L’ascenseur commença son ascension en silence. Les deux hommes ne pouvaient s’empêcher de les dévisager, Saka et lui. S’ils se croyaient discrets, c’était raté. Une ondulation parcourut le manteau du plus proche. Une tête de furet émergea par le col, humant l’air en couinant jusqu’à ce qu’une main l’enfouisse à nouveau sous les vêtements.
L’ascension durait déjà depuis plusieurs minutes. Impossible de dire à quelle vitesse ils allaient, mais Thomas avait l’impression qu’ils ne faisaient pas que monter, ils se déplaçaient surtout latéralement. Il étudia les boutons gardés par le liftier. Sept étages, un rez-de-chaussée, un sous-sol et un dernier bouton en dessous, sans inscription. Enfin, il sentit un ralentissement et les portes s’ouvrirent sur un luxueux hall arrondi. Un damier de marbre noir et blanc occupait le sol et une magistrale coupole crème centrée par un lustre tombant constituait le plafond. Des porteurs attendaient de monter, chargés de bagages luxueux.
— Toute l’équipe de l’hôtel Lutetia vous souhaite une agréable journée, dit l’homme en costume, la main tendue vers la sortie.
Thomas pris Saka sous le manteau qu’il avait oublié de rendre et avança avec précaution. Il passa devant les comptoirs d’accueil sans s’arrêter jusque dehors puis se retourna pour découvrir la grandiose façade de l’immeuble et ses nombreux balcons. Il s’assit sur un banc en face, les épaules lourdes de tout ce qu’il venait d’apprendre et de ce qu’on semblait attendre de lui. Il observait les allées et venues dans le hall. Difficile de dire si parmi les clients de l’hôtel, quelqu’un se rendait au terrier, car, malgré la chaleur, presque tout le monde portait au bras un manteau comme un accessoire de mode.
Saka sorti de sa cachette
— C’est la dernière fois que tu me caches là-dedans, il fait bien trop chaud et puis c’est… dégradant d'être transporté !
— Tous bas ! Nous devons être plus discrets en public. Mais tu as raison, si je dois t’emmener quelque part, il faudra que je trouve une solution plus adaptée. Viens.
Thomas sortit sa carte et commença à marcher vers le nord, suivi du chat. Ils traversèrent la Seine puis la place de la Concorde jusqu’à la rue du Faubourg Saint-Honoré. Enfin, il s’arrêta net sur le trottoir.
De l’autre côté, se tenait le magasin Hermès. Des vitrines décorées impeccables exposaient les articles précieux : sellerie, bagages, accessoires de golf et autres carrés de soie. N’importe lequel de ces objets devait valoir plus que tout ce qu’il n’avait jamais possédé. Le personnel accueillait les clients avec attention. Thomas reconnut le bruit des ateliers dans les étages, la discrète odeur du cuir aussi. Il imaginait des artisans appliqués, passionnés, soucieux du moindre détail. Il pourrait vivre cette vie-là.
Il aperçut la femme qu’il avait rencontrée au forum derrière un comptoir, Yvonne, et traversa la rue en courant pour entrer lui dire bonjour. Il s’apprêtait à pousser la porte quand il entendit un miaulement.
Saka était resté de l’autre côté de la route. Difficile de savoir ce qui l’avait retenu, la peur de slalomer au milieu des voitures en dehors d’un passage piéton, celle de rentrer dans un magasin, ou une forme d’instinct peut-être.
Leur place était-elle vraiment ici ?
Thomas hésita un moment. Il décida qu’il ne répondrait pas à cette question maintenant, pas sans l’avis de ses frères et pas sans avoir trouvé quelque chose pour se remplir l’estomac.
Il rejoignit Saka et, l’emmena jusqu’au métropolitain, direction l’orphelinat.
+++
Ce n’est qu’en milieu d’après-midi qu’ils franchirent à nouveau le mur d’enceinte de Saint-Philippe.
