Chapitre 08. éternité et Éphémère.
Section 1 :
“Rouge et pourpre dansent,
au cratère brûlant du sol —
le Temps se suspend”
Le Temps passait, comme un vieil ami discret qui ne dit Jamais où il va.
L'Hiver, tout vêtu de givre, s’était retiré dans son silence, non sans grommeler.
Et le Printemps bondissait déjà comme un enfant dans un champ trop grand pour lui.
Une femme aussi, jeune et fougueuse, était enjouée ce matin-Là.
Elle portait encore sa blouse, constellée de taches et d'ombres de nuits blanches.
Et ses lunettes dépareillées qui faisaient fuir les miroirs.
Ses cernes étaient si sombres que même les corbeaux détournaient le regard... par politesse.
Mais elle souriait.
car un sourire, même petit, est plus fort que toutes les nuits.
Elle avait passé les derniers jours enfermée dans sa cabane,
planchant sur son prochain cours pour son disciple, ce garçon aussi sage qu'une image…
Mais une image un peu jaunie,
qu'on aimerait voir parler juste pour être sûr qu'il est encore vivant.
Qu'importe, pensa-t-elle.
Elle allait faire son cours, qu'il réponde ou pas.
Elle commença ainsi avec une question et un sourire en coin.
— Bonjour Jack, tu connais la Hanabi ?
Bonjour professeure, c'est quoi une hanabi ?
— C’est une fleur rarissime,
elle ne pousse que dans les endroits où tout brûle et tout fond. Là où les pas des hommes s’arrêtent, elle naît.
C'est une plante dangereuse ?
— Très. Et chère, surtout. L’argent ne l’achète pas. Elle se nourrit de soufre et de secrets toxiques, et ne fleurit que quelques jours avant de disparaître, comme un sourire qu’on ne peut retenir.
Elle lâcha un soupir.
Léger.
comme un souffle du Vent.
— Des milliers d’aventuriers ont laissé leur souffle derrière elle.
Puis...
Elle fit tournoyer ses mains comme un magicien, suspendue dans un silence dramatique.
— Alors dis-moi… pourquoi, selon toi, braver les flammes et la mort pour cette plante ?
Parce qu’elle pourrait sauver quelqu’un ?
— HA ! Mauvaise réponse ! Elle peut tuer en quelques minutes, et même rester près d’elle sans armure est une promesse de poison.
l'épouvantail plissa ce qu’il avait à la place des yeux. Il ne comprenait pas.
Si cette plante est si terrible, pourquoi y toucher ? Pourquoi s’exposer au vide, alors qu’elle ne sauve personne ?
Lys s’inclina.
comme pour révéler un secret ancien, un éclat dans le regard.
— Parce qu’elle est belle. Rien de plus. Et parfois, cher disciple… rien de plus suffit à rendre fou.
je ne comprends pas. Pourquoi risquer sa vie simplement pour quelque chose de beau ? Pourquoi la gâcher ? C'est idiot.
— C'est idiot, je te l'accorde, mais c'est humain. On n'est pas à la recherche du juste ou de la raison.
Elle s'arrêta un instant.
Puis continua.
— Mais du beau et de l'extase, c'est pas pour rien que de tout temps, on met des bijoux qui, en fait, ne servent à rien.
Elle haussa la voix.
comme une déclaration de lucidité.
— Jade, saphir, diamant ? Des simples décorations. Fortunes et vies entières dépensées pour un tas de caillasse. Pourtant, on le fait quand même, malgré cette absurdité. C'est aussi beau…
Elle soupira.
Le regard nostalgique.
— Que tragique.
Un silence…
Ça va, professeure ?
Lys se reprit.
Ne voulant pas inquiéter son disciple.
— Ça va, continuons le cours.
Puis elle redressa le menton.
Et un sourire carnassier fendit son visage.
— Fufufu… Cher disciple, aujourd'hui, prépare-toi à contempler la preuve irréfutable de mon génie !
