chap 5: feu et lumiere ( parti 2)

Les survivants restèrent figés, comme incapables de croire à cette victoire inattendue. L’odeur âcre de la fumée et du sang planait encore, mais le silence, si inhabituel après un tel chaos, semblait presque assourdissant.

Je fus parmi les premières à aider les blessés à rejoindre Marra, toujours prêt, comme à son habitude, à recevoir son flot de patients. Son regard concentré et ses gestes précis n’avaient rien perdu de leur efficacité, même après une bataille d’une telle intensité, bien que la fatigue commençât à creuser des ombres sous ses yeux.

— J’ai entendu dire que tu nous avais libérés d’un peu de travail, lança-t-il avec un demi-sourire, tout en s’occupant d’un bras en sang.

— Les nouvelles voyagent vite, répondis-je en déposant un blessé sur un siège proche.

Je n’attendis pas une seconde avant de repartir chercher un autre survivant. Mais à peine avais-je fait un pas qu’une main ferme saisit mon bras.

— Pas si vite, Morgan. Tu vas finir par t’écrouler.

Je me tournai vers lui, surprise par le ton tranchant de sa voix.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

Marra s’approcha, croisant les bras avec un sérieux plus dur qu’à son habitude.

— Tu as utilisé tes pouvoirs sans retenue, alors que tu viens à peine de commencer à les maîtriser. Tu crois vraiment que ça n’aura aucun impact sur toi ? La seule chose qui te tient encore debout, là, c’est l’adrénaline. Si tu continues comme ça, tu vas t’effondrer.

Je voulus protester, mais il leva une main pour m’interrompre.

— Non. Assieds-toi. Maintenant. Tu nous rendras un bien plus grand service en te reposant qu’en essayant de jouer les héroïnes.

Je savais qu’il avait raison, mais l’idée de rester immobile alors que tant de gens avaient encore besoin d’aide me rongeait. Pourtant, une étrange lourdeur s’était installée dans mes membres. Mon souffle devenait plus court, ma vision floue. À contrecœur, je m’installai sur un siège vide, m’adossant maladroitement en tentant de cacher mon épuisement.

— Bien. Reste là, ordonna-t-il d’un ton autoritaire, avant de se détourner pour reprendre son travail.

Je voulus lui répondre, mais les mots moururent sur mes lèvres. Une vague de fatigue, presque insurmontable, m’enveloppa d’un coup. Mes paupières devinrent aussi lourdes que du plomb, et malgré mes efforts pour rester consciente, je sentis le monde s’évanouir autour de moi.

La dernière chose que je perçus fut la voix de Marra, lointaine mais étrangement apaisante :

— Tu as bien travaillé, Morgan. Repose-toi maintenant.

Et je sombrai dans l’obscurité, laissant enfin mon corps et mon esprit céder à l’épuisement.

 

La sensation glacée éclata contre ma peau pour seul réveil. Je sursautai, ouvrant les yeux dans un élan de panique. L’eau m’envahit comme une onde glacée, d’une pure brutalité. Un cri involontaire jaillit de mes lèvres, mais il se perdit dans la noirceur totale qui m’entourait. Je me redressai précipitamment. Mon esprit tournait encore, confus, comme si la réalité était une chose lointaine, inatteignable.

Je frissonnai sous la violence de l’eau qui m’avait réveillée. Ce choc. C’était la première chose que j’avais ressentie en émergeant. Et maintenant, une rage sourde commençait à bouillonner dans mes veines. Pourquoi ? Pourquoi cette brutalité ?

J’étais dans une cellule ?

Les événements se bousculaient dans ma tête, chaque image déformée par l’étrange brume qui me frappait encore. Marra… il m’avait dit de me reposer, mais pourquoi ? Pourquoi ce réveil, ce froid, cette obscurité… et cette solitude ? Je cherchais à comprendre, à rassembler mes pensées, mais la colère me tordait, me rendait confuse, incapable de remettre de l’ordre dans cet endroit de malheur.

Il n’y avait pas de réponse, et encore moins de personne à qui poser mes questions. Juste la brutalité de la situation, qui me brûlait de l’intérieur, me détruisait lentement. J'avais donné tout ce que je pouvais. J'avais sauvé des vies, j'avais risqué la mienne. Et tout cela pour quoi ? Pour me retrouver là, enfermée, cette souffrance imposée sans explication, sans raison valable.

