- Hors de question que je sois vêtue de ces rideaux toute la journée ! Je suis chevalier, s’il y a un problème, comment voulez-vous que je me batte en étant engoncée de la sorte ?
- Maître Solas, vous êtes aussi une Mystique, ce rôle devrait même primer sur la chevalerie. D’ailleurs, une femme…
- Taisez-vous, coupa-t-elle, un mot de plus, et ce n’est pas votre rôle de sage qui vous protégera du donjon !
- Soit, soupira le vieil homme qui savait que la menace était sincère, mais s’il vous plaît, pour une fois, vous pourriez admettre qu’il n’est pas un si grand drame que d’être habillée d’une robe pour une journée ?
Elle le transperça du regard.
- Je concède de faire l’effort pendant la cérémonie, mais dès qu’elle est terminée, je remets mon armure. De quoi ai-je l’air devant mes hommes ?
Les hommes en question qui la suivaient ne partageaient certainement pas son avis. Ils ne l’avaient jamais vue si bien apprêtée, et son autorité naturelle semblait avoir éclipsé sa grande beauté qui leur sautait aux yeux désormais. Il n’y avait qu’elle qui puisse porter une tenue jaune soleil et en être magnifiée. Elle n’était pas la Mystique de la Lumière sans raison. Vêtue ainsi, on aurait pu croire que l’astre solaire s’était personnifié. Ses longs cheveux blonds bouclés embrassaient ses épaules dénudées et tombaient dans son décolleté de dentelle ivoire. Sa robe seyait à son corps athlétique et s’évasait délicatement à ses genoux. Le seul détail qui dénotait était, à l’instar d’Adelle, son arme sacrée, l’Arc du Soleil, qu’elle portait dans son dos. Elle se sentait d’autant plus ridicule. Elle remarqua les regards de sa troupe sur son corps et se retourna pour qu’ils ne voient pas ses joues rougir d’embarras. Elle se sentait mise à nu, elle détestait cette sensation. Elle n’avait pas passé sa vie à l’éviter et à la dompter pour qu’elle revienne aujourd’hui. Adelle vint à sa rencontre dès qu’ils furent arrivés sur le palier.
- Tu es magnifique !
- Merci, mais s’il te plaît, peut-on éviter d’en rajouter ? Je n’ai pas mis de robe depuis mes dix ans, comment peux-tu supporter cela ?
- J’imagine que c’est une question d’habitude. Je ne pense pas que je puisse porter un jour une armure comme la tienne.
- Certes. Le seul avantage, c’est qu’il est plus facile de s’assoir avec une robe.
Elles s’installèrent toutes deux sur le sofa d’Adelle.
- Les autres seront bientôt là ? demanda Myhrru.
- Dans une heure environ.
Elle soupira. La patience n’était pas sa plus grande qualité. Elle détestait avoir l’impression de perdre son temps.
- Je n’ai pas encore aperçu Aurore et Iwan, remarqua Adelle.
- Oh, tu sais, ils ne sont jamais pressés. Ils ne devraient plus tarder, j’ai croisé Aurore hier, elle m’a confirmé qu’ils ne manqueraient l’évènement pour rien au monde.
- Très bien.
Aurore Grian était l’amie d’enfance de Myhrru. Elles étaient toutes deux originaires de Freya, la cité de la Lumière. On accédait à la ville en empruntant la porte est d’Aimsir, en direction du soleil levant. Freya était considérée comme l’antichambre de la capitale. Aussi belle, avec ses constructions en pierre de taille dorées, aussi animée, aussi propre, habitée par de nombreux nobles, elle était en plus de cela le quartier général des chevaliers. Sa principale particularité était qu’il n’y faisait jamais nuit. Il arrivait même que parfois la lumière soit trop forte, et qu’il faille rester enfermé chez soi ou porter une protection sur les yeux si on ne voulait pas finir aveugle.
C’était au sein de cette cité pour le moins lumineuse que tous les membres des différentes gardes étaient formés, l’élite étant évidemment la Garde Royale, qui assurait la protection rapprochée des têtes couronnées. Intégrer la chevalerie était le rêve de Myhrru, depuis toujours. On lui avait toujours asséné que son rôle de Mystique était incompatible avec une autre activité, et encore moins celle de chevalier. Elle était une femme, voyons. Mais c’était mal connaître la jeune fille et sa volonté indestructible. Elle avait passé des journées entières à étudier les textes les plus anciens qui se rapportaient à la chevalerie, et il n’était mentionné nulle part que ce rôle était interdit aux femmes ou aux Mystiques. Après de longues discussions parfois véhémentes avec ses parents et les autorités, on lui avait finalement octroyé le « privilège » d’intégrer l’école de chevalerie.
