect et la discipline font aussi partie de la formation.

Thomas se raidit en entendant un infime sifflement sans savoir d’où il venait

— Donc si je comprends bien, il n’y a personne à prévenir ? demanda Garm.

— À prévenir de quoi ?

— De ta disparition.

D’instinct Thomas se jeta sur le côté et découvrit un des deux hommes dans son dos couvrant d’un sac l’espace vide ou sa tête se trouvait il y a une seconde. Il évita le deuxième qui lui sautait dessus d’une roulade et libéra Saka d’un geste rapide sur le rabat.

— Vous faites quoi là ? cria-t-il.

Saka se tenait maintenant à coté de lui, un mur derrière eux. Les deux agresseurs s’étaient replacés devant la porte les empêchant de sortir, ils jappèrent des instructions au chien qui montra les crocs. Le professeur s’avança. Son visage rayonnait.

— Voilà qui est prometteur, très prometteur ! Mais ce n’était pas prévu.

Il bondit sur eux en un éclair. Thomas crut l’esquiver de justesse d’une fente vers la fenêtre par laquelle il comptait improviser sa fuite, mais, il sentit une résistance sur le bas de son blouson, pincé par Garm du bout des doigts de sa main valide. Il tira de toute ses forces d’un coup sec pour s’extirper, mais le cuir ne bougea pas d’un centimètre. Il eut à peine le temps de se demander quelle force il fallait pour avoir des doigts aussi puissants que Saka était déjà passé à l’attaque. Il griffait et mordait avec rage le professeur au cou et au visage. Celui-ci affichait toujours son air émerveillé et surtout, il ne lâchait pas. Thomas tenta de retirer son blouson, mais Garm en profita pour balayer sa jambe d’appui et l’immobiliser au sol d’une clé de bras. Saka feulait et combattait comme un lion, bondissant dans tous les sens, insaissable.

— Les vieux chiens ne lâchent jamais leur prise, chuchotta le professeur à l'oreille de Thomas en lui enfonçant un peu plus le moignon de son poignet droit dans le dos. Si tu cries, je te bâillonne, compris ?

Thomas serrait les dents en cherchant une quelconque ouverture. Il n’avait jamais vu pareille force, Garm n’avait pourtant qu’une main.

— Je ne sais pas si cette démonstration fait partie de votre formation, mais j’ai changé d’avis, l’orphelinat n’était pas si mal finalement.

— Trop tard mon chaton.

Il réfléchissait encore à une issue dans cet enfer quand un violent coup sec le frappa derrière la tête, il n’eut pas le temps de sentir la douleur, il perdait déjà connaissance.

                                                          +++

Il se réveilla dans le noir, ou plutôt couvert d’un sac sur la tête.

Ligoté aux poignets et aux chevilles, il sentait bouger la chaise sur laquelle il était affalé. Le son d’un moteur et l’odeur de l’essence lui apprirent qu’il était en fait à l’arrière d’une voiture en mouvement. Il se redressa et tenta d’appeler Saka.

— Reste calme, dit une voix. On a encore un bout de chemin.

— Où est Saka ?

— Dans le coffre.

Un mal de tête infernal le tortura tout le long du trajet. Les heures qu’il passa dans cette position lui parurent des jours. Il se sentait trahi, il avait envie de pleurer mais se promit de ne jamais leur faire ce plaisirs. Il entendi une pluie fine se mettre à tomber. Le ciel pleurait pour lui. 

Ils avaient quitté Paris depuis bien longtemps. Thomas se remémorait les mots de Caboche et de l’examinateur : « Bonne chance ». S’il avait su ce que cela impliquait vraiment, il n’aurait jamais mis les pieds à Alfort. « N’abandonne pas », avait aussi ajouté le Vieillard lui redonnant un brin de courage.

Finalement, la voiture s’arrêta.

On le descendit, toujours ligoté puis, quelqu’un retira le sac sur sa tête. La lumière l’obligea à plisser les yeux autant que la pluie. Il distingua d’abord le professeur Garm face à lui, le visage couvert de plaies, puis les contours d'une cour et enfin une longère et une maison de maitre derrière lui. Enfin, un espace qui aurait pu accueillir une dizaine de terrains de football semblait s’étendre au-delà avec divers structures. L’ensemble avait l’air entouré par un mur de plusieurs mètres de haut coiffé de barbelés, encore plus imposant que celui de l’orphelinat.

— Je vous présente Chaton, dit Garm. Il va rejoindre votre unité et participera aux exercices dès demain.

Il ouvrit le coffre, Saka bondit vers Thomas et se plaça entre ses jambes pour se protéger de la pluie.

— Et voici son Thérian, le Caracal responsable de mon nouveau maquillage.

Thomas se retourna pour découvrir quatre jeunes adultes au garde-à-vous, en tenues d'exercices, trempés. Sa vue n’était pas encore rétablie, il crut même halluciner quand il eut l’impression de reconnaitre deux, peut-être même trois femmes dans le lot. Un gros pigeon trônait sur le calot de la première, l'eau ruisselait sur son plumage. Une souris irsute sur l’épaule de la deuxième. Thomas cru reconnaître un doberman et un épagneul devant les deux derniers. Sans être hostiles, la plupart affichaient au minimum une moue irritée.

— La section Circus est au complet, dit le professeur.

— C’est ça notre nouvelle maison ? demanda Saka, j’ai détesté le voyage mais j’aperçois au moins deux raisons de rester optimiste. Les deux se mangent.

Pourquoi l’avoir assommé puis cagoulé pour l’emmener ici ? Thomas n’en avait aucune idée, mais cela n’augurait rien de bon.

— Tu parles d’une porte de sortie, c’est un transfert de prison ! dit-il.

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