Chapitre 07. La beauté des choses simples
Section 01 :
"Ciel sans lune,
des lucioles aux Silences —
prêtent leurs lumières."
Un Ciel sans voix, ni voile, ni habit — mais encore tendu de Lumière obstinée, et d’un Silence qu'aucune étoile n'ose percer... certaines clignotent, d’autres tombent, mais toutes brillent. Encore.
— Voilà qui est rare…
Presque enfantine, les bras ballants, adossée à l'herbe du soir.
Lys, leva les yeux, regardant le Monde comme on écoute une berceuse que seul le Silence peut chanter.
— Un ciel aussi vide. Et pourtant… tu vois ? On dirait des lucioles. Des milliers.
Chaque détail devenait un poème… celui qu'on n'ose pas lire à voix haute ; mais qu'on contemple comme des fées sans chants.
— Qui dansents… sans jamais se fatiguer.
Elle regardait si long — temps que le Monde… finit par lui répondre.
Là, planté dans la Terre, l’autre ne dit rien.
Mais à sa façon, il regarde aussi. il voit, comme elle, les éclats suspendus dans la nuit.
Et dans un recoin de son cœur sec, il croit entendre une musique. Une fête, peut-être.
Des âmes… en train de rire, dit-il enfin.
il aurait aimé lever les bras, juste pour en attraper une.
Une seule.
Peut-être qu’elle aurait tenu entre ses doigts rêches — peut-être pas.
Elle le regarda, un éclat au bord des cils, comme si elle buvait la lumière...
goutte
à
goutte.
— Tu sais…
Elle se blottit contre lui, comme un chat fatigué cherchant la chaleur d'un vieux tronc.
— J’aimerais être comme elles...
Un soupir s'échappa — Haaaah.... léger comme un pétale.
Le Vent aurait pu la confondre avec l'un des siens — si ce n'était pas si
lourd.
— Même mortes… leurs lumières survit.
Elle serra ses genoux contre elle, et ses yeux effleuraient les contours du Monde... comme le Vent effleure les herbes hautes.
— C’est ça que je veux. Que ma lumière reste accrochée à quelqu'un. Qu'une étoile tardive me survive…
Et lui, qui n'était qu'un corps de paille, sentit sa propre vacuité se creusée davantage.
Qu'avait-il, lui, à laisser derrière ?
Un Silence.
...
Puis un autre...
Plus dense encore.
Puis elle leva les yeux vers lui, ses paupières battant comme deux ailes fatiguées.
— Tu sais… parfois, j’ai l’impression qu’on n’est que des lucioles. Ça brille, un instant, puis ça disparaît.
Elle fit mine d’attraper une étoile entre ses doigts, comme une enfant joue avec une poussière de lumière.
— Moi, je voudrais qu’on se souvienne de ma lumière. Qu’on dise : “elle a existé, elle était là.”
L’épouvantail baissa la tête.
Son silence avait le Poids d’une pierre jetée dans un puits. Une pensée, simple, murmurée par le Vent.
moi… j’aimerais juste marcher.
l'épouvantail s'y vit déjà, trébuchant dans les champs, courant partout avec ses jambes raides et ses gestes maladroits.
Traverser le blé. Sentir l’herbe… qui chatouille.
il n’aurait pas été très rapide. Ni très utile. Mais il aurait marché.
C’est tout.
Elle rit. Pas un rire fort — un petit éclat de verre qui tinte.
— Toi, courir ? Tu te casserais les jambes au bout de trois pas.
Elle posa son front contre son torse creux. Le bruit résonna — TOUM… comme un tambour.
— Eh bien… moi, j’ai marché partout. Sur des sables brûlants, sur des glaces qui chantent, dans des forêts qui sentent le miel…
Ses doigts comptaient, un par un, comme si elle récitait une comptine.
— Et j’ai même vu… une ville sous l’eau. Des maisons de bulles. Des fenêtres de corail.
L’épouvantail resta muet, puis éclata d’un rire rêche, un souffle de feuilles sèches…
Soufflé par le Vent.
une ville sous l’eau… tu m’imagines là-dedans ? Je me serais transformé en tas de paille détrempée.
Elle éclata à son tour, ses épaules tremblant contre lui.