Elle déposa une sacoche sur la table devant elle — TOUM.
— J'ai enfin réussi… après des nuits blanches… la faim… la soif…
Elle leva un doigt tremblant.
Ses yeux brillèrent d'un éclat de survivante.
— Et la panne d'encre la plus longue de ma vie.
Une larme perla de sa joue,
qu'elle essuya d'un air digne.
— Mais… J'ai vaincu !
Puis elle renifla bruyamment — Sniiiirfff !
Lys sortit un rouleau de parchemin de sa sacoche, qu'elle posa contre la table — TOUM.
— Admire mon chef-d'œuvre !
Elle le déroula.
Et le Monde sembla retenir son souffle.
Des lignes horizontales, verticales, des spirales bancales, un triangle qui avait honte d'être là, et — au centre — un carré avec un nombril.
Pour un profane, un gribouillis d'enfant.
Pour un initié, un trésor, et l'épouvantail, après maints cours, maintes réflexions…
et surtout accidents, était le seul à même de comprendre sa signification.
Qu'est-ce que c'est, Professeure ?
Hélas, une fois encore, son génie ne rencontra que le regard vide d'un épouvantail…
Et le mur de l'incompréhension.
Elle soupira.
Surprise par le silence de celui auquel elle avait fondée ses espoirs.
— T'as pas d'âme, Jack.
Mais elle ne se laissa pas abattre,
et entreprit de bien décrocher la mâchoire à ce disciple de paille.
Peut-être que la surprise le fera bouger, qui sait ?
En tout cas, le sourire en coin de la Fleur suggérait cette attente.
— Cher disciple, prépare toi à assister au spectacle le plus beau de toute ta vie !
Lys reposa le parchemin sur la table.
Sortit plusieurs pierres chatoyantes.
Et les mit sur chaque nombril, ou plutôt cercles sur les inscriptions.
Un Silence solennel s'installa...
Et la Fleur récita un chant dans une langue oubliée.
Elle posa d'abord un Lapis-Lazuli au Nord.
O Caelum, vastum atque indomitum, qui Libertatem portas,
animas nostras supra vincula tolle.
Chaque mot, semblable au tintement d'une cloche d'or, faisait résonner le Vent.
Les oiseaux s'envolèrent.
Des plumes blanches et noires, par milliers répondirent comme en appel.
Et dans une danse presque hypnotique, formaient un large cercle dans le Ciel.
Puis la Fleur posa un Jaspe rouge à l'Ouest.
O Terra, matrix patiens, quae Patientiam doces,
gressus nostros contra oblivionem atque ruinam firma.
L'atmosphère devint plus lourde.
L'Air lui-même semblait S U F F O Q U E R.
Et chaque parole faisait vibrer la Terre de plus en plus fort.
Puis la Fleur déposa une Aigue-marine au Sud.
O Mare, nutrix mobilis, quae Vitam generas,
in nobis fontem inexhaustum effunde.
Le Ciel s'obscurcit.
Des grondements sourds, et des fracas la traversaient de part en part.
Et les Nuages, dans une tristesse intarissable.
Pleuraient chaque goutte de leur corps, déversant un torrent de larmes.
Et enfin, avec une hésitation à peine perceptible.
La Fleur posa un morceau d'Ambre à l'Est.
O Sol, flamma aeterna, qui Veritatem revelas,
umbrae combure, vultus nostros illustra.
Le parchemin, presque en apesanteur.
Lente — ment.
S'envola jusqu'à plusieurs mètres du sol.
Un rayon de lumière troua les nuages.
Venant illuminer le parchemin,
tandis que la Pluie battait son plein.
La sueur perlait des joues de Lys.
Visiblement à bout de souffle...
Pourtant, ce n'était pas encore fini.
Alors, elle prit sur elle sa douleur.
