Les premières lueurs de l’aube filtraient à travers les délicats rideaux de soie blanche. La brise fraîche et légère de septembre naissant se glissa sur son visage encore endormi. Le pâle soleil de l’automne s’annonçant illuminait sa chambre claire aux tapisseries lavandes et blanches. Elle se retourna doucement dans son grand lit aux draps de soie damassée, perdue dans ses innombrables coussins en plume d’oie. Elle se réveilla lentement, distinguant dans le lointain les domestiques qui s’affairaient dans tout le château. Elle se releva dans son lit, recoiffant à la va-vite ses beaux cheveux blonds qui ondulaient harmonieusement dans son dos pour leur donner un peu de cohérence. Elle frotta ses paupières sous lesquelles ses yeux bleus purs comme le ciel du jour pleuraient déjà.
Elle resta quelques minutes assise dans son lit, parcourant sa chambre d’un air tristement endormi, lorsque son regard se posa sur la robe de la journée. Elle était faite de soie et de mousseline, blanche, brodée de fils d’or. Les manches étaient longues et vaporeuses, à l’image de la jupe, et le corset ajusté soulignait à merveille sa ligne fine. Cette tenue était bien plus précieuse et raffinée que ce qu’elle portait d’ordinaire, même en sa qualité de princesse du royaume d’Hymir.
« C’est le grand jour ». Elle sortit de la pièce en attrapant sa robe de chambre et se dirigea vers la salle à manger en saluant avec son sourire doux tous ceux qu’elle croisait, et ils le lui rendaient bien. Elle descendit l’ouvrage principal du château, un immense escalier de marbre blanc aux balustrades en fer forgé, représentant une nature luxuriante. Il donnait sur un hall d’entrée magistral, où les gardes en armure dorée étaient aussi immobiles que les statues impudiques qui les toisaient. Elle pénétra dans la véranda grandiose dans laquelle on servait les repas. Elle offrait une vue sur le parc du château, tantôt arboré de chênes centenaires et de saules caressants, tantôt parsemé de pelouses rases qui formaient des arabesques élégantes autour de bassins et de fontaines parfaitement dessinées. Elle prit la place qui lui était réservée autour de la table ronde de la famille royale, et aussitôt, une domestique lui apporta son petit-déjeuner alors qu’elle saluait sa sœur et son beau-frère, bientôt reine et roi d’Hymir.
- Joyeux anniversaire, lui lança tendrement sa sœur aînée.
- Merci, répondit Adelle avec tristesse.
Elle avait vingt ans. Mais la cérémonie prévue ce jour n’était pas pour elle, non. On allait célébrer le couronnement de sa sœur Ariana. Leur mère, la reine Angelle, s’était éteinte un mois plus tôt des suites d’une longue maladie qui avait pesée sur toute la famille. Adelle avait vu sa mère, sa chère mère, dépérir au fil des ans, devenant invalide, maigre, sans plus aucune force que celle de trembler sans cesse. Elle termina sa vie aveugle, presque abandonnée de ses beaux cheveux dont Adelle avait hérité. Tous les médecins et apothicaires du royaume s’étaient succédé à son chevet, sans qu’aucun ne trouve le moyen de la guérir. La jeune princesse ne parvenait pas à faire disparaître ces images de la souffrance et de la décrépitude de ses pensées. Elle ne pouvait accepter qu’elle ne soit tout simplement plus là. Elle ressentait le vide dans chacun de ses pas, quand elle s’attendait à la voir au détour d’un couloir, quand elle jetait un coup d’œil dans sa chambre, et à table, trois fois par jour, en voyant la chaise nue de sa présence aimante. Elle la ressentait la nuit, dans ses cauchemars qui la faisaient renaître, et qui au réveil, rendait son absence d’autant plus insupportable.
Suite à cette tragédie, leur père Alber avait décidé d’abdiquer au profit de la jeunesse et du couple princier, solide et plein d’avenir. Il n’avait de toute façon plus le cœur à grand-chose depuis qu’il ne formait plus un tout avec sa regrettée Angelle. Adelle l’avait vu perdre de sa superbe, comme si une partie de lui, de sa force et de sa prestance, reposait aussi dans le caveau.
Depuis ce maudit jour, la princesse avait de la peine à sourire. Pour ne rien arranger, il avait été décidé que le jour où sa sœur accèderait au trône serait celui de son anniversaire. Elle se demandait bien quel imbécile pouvait avoir suggéré une telle idée, et plus encore pourquoi Ariana l’avait approuvée. Elle se garda bien de lui imposer une crise égocentrique, ce n’était ni le moment, ni dans son caractère. Elle était d’une nature calme et réfléchie, laquelle avait été renforcée par une éducation royale. On ne faisait jamais de vagues à la cour. En outre, elle n’était pas sans savoir que toutes les décisions ne dépendaient pas exclusivement de sa sœur, même à titre de future reine. Elle se contentait donc de garder le silence, tout en sachant qu’elle n’aimerait plus jamais ce jour-là, et qu’elle se refuserait à célébrer ses prochains anniversaires.