Quelques tranches de pain qui trainaient au réfectoire avec une grappe de raisins asoiffés n’avaient jamais eu aussi bon gout. Saka eu vite fait de dénicher son bonheur à en juger par les plumes coincées dans ses moustaches quand il réapparut devant Thomas.
Ils passèrent par les chambres, la bibliothèque et le parc, mais voilà, Léon et Georges restaient introuvables. Thomas se résigna et rendit visite à Borne, laissant Saka dehors.
— Ha ! Enfin, Avril ! dit le concierge. Je peux savoir où tu avais disparu ?
Il poursuivit avec son sourire détestable habituel, sans attendre de réponse :
— J’espère que tu étais dans la bibliothèque. Nous viendrons demain, avec la directrice, voir où tu en es. Je te rappelle qu’il ne te reste qu’une poignée de jours !
Thomas se retint de grimacer, voilà un problème qu'il avait bien facilement oublié..
— J’ai quasiment terminé, dit-il. Avez-vous vu Léon et Georges ?
Allez savoir comment cela était possible, mais Borne élargit encore plus son sourire, baissa ses lunettes sur ses yeux de loup et siffla :
— Bureau de la directrice, il semblerait que…
Thomas ne lui laissa pas le temps de finir, il courait déjà dans les escaliers et se trouva deux étages plus haut l'instant d'après. La porte était fermée. Il y colla son oreille et entendit plusieurs voix dont celle de Léon. Il frappa et entra.
— Mais qu’est ce que ...? bégaya la Mme de Galmière
— Ha, le deuxième frère ! dit un homme que Thomas reconnut rapidement, le responsable de l’usine Renault qu’ils avaient rencontré dans son bureau avec Louis Renault lui-même.
Léon et Georges, livides, étaient assis face à lui et à la directrice. Le rouge monta au visage de Mme de Galmière
— Mais ils ne sont pas fr…
— Il est pris ! coupa Léon en se tournant vers Thomas, les yeux mouillés. Tu… tu t’ rends compte ? Il va être ingénieur.
Thomas se sentit parcouru d’un sentiment inconnu, une sorte de joie mêlée d’orgueil. Était-ce de la fierté ? Il aimait ça. Oui, de la fierté pour son frère. L’un d’entre eux au moins allait se sortir de leur misère sociale et de leur pauvreté.
Il enlaça ses deux frères, aussi heureux qu’ému, ignorant les gesticulations de la directrice. Georges était raide dans ses bras, encore sous le choc, pensa Thomas.
— Comment avez-vous fait, Mr Gleyze ? intervint le chef d’usine. Je suis moi-même ingénieur, mais… cette première question de mathématique ? 1 +2 +3 +4, etcétéra, jusqu’à 1000. Enfin, je veux dire en si peu de temps et sans machine à calculer ? Peux être connaissiez vous les formules des suites ?
— Des paires, balbutia Georges. 500 paires. 1 et 1000 font 1001. 2 et 999 font 1001. 3 et 998 font 1001 et ainsi de suite. Toutes les paires font 1001. Il suffit de transformer mile additions en une seule multiplication.
— Brillant ! Vous avez obtenu le meilleur score de la session, Mr Gleyze. Admirez ça.
Il tendit une copie à Léon qui ne savait quoi regarder. Thomas lut à haute voix à côté de lui.
— Dix en physique, dix en mathématique, dix en logique, dix en cryptographie.
— Je n'sais même pas ce que c’est, dit Léon
Le directeur de l’usine montra une série de questions du doigt
— La section commence ici.
— Si PIROgue fait 25, que PEUPle fait 41 et VENt 21,
Combien fait AMOUREux ? lut Thomas.
— Ça n’veut strictement rien dire, dit Léon.
— Vingt-huit, murmura Georges. Chaque lettre a la valeur de sa position dans l’alphabet, les majuscules s’ajoutent et les minuscules sont à soustraire.