Et sortit un bocal en verre,
dedans, une poudre rouge. Sur l'étiquette presque effacée, une inscription :
Fleur de feu.
Lys balança de toutes ses forces le récipient.
Qui s'éclata au contact du parchemin — SHHKK...
La poudre rouge se répandait.
Lente — ment.
Venant recouvrir le parchemin dans un halo pourpre et cramoisi.
Puis, puisant dans une réserve de force qu'elle-même ignorait.
La Fleur récita la dernière partie de son chant.
Vobis quattuor voces nostras offerimus.
Vobis quattuor sacramentum damus.
Une perle rouge tomba du nez de Lys.
Son crâne, assailli par une violente migraine, troubla sa vue.
Ses bras étaient aussi lourds que du plomb.
Et ses jambes, tremblantes comme des brindilles sous une tempête... menaçaient de lâcher.
Mais qu'importe, elle ne devait pas flancher devant son disciple.
Alors, puisant dans les dernières gouttes de ses forces.
Elle continua —
Exaudite votum nostrum.
Le parchemin s’embrasa — Fsshh... crk... ssshhh...
Et de ses cendres ne subsista qu’une lumière ascendante.
Elle flottait, fragile, aérienne.
comme si le souffle même du Monde retenait sa respiration.
L’épouvantail resta figé.
Puis, lente — ment.
Le Vent lui fit pencher la tête.
…Tout ça, pour une mèche qui vacille ?
Un silence pesant s’installa.
Presque vexant.
Mais Lys, narquoise, leva le menton.
— Ne sois pas déçu trop vite. Ce n’est que le commencement.
Alors la flamme, s'étirant... s'é— ti — rant,
re
de
scen
dit.
Elle perça le sol.
S’y planta comme une graine.
Et, dans ce théâtre improvisé.
Une fleur éclot.
Petite. Magnifique.
Ses pétales vibraient d’un pourpre aux reflets d’azur, hypnotiques, comme un rêve qui refuse de mourir…
Mais bien qu'elle était jolie, cela ne valait pas une vie.
Du moins, c'était la pensée de l'épouvantail.
Lys dit alors, la voix basse.
comme si chaque mot portait l’écho d’un ancien serment.
— On raconte l’histoire d’un brigand, condamné par une maladie incurable.
La fleur grandit.
Poussée par le Vent, ses racines s’enfonçant dans la terre comme des serres ardentes — Flhhh... TCHAAK... Ffrrt...
— Il consulta les plus grands médecins des contrées, mais tous furent unanimes : il ne lui restait que quelques mois.
L’arbuste devint arbre.
Ses branches, pareilles à des veines de feu, se déployaient vers le Ciel — Fhhhhh... Vrrrhh...
comme si le Pourpre voulait atteindre l'Azur.
— Alors, désespéré, il errait dans la forêt, attendant sa fin… Quand soudain, il contempla un spectacle d’une beauté inouïe : des cerisiers en fleur.
L’arbre entra en floraison — Fzzhh...
Ses pétales jaillirent comme des étincelles vivantes — Prrtch... braises rouges, éclats pourpres, lueurs d’azur — Shhhhhh...
Ils s’élevèrent dans l’air.
Portés par le Vent, c’était une liturgie muette, un chant sans voix que la Nature seule savait prononcer.
— Et quand il revint voir les médecins, tous furent unanimes : il était guéri. Un miracle.
Lys se tourna un instant vers son disciple.
Le regard attendrit.
— Fascinant comme fable, non ?
l’épouvantail n’en revenait pas.
S’il eût une bouche,
elle se serait ouverte d’émerveillement.
S’il eût des yeux,
ils auraient débordés de larmes.
S’il eût une voix,
il aurait pleuré d’admiration.
Lys, elle, contemplait la floraison.
sus
pen
due
à l’instant.
Elle retint ses larmes — quelques secondes — puis
cé
da.
submergée.
Et éclata en sanglots.