Une nouvelle vague de colère envahit mon esprit, aussi puissante que l'eau glacée qui m'avait secouée. Je voulais crier, protester, m’arracher à ce lieu. Mais mes forces m’abandonnaient, mes membres se raidissaient, et l’épuisement faisait de plus en plus pression sur moi.

Regardant autour de moi, je ne pouvais voir que ce liquide jaune, fluorescent, presque toxique, qui donnait une légère lueur dans cette obscurité.

Je sentis une larme froide glisser sur ma joue, non pas de tristesse, mais de rage. Une rage silencieuse qui se frayait un chemin jusqu’au fond de mon cœur. Pourquoi eux, pourquoi moi ? La réponse se noyait dans les ténèbres. Mes mains agrippaient ce mur… qui n’était pas un mur ? Ou peut-être un mur à la texture d’écorce, brute et rugueuse.

Je serrais les poings. La colère, bien que brûlante, ne pouvait rien contre la douleur qui me consumait. Posant mon visage contre ce mur rugueux, je poussai de toutes mes forces sur mes mains pour rester assise sur le sol de terre aride.

Je fermai les yeux, incapable d’affronter une nouvelle déception, noyée dans un océan de rage.

— Mais qu’est-ce que je fais ici ?

Je tendis l'oreille. Des bruits de pas, lointains et étouffés par les parois de bois et la terre tassée du sol. Mais seuls les plus attentifs, une chouette, par exemple, pourraient les entendre clairement. De légères lumières se projetèrent sur mes paupières. Allais-je enfin obtenir des réponses, ou ces pas étaient-ils ceux de quelqu’un d’autre ?

— Morgan ?

— Sors-moi de là…

— C’est impossible.

Cette voix… Je ne la connaissais pas et pourtant familière. Une voix féminine, assurée, autoritaire. Elle avait ce ton tranchant qui commandait le respect.

Je laissai échapper un rire, un rire sans joie, un rire hystérique, empreint de désespoir.

— Tu sais ce que tu as fait ?

— Il faut croire que non. Je ne sais même pas ce qui m’a réveillée, ni comment j’ai atterri ici.

Ma voix, d’abord faible, se fit de plus en plus forte, s’éteignant finalement dans un cri déchirant, empli de frustration.

— Je me suis battue avec vous, je me suis endormie, et j’atterris ici ! Comment tu m’expliques ça, hein ?! Comment ?!

Je l’entendis soupirer, un bruit agacé, suivi du claquement de langue typique de quelqu’un qui en a assez. Après un moment de silence, elle reprit, d'un ton glacé, comme si chaque mot avait un poids particulier.

— Tu comptes jouer à la comédie encore longtemps ?

— Quelle comédie ?

— Marrianna n’écrit pas à n’importe qui…

Une énergie soudaine parcourut mes veines et les lumières verdâtres de la pièce, m'incitant à ouvrir les yeux et à me lever. Chaque fibre de mon corps semblait se tendre sous la pression de ses paroles. Mes pensées, embrouillées, commencèrent à s’éclaircir, m’imposant d’agir. Je me dirigeai vers la porte, mon regard braqué sur mon interlocutrice. Et là, je la vis clairement : Patricia.

Un silence pesant s’installa, les lumières s’atténuèrent, plongeant de nouveau la pièce dans une pénombre acceptable, l’air entre nous chargé d’une tension palpable. Elle n’avait pas bougé, mais son regard était aussi froid que le mien. Nous nous observions, chacune à l’affût de la moindre faille dans l’autre. Calculatrices, méfiantes. Comme deux prédateurs se jaugeant avant de se lancer.

— … Je n’ai que deux questions, commençais-je, du plus grand calme dont j’était capable. Je dois vraiment avoir l’air pitoyable, alors essaie au moins de faire ça pour moi...

— … Je peux essayer, répondis-elle, la voix plus calme, mais chargée de défi.

Elle s’approcha légèrement, presque imperceptible, mais suffisamment pour rendre l’atmosphère encore plus lourde. Comme pour renforcé sa position intouchable.