Thomas et Léon se dévisagèrent.
— Sa musique, dit Thomas.
Il serra ses deux frères contre lui et leur chuchota à voix basse :
— On va y arriver les gars ! Venez, j’ai une tonne de trucs à vous raconter moi aussi.
Il les dirigea vers la sortie. Le chef de l’usine les salua :
— À lundi Georges
— À lundi.
— Pas si vite Avril, pesta la directrice. Demain matin nous viendrons voir ou vous en êtes avec la bibliothèque. Vous feriez mieux de vous montrer aussi brillant que Georges.
Cette sombre perspective ne suffit pas à démoraliser Thomas qui hocha simplement la tête avant de sortir.
Il emmena les garçons retrouver Saka dans le parc, à l’abri des oreilles indiscrètes et leur fit un résumé détaillé de sa journée au Terrier.
Ils n’en revenaient pas. Une ville cachée sous terre, un lien animal, un rôle à jouer dans une guerre à venir. Rien de tout cela n’avait de sens et si Georges n’avait pas été témoin des conversations de Thomas avec le chat, il l’aurait traité de menteur.
— Un Zoan. C’est donc ça que tu es, dit Georges. Ce mot n’est présent dans aucun dictionnaire. Tu m’as pourtant plus l’air d’un humain que d’un animal. Je me demande où se trouvent les limites entre l’un et l’autre. Et Saka, est-il un peu humain lui aussi ?
— Je n’en sais rien, répondit Thomas. Mais c’est la première fois que j’en apprends plus sur moi-même, c’est une piste vers mes origines.
— Et c’est pour ça qu’tu devrais aller à c’t’école, dit Léon. Là-bas, tu pourras poursuivre tes r’cherches. Et puis, on s’ra pas loin. Quand j’regarde les opportunités qu’vous avez, je m’vois mal refuser la proposition de M. Rivet…
— Tout ça doit absolument rester secret, dit Thomas. Vous devez me le promettre !
Georges sourit
— Une promesse avec ou sans mensonge ?
Thomas grimaça. Ses deux frères échangèrent un regard.
— Promis, dirent-ils de concert.
***
Ils utilisèrent le reste de l’après-midi et de la soirée à essayer de nettoyer la bibliothèque. Georges faisait des aller-retour dans le couloir pour vider le seau d’eau croupie, mais il n’entrait jamais, trop de poussière. Malgré leurs efforts acharnés, toiles d’araignées et moutons occupaient encore bon nombre d’étagères. Il leur aurait fallu passer chaque livre sous un chiffon. La tâche était impossible.
Ils retrouvèrent leur chambre tard dans la nuit, exténués. Saka les attendait à moitié endormi dans un lit. Ils discutèrent de leur avenir à chacun, du service des renseignements que Léon pouvait rejoindre, de la formation d’ingénieur de Georges, du Terrier et de la maison Hermès. Si le choix de ses frères était arrêté, Thomas restait indécis. L’envie d’en savoir plus sur les Zoans, ses origines, était écrasée par le poids d’une responsabilité qu’on lui faisait porter d’office et dont il ignorait tout. Avait-il seulement les épaules assez larges ? D’autant plus qu’il devait décider pour deux. Saka manifestait surtout de l’intérêt pour demeurer avec lui et, son instinct, sa curiosité l'attiraient vers l’univers des Zoans. La manière dont les gens du Terrier l’avaient regardé et l’admiration de Caboche avaient fini de lui gonfler l’orgueil, il ne manquait plus grand-chose pour qu’il explose.
Tiraillé entre les deux routes qui s’offraient à lui, Thomas s’endormit.
Ses yeux s’ouvrirent dans le noir.
Il n’était plus dans son lit, mais dans une pièce vide, sans mur. Une obscurité profonde l’entourait.
Des voix chuchotaient à ses oreilles. Le murmure inaudible d’une assemblée.