— Devant le sublime… un miracle peut naître. Peut-être que cette fois, un miracle se produira. Qui sait ? Ce serait beau, hein ?
Un instant.
Un long — instant.
Puis…
Oui, ce serait magnifique, Professeure. pensa l’épouvantail.
— C’est chaleureux, vraiment… souffla Lys, d'une voix tremblante.
… jusqu'à ce qu'elle remarque que son disciple.
...commençait à brûler.
Évidemment.
— HA MAIS NON ! Pas toi !
Une brindille s’embrasa — PFFFF…
Puis une autre. Puis une autre encore.
comme si l’épouvantail, stoïque, applaudissait en silence à coups d’étincelles.
— MAIS C’EST PAS LE MOMENT D’ÊTRE POÉTIQUE !
Soudain, l'épouvantail prit feu comme une torche olympique.
dressé fièrement, crépitant dans le vent, l'air de déclarer au Monde :
VOYEZ ! JE SUIS LA FLAMME ÉTERNELLE !
Les étincelles jaillirent en gerbes héroïques — Pfffhhh... ssschhh...
Dessinant des cercles dans l'air comme un feu d'artifice au ralenti — Prtchh...
— MAIS J'AVAIS DEMANDÉ UN MIRACLE, PAS UN BARBECUE !
La Fleur se jeta sur lui.
Battant frénétiquement des mains pour l'éteindre.
Chaque claquement produisait un POMF ridicule.
Elle trébucha.
Glissa sur la poudre rouge.
Rebondit sur la table.
Manqua de s'assommer avec un bocal vide.
Et finit en roulade, coincée sous un épouvantail en flammes.
Un instant de chaos pur.
des plumes de pailles volaient partout,
une odeur de kebab dans l'air.
Et un corbeau, témoin médusé, lâcha un craaak perplexe.
Puis, un miracle, encore un.
Les flammes s'éteignirent.
Le Silence
Re
tom
ba.
l’épouvantail fumait légèrement,
auréolé d’une odeur de toast oublié.
Lys, échevelée, essoufflée.
Leva les yeux au ciel.
— Sublime, qu’elle disait.
Section 2 :
"Sous luth et Soleil,
Une Flamme danse au grand vent —
Un Souffle l'éteint.”
Le Printemps tenta une dernière bourrasque : un parfum de fleurs, un éclat d’herbe tendre.
Mais l’Été leva la tête.
Et soudain, le ciel prit une teinte dorée, vibrante.
comme si mille cigales avaient tissé leur chant d’un seul souffle.
Le vent se fit chaud, les arbres bruissèrent de plénitude.
Et les collines scintillèrent d’un vert profond.
Alors le Printemps s’inclina.
Capricieux mais vaincu.
Et disparut en riant,
comme un enfant espiègle qui file se cacher derrière la porte.
Sous le soleil tiède, la poussière flottait en paillettes d’or.
Et le luth vibrait comme si la colline entière retenait son souffle.
Les cordes frémissaient — Plinn...
une
à
une.
Et la mélodie se répandait dans l’air comme une odeur de pain chaud — Tlinn...
Lys jouait.
Les yeux brillants.
Ses doigts courant avec souplesse.
Et ses pas dessinaient un cercle léger dans l’herbe écrasée — Frotch...
Chaque mouvement déclenchait un rire muet du vent — Fshhh... qui gonflait ses cheveux.
Et portait la chanson jusqu’aux nuages.
« We had one million bales of the best Sligo rags. We had two million barrels of stones…»
Et l’épouvantail, un peu raide, se mit lui aussi à bouger — Crch...
Pas vraiment pour danser,
mais comme si le vent le tirait, maladroit, vers elle.
comme un enfant avec un jouet.
Alors le Ciel, les oiseaux et même la Terre semblaient se laisser entraîner dans la danse.
