Chap 6 : Le dialogue

Par MaxPic

Une fois la cérémonie terminée, ils rejoignirent le réfectoire, moins bondé que d’habitude, et s’installèrent à une table isolée.

– Ça va ta tempe Georges ? demanda Thomas.

– Je ne devrai pas en mourir à priori, et comme j’ai trouvé la messe barbante à souhait, c’est que mon cerveau se porte bien.

Léon pouffat et pousuivit

– Et toi, Thomas, t’as retrouvé toute ta tête ? hier, t’as quand même sorti qu’tu savais parler aux chats.

– Oui, c’est ce que je croyais, mais ma tentative cette après-midi s’est soldée par un échec. Peut-être que je ne peux comprendre que Saka. Ou alors j’ai rêvé... mais je vous assure que ça avait l’air bien réel !

– Tu n’es pas sérieux ? dit Georges.

– Si, et je compte bien vous le prouver.

– Ce sera avec plaisirs, tant que nous n’avons pas besoin de retourner dans la bibliothèque ! Je suis curieux de savoir quels sujets tu as bien pu aborder avec un chat.

Thomas sourit.

– On n’a pas vraiment discuté, mais j’ai compris qu’il souhaitait communiquer.

– Et ça r’ssemblait à quoi ? demanda Léon, au charabia d’un gamin de deux ans ?

– Non, comme une nouvelle langue que j’aurais déjà apprise, des petits miaulements et des détails d’expression.

Il reproduisit le son qui signifiait parler. Léon stoppa l’ascension de sa fourchette, bloqué bouche ouverte, quant à Georges, il baissa ses lunettes pour mieux transpercer Thomas du regard, une flamme s’était allumée dans ses yeux.

– Ça, ça veut dire « parler », dit Thomas.

– Tu attises ma curiosité, dit Georges, je n’ai rien lu au sujet d’un quelconque langage animal. J’ai hâte de voir ça ! Tu as mon autorisation pour ramener Saka dans la chambre, propre de préférence, et nous faire une démonstration.

– On verra si je le retrouve ce soir, tu m’accompagnes Léon ?

– J’viendrai demain quand on rentrera d’chez Renault, le père Christophe compte sur moi pour servir à l’église de Meudon dans une heure. Et sinon, des nouvelles de l’Allemagne ?

Georges et Thomas secouèrent la tête.

+++

Le repas terminé, ils se séparèrent et Thomas fila directement vers la bibliothèque. Hier, il avait bien fermé la porte, mais oublié de tourner la clé dans la précipitation, il devrait faire plus attention dorénavant. Personne ne semblait être entré entre temps, la poussière était toujours là, dommage... Il alluma les lumières et entreprit d’aérer la pièce quand il aperçut une ombre derrière la même fenêtre que la veille. La silhouette d’une panthère dont il ne distinguait que l’éclat des yeux verts. Comme deux pierres précieuses illuminant
les orbites d’un sphinx égyptien. Saka l’attendait. Il ouvrit et le chat entra avec agilité pour s’assoir face à lui en silence.

Bonjour, dit Thomas.

Le chat cligna lentement des yeux et les conserva plissés.

Bonjour, compris Thomas.

Il n’avait pas rêvé ! Il s’assit sur la chaise pour se mettre à hauteur du chat.

Bonjour, apprendre, parler, dit-il dans leur nouvelle langue.

Oui, dit Saka d’un hochement de tête.

– Sais-tu aussi dire « non » ? demanda Thomas.

Saka découvrit ses canines tout en grognant brièvement.

Thomas s’empressa de l’imiter.

– Va pour les dents en guise de non... Bon, par ou commencer, moi c’est Thomas et j’ai l’habitude de t’appeler Saka, mais tu as probablement un nom ? Saka ?