Il se leva pour en chercher l’origine, mais les sons venaient de partout à la fois.
Il se concentra pour mieux entendre les mots, mais ils étaient trop faibles.
Il appela, cria, mais n’obtint aucune réponse. Saisi d’angoisse, il se mit à courir et courir encore. Les voix chuchotaient toujours à ses oreilles.
Quelque chose lui caressait maintenant le visage, de plus en plus fort.
La tête de Saka apparue quand il ouvrit à nouveau les yeux, en sueur.
— Ça va ? dit-il.
— Oui… oui, j’ai encore fait un cauchemar, c’est ça ?
— Je ne sais pas, mais tu tremblais sérieusement et ça m’a réveillé. Tout va bien ?
— Je… je crois oui, ces mauvais rêves… ils durent à chaque fois un peu plus longtemps, ça doit être le stress.
Thomas ne parvint jamais à se rendormir et passa le reste de la nuit les yeux ouverts. Il se souvenait du bruit des chuchotements, il les entendait encore dans sa tête. Qu’est-ce qui lui arrivait ?
Il n’eut aucun mal à se lever tôt ce dimanche, mais beaucoup plus à se laver et se frotter sous la douche, comme on le lui avait conseillé la veille. S'il avait suivi la requête de Caboche sans y réfléchir, il n’avait pas pris la peine de proposer à Saka de l’accompagner, il connaissait déjà la réponse. Ses frères dormaient encore quand il quitta la chambre pour poursuivre sa corvée dans la bibliothèque. Georges et Léon le rejoignirent plus tard, après la messe. Ils passèrent la matinée à l’aider et à parler des Zoans.
En début d’après-midi, Georges les avertit depuis le couloir. Il avait entendu la voix de Mme de Galmière dans les escaliers. Elle pestait après M. Borne qui devait se trainer pour monter les dernières marches. Le concierge semblait souffrir de cette ascension au point que son rictus narquois avait disparu. Il passa plusieurs secondes à reprendre son souffle et à s’éponger le front avant d’entrer dans la bibliothèque.
— C’est immonde, commença la directrice en glissant un doigt sur le premier livre poussiéreux qu’elle remarqua.
Le sourire de Borne réapparu
— Tout bonnement immonde, ajouta-t-il. C’est une honte !
— Rappelez-vous d’où on partait aussi, tenta Thomas.
— Peu importe, pesta Mme de Galmière. Espèce d’incapable ! À quoi avez-vous passé vos journées ici ?
— À nettoyer. Mais il m’aurait fallu plus de temps ou de l’aide.
Elle recula d’un pas avec une lueur dans les yeux que Thomas ne connaissait que trop bien.
— Mais si vous voulez du temps, vous allez en avoir. Puisque votre formation est terminée, vous resterez là tant que tout ne sera pas parfaitement propre. Je vous interdis de descendre. Mr Glayze vous amènera à manger aux horaires habituels et vous n’aurez qu’à dormir par terre.
— Oh oui ! intervint Borne. Voilà une sage décision. Peut-être finirez-vous par comprendre l’autorité Avril…
Du bruit dans le couloir les interrompit. Quelqu’un qui devait boiter à priori. S’il n’était pas déjà devant lui, Thomas aurait misé sur Borne. Il reconnut tout de suite le vieil homme qui apparut sur le seuil même si son manteau cachait ses habits de médecin, Caboche.
— Ha, c’est donc ici, dit-il, souriant.
Le visage de la directrice se transforma, son air mesquin laissa place à un masque d’effroi, la bouche béante. Cela aurait bien pu être la mort en personne qui venait à leur rencontre.
— M… M… Monsieur Philippe ? bégaya-t-elle. C’est impossible.
Elle tira une chaise proche pour s’assoir, les yeux humides.
— Cela fait longtemps Isabelle, je sais. C’était l’enterrement de ta mère la dernière fois, n’est-ce pas ?
