Allongée dans le noir, je me réveille en sursaut. J’ouvre les yeux pour les refermer aussitôt, en proie à une violente migraine. Un gémissement sourd m’échappe lorsque la douleur se dissipe dans tout mon être. Je n’ose plus bouger, ni même respirer, mes mains s’accrochent au drap qui semble me recouvrir jusqu’à ce que la douleur disparaisse. Je soupire de soulagement quand le martèlement dans ma tête cesse et mes os ne me font plus aucun mal. Je n’ai plus la désagréable sensation que j’allais me briser à tout moment.Tel un mirage, la souffrance a quitter mon corps avant que mon esprit libre l'alerte du danger. Plonger dans le noir, mes sens s'alarment. Mon cœur tape violemment contre ma cage thoracique, un son percutant jusqu'à mon crâne qui me rappelle constamment l'ordre de rester éveillée.
Essayant de me calmer, j’inspire profondément,en me remémorant comment j’ai pu arriver ici. Je me mords la lèvre inférieure en me rendant compte que rien ne me revient en mémoire. Le peu de souvenirs qui commencent à prendre forme s’effacent comme sur un tableau noir. J’essaye de me redresser, mais une douleur vive me parcourt les bras ainsi que ma poitrine. Surprise de cette nouvelle torture, je tapote immédiatement mon corps afin d'en trouver la raison. Ma respiration s'arrête en s'apercevant que des fils me sont accrochés.
— Mais, qu’est-ce que... murmuré-je, horrifiée.
Prise de panique, je saisis celui de mon torse et d’un seul coup, tire de toutes mes forces. La douleur est si lancinante que de la bile remonte mon œsophage. De mes mains tremblantes, je poursuis ma délivrance. N’ayant qu’un but : sortir d’ici.
Avançant à tâtons, je manque de trébucher à plusieurs reprises. Soudain un petit faisceau lumineux apparaît, me faisant cligner plusieurs fois les paupières. Je souris, mais ce sentiment de soulagement est de courte durée quand des bruits de pas résonnent. Une peur viscérale me tord l’estomac. Mes yeux s’illuminent d’une lueur rouge me brûlant légèrement les pupilles et l’instant d’après, je vois enfin cette pièce comme en plein jour. Je regarde d’abord mes mains couvertes de sang, puis tour à tour cette pièce qui m’est totalement inconnue.
Plusieurs lits se présentent devant moi, tous disposés à espace régulier, entourés de plusieurs machines. J’aurais pu me croire dans un hôpital si le mur rocheux n’était pas dans un état aussi déplorable. Capturer. C’est le premier mot qui me vient à l’esprit. Sûrement à cause de mes capacités, ma nature.
Comment peuvent-ils savoir ?
À tout moment, je m’apprête à voir apparaître des hommes armés jusqu’aux dents débouler dans la pièce. D’un coup de langue incertaine, je vérifie si mes canines sont sorties. Mais ma gencive reste lisse et molle. Je ne sais ce qui m’a été administré, mais mes capacités en semblent altérées.
Le silence résonnant, je reste aux aguets. Avançant d’un pas prudent, je m’arrête quand la poignée s’abaisse. D’une parole incertaine, j’articule une maigre phrase, m’attendant déjà à ne pas avoir de réponse.
— Il y a quelqu’un ?
Contre toute attente, la porte s’ouvre, laissant une lumière éblouissante m’aveugler quelques instants.
— Oh, vous êtes réveillée.
Une voix masculine, douce et limpide, arrive à mes oreilles. Je me force à redresser la tête tendit qu’une goutte de sueur me coule le long de ma nuque, illuminant de nouveau mes yeux.
— Tout va bien, vous êtes ici en sécurité.
L’intonation de sa voix se fait plus vive, plus tremblante.
Mon interlocuteur de toute évidence a peur. Une nouvelle qui ne peut que me réjouir.
— Je vois que vous avez arraché vos perfusions, semblez-vous désorientée ?
Mes yeux s’habituant à la lumière, je fixe le visage de l’étranger et tente de me rappeler si je l’avais déjà aperçu, sans réussir à m’en souvenir. Il déglutit fortement, mais m’offre un sourire sincère en reculant d’un pas. Pas par crainte, mais pour me laisser plus d’espace.
— Je m’appelle Jarod, je suis le médecin de cette base. Vous vous trouvez au DMS, le centre de découverte militaire secrète.
Son information est loin d’être rassurante. L’image de plusieurs militaires sous mes dents me revient à l’esprit, sont-ils là pour se venger ? Mon regard le quitte un instant, me concentrant sur la porte d’entrée. Est-ce que ma vitesse me permettrait de l’atteindre avant qu’il ne s’en aperçoive ? L’idée que celle-ci soit également bloquée me fait sentir impuissante, augmentant d’un cran mon état de méfiance.
C’est à ce moment qu’un second homme déboule dans la pièce d’un pas pressant. Mes sens en alerte, mon corps réagit comme par automatisme. En moins d’une seconde, je me retrouve derrière lui. L’envie de m’enfuir à toutes jambes me prend aux tripes, mais la peur que mes capacités me lâchent en cours de route me fait revoir ma priorité. Un otage me paraît une bonne option. Je saisis l’homme d’une poigne, il étouffe un râle quand je tire ses cheveux en arrière. Mes yeux s’attardent sur sa carotide qui pulse dans son cou, l’odeur aigre de la peur qu’il émet éveille mes papilles. En moins de mots qu’il n’en faut pour le dire, mes canines sortent par l’appel du dîner qui s’offre à moi.