Et la voix de la Fleur, douce et claire,
s’unissait à eux comme une brise se glisse entre les branches d’un arbre.
Son corps se balançait.
Un pas à gauche — Tap… un pas à droite — Tap… et un pas en avant — Swishh…
Chaque geste faisait bruisser l’air autour d’elle — Schrrt...
comme si l’espace tout entier se réjouissait de sa danse.
Puis un saut.
Et un autre.
On aurait dit une flamme prise au Vent,
une danse improvisée, sans règles ni mesures.
Son ombre s’allongea sur le sol, fidèle et timide.
comme un compagnon qui hésite à entrer dans le jeu.
Et l’instant avait la pureté fragile d’un rêve...
que l’on n’ose interrompre.
Son sourire guidait ses pas, simple et lumineux.
comme le soleil qui traverse la fenêtre d’une chambre vide.
«They all knew at a glance when he took up his stance.
And he sailed in the Irish Rover.»
l'épouvantail aussi, dansait.
tiré d'un côté.
Puis de l'autre.
Porté par le Vent, presque en rythme avec la musique.
«We had sailed seven years when the measles broke out.
And the ship lost its way in a fog.»
La musique ralentit… tit…
Peu… à… peu…
Le Ciel au-dessus de Lys se chargea de gris.
Doucement, comme un nuage qui avance sur les collines sans bruit.
Ses yeux se levèrent vers lui.
Et le vent sembla retenir son souffle.
«Then the ship struck a rock, oh Lord what a shock.
The bulkhead was turned right over.»
Elle ferma les yeux.
Prit une grande respiration.
comme pour retenir le Monde qui s'effondre…
...ou pour ne pas suffoquer.
«Turned nine times around, and the poor dog was drowned.»
Et autour, tout était
sus
pen
du —
la colline, les arbres, la poussière dorée flottant dans l’air...
attendant que la flamme de son courage reprenne sa danse.
«I'm the last of the Irish Rover.»
Puis, au détour d’une note.
Lys toussa — Kof…
Une toux sèche, brève, qu’elle balaya d’un geste comme on chasse une mouche importune.
Mais déjà, derrière les collines, des nuages lourds s’amoncelaient...
Le Ciel semblait retenir sa respiration.
Et dans le silence, on sentait la menace muette glisser sur les herbes et les arbres.
Puis la pluie arriva.
D’abord timide, puis tenace.
Elle lavait les couleurs, noircissait les sentiers, alourdissait chaque feuille, chaque pierre...
Le luth resta muet.
La danse s’était éteinte.
Et, sous ce ciel détrempé.
la paille sentait que quelque chose, en la Fleur, se dérobait.
Lente — ment.
Section 03 :
"Carnet dans les mains,
Le Souffle file en silence —
La Racine ment."
L’Été s’effaça doucement.
Et l’Automne apparut, fragile, ses pas feutrés dessinant des cercles de brume sur la terre.
Sa cape légère caressait l’air.
Et de ses plis s’échappaient des frissons de rouille...
qui se posaient sur les collines endormies.
Le soleil, fa — ti — gué, se lovait contre l’horizon.
Ses rayons effilochés flottant comme des fils d’or arrachés.
Et les fleurs.
L’une... après... l’autre...
Fermaient leurs paupières.
Laissant choir les pétales du jour comme des larmes offertes au vent.
Lys tourna les pages de son journal.
Le geste était léger, presque imperceptible.
comme si la flamme d’une bougie se couchait sur elle-même pour s’éteindre.
Quelque chose avait changé.
je le sentais dans le Silence qui s’étirait autour d’elle.
Dans l’air tiède chargé d’une odeur de Terre humide.
Son regard était une aquarelle sous la pluie.
Les yeux mi-clos.
Elle errait doucement dans ce qui restait du Jour.
je ne dis rien.
je n’avais rien à dire.
Le Monde s’était réduit à ce souffle, à ce geste.
Et tout le reste semblait suspendu, fragile.
