Chap 5 : Incident à l'usine

Par MaxPic

Au réveil, Georges scrutait le lit et les habits de Thomas depuis son perchoir d'un regard inquisiteur, les paupières dégonflées.

– Nous devons établir un protocole pour tes retours de la bibliothèque Thomas, tu devras passer par les sanitaires et laisser ta tenue dans le couloir.

– Bonjour Georges, comment vas-tu ce matin ? répondit Thomas.

– Je t’installerai un portemanteau, ce sera plus simple, poursuivit Georges.

– C’était un sommeil court, mais reposant, merci, c’est vraiment trop aimable de t’en inquiéter !

Léon entra dans la chambre, accompagné du vacarme habituel de l’étage, uniquement habillé d’une serviette trop petite autour des hanches. Son corps de taille moyenne, dégageait une impression de force naturelle. Il exhibait des muscles puissants, endurcis par le travail des chevaux, sans pour autant être sculptés. Même sa mâchoire et ses sourcils s’étaient épaissis. Ce n’était plus un adolescent, remarqua Thomas.

– On s’dépêche là-dedans, y a déjà la queue aux douches et des valises dans le couloir. On dirait bien qu’des veinards sont de sortie ce week-end.

Il s’agenouilla devant son lit, croisa les mains tête baissée et pria à haute voie :

– Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche publiera ta louange...

– S’il pouvait refermer ta serviette avant d’ouvrir tes lèvres ça m’éviterait cette vision d’horreur dès le réveil, l’interrompit Thomas en tirant sa couverture sur sa tête.

– Silence ! on n’perturbe pas un dialogue avec le Christ.

Georges leva les yeux au ciel pendant qu’il préparait ses affaires avec soins.

– On parle plutôt d’un monologue dans ce cas.

Thomas éclata de rire.

– J’ai du mal à croire que vous êtes frère parfois...

– Moi aussi, dit Georges.

– Allez, magnez-vous, dit Léon. Jo, tu f’rais mieux d’accompagner Thomas aux sanitaires, hier soir il avait pas toute sa tête, faudrait pas qu’il déconne et qu’il arrive encore en retard.

– Euh... je ne préfère pas l’approcher, je me sens tout juste convalescent, dit Georges avant de disparaitre dans le couloir, un sac et une serviette sous le bras.

Thomas lui emboita le pas, plus pour quitter le spectacle que lui offrait Léon que pour une toilette qu’il n’appréciait guère.

+++

Ce matin-là, il rejoignit son atelier à l’heure et, même s’il s’égarait encore à sculpter des chutes de cuir en une figurines animales, il progressait plus sur sa selle camarguaise que
ces trois derniers mois. Il sentit les regards de Mr Gray et de Delorme qui l’épiaient avec la discrétion de deux hippopotames dans une cuisine, mais il n’y prêta pas attention. L’esprit obnubilé par l’expérience de la nuit passée, ses mains dansaient, indépendantes, autour d’un arçon de bois. Comment pouvait-il comprendre et reproduire le langage d’un
chat ? Cela venait-il de Saka qui avait développé des capacités d’expression exceptionnelles au contact des pensionnaires ? Le bref dialogue d'hier ne s’apparentait à rien d’humain pourtant. Il devait élucider ce mystère. Une idée lui trottait dans la tête, s’ils arrivaient à se parler avec le félin, ce serait un bon début pour répondre à ces questions et cela pourrait même l’aider dans un tas de situations. Dénicher le journal d’Hélène de Galmière, probablement dans une des piles de dossiers qu’avait amassées sa fille, par exemple.

Il chercha Saka dans le parc et tomba sur deux de ses congénères, bien moins loquaces. Thomas reproduisit le mot « parler » qu’il avait découvert la veille, à plusieurs reprises. Les deux matous lui retournèrent un regard d'huitres. Echec.

De retour au château, il évita le bureau de Borne même si cela signifiait tirer une croix sur le journal et fila poser sa dernière figurine dans la chambre, il se rendrait ensuite à l’office. Il entendit Léon sermonner son frère depuis le couloir, les quelques pensionnaires présents s’étaient arrêtés pour écouter :

– J’t’avais dit d’pas faire de vague, j’croyais qu’t’étais au montage moi, c’est quoi ces histoires d’ingénieur encore ?

– Le plan n’est pas bon, les calculs sont faux, le plan n’est pas bon, les calc...

Ils s’interrompirent quand ils virent Thomas franchir la porte. Un joli bleu marquait Georges à la tempe et une nouvelle fissure zébrait ses lunettes. Sa silhouette fine et recourbée lui donnait un air fragile à côté de son frère. Ils avaient cependant des traits en commun, nez fin légèrement retroussé, chevelure brune et regard sombre, mais une mâchoire allongée conférait à Georges un visage plus délicat, plus féminin.

– On se calme, que se passe-t-il ? dit Thomas en s’approchant.

– Jo en a encore fait une à l’usine, mais impossible de comprendre quoi, il crise là.

Thomas prit les mains tremblantes de Georges dans les siennes.

– Et si tu inspirais à fond pour nous expliquer pas à pas le déroulement de ta journée, depuis ton départ ce matin, jusqu’à maintenant, suggéra Thomas.

Georges leva les yeux en direction de la fenêtre, sa respiration ralentit.

– D... d’accord. A 7 h 30 j’ai quitté l’orphelinat et emprunté la rue de Paris comme d'habitude, la livraison des gazettes était en retard chez Béal et une nouvelle vendeuse tenez le comptoir chez Brémont. Je suis arrivée sur l’ile à 7 h 56 et à l’atelier de travaux pratiques trois minutes plus tard, j’y suis resté jusqu’a midi avec avec Mr Theron, un des superviseurs qui ne m’apprécie guère. Il voulait me montrer comment installer une chaine d’assemblage. Non seulement je savais déjà tout cela, mais il s’est trompé deux fois. Je ne lui ai rien dit comme me le demande Léon : « les gens n’aiment pas qu’tu les corriges alors tais-toi ».