Et l’espace d’un instant… la nuit sembla un peu moins lourde.
Lys regardait l’horizon.
Peu à peu, le paysage se délitait.
Il n’était plus de la terre ni du ciel, mais un souffle, un murmure qu’elle respirait.
Les étoiles glissaient, lentes,
une
à
une.
Perles fanées sur le fil du temps.
Et elle murmura, presque pour elle-même :
— Parmi tous ces lieux… c’est ici que je me sens chez moi.
Elle ne regarda pas l’épouvantail. Les yeux ne servaient à rien pour sentir quelqu’un.
— Peut-être parce que… enfin, j’ai trouvé un écho à mes mots.
Un frisson traversa l’air — Chhrrr…
Pas de Vent, juste cette phrase, comme une couverture déposée sur ses épaules gelées.
— Quelqu’un qui reste.
l'épouvantail aurait voulu répondre. Hurler peut-être, danser même.
Mais il fit ce qu’il savait faire, ce qu’il était né pour faire.
Être Là.
je suis Là. Même sans voix. Même sans geste.
Et après un battement d'aile de Silence.
je suis Là, bercé par ta voix.
Elle posa sa tête contre lui.
Une chaleur, douce, légère, l'enveloppa comme une couverture faite de soie.
— Tant que tu m’écoutes…
il resta figé.
Mais en lui, une graine s'était mise à trembler, comme une étoile qui s’allume.
Une étoile tombe.
Une autre.
Et il resta Là.
Plus que jamais.
Section 02 :
"Elle tient mon bras,
comme on tient une promesse —
la Pluie s'est tue."
Chaque jour, Lys me livrait ses pensées. Aujourd'hui, c'était une histoire de plante… et d'idiots, surtout.
— Hé, t'en dis quoi ? On est bien d'accord qu'une myrtille et une belladone, c'est deux trucs différents. Mais pourtant, il y a des idiots, on dirait qu'ils le font exprès !
Elle remuait, telle une idée qu'on n'arrive pas à saisir.
Ses gestes, soudains, tordus, engourdis.
Pourtant, gracieuse dans sa maladresse, comme une flamme prise au Vent.
Si vive.
Elle agitait les bras, tournait sur elle-même, les yeux pétillants.
Parfois, elle s’arrêtait net, me fixant comme si j'étais la réponse à une question qu'elle n'osait pas poser.
Lys s'avança vers moi.
Les yeux remplis de curiosité, et prit mon bras pour m'inviter à danser.
— Jack… si seulement tu pouvais bouger, et même parler. J'aurais enfin quelqu'un pour me tenir compagnie.
Elle balança mon bras à gauche, puis à droite, tout en souriant.
De haut, puis en bas, un matin entier venait de naître dans son regard.
Puis, dans un geste brusque, mal contrôlé.
Elle tira trop fort.
Un son net. Un craquement sec — Crack !
La danse s'interrompit.
Le Silence fit un pas de côté.
Et mon bras
T
O
M
B
A,
comme un adieu que même le Vent n'a pas osé retenir.
— Oh merde ! Ton bras ! Je… j't'ai pas fait mal ? Enfin… Tu peux pas avoir mal, si ? Attends, bouge pas. Évidemment que tu peux pas... t'es cloué là. Tss... Reste là, j'reviens vite !
T'inquiète pas, je reste Là.
Elle courut vers sa cabane, ses bottes battaient la glaise — Frotch — frotch — dans une course sans élan.
Et ses cheveux flottaient comme un Nuage en fuite, rattrapés par la main du Ciel.
Lys entra dans sa maison comme une guerrière sur le champ de bataille.
Une bataille rangée contre l’oubli.
CLAC ! La porte claqua.
BLOM ! Un tiroir atterrit au sol.
FRRRAK ! Des papiers volèrent comme des feuilles en automne.
Elle cherchait, retournait, soupirait. Et tout l’appartement suivait son agitation comme un orchestre d é s a c c o r d é.
Et encore un bruit, et un autre, puis le Silence… juste après.
— Où est-ce que je l’ai foutu ?! Cracha-t-elle, les cheveux en bataille et le regard incendiaire.
Puis le Silence, encore.
....
Et enfin, Lys revint — Tap… essoufflée — Tap… presque écroulée contre moi.
