Chapitre 0

Le goût de fer dans ma bouche ne veut pas s’en aller. Pourtant, je suis inconscient et j’arrive à le sentir. Quelques heures plus tôt, j’avais froid, mon corps inerte étendu en bas des escaliers de la maison. Mais là, je me sens au chaud. Comme sur un nuage. C’est doux, moelleux. Mais ça sent le stérile. Le propre. L’odeur m’irrite les narines. Je ne la connais que trop bien. L’hôpital, je l’ai trop connu ces dernières années. Pourtant, je préfère y atterrir que d’atterrir dans le néant de la mort. Mon instinct de survie qui parle, probablement. Au fond de moi, j’aimerais que tout s’arrête. Mais non…

Je me souviens d’avoir entendu la voix de ma tante dire « il est tombé dans les escaliers, lentement, la tête la première ». Je l’ai entendu prononcer ces mots si souvent que je n’y avais même pas fait attention. J’étais fatigué, à ce moment-là. Ma tête me faisait mal. Elle me fait encore souffrir actuellement. Mais je suis au chaud. Je suis en vie. Dans un corps endolori, certes, mais je suis en vie.

Alors que je m’étais réveillé, le médecin était venu me voir. J’étais sous morphine pour apaiser ma douleur physique. Mais elle apaisait également la douleur psychologique. Je le connaissais bien, ce médecin. Et lui aussi, il me connaissait bien. En premier, il avait regardé ses feuilles en prenant des notes dessus. Puis ensuite, il a commencé à me poser tout un tas de questions. Il a pris l’habitude de me poser des questions dont la réponse serait oui ou non. Ma voix, il ne l’avait jamais entendue. Je refusais catégoriquement d’émettre le moindre son et il l’avait bien compris. Cette fois ci, il l’avait également accepté, mais il m’avait réprimandé d’un simple regard désolé. Il savait. Il s’en doutait. Mais moi, je n’étais pas capable de l’avouer.

Je me suis ensuite rendormi et pendant deux jours, on m’a laissé tranquille. Je suis tellement bien dans mon sommeil que je n’ai même pas remarqué qu’on m’a emmené un colocataire. Je bouge pour me placer de l’autre côté quand j’entends un bruit qui me réveille un peu mieux. Il me semble avoir gémi, et ainsi, je rougis davantage. Quelqu’un est présent dans cette chambre et je suis même certain que ce quelqu’un m’a observé. Il a même dû entendre ma voix… Pour autant, il semble s’être endormi maintenant. Alors je me retourne pour regarder vers lui. Sa silhouette est dessinée sur le rideau et je soupire de soulagement de le voir endormi. Bon, je ne suis plus seul, il va falloir que je fasse doublement attention.