Et quel privilège ! Equipée de son arme sacrée en plus d’une épée réglementaire, et évidemment la seule fille, puisque la seule de l’histoire connue, les premiers temps avaient été une torture. Ses camarades, du même âge qu’elle, avaient commencés par la harceler sans répit. Ils se moquaient d’elle, la rabaissaient, affirmaient qu’elle ne survivrait pas à cette école. Ils avaient tenté de lui voler ses armes, puis en grandissant et en adolescents primaires, ses habits, sa dignité.
Elle avait eu plus de travail que ses camarades en raison de son rôle de Mystique car elle avait dû apprendre le maniement de son arc et de son pouvoir, et en tant que fille, avait dû malgré cela prouver sa valeur à chaque instant, lui demandant des efforts et une énergie considérables, sans que cela ne soit jamais suffisant.
Ses seuls alliés avaient été Marth Claiomh et son ami d’enfance, Iwan Caoran. Ce dernier était le fils d’Erwan Caoran, un chevalier au service de la famille Trath. Il était originaire d’Aimsir. Lui et Aurore s’étaient rencontrés lors de l’adoubement de Myhrru et ne s’étaient plus quitté depuis. Les deux jeunes hommes prenaient sa défense et l’encourageaient dès que cela leur été possible, mais ils n’avaient pas pu être toujours présents. De plus, Myhrru n’était pas le genre de fille à compter sur un chevalier servant, elle avait donc mis un point d’honneur à apprendre à se défendre seule très tôt. Après qu’elle eut rendu aveugle un de ces garçons un peu trop entreprenant grâce sa magie, étrangement, elle avait acquis un certain respect… Puis tous avaient commencé à la regarder différemment, et ils avaient été impressionnés par sa pugnacité, sa volonté, ses capacités hors du commun, car non seulement elle réussissait dans toutes les disciplines conçues pour des hommes, mais elle était parvenue au prodige d’être première en tout, malgré une surcharge de travail que personne n’ignorait. Au milieu de son cycle d’études, les choses s’étaient arrangées grandement pour elle, et la différence de genre s’était peu à peu effacée. Désormais, elle dirigeait une troupe composée d’une vingtaine d’hommes qui avaient la responsabilité de veiller sur la princesse Adelle. Ce poste lui avait été attribué par le capitaine Eamon, qui avait sans aucun doute compris l’intérêt de protéger une Mystique avec une autre Mystique. La magie était un avantage indéniable, en particulier quand seules sept personnes au monde étaient capables de la manier.
La principale difficulté rencontrée venait du frère d’Aurore, Dubhan Grian, qui possédait un caractère au moins aussi fort qu’elle et qui s’était senti menacé dès leur première rencontre, lors de l’adoubement de Myhrru. Ce dernier était déjà chevalier lorsqu’elle avait été promue. Après la cérémonie solennelle qui officialisait l’entrée de la jeune femme dans la chevalerie, il était coutume de se retrouver à la caserne pour fêter cet évènement et accueillir les nouveaux. Il ne se souvenait pas vraiment d’elle, mais il la connaissait déjà :
- Tu es la célébrité de la caserne. La fille qui est devenu chevalier, avait-il lancé avec dédain.
- Un chevalier est un chevalier, peu importe son sexe.
- Oui oui, si cela te sied. Tout le monde ne parle que de toi en tout cas. J’ai hâte de voir ce que cela donne sur le terrain, la théorie ne vaut rien en combat réel.
- Si on parle de moi, c’est précisément parce que je suis plus compétente que n’importe lequel d’entre vous. Et si tu veux, je te le prouve tout de suite.
Dubhan l’avait fusillée du regard, vexé d’avoir été provoqué en duel si aisément, par une femme qui plus est.
- Calmez-vous, s’était écriée Aurore. C’est puéril, vous êtes tous deux de très bons chevaliers et vous le prouverez bien assez tôt. Je ne suis pas venue pour me retrouver au milieu d’une bagarre.
- Tu as raison, excuse-moi Aurore. J’attendrai que tu sois partie pour botter le séant de ton frère, avait répondu Myhrru avec un sourire sans équivoque.
- C’est ce qu’on verra, avait-il grogné les dents serrées.
Elle avait quitté la fête seule, elle devait rejoindre une autre auberge pour y passer la nuit, à deux pas de là. Presque arrivée à destination, elle avait entendu le bruit d’une armure se rapprocher rapidement d’elle. Elle avait dégainé son arme sacrée et s’était retournée en direction du bougre visiblement mal intentionné. Elle n’avait pas été surprise de trouver Dubhan, la main sur le pommeau de son épée, qui la fixait avec colère. Il lui avait lancé, bourré d’orgueil :
- Allez, repose ton arme, tu vas te faire mal.
- C’est plutôt à toi que cela va faire mal. Que veux-tu ?
- Je n’aime pas qu’on se fiche de moi. Encore moins une femme.
- Mon pauvre… Avec une pensée comme la tienne, c’est naturel qu’on se fiche de toi. Tu n’es qu’un rustre écervelé. J’ai même du mal à croire que tu sois du même sang qu’Aurore !
- Tais-toi !