— Premièrement, depuis quand est-ce que tu me comprends vraiment ?

— Depuis le début, marmonna-t-elle, ses yeux se fixant dans les miens avec une certitude glacée. Je dirige ce camp, je te rappelle. Ce serait idiot de ne pouvoir en comprendre que la moitié.

Je ne pouvais m’empêcher de sourire intérieurement. Elle avait raison, en un sens. Pourtant, je n’avais aucune intention de la laisser gagner ce petit jeu de pouvoir.

— Tu ne dis rien pour faire croire aux espions… Je suis bête, rétorquai-je, avec un air faussement distrait. Et de deux, crois-tu vraiment qu’elle aurait grillé sa cartouche aussi vite ?

Ma question, pleine de sous-entendus, fit frémir la lueur qui nous entourait, tel le souffle d’un spectateur. Patricia sembla se figer un instant, comme si mes mots venaient de toucher un point sensible. Mais elle se repris, affichant un masque impassible.

— Admets qu’il y a de quoi se méfier, dit Patricia d’un ton tranchant, presque lasse de la situation.

Elle tendit une enveloppe à travers la grille de la porte. Je pris l'enveloppe, qui portait effectivement mon nom, déjà ouverte. Un frisson d'angoisse me parcourut alors que j'en sortais le papier. Le message était simple, court, mais porteur d'un poids énorme.

Je le lus rapidement :

Mission terminée. Retour au bercail.

Je sentis une chaleur montante dans ma poitrine, comme si mes entrailles se serraient dans la confusion qui m'envahissait. Cette lettre… c’était un coup bas. Le genre de manipulation cruelle que Marianna savait si bien utiliser. Ils m’accusaient de trahison, de complicité avec l'Empire. Le message ne laissait aucune place au doute.

Furieuse, je serrai le papier entre mes doigts, le réduisant en boule avant de le jeter dans le liquide qui nous offrait cette lumière, un éclair fluorescent qui semblait presque se moquer de ma rage. Le message disparaissait lentement, se dissipant dans les flammes à toute vitesse.

— C’est absurde, soufflai-je entre mes dents, mes yeux brûlants de colère, avec autant de vigueur que la sève qui chauffait autour de nous.

Patricia, immobile de l'autre côté de la grille, observait sans un mot. Elle savait que remettre ce message en question risquait de détruire tout ce qu’elle avait construit ici. Les doutes que l’Empire semait, non seulement sur moi, mais sur tout le camp, étaient une menace qu’elle ne pouvait ignorer.

— Ton procès commence demain matin…

Sa voix était froide, tranchante. Ni colère ni satisfaction, juste une lassitude empreinte de méfiance. Elle se tenait droite de l’autre côté de la grille, les bras croisés, me jaugeant comme si elle pesait déjà le verdict.

— Alors il sera court… dis-je calmement. Si tu veux bien m’écouter, j’ai un plan qui nous arrangera toutes les deux.

Ses yeux se rétrécirent légèrement, sa méfiance se durcissant en une pointe d’hostilité.

— Comment pourrais-je te faire confiance ?

Je soutins son regard sans ciller. Ce doute, Marianna l’avait semé, et Patricia mordait à l’hameçon. Si je ne brisais pas ce piège maintenant, je n’aurais plus jamais l’occasion de le faire.

— J’ai au moins trois personnes capables de le faire, répondis-je d’un ton mesuré. Si tu ne crois pas ton frère, peut-être que Sofidios saura te convaincre. Mais ne perds pas de temps inutilement à douter. Écoute-moi, et tu décideras ensuite.

Elle pinça les lèvres, visiblement partagée entre la prudence et l’envie d’entendre ce que j’avais à dire.

— Sans que tu aies ma réponse ?

Je laissai un silence planer, puis esquissai un sourire en coin.

— Je l’aurai. Il suffit d’un détail.

Elle passa la demi-heure suivante à m’écouter dans une impassibilité totale, ne laissant paraître ni émotion, ni tressaillement, rien qui aurait pu me donner le moindre indice sur ce qu’elle pensait de ce plan insensé. Je ne savais même pas si elle cherchait déjà des solutions aux failles évidentes qu’il comportait. Pourtant, je ne pouvais pas m’arrêter de parler.