Le chat ne semblait pas comprendre, il tenta de reproduire la phonétique de « Saka », mais sans succès. Il grogna à nouveau, les moustaches retroussées puis il se mit à inspecter ses pattes, son pelage. On dirait qu’il a conscience de lui-même, songea Thomas. Le félin miaula une nouvelle note que Thomas interpréta d’instinct comme le mot « moi ». Il la reproduit en désignant Saka.

Oui, dit le chat, Saka.

Thomas posa ensuite la main sur son torse et prononça son prénom.

Le chat s’approcha de son visage au point que leur nez se touchait presque, et dit à nouveau « moi », mais il avait l’air d’indiquer Thomas, cette fois-ci.

– Ça ne va pas être simple si on s’appelle tous « moi »..., dit Thomas.

Il se leva et chercha dans la bibliothèque une encyclopédie illustrée, il tomba sur un volume intitulé « le monde des animaux » dans l’allée de biologie, cela ferait l’affaire. Une fois dépoussiéré, il l’ouvrit et retourna vers Saka pour lui pointer le dessin d’un chat.

Chat, dit Saka, d’un miaulement dont le sens ressurgissait en Thomas comme l’avait fait le souvenir de sa nourrice.

Thomas désigna ensuite un Homme qui servait de comparaison pour évaluer la taille d’un éléphant.

Homme, dit le chat d’un retroussement de nez caractéristique évoquant une odeur désagréable.

Saka put donner un nom à tous les animaux que Thomas lui présenta s’il les avait déjà croisés dans le parc. Pourquoi alors nous appelle-t-il tous les deux « moi » ? s’interrogea Thomas. Et si l’expression signifiait Saka quand il se désigne, et Thomas, quand il me fixe ? Le contexte, c’est peut-être aussi simple que ça !

Ils passèrent deux heures supplémentaires à échanger, à apprendre l’un de l’autre, et à créer mot par mot, les bases d’un langage commun. Le nettoyage de la bibliothèque et des
sanitaires n’avancèrent pas d’un iota ce soir-là. Thomas ne s’en souciait guère quand il se mit à bâiller.

Thomas, sommeil, dit le chat, à qui il suffit de reproduire le bâillement pour se faire comprendre et enrichir leur vocabulaire d’un nouveau terme.

Oui, dormir, dit Thomas en se levant. Avec Saka, ajouta-t-il. Il comptait bien impressionner Georges et Léon cette nuit. Tant qu’ils n’auraient pas vu ça de leurs propres yeux, il passerait pour un dérangé. Il referma l’unique fenêtre ouverte, éteignit les lumières, puis ils quittèrent tous les deux la pièce pour rejoindre l’aile-dortoir, non sans avoir verrouillé la porte cette fois-ci.

Thomas sourit à la vue d’un portemanteau devant leur chambre, Georges mettait toujours ses menaces à exécution. Il se dévêtit et passa la main à plusieurs reprises sur la tête et le dos de Saka pour le débarrasser d’éventuelles traces de poussières, le chat s’allongea sur le côté et commença à ronronner. Le timbre des ronrons voulait-il dire encore ou merci ? Certainement les deux, jugea Thomas quand Léon ouvrit la porte.

– Ha, te voilà, j’montais voir si t’étais pas mort justement.

– Tout va bien, je suis avec Saka.

La voix de Georges perça depuis la chambre.

– Vérifie bien qu’ils se sont décontaminé avant de les laisser entrer Léon !

– Je suis en slip et Saka sera bientôt dans le coma si je continue à le brosser, ça ira ?

– OK, feu vert, dit Georges.

Thomas s’installa sur son lit, le Chat le rejoignit et s’enroula à ses pieds.

– Ça avance là-haut ? demanda Léon.

– À vitesse grand V, dit Thomas.

Georges les fixait à tour de rôle, Saka et lui.

– Montre-nous ! dit-il comme s’il s’adressait à un pirate dissimulant un trésor.

Thomas se tourna vers le chat et lui dit :

Parler, homme.

Le chat s’assit, son regard oscilla entre Thomas et les frères, il ouvrit la gueule brièvement puis la referma sans donner de réponse.