Elle termina son petit-déjeuner frugal. Depuis un mois, elle se forçait à manger pour ne pas avoir quiconque sur le dos. La dernière chose dont elle avait besoin, c’était de reproches, ou de fausses inquiétudes. Elle sortit de table, salua poliment, et remonta dans sa chambre. Elle s’assit au bord de son lit, face à la porte-fenêtre qui donnait sur son balcon. Elle avait une merveilleuse vue sur l’est du royaume. Cette terre que sa sœur allait bientôt gouverner avec son beau-frère. Elle était plutôt confiante à ce sujet, la famille Trath était aimée et respectée à Hymir. La capitale, Aimsir, avait été bâtie autour du château originel, érigé peu avant la Guerre Antique, plus d’un millénaire auparavant. Son emplacement, au centre du royaume, en avait naturellement fait un lieu de premier plan. C’était une grande ville fortifiée, aux ruelles sinueuses et étroites, dessinées par les emplacements de maisons toujours plus nombreuses et imposantes. Ces artères étaient toujours très animées, et ce dès l’aurore, grâce aux marchands et aux artisans qui s’activaient en nombre sous le regard tranquille des bâtisses élégantes en pierres blanches parfaitement taillées. Il était possible d’entrer dans la citadelle à travers trois portails magistraux, qui donnaient sur les seules routes larges et pavées du territoire. L’entrée méridionale était considérée comme la plus importante, car elle donnait sur l’immense place devant le château. Adjacent à ce grand espace, on pouvait admirer le temple du Temps, consacré au culte de cet élément dont la famille Trath était la gardienne depuis des siècles.
Aismir, comme toutes les autres villes abritant un temple élémental, était imprégnée par ce pouvoir. Ainsi, le temps faisait ce qu’il voulait dans l’enceinte de la cité, hormis aller dans un futur inconnu. Parfois, il s’arrêtait quelques secondes, il reculait, de quelques minutes à quelques heures, puis il revenait au point de départ. Il n’existait aucun moyen connu de contrôler ce phénomène. Les habitants étaient accoutumés, même s’il en résultait souvent des situations étranges. La ville, de manière générale, était plutôt sûre et ordonnée, grâce notamment aux patrouilles nombreuses qui avaient vocation à assurer la sécurité de tous, car la délinquance inhérente à toute grande cité menaçait. La pauvreté de certains quartiers poussait leurs habitants à de basses besognes, à des comportements moins nobles que leurs voisins plus privilégiés. Violence, alcoolisme, vol, était le quotidien dans ces immeubles et ces rues.
Le regard d’Adelle se posa sur l’épée à côté de son lit. Elle sourit en pensant que probablement assez peu de jeunes femmes possédaient un tel élément de décoration dans leur chambre à coucher. Elle était pourtant magnifique. Le pommeau d’or était serti de diamants purs qui décomposaient la lumière en de multiples arcs-en-ciel qui égayaient la pâleur de l’ensemble. La lame était d’une telle qualité qu’on pouvait se mirer dedans, et son tranchant était redoutable. Mais cette épée était avant tout exceptionnelle par le pouvoir qu’elle renfermait. En effet, au royaume d’Hymir, il existait des armes sacrées, imprégnées d’une magie élémentaire puissante, qui permettait à son porteur d’utiliser une force sans pareille. Afin de protéger Hymir d’une destruction certaine si toutes les armes se retrouvaient en un seul endroit ou entre des mains mal intentionnées, il avait été décidé, après la Guerre Antique, que chaque ville qui possédait une arme sacrée choisirait un élu, un gardien, nommé Mystique, qui veillerait dessus jusqu’à son dernier souffle. Ce choix revenait aux dirigeants et aux sages. On choisissait de préférence des enfants, parfois à venir, afin de leur inculquer dès leur plus jeune âge les rudiments du combat et de la maîtrise de leur pouvoir afin qu’ils ne blessent personne, y compris eux-mêmes.
Ariana étant destinée à gouverner, leur mère avait décidé que le pouvoir de l’épée du Temps reviendrait à Adelle. Et tandis que sa sœur se préparait à régner depuis sa plus tendre enfance, elle s’entraînait quotidiennement avec son maître d’armes, tout en étudiant les mêmes leçons que sa sœur. C’était la double peine. Mais elle ne lui en tenait pas rigueur, c’était son devoir. Elle avait de plus une force de travail impressionnante qui lui permettait de mener de front tout ce qu’on lui imposait, et ce, sans rechigner.