Entre ses mains, ce journal.
Fermer.
Elle le tenait comme une corde de secours.
Pourtant...
À peine quelques lignes griffonnées.
Là où, autrefois, des mots germaient en forêts.
Il ne restait plus qu'un champ stérile —
Griffé de silence.
Un Silence...
Trop bruyant.
Est-ce que ça va ? Tenta l'épouvantail, inquiet.
Mais les Mots moururent avant même d'éclore.
Sa voix était un mirage, et sa bouche —
une Tombe scellée.
Lys s’allongea doucement dans le lit des champs, un peu crissante — Crffhh...
— Tu sais… parfois, je me demande ce que je laisserais derrière moi. Une trace. Une empreinte...
Les herbes, un peu rêches, râpèrent sa peau sans bruit — Tchrrrr...
des froissements, presque en plainte.
— C’est pour ça que j’écris. Mais il me manque encore quelque chose — mais quoi ? Je le cherche, mais je n'arrive même pas à en trouver la forme.
Le Vent, inquiet, se blottit contre elle, comme pour la rassurer — Wuuuuh...
moi ?
je la regardais, l'air ailleurs.
Son souffle flottait.
comme un souvenir d'enfance qu'on ne saurait plus dater.
Tu sais, Lys… parfois, il suffit d'un peu de fantaisie. Un épouvantail qui marche, un peu de vent, deux étoiles — qui sait ? Parfois, c'est tout ce qu'il faut.
Le paysage devant elle semblait sans fin.
Le Ciel, tendre et immense, embrassait le Monde dans une Lumière qui dansait sur les feuilles.
Et Lys le contemplait comme on saigne — doucement, sans bruit... mais profondément.
Ils restèrent Là.
Un instant.
Une éternité.
Baignés dans l’or fatigué d'un crépuscule qui,
lente — ment...
s'endort.
Puis, Lys... se leva.
Le carnet serré contre elle.
Le regard perdu —
Loin derrière l'horizon.
Elle... marcha.
Vers sa cabane — Tchouk... chaque pas arrachait un peu d'elle — Tchouk...
comme si la Terre exigeait un tribut à chaque foulée.
Ses doigts se crispèrent sur le cuir du carnet — Crhh... comme si, s'y cramponner pouvait suffire à la retenir.
Un flottement.
Un rien...
...ou presque.
Un battement de cils, fragile — Plii...
comme une luciole enfermée dans un songe qui s'oublie.
Une lueur égarée dans le regard — tlim…
un souffle pris de travers…
…son pied accrocha une racine imaginaire.
Elle vacilla.
Son genou mordit la poussière. KRA. BLAM.
Elle voulut se redresser...
Mais un bourdonnement — Vzzzzhhh…
lui fit vriller le crâne.
Sa main glissa contre sa tempe —
pour tenter de calmer un feu invisible.
Le silence…
Un instant de répit.
Non.
Un deuxième choc, cette fois, un sifflement — Piiiiiiiih… lui perça les tympans.
Un rictus dé... dé... forma son visage.
Une toux lui dé/chira la gorge — KRRRKH !
Sèche. Rageuse. Vengeresse.
Une perle
T
O
M
B
A
Plok...
Rouge.
Un nectar amer.
S'égouttant.
Lente — ment.
Dans la poussière — Flcht… flcht...
Ses mains, tremblantes, se fanèrent.
Une chaleur poisseuse l'envahit, son souffle se dévidait, comme une corde de soie trop tendue, prête à se
rom/pre.
Genoux à terre.
Le goût du fer dans la bouche.
La vision de la Fleur se tr... ou... bla.
Les formes s'effa c è r e n t
peu... à... peu…
Et puis — les couleurs aussi.
Elle tenta de se redresser.
Une seconde.
Une é... ter... ni... té...
Puis
s’ef
fon
dra
— Hhh…
TOUM !
To be continued...