Quelques larmes coulaient maintenant le long des joues de la directrice. Borne recula d’un pas comme s’il était de trop.
— Jamais vous n’êtes revenu… jamais vous n’avez pris la peine de nous rendre visite, dit-elle. Alors qu'elle me manque tellement.
Caboche avança et posa une main délicate sur son épaule.
— Moi aussi elle me manque. La vie ne nous permet pas toujours de faire ce que l’on souhaite, d’être présents quand on a besoin de vous. Je le regrette.
Il jeta un coup d’œil circulaire à la bibliothèque, s’arrêta une seconde sur une fenêtre, Saka les observait. Puis il se tourna vers Thomas, le désignant du doigt.
— Mais je suis là aujourd’hui et c’est ce jeune homme, je pense, qui a besoin d’être guidé.
— Avril ?! s’étouffa Borne.
Les sanglots de la directrice prirent fin, elle leva un visage incrédule.
— Thomas ? C’est de discipline dont il a besoin, pas de vous.
— Un siège à l’école vétérinaire d’Alfort l’attend lundi.
— Vétérinaire ? mais il n’a ni le niveau ni l'age de passer le concours. Il a un diplome de sellier et par miracle, il a trouvé une place en atelier après l’été.
Caboche sourit
— S’il est d’accord, j’aimerais lui proposer un autre avenir.
Il s’approcha de Thomas et, lorsqu’il posa son regard vairon, si déstabilisant sur lui, c’est tout le monde qui se mit à le dévisager.
— N’est-ce pas, mon garçon ?
Thomas ignorait quoi répondre, il n’avait pas encore pris sa décision. Pourquoi fallait-il qu’il choisisse si vite ? Voilà qu’il était à nouveau acculé. Mais il savait aussi que dans chaque impasse, une sortie se cache toujours derrière un bon mensonge.
— Je pourrais essayer oui, et abandonner en Septembre pour la sellerie si ça ne me convient pas.
— Il ne quittera pas cette bibliothèque tant qu'on ne pourra pas manger par terre, intervint Borne.
Caboche s’approcha de lui, la main tendue.
— Et vous êtes ?
— Virgile Borne, le concierge.
D’abord sûr de lui, le rondouillard s’affaissa au court d’une poignée de main qui devait être musclée.
— Parfait, dit Caboche. Nous acceptons votre requête, il ne vous reste plus qu’à nous apporter des assiettes, des couverts et un plat. Ces escaliers m’ont donné faim et j’ai toujours aimé manger bien bas, avec les animaux... et vous donc.
Thomas crut entendre le craquement d’une articulation. Le concierge grimaçait en essayant de retirer son bras.
— Ou bien, poursuivit le vieil homme, vous revenez à la raison et jugez que pour faire briller toutes ces étagères il suffirait d’impliquer une trentaine de vos pensionnaires pendant une journée plutôt que de vous acharner sur l’un d’entre eux.
— C’est… c’est d’accord, murmura Mme de Galmière, en se levant, les épaules affaissées.
Caboche lâcha le concierge dont la main blanche contrastait avec son visage enflammé. Celui-ci pesta :
— Mais on ne va…
— Est-ce que vous voulez bien me suivre dans mon bureau, Mr Philippe ? coupa la directrice. Si vous souhaitez prendre la responsabilité de Thomas, j’ai des papiers à vous donner, et… il y a tant d’autres choses dont j’aimerai vous parler.
— Oui, je vous y retrouve dit Caboche. J’aimerais d’abord m’entretenir seul à seul avec lui un moment.
— Vous avez intérêt à prendre soin d’lui, intervint Léon. Il acquiesça ensuite en direction de Thomas et rejoignit Georges dans le couloir, imité par Mme de Galmière et par Borne, furieux.
Alors qu’on pouvait les entendre descendre les escaliers, Caboche referma les portes, les verrouilla et dit à Thomas :
— Maintenant, montre-moi.
