_ J'ai quatre enfants moins un.
Je dis aux gens qui me demandent. Je l'ai parce que je l'ai eu, parce que je l'ai fait, qu'elle est passée, qu'elle est sortie, qu'elle m'a trouée, qu'elle m'a vidé le ventre, sortant. Mais je ne l'ai plus. Elle était là, elle ne l'est plus. Je dis ça aux gens qui me croient mauvaise, qui me croient nulle, comme mère. C'est bon, ça arrive à tout le monde, de perdre un enfant. Ils me regardent noir, rouge, les gens. Les parents sans main vide dans leurs mains lisses, les parents parents encore. Ces familles qui, dans les parcs, se baladent, pleines. Elle n'est pas morte non, impossible, je ne suis pas veuve de fille. Elle est trop jeune pour être morte. Et je ne suis pas assez vieille pour qu'elle soit en âge de mourir. Et puis, si ma fille était morte, on m'aurait appelée non ? Vous ne croyez pas ? Je ne suis pas assez bête pour croire une chose que l'on ne m'a pas encore dite. Je ne suis pas assez folle pour avaler l'inavalable. Pour m'enfiler l'inenfilable. Le deuil ne me sied pas au teint, et j'ai le corps couleur. Je vomis le noir, ainsi que les chapeaux filets visages qui donne aux femmes, aux mères torpides et humiliées, des allures de princesses putes un peu coquines. Oui donc ma fille est en vie, mais ailleurs que chez moi. Venez vérifier, si vous ne me croyez pas. Elle n'est pas sous son lit. Elle n'est pas cachée dans un placard, dans un tiroir. Ni dans la buanderie, et même pas dans la caisse du chat, bande d'amateurs : j'ai déjà regardé là. Elle n'est pas dans le congélateur, foi de bonne mère. Elle n'est pas dans la chambre de son frère, ni noyée-cachée dans la machine à laver. Elle n'est pas planquée, depuis des mois, sous la bâche de la piscine, son corps flottant, remontant, creuserait une petite bosse à la surface. Nous l'aurions vue. Et puis nous l'aurions sentie. Elle puerait ma fille, si elle était morte là, sous notre nez. Puisque je vous dis qu'elle n'est pas là. Qu'ils l'ont emmené. Qu'il l'a emmené. Qui ? Je ne sais pas. Ils. Il. Ce n'est pas moi, juré. Ou alors peut-être mon mari, il m'a toujours été suspect. Même avant sa disparition. Même avant sa naissance. Même avant celle de nos autres enfants. Il en voulait, pas moi. Désolée mes chéris. Il me suppliait de lui laisser m'en faire, juste un. Puis juste deux. Un dernier et on arrête. Un quatrième et tu fermes ta gueule. Il aimait les enfants. Il aimait nos enfants. Les aime toujours peut-être. Il voulait en avoir pour les tuer. Une sur quatre, pour l'instant. Il joue avec eux au loup. Attention les enfants, j'arriiive. Les boufferait, les bouffera. Il les câlinerait, papa, les calcinera, gaga. Il les tuera tous. Et alors moi, je n'aurais plus d'enfants.
Et tout le monde sera content.