Léon voulu intervenir mais Thomas l'interrompi d'une main levée.

–  Après le déjeuner, il m’a annoncé que j’irai faire une visite du bureau d’étude avec d’autres apprentis « pour se débarrasser de moi ». Nous sommes allés dans un des bâtiments à la pointe de l’ile, là où les deux bras de la Seine se rejoignent. Les ingénieurs y travaillent sur les plans des chars que nous devons construire et livrer à l’armée en plus des voitures et camions habituels. Certains dossiers sont confidentiels. Les dessins techniques des chenilles du R35 étaient sortis sur une table. C’est un blindé pour lequel l’usine produit des pièces depuis plusieurs années. Le responsable nous montrait rapidement comment sont évaluées les contraintes sur le train de roulement avec les feuilles de calcul quand j’ai remarqué une erreur flagrante dans les équations. J’ai bien essayé de le garder pour moi, mais cette fois-ci je n’y suis pas arrivé. J’ai cru à une sorte de test, je leur ai signalé. On m’a demandé de quoi je me mêlais et ce que j’y comprenais aux intégrales des corps non homogènes. J’ai tenté de m’expliquer, mais l’un des ingénieurs s’est montré agressif, il en avait marre qu’on vienne les déranger pendant qu’ils construisent le char qui nous fera gagner la guerre. Tout le monde me regardait bizarrement et on m’a mis dehors. Je suis retourné à l’atelier mais Mr Theron n’était plus là. J’y suis resté assis toute la fin de l’après-midi à lire un manuel jusqu'à ce que le responsable de la formation, Mr Miel, me remarque et me demande ou était mon superviseur. Comme je ne pouvais répondre, il est parti à sa recherche. Ils sont revenus tous les deux vingt minutes plus tard. Mr Theron était rouge et il sentait l’alcool, je n’ai pas pu le regarder dans les yeux. Mr Miel lui a dit qu’il serait renvoyé la prochaine fois qu’il se soulera sur ses horaires de travail. « Si on ne peut plus boire à l’usine, on se remettra en grève », il a répondu.

Georges marqua une pause, sa respiration et ses tremblements s’accéléraient à nouveau.

– Quand le responsable est parti, Mr Theron m’a attrapé par la combinaison et m’a crié dessus, je n’étais pas censé être là, j’étais un bon à rien puis il m’a poussé sur l’établi que
j’ai heurté au visage. Un des autres superviseurs présents s’est interposé, il m’a aidé à me relever et à remettre mes lunettes avant d’éloigner Mr Theron. J’en ai profité pour quitter l’usine en courant et venir ici.

Léon s’assit sur son lit, les dents serrées.

– J’t’avais prévenu, dis Léon, les gens supportent pas d’tomber sur plus intelligent qu’eux. Par contre c’est la première fois que quelqu’un t’frappe à l’usine et ça, j’laisserai pas passer!  Surtout que t’as pas fait grand-chose. On f'ra le mur pour aller voir ce superviseur demain, c’est ouvert le samedi en ce moment ?

– Oui, mais... mais je ne sais pas si c’est une bonne idée.

– Georges a raison, ta méthode risque d’envenimer les choses, dit Thomas, je ferais mieux de vous accompagner.

Léon se releva, il enroula un bras autour des épaules de son frère et l’entraina dehors.

– Très bien, nous irons en famille, ça fait un moment qu'on a pas escaladé le mur d'enceinte. Aller viens, j’t’emmène aux vêpres pour une fois, prier te fera du bien.

– Quand je pensais que ma journée ne pouvait pas être pire... grommelât Georges.

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Hortense
Posté le 02/08/2022
Bonjour à toi,
Je trouve que tu as le sens du dialogue, ils sonnent juste et sont souvent drôles. J’attends, bien entendu, le retour de Saka avec curiosité. Très amusante la scène où Thomas tente de communiquer avec les autres matous !
La deuxième partie est intéressante et assez technique. N’hésite pas à couper le long monologue de Georges par des questions ou des réflexions de ses compères ou la description de leur attitude : incompréhension, agacement, révolte, colère etc. N’hésite pas à faire des phrases courtes, c’est parfois plus percutant.
Cela dit, George à l’air d’en connaître un rayon, je suis impressionnée.
Ah, j’oubliais, pour les temps je relis à voix haute et mon oreille me corrige aussitôt si je me trompe.
Quelques coquilles :
- Je t’installerai un portemanteau, ce sera plus simple/ C’était un sommeil court… : comme c’est George qui s’exprime, inutile de rajouter un tiret
- d’une serviette trop petite à la hanche : autour des hanches
- Il exhibait des muscles puissants sans pour autant être sculpté, endurci par le travail des chevaux : j’inverserais pour plus de cohérence
Il exhibait des muscles puissants, endurcis par le travail des chevaux sans pour autant être sculptés ?
- tu f’rai mieux d’accompagner Thomas : f’rais
- Ce matin-là, il rejoint son atelier à l’heure : il rejoignit
- il progressa plus sur sa selle camarguaise : il progressait
- Il sentait les regards / mais il n’y prêtait pas attention : il sentit / prêta
- Thomas reproduit le mot « parler » : reproduisit
- mais eu vite l’impression : eut
- Ils avaient des traits en commun, nez fin : je rajouterais un « cependant » pour bien marquer l’opposition avec la phrase précédente. Ils avaient cependant des traits communs ?
- sa respiration ralentissait : sa respiration ralentit
A bientôt
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