— Vous montrer quoi ?
— La pièce cachée enfin.
Voilà une chose qui lui était complètement sortie de la tête ! Il guida le vieil homme jusqu’à l’échelle, lui expliqua comment appuyer sur l’étagère pour déclencher le mécanisme, l’aida à monter, et, ensemble, ils se retrouvèrent de l’autre côté du mur. Il vit Caboche retirer des petits bouchons de son nez et inspirer. Il ne les avait pas remarqués cette fois-ci, beaucoup plus discret que ceux de la veille.
— Pourquoi vous bouchez vous le nez ? demanda Thomas.
— Ha... l’ivresse des sens, je te souhaite de ne jamais en souffrir mon garçon. D’ailleurs, je sens que tu t’es lavé, c’est bien, mais tu devras aussi changer d’habits. Et je t’ai pris ça, tiens.
Il sortit un flacon de parfum de sa veste.
— C’est de l’anosine, une huile qui atténue les odeurs.
Il en pulvérisa un peu sur les habits de Thomas, lui donna la bouteille puis se retourna pour découvrir la gravure sur le Linteau
— Un concile, une salle de réunion secrète. Manifestement destinée aux Mollors et aux Gallomans de l’orphelinat... une autre époque. Je vais passer en premier si tu veux bien, mon nez sera meilleur.
Ils descendirent les marches dans l'obscurité. Caboche s’arrêta en bas de l’escalier, immobile dans le noir. Il refusa que Thomas allume des cierges, puis, à tâtons, fit le tour de la grande table en reniflant.
— Vous sentez quelque chose ? demanda Thomas.
— Toi surtout, mais pas seulement. Je perçois au moins deux autres odeurs récentes. Un Mollor je dirais et quelqu’un avec ton parfum, mais en moins prononcé.
Léon, songea Thomas.
— Ça doit être Saka, dit-il.
Même dans le noir, il remarqua la moue de Caboche et l’entendit poursuivre :
— Il y a aussi des odeurs beaucoup plus anciennes, des odeurs tenaces, impossibles à masquer malgré les années. En tout cas pas à un nez comme le mien. Le sang et la mort.
Ils allumèrent les cierges et virent leurs ombres voler sur les murs au rythme des flammes. Le vieil homme se tourna vers Thomas.
— On dirait que la dernière réunion s’est mal terminée pour l’un d’entre eux et que les survivants ont pris la peine de nettoyer. Je remarque que tu as fouillé, mais comme tu l'as appris… les Zoans ne laissent pas de trace. Quant à ton agresseur, difficile de savoir ce qu’il est venu chercher et ce qu’il a trouvé ici.
— Peut-être qu’Henri Mart aurait plus d'informations ? Son nom revient sur plusieurs livres de ce côté du mur.
— Mordant ? Oui, Boule lui a déjà envoyé un message, mais il est en mission à l’étranger.
Caboche éteignit les lumières et remonta non sans mal l’escalier. Thomas épaula le vieil homme pour l’aider à gravir les dernières marches.
— Voilà un comportement bien peu commun pour un Féral, dit Caboche en plongeant à nouveau son regard dans celui de Thomas. Tu ferais un Zoan remarquable. Je le sens et je me trompe rarement. Puis-je compter sur ta parole mon garçon ?
Tenir sa parole avait toujours été le point faible de Thomas. Mais à cet instant et alors qu’il aidait simplement quelqu’un à monter des marches, il senti le doute se dissiper, comme un brouillard chassé par le vent. La véritable motivation qui le pousserait à se présenter le lendemain à l’école d’Alfort ne serait pas la recherche de ses parents, mais bien l’idéal qu’avait décrit Mr Boule. La mission des Zoans. Être un gardien. Protéger la vie. Défendre le bien plutôt que le mal.
Alors, pour une fois, il donna une réponse sincère.
— Oui, je tiendrai ma parole.