Sa volonté lui avait permis de maîtriser très tôt son pouvoir, et c’était heureux : il était l’un des plus puissants. Et des plus convoités. Par conséquent, Adelle n’avait presque jamais quitté son château, excepté pour les cérémonies au temple ou quelques visites exceptionnelles chez des amis de la famille. Alors, chaque matin, elle observait par sa fenêtre le spectacle d’Aimsir et des plaines environnantes qui changeaient d’atmosphère au fil des saisons, elle s’amusait de voir évoluer les gens au-dessous d’elle. Elle prenait note des habitudes des commerçants et de leurs clients, des allées et venues, elle se distrayait de la préparation des grands évènements de l’année, comme aujourd’hui.
L’animation était à son comble. Les couronnements restaient des fêtes exceptionnelles, et plus encore dans le royaume d’Hymir car tous les Mystiques étaient conviés à y assister, eux qui n’étaient pour ainsi dire jamais rassemblés tous en un même lieu. De plus, certains provenaient de contrées isolées, leur présence allait attirer un nombre important de curieux. Adelle observait les gardes et domestiques royaux s’affairer pour nettoyer la ville, disposer des barrières de sécurité pour laisser le passage aux convois des élus, tendre les banderoles aux armoiries de la famille, un cercle doré sur un fond blanc, bordé par une ligne lavande. Ce symbole représentait le temps, une boucle sans fin dans lequel tous les êtres vivants sont prisonniers. Sauf elle.
Il y avait au château une autre Mystique, celle de la Lumière, Myhrru Solas, capitaine de sa garde personnelle et amie de longue date. Elle était la seule femme chevalier du pays, voire de l’histoire, cela donnait une idée de son tempérament. Elle avait obtenu ce grade dès sa sortie de l’école, à vingt ans seulement. La princesse avait pourtant hâte de rencontrer les cinq autres élus : l’Ombre, l’Eau, le Feu, la Terre et le Vent. Elle n’espérait pas qu’ils puissent ou ne veuillent tous venir, mais elle espérait peut-être tisser des liens avec des personnes comme elle, d’autres contrées, qui pourraient lui apprendre les vraies choses de son royaume qu’elle ne connaissait qu’à travers les livres.
Elle se prépara dans cette perspective qui lui mettait un baume au cœur dont elle avait besoin en cette journée. Elle se laissa coiffer et habiller. Elle enfila la magnifique robe cousue expressément pour l’occasion, et sa suivante lui laça le corset. Quand elle eut terminé, Adelle saisit son épée sacrée et l’accrocha autour de sa taille. Elle se mira dans la glace en pied de sa chambre, sceptique.
Elle rejoignit sa sœur et son beau-frère qui patientait déjà sur le palier devant la grande porte-fenêtre qui donnait sur le balcon principal. De là, on pouvait admirer la grande place d’Aimsir. Ariana était magnifique. Les traits anguleux de son visage faussement serein à cet instant contrastaient harmonieusement avec ses grands yeux bleus et ses lèvres charnues, ses cheveux blonds et légers, coiffés parfaitement pour l’occasion en un chignon bas souligné de tresses fines, qui tiendraient à merveille la couronne de diamants. Son corps fin et élancé était vêtu d’une robe extraordinaire, semblable à la sienne mais plus raffinée, avec de la dentelle ouvragée et entièrement brodée de fils d’or qui dessinaient des fleurs délicates dont les pistils de diamants miroitaient comme un second soleil. Adelle était émue. Elle aimait et admirait sa sœur, malgré tout.
- Tu es superbe, lui lança-t-elle.
- Merci. Tu es très belle également.
- Comment te sens-tu ?
- Je vais défaillir d’angoisse.
- Tout va bien se passer, la rassura Auguste.
Ariana lui rendit un sourire poli, elle semblait apprécier cette vaine tentative d’apaisement.
- Savez-vous où en sont les élus ? demanda-t-elle au capitaine de la Garde royale.
- On m’a informé que les convois de trois d’entre eux s’approchent d’Aimsir.
Eamon Claiomh était le père de Marth, un autre chevalier, qu’Adelle appréciait particulièrement. Elle l’avait toujours vu au château, car son père était capitaine depuis une quinzaine d’années, et avant cela, il était déjà « simple » chevalier de la Garde royale. Marth était affecté à la patrouille de la ville, il n’avait bénéficié d’aucun passe-droit. Cela n’était pas surprenant quand on connaissait Eamon. Un homme parfaitement à sa place, droit, juste, brave. Adelle s’interrogeait toujours, lorsqu’elle rencontrait des personnes qui semblaient si parfaites, où se trouvait la faille. Mais s’il en possédait, Eamon ne les laissait jamais transparaître. Il avait une maîtrise et un sang-froid à toute épreuve, qu’on pouvait lire sur son visage ovale et lisse d’une blancheur laiteuse, dans ses yeux en amande fins et d’un bleu profond qui dégageaient rarement une quelconque expression. Il s’exprimait sur un ton monocorde d’une voix grave et rassurante. Ses lèvres fines semblaient disparaître sous sa barbe poivre et sel. Pourtant, malgré cette apparence austère, il ne l’était pas le moins du monde. C’était un vrai tour de force.