— Hhhrrrk... je vais crever !
Elle tenait un fil rouge entre les doigts, et une aiguille dans l’autre main.
— Voilà... j’ai… Haa — hhaa... j'ai ce qu’il faut. Je vais pas te faire mal... promis.
Ses yeux tremblaient comme des feuilles prises entre deux Vents.
— Et pour ton bras… Tu m’en veux pas, hein ? Attends, je vais arranger ça, bouge surtout pas — non pas que tu pouvais.
Elle rit nerveusement, puis passait l'aiguille entre les morceaux de paille avec un geste mêlé de tendresse... et d'hésitation.
Shrrr... tic. Crac.
Comme si le Fil murmurait à ma paille.
— J'vais pas te faire de mal, promis, et encore désolé d'avoir arraché ton bras, hein ?
Dans son regard. Un éclat d'inquiétude, ourlé d'un soupçon de remords.
Et sur sa joue, une perle incertaine — sueur ou larme…
je ne saurais dire.
je la rassurais comme je le pouvais.
Ne t'en fais pas. C'était un accident. Ça arrive.
Lys hocha doucement la tête. Elle recousait lente
—
ment
mon bras, ses gestes, légers, comme un fil porté par l'Alizé.
Parfois, ses mains frôlaient les miennes, comme le Vent effleure les feuilles.
— Faut que je t'achète un bouton pour l'épaule. Ça te donnera du style, non ? Bleue… ou rouge ? Dis-moi quelle couleur tu préfères ?
Son regard, presque joueur, était attendrissant.
Et je sentais, pour la première fois, quelque chose d'autre que le Vent et la Pluie, me tenant chaud sans brûler.
Une chaleur qui n'était pas du feu, une tendresse cousue entre les brins de paille. C'était étrange… doux.
Agréable.
L'aiguille, comme un métronome invisible, passait entre ma paille, et tout en soignant ma blessure, elle fit une remarque.
— Tu vois ? Je t'avais dit que je ferais une chirurgienne brillante, sur les épouvantails… du moins.
Un petit rire nerveux, puis elle continua.
— Dis, tu t'ennuies pas à force de rester là sans bouger, les mêmes paysages, les mêmes personnes — tout ça.
je ne répondis pas tout de suite.
mon regard suivait le fil qu'elle tirait, le mouvement de l'aiguille — comme une horloge qui bat différemment, une autre mesure du temps.
Est-ce que l'ennui, c'est quand le Vent oublie de chanter ? Ou que les Flammes cessent de danser derrière les murs ?
Au-dessus de nous, l'Azur jusque-là masqué par les Nuages jaloux, laissa passer un rai de lumière qui vint caresser son visage penché.
Celle qui s'inquiétait pour un simple épouvantail.
je ne sais pas… mais depuis que tu es Là, c'est beaucoup plus — bruyant.
Elle sourit, puis reprit sa couture, manipulant l'aiguille avec le soin qu'on accorde à un jouet cassé… ou comme on berce un enfant.
je la laissais faire.
Ton sourire. Tes gestes, et les dessins bizarres que tu me montres — et les récits de tes voyages aussi. Tout cela est si… rafraîchissant.
Elle s'interrompit.
Me regardant droit dans ce que j'ai à la place des yeux.
Pourquoi tu ne vas pas vers les villageois ? Tu ne parles qu'à moi, non pas que ça me déplaît, hein — au contraire.
Elle me sourit.
Et même sans bouger…
moi aussi.
Section 03 :
"Saut d'une Feuille morte,
Et Sa voix, fil de lumière —
sur le pont qui cède."
Le Temps passa, s'éti — ra, et d'un soupir, l'Automne aux atours d'or et d'ambre s'installa.
Cet après-midi vibrait des frôlements des feuilles mortes et des chuchotements du Vent.
Le sentier, usé par les pas d'autrefois s'effaçait sous un tapis d’ailes d'automnes.
Avec un fragment de saule — fin et vrillé, ramassé lors d'une de ses balades, Lys traça des lignes dans la poussière.
Telle une main d'ombre cherchant un souvenir de bonheur.
Elle s'accroupit, bondit une fois, deux fois, jaugeant la poussette, puis, jeta un regard timide par-dessus son épaule.