Elle avait trouvé son point sensible, et elle avait pris un malin plaisir à appuyer dessus.
- Ah ah… Je vois, l’histoire classique du frère qui se fait voler la vedette par sa petite sœur… Je comprends mieux d’où te vient ce comportement de barbare. Parce qu’elle est plus belle, plus intelligente, et plus sympathique, tu devrais lui en tenir rigueur ?
Il avait dégainé son épée et lui avait foncé dessus. Elle l’avait bloqué une première fois, mais il était très rapide, malgré une corpulence trapue. Ils avaient échangé des coups violents et déterminés. Le tintement du métal et de leurs armures avait résonné dans les rues d’Aimsir, à tel point que quelques têtes timides étaient sorties par les fenêtres. Plusieurs chevaliers, qui avaient quitté la caserne, avaient prévenu les autres pour venir admirer le spectacle. Ils n’avaient pas été déçus. L’un comme l’autre, malgré leur jeune âge, étaient déjà des prodiges. Les coups et les mouvements s’étaient faits précis et souples, en une danse pleine de rage. Puis, ils s’étaient bloqués en forçant sur leurs bras pour maintenir leurs armes respectives. Myhrru était toujours légèrement désavantagée au corps-à-corps car elle était plus à l’aise avec son arc qu’avec une épée, et ce n’était pas vraiment une arme adaptée à cet usage. Dubhan en avait profité pour libérer une main de son pommeau, qu’il avait glissée à travers le vide laissé entre les bras de Myhrru afin de lui attraper le menton et une partie de son cou avec sa large main. Il l’avait poussée violemment contre un mur, et avait avancé sa tête si proche que leurs nez se touchaient presque. Elle n’avait pas riposté, même s’il eut été facile de le faire. Elle l’avait observé, empourpré par la colère et la honte. Elle avait eu l’impression qu’il aurait voulu lui dire quelque chose, mais rien n’était sorti de ses lèvres pincées. Il l’avait tenue ainsi quelques secondes, puis avait lâché son emprise, rengainé son épée et s’était retourné sous les moqueries de ses camarades, pour pénétrer dans la caserne sans un mot. Myhrru était restée quelques instants immobile, légèrement décontenancée par ce qu’il s’était passé. Elle avait eu du mal à trouver le sommeil cette nuit-là. Quand elle avait découvert, le lendemain, qu’elle serait la supérieure de Dubhan, elle avait eu quelques sueurs froides, elle qui avait toujours eu pleinement confiance en elle, c’était une première.
Elle avait beaucoup appréhendé sa présentation officielle à sa garnison, elle avait craint un débordement, mais rien ne s’était passé. Il s’était comporté en parfait soldat, sans jamais un mot ni un regard de travers, sans protestation, sans provocation. Elle n’avait jamais osé parler de cet incident à Aurore, elle n’avait pas voulu lui faire de peine. La difficulté pour Myhrru, c’était de cerner cet homme qui semblait faire tous les efforts du monde pour maîtriser son tempérament de feu qui brillait toujours dans ses prunelles bleu nuit. Elle avait besoin qu’il soit loyal, car il était son meilleur élément, elle n’avait aucun intérêt à s’en faire un ennemi, mais elle avait des doutes sur ses intentions.
- Je crois qu’ils arrivent, déclara soudain Eamon. La foule semble s’agiter dehors.
Myhrru et Adelle se levèrent et se dirigèrent vers la porte-fenêtre. En effet, elles aperçurent des cavaliers pénétrer dans l’enceinte sous les cris de joie de la foule qui trépignait depuis des heures. Myhrru analysa rapidement la situation, la force de l’habitude. Il y avait trois convois. Elle repéra des étendards bleus, marrons et mauves. L’Eau, la Terre, et le Vent. Elle se tourna vers Adelle :
- Et l’Ombre et le Feu ? Où sont-ils ?
La princesse esquissa un sourire gêné.
Je ne sais pas.
J'ai beaucoup aimé ce chapitre même si je me suis senti un peu noyée par toutes les informations données. J'imagine que j'aurai l'occasion dans les prochains chapitres de me familiariser avec tout tes personnages. La scène du combat était très bien décrite et j'ai particulièrement apprécié cette partie.
A bientôt
Merci pour ton commentaire, à bientôt !!
Très bon chapitre, surtout la deuxième moitié.
J'ai adoré ta description du combat, c'était super.
Comme la dernière fois, j'ai trouvé qu'il y avait beaucoup d'info qui n'étaient pas de suite utiles. Honnêtement, ce sont des choses qu'on oublie quand il y en a trop donc attention à la mise en place de ton univers. L'info-dumping c'est lourd à lire.
Je lirai la suite dans la semaine ^^
À bientôt !
Concernant l'info dumping, je ne connaissais pas ce concept, donc je te remercie pour cette nouvelle connaissance, je vais tâcher de reprendre mes chapitres afin de délayer ça un peu mieux ! A bientôt
Je file lire le chapitre suivant ;)