Marth était le portrait craché de son père, la spontanéité en plus. Il était plus chaleureux, plus expressif, plus drôle, mais on percevait la même bienveillance et le même sens du devoir. Durant le peu de temps libre qu’on lui accordait dans la journée, Adelle guettait souvent sa patrouille passer sous sa fenêtre. Parfois, il dînait avec son père au château, mais elle était trop réservée et surtout trop bien élevée pour engager la conversation avec un jeune galant. Elle se contentait de se réjouir de sa présence et de son apparence qui faisait battre son cœur et la sortait de sa routine irréprochable.
- Trois ? Il en manque donc encore deux… Savez-vous quels sont les peuples en approche ?
- Il semblerait qu’il s’agisse des cités de Glyphe, Midgard et Njord.
La future reine esquissa une grimace.
- Dans combien de temps pensez-vous qu’ils seront ici ?
- D’après ce que l’on m’a rapporté, ils devraient être dans le château dans une heure environ, si la traversée de la place se passe sans encombre.
- Espérons. Allez nous quérir des rafraîchissements et de quoi nous sustenter, ordonna-t-elle à la troupe de domestiques réquisitionnés pour l’occasion.
- Installons-nous plus confortablement, suggéra Auguste, rien ne sert de patienter debout, l’attente risque de durer.
Adelle s’approcha de la porte-fenêtre afin de voir ce qui se passait dehors. Elle fut prise de vertige. La place était bondée, noire de monde jusqu’à l’extérieur de la ville. On ne voyait plus une rue vide, pas un pavé qui ne fût étouffé par le trépignement des gens impatients. Elle comprit mieux l’inquiétude de sa sœur. Elles allaient être au centre de l’attention de tous ces gens. Cette idée la fit vaciller, elle suivit le conseil de son futur roi et alla s’assoir confortablement dans un des sofas du palier.
La lumière du zénith approchant traversait déjà les carreaux, réchauffant le marbre au sol. Adelle observait les poussières voltiger dans les rayons du soleil, semblables à des lucioles en plein jour. Elle songea aux Mystiques qui seraient bientôt là. Puis, elle pensa aux deux cités qui n’avaient apparemment pas daigné répondre à l’invitation. Elle était déçue, mais pas vraiment surprise.
Soudain, ses pensées furent interrompues par des éclats de voix qui montaient par l’escalier. Elle se releva et découvrit avec amusement que Myhrru faisait une démonstration de son caractère, si tant est que cela fût utile.
C'est un beau début de récit. Par contre, dans ta description des personnages que tu as faite avant: qui sont les mystiques de l'ombre et du feu? On s'y perd un peu.
Les Mystiques de l'Ombre et du Feu sont inconnus, c'est l'un des mystères de l'histoire pour le moment... ;)
J'essaierai de faire en sorte que cela soit plus clair lors de la réécriture!
A bientôt :)
Premier chapitre intéressant.
J'ai trouvé qu'il y avait un peu trop de "elle" au début, peut-être faudrait-il alterner avec "Adelle" ou "la jeune femme" pour éviter la répétition.
Sinon l'univers est intriguant et ça donne envie de connaître la suite.
Bonne journée.
Je prends note pour la répétition, à bientôt ^^
Un chapitre très intéressant avec de belles descriptions. Le premier dialogue n'apporte pas grand chose et je ne suis pas sure qu'il soit utile, mais ce n'est que mon avis.
Je vais poursuivre ma lecture
A bientôt
Pour moi le dialogue sert à introduire la famille d'adèle et le contexte (jour d'anniversaire), d'une manière un peu plus dynamique qu'une simple description (étant donné qu'il y a un bon pavé avant). Mais tu as raison, il n'est pas sensationnel, je vais devoir retravailler cette partie !
Hâte de lire tes autres commentaires :)
Très intriguant ce premier chapitre !
Tes descriptions sont plutôt jolies mais tu donnes beaucoup de détails qui ne sont peut-être pas très utiles pour la suite (les 3 portails pour entrer dans la cité par exemple).
Tes dialogues pour dire juste "bonjour", je sais pas si c'est très pertinent non plus.
Dans tous les cas, je lirai la suite ^^
Je me demande si Adelle va devoir, par la force des choses, sortir de chez elle et affronter la "vraie" vie.
À bientôt !
Merci beaucoup pour ton retour, c'est exactement le genre de conseils que j'attendais en m'inscrivant à Plume d'argent, je vais faire les modifications en conséquence.
Bonne journée!