— Je suis un peu ridicule, hein ?... À mon âge, jouer à la marelle.
Elle rit doucement, mais c'était un rire discret, pas tout à fait sûr de lui.
— Mais avec toi, j'ai pas besoin de faire semblant d'être grande.
Elle jeta une pierre sur la première case.
Blanche.
Un peu rugueuse — Plok… un craquement de feuille répondit — Crch... le Vent souleva un pan de son manteau — Whoosh...
Elle bondit à cloche pieds, maladroite, puis s'arrêta.
— Tu connais cette comptine ? Murmura-t-elle comme un secret.
London bridge is falling down, Falling down, falling down...
— On raconte que le pont s'était effondré. Encore et encore. Même quand ils l'ont réparé avec de la pierre, du fer… même avec de l'or. Rien n'a tenu —
Son regard traversa l'horizon lointain, et sa voix, presque en supplice, fut emportée par le Vent, inquiet.
— Jamais.
Puis elle reprît.
Lançant une pierre sur la deuxième case — Tok… un saut maladroit, elle failli tomber mais fut rattrapée par le Vent. Puis —
Un souffle.
London bridge is falling down, My fair lady.
— Parfois, je crois que c'était pas le pont qui tombait… mais les gens.
Elle faillit rebondir.
Se ravisa. Puis, recula d'un pas ; contemplant le jeu dessiné devant elle comme un vieux poème mal recopié.
— Y'a des jours où je me sens comme ça. Un pont… qui tombe. Même quand j'essaie de me reconstruire avec des mots doux, avec de la musique, avec...
Elle regarda un instant dans la direction de l'épouvantail, rougit et se ravisa.
Elle reprit.
Case une.
Case deux.
Case trois.
Chaque saut était un souffle, chaque souffle, une hésitation.
Fal
ling
down...
Elle chantonnait bas, sans mélodie définie, juste des bribes, éparpillés entre les feuilles.
— Tu crois qu'on peut tout reconstruire ? Toi, t'as jamais eu de fin. Moi… j'ai l'impression d'avoir jamais eu de début.
Elle rit.
Mais cette fois, un vrai rire, un éclat franc, comme celui d’un verre qui se fend sous un éclat de soleil.
Elle sauta sur les cases comme un oisillon aux ailes trop fragiles.
Ses cheveux flottaient, légers comme des feuilles caressées par l'Azur, et une odeur de Terre humide les suivait.
Le Vent souleva doucement sa veste, comme une mère guidant les premiers pas de son enfant.
Mais au moment du dernier saut.
Sur la dernière case.
Son pied glissa sur une feuille mouillée — Fffrrrk ! Et elle
T
O
M
B
A,
genoux dans la terre, les mains ouvertes comme pour cueillir l'air — ou rattraper un souvenir.
Le Silence...
Puis un éclat de rire, un grand.
— J'ai perdu, hein ?...
Elle s'allongea un instant sur le sol, bras en croix, comme un souffle tombé du Ciel. Sans doute...
pour mieux accueillir les caresses de l'Azur sur sa peau.
London bridge is falling
down,
Falling
down,
Falling
down...
My…
fair…
lady...
Le Vent passait doucement, murmurant des secrets indicibles entre les branches des érables.
Des feuilles rouges flamboyantes dansaient dans l'air.
Et certaines, joueuses, venaient se poser sur la tête de celui qui regardait la scène...
...sans Jamais dire un mot.
Et pourtant, quelque part, en lui, quelque chose...
Vibre.
Encore un chapitre très poétique aha
vraiment chouette à suivre, le contraste entre les deux marche bien :)
On voit pas mal de facettes humaines avec Lys, qui les retranscrit bien.
Si seulement Jack l'épouvantail pouvait bouger et parler aha
Petits retours :
"Même mortes… leurs lumières survit" -- "leur lumière survit" ou "leurs lumières survivent" sauf si c'est fait exprès.
"Dis, tu t'ennuies pas à force de rester là sans bouger, les mêmes paysages, les mêmes personnes — tout ça." -- pas de point d'interrogation ?
A plus ! ^^
Merci pour tes suggestions.
J'espère que la suite te plaira tout autant.
À plus.
Urukem