Chapitre 0- Déluge, prélude

                 — Achédan aussi a commencé son poil d’hiver.

 — Les bêtes sentent que l’été touche à sa fin. Le Veneur Black ne devrait pas tarder à croiser la région !

 — Cela fera toujours pousser les citrouilles.

Arka flatta l’encolure moelleuse de son cheval, envoyant voler quantité de poils morts. Il était vrai que les températures avaient fraichies dernièrement et que les maïs ne tarderaient pas à arriver à maturité. Ils n’attendaient plus que le passage du Veneur de Nuit, Black, de son nom, comme signal pour parer d’or leurs poupées. Avec lui l’automne ferait son grand retour.

 — S’il n’y avait que cela, maugréa la vieille en redonnant un coup de balais à la poussière devant sa porte, il pourrait aussi bien se les garder, ses citrouilles ! Toutes les citrouilles du monde contre un été interminable, moi que j’donne !

La voyageuse haussa les épaules d’un air amusé : peu lui importait. Chaque saison avait son lot d’inconvénients et d’avantages. L’automne était certes plus frileux, mais les paysages se paraient de teintes incomparables. Il devenait facile de trouver à manger en chemin : pommes, mûres, maïs, courges, châtaignes, … Une aubaine pour les vagabonds comme elle ! Mais la vieille n’était pas de cet avis. Elle, le vent froid et l’humidité, ça lui faisait grincer les articulations et pendre la goutte au nez !

 — Et bien ma foi, il ne me reste plus qu’à rejoindre Adventure avant que les arbres ne soient nus ! finit par décréter Arka en sautant en selle.

Après avoir vérifié une dernière fois que sa sangle était bien serrée et refermé deux boutons de son manteau, elle fit pivoter son compagnon de route.

 — Si je croise le Veneur de Nuit en chemin, je lui dirais de faire un détour par le nord avant de passer ici ! Sait-on jamais, peut-être qu’il acceptera.

— Ce serait bien aimable à toi, enfant. Allez, dans l’sens du corneille et bon vent d’Saint-Myrth !

Arka approuva de la tête et talonna Achédan pour le faire partir au petit trot, peu fâchée de quitter le village. Le vieil Arabelle avait eu raison de l’envoyer ici, mais depuis qu’elle avait entendu parler de cette fameuse Merry elle n’avait plus songé qu’à partir pour Adventure. Et pourtant, cette histoire de licorne continuait de lui trotter dans la tête.

Peu de temps après avoir quitté Saint-Myrth, la pluie vint à leur rencontre. Arka la vit arriver, face à elle, mouillant le chemin au fur et à mesure que le vent poussait les nuages et déplaçait l’averse. Pas de chance ; un vent de face. Achédan n’allait pas apprécier de se prendre la saucée en pleine tête. Depuis le temps qu’ils voyageaient ensemble, elle commençait à le connaître, son canasson ! Depuis le temps… Cela devait faire un moment maintenant, qu’elle sillonnait la Lande, à la recherche d’indices, de contacts, d’espoir de retrouver le disparu. Et pourtant, il lui semblait ne pas être plus avancée qu’au premier jour ! Toujours aucune piste sérieuse, des indicateurs fantômes, des menteurs, des ignorants. Rien de bien solide, rien que des problèmes accumulés. Que du vent.

Une bourrasque puissante lui balaya le visage et d’un soupir, elle décida d’envoyer au diable-vaut-vert ses idées sombres.

Arka décrocha son parapluie flamant rose dont la poignée était sculptée en forme de tête d’oiseau et la toile teinte en rose bonbon et l’ouvrit. Comme toujours, il était à la bonne taille, couvrant tout ce qu’on lui demandait de couvrir, soit la tête des deux voyageurs. La pluie s’abattit dessus, d’abord à coups de petites gouttes éparses, puis à gros bouillon. Un quart d’heure plus tard, ce fut cette fois un cavalier qu’ils rencontrèrent, son grand manteau gris volant derrière lui, un large chapeau sombre sur la tête et une corneille sur l’épaule. Le plus reconnaissable était son cheval de cendre sombre, tous crins en flamme et galopant à vive allure. Accrochés à la selle, des sacs percés répandaient potimarrons et patissons sur les bords de route. Sans prendre la peine de ralentir en croisant Arka, il porta simplement une main à son chapeau en guise de bonjour.

Une fois doublée, la jeune fille ne put s’empêcher de sourire. Sourire à la pluie, sourire au chemin de terre bordé de champs et de bois, et maintenant, de cucurbitacées en tout genre. Sourire à la Lande toute entière, et sourire à l’automne qui venait d’arriver au grand galop. Elle n’avait même pas eu le temps de tenir sa promesse à la vieille : celle-ci serait bien déçus de voir les feuilles se parer d’or. Elle fit passer son cheval au pas pour mieux pouvoir chanter.

— Je suis venu un soir d’automne, A la chaumière du bois qui bouge, Je suis venu pour annoncer, Que l’été était terminé !

Au loin déjà l’horizon rouge, S’animait de cendres au vent, Cendres gris, cendres blancs, Cendres de l’année passée, Cendres de l’automne annoncé, héhé hé !

Je suis le Veneur de Nuit ! Je suis le Veneur de Nuit ! …