Je lui exposai chaque détail, jusqu’à la manière dont elle devrait donner sa réponse sans éveiller de soupçons. Nous n’avions pas de temps à perdre, ni elle, ni moi.

À chaque parole, la sève semblait me répondre, chauffant sous la colère, s’éteignant de tristesse, redoublant d’intensité et d’intérêt.

— À défaut d’accepter, dis-moi au moins si tu le trouves faisable de ton côté… Sinon, je trouverai un moyen de le mener seule.

Elle soupira, mais cette fois, ce n’était pas de lassitude. Plutôt du désespoir.

— Tu es folle si tu penses pouvoir le faire seule… Dort, plutôt. Demain est un autre jour.

Me tournant le dos elle me tendit une autre lettre.

— De toute évidence, ton prof ne veut pas que tu manques les cours…

Je l’entendis s’éloigner, son pas se faisant de plus en plus léger, alors que je sortais la lettre de son enveloppe. Le bruit du papier froissé brisa un peu le silence qui pesait sur moi. Je n’osais parler à haute voix avant que tout ne soit parfaitement calme autour de moi. Une étrange sensation me traversa à l’idée de m’adresser à la sève, mais les réaction qu’elle avait eu plus tôt me faisait douter. Elle avait réagi si vivement à notre conversation…

— Ça te dit de savoir ce qu’il y a là-dedans ? Tu clignes une fois pour non et deux fois pour oui…

Je marquai une pause, observant la lumière vaciller autour de moi. Soudain, elle cligna deux fois, et un frisson parcourut ma peau. Cela voulait dire, d’une part, qu’elle était intéressée, et d’autre part, que je n’étais pas folle. Cette sève avait bel et bien une conscience, elle percevait ce qui se passait, ce que je disais, et elle y répondait comme un être vivant. Elle entendait ce qui se passait dans ses racines, comme si elle était elle-même consciente de notre échange.

— Tu dois être très pratique pour la rébellion, mais tu dois t’ennuyer tout seul.

Je n'avais pas pu m'empêcher de penser à la solitude de cette créature, loin des autres, immergée dans un silence lourd et immobile. Une vibration intense parcourut les racines, et les tâches de sève qui parcouraient le sol s’illuminèrent, m’éblouissant momentanément. Cela ressemblait à une réponse, mais plus féroce, comme si la sève cherchait à me dire quelque chose de plus, de plus profond.

— Qu’est-ce qu’il y a ? Je t’ai mal genrée ?

Je fronçai les sourcils, m'interrogeant. La lumière s’apaisa un instant, comme si la sève réfléchissait à ce que je venais de dire.

— Pas la peine de t’énerver autant pour si peu, je ne peux pas deviner à tes racines que tu es une femme… Et on dit "un arbre"… Tu ne m’as jamais expliqué de toute manière, alors éclaire-moi sur mon cours, et on en reparle après.

Les lueurs de la sève était moins tranchant, mais toujours aussi mystérieux, comme si elle attendait plus de ma part. Je me demandais si elle allait m’offrir une nouvelle révélation, ou si tout ceci n’était que le début d’une conversation bien plus étrange encore.

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DSWritter
Posté le 07/04/2025
Alors pour être honnête, j'ai eu un peu de mal à comprendre ce chapitre. Je n'ai intégré, que vers la fin, que la sève lui parlait, mais je ne suis pas sûr d'avoir très bien saisi, qui est qui.
Et je n'ai pas non plus compris cette réflexion-là :
"— Tu ne dis rien pour faire croire aux espions… Je suis bête, rétorquai-je, avec un air faussement distrait. Et de deux, crois-tu vraiment qu’elle aurait grillé sa cartouche aussi vite ?"

Après, je ne suis pas chips la plus croustillante du paquet, alors c'est peut-être juste moi X)
M.A.Frogerais
Posté le 07/04/2025
Sa peut être mal formulé aussi mais en gros Patricia (la soeur de Maxime et la cheffe des rebelles) parle très bien français mais ne le fait savoir a personne pour que les espions de Marianna (l'impératrice et la "méchante" ) pense qu'elle ne comprend pas cette langue
DSWritter
Posté le 07/04/2025
AAAAh ok je comprends mieux ! Merci :)
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