– On dirait bien qu’t’a rêvé Tom, ça ressemble un peu à ce que tu baragouines en dormant d'ailleurs.

Parler, répéta Thomas.

Non, grogna le chat.

Famille, dit Thomas.

Saka tourna la tête vers Georges et Léon, les oreilles en avant, ses narines s’animèrent et il inspecta chaque détail de leur anatomie.

– Mouais, c’est juste un chat, dit Léon.

– Non, regarde ! dit Georges, il nous juge !

Pas famille, dit Saka avant de se rallonger.

Georges en laissa tomber ses lunettes.

– Qu’a-t-il dit ?

– Que vous n’êtes pas sa famille... c’est un peu tôt pour lui faire comprendre que vous êtes des frères pour moi.

– Il t’a dit ça là ? En deux couinements ? Tu blagues ? demanda Léon.

– Non, mais il n'a pas l'air à l’aise devant vous, ce langage ne vous évoque rien ? Vous n’avez pas l’impression d’avoir déjà entendu ça quelque part ?

– Jamais, dit Georges qui ramassa ses lunettes et se mit à en mâchonner les montures avant de poursuivre, sais-tu pourquoi tu le comprends ? Ce qu’il a de spécial, ou toi ?

– Non, mais je compte bien trouver les réponses bientôt. A force de passer mes soirées dans la bibliothèque avec lui, je finirai bien par parler le chat couramment !

– T’as pas donné un seul coup d’balai hein ? dit Léon.

Thomas sourit et s’allongea sur le dos à côté du chat qui dormait déjà ou faisait semblant du moins.

– Touché.

Après s'être glissé dans son lit comme une chenille, il inspecta et tourna encore et encore dans sa main une petite souris en cuir à la queue bien trop épaisse. Les interrogations se multipliaient dans sa tête. Qui était Saka ? Qui était-il lui-même ? Chaque fois qu’il essayait d’en savoir plus, il n’aboutissait à rien, ou de nouveaux mystères apparaissaient. Il lui semblait difficile d’en parler à quelqu’un d’autre qu’à ses frères, ce genre d’information était à la fois risible et source d’ennui supplémentaire. Surtout si elle arrivait aux oreilles de Delorme. Il devrait éclaircir ce mystère seul ou presque. Mais comment ? Peut-être y avait-il dans les livres de la bibliothèque la mention d’une forme de communication élaborée entre l’homme et l’animal. Ensuite, il lui faudrait perfectionner son langage, si quelqu’un pouvait l’aider à comprendre la nature et le sens de leur relation, c’était bien Saka lui-même.

Pour la première fois, il pensa au chat comme à un être à part entière, cette idée le surprit et l’enthousiasma en même temps. Chaque personne supplémentaire dans l’entourage était bonne à prendre ! Il analysa sa figurine et se mit à sourire. Nul besoin de retoucher la queue de cette souris, il suffirait de lui affiner les oreilles en pointe pour qu’elle fasse un écureuil parfait ; transformer une anomalie en atout, voilà la solution !

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Hortense
Posté le 02/08/2022
Re…
Retrouvailles concluantes avec Saka mais rencontre peu satisfaisante entre Saka et ses amis. Drôle. Le mystère s’épaissit. Qui est Thomas et qui est réellement Saka ? Les deux sont liés, c’est à présent une évidence.
Je te sens un peu étourdie avec les conjugaisons mais cela arrive lorsque l’on est trop concentré sur l’histoire.
- Et ça r’ssemblai à quoi ? : r’ssemblait
- Non, comme une nouvelle langue que j’aurai déjà apprise / Il reproduit le son : j’aurais / reproduisit
- il baissât ses lunettes : baissa
- si je continu à le brosser, ça ira ? : continue
- le Chat le rejoint : le rejoignit
- Après avoir retiré ses vêtements comme une chenille : ne s’est-il pas déshabillé avant d’entrer ?
À bientôt
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