Une voix fluette me sort de la transe dans laquelle je suis plongée.
— Méjaï, ne fais pas ça !
Je cherche instantanément d’où elle provient, tout en lacérant légèrement ma proie. Je reste les yeux écarquillés devant une petite fille aux yeux marron profond qui me regarde tristement. Une enfant, je ne lui donne pas plus de sept ou huit ans.
— Méjaï, calmez-vous ! Nous ne vous voulons aucun mal ! lance Jarod.
Je fais abstraction de sa remarque et ne bouge pas d’un pouce, pouvant ressentir leur peur croissante. J’euphorise. Cette douce odeur de terreur qui emplit mes narines n’est qu’une mise en bouche qui me titille les lèvres.
— On n’est pas en danger ! insiste-t-elle d’un ton perçant.
Ce « on » me reste en travers la gorge, je la regarde incrédule avant que Jarod n’argumente sa phrase.
— Vous feriez mieux d’écouter votre sœur !
Cette phrase m’oblige à faire un brusque retour à la réalité. Bordel, une sœur, j’ai dormi pendant combien de temps ? Fixant intensément la fillette, j’attends vainement qu’elle développe un peu plus.
— Prouve-le !
Ma réponse la fait écarquiller des yeux de surprise.
— Enfin, tu crois vraiment qu’ils te veulent du mal ? continue-t-elle comme une évidence.
Je reste déstabilisée devant sa réponse hors contexte de ma question, mais qui prouve sans le moindre argument qu’elle ne ment pas. Une personne créant un mensonge, le défendrait bec et ongles sans même penser à autre chose.
N’ayant pas d’autre choix que de m’arrêter, je rentre mes crocs et regarde brièvement l’homme avant de le balancer à terre.
Jarod court vers lui. Mon attention entièrement focalisée sur eux, une délicieuse odeur de sang vient chatouiller mes papilles. Difficile de résister à un tel appel ! Instinctivement, ma bouche s’entrouvre. Ma langue se coupant délibérément contre mes crocs, je fais un pas dans leur direction.
Ma sœur, ne manquant pas une miette de la scène, s’adresse expressément à Jarod.
— Ma sœur a faim !
Je suis surprise de son intervention, si naturelle. Son interlocuteur, lui, se ratatine sur lui-même sous mon regard perçant qui est tout, sauf en train de le jauger amicalement. Il se faufile le long du mur et sort une poche de sang. S’approchant de moi timidement, il me la tend d’une main tremblante :
— Il faudra vous contenter de ceci...
Je la lui prends d’un geste vif et me réfugie dans un coin de la pièce. Mon estomac qui crie famine est bien plus qu’impatient de déguster ce merveilleux présent. Confiante, je plonge mes crocs dans cette poche en plastique. C’est froid, opaque, gluant, le goût est immonde, je la lâche immédiatement. Une véritable horreur ! J’essuie ma langue avec mes doigts le plus rapidement possible. La petite brune s’approche d’un pas assuré et la ramasse. Elle s’éloigne et quitte la pièce, la poche à la main. Elle revient quelques minutes plus tard avec une tasse et me la donne en souriant.
— Bon appétit !
Je ne lui accorde pas une once d’attention, malgré ses regards insistants dans ma direction. Cette tasse fumante ne m’inspire pas confiance. Je renifle, ça sent bon et la chaleur me réchauffe les mains. Prudente, je plonge délicatement le bout de ma langue dans le liquide chaud, prenant le temps de le goûter. Ce n’est pas excellent, mais c’est beaucoup plus appréciable. Cette enfant est futée. Mon visage se ferme instantanément en repensant qu’elle me connaissait, semble-t-il, très bien. Je bois absolument tout et finis par me lécher les lèvres. Jarod s’approche de moi, me demandant craintivement :
— Vous êtes plus apte à m’écouter maintenant ?
Je le regarde fixement. Avoir l’estomac plein a des avantages, je suis bien plus concentrée sur lui maintenant. Il est plutôt mignon avec ses cheveux en bataille. Quelques mèches descendent sur ses lunettes marron qui semblent cacher des yeux de couleur verte. Oui, un vert clair presque translucide. J’en oublie quasiment la raison pour laquelle il est planté devant moi, quand il reprend la parole :
— On va commencer par la base. Vous vous trouvez au DMS. Nous sommes une société de défense du gouvernement et nous étions en liaison avec votre base de recherche quand une explosion a eu lieu. Quand on s’est rendus sur place, il ne restait plus rien jusqu’à ce qu’on vous retrouve sous un tas de gravats protégeant votre sœur... Plutôt dans un sale état, d’où vos perfusions. Je sais que vous semblez encore droguée des médicaments que je vous ai administrés, mais j’espérais que vous auriez une explication...
Mon cœur fait un bon dans ma poitrine devant sa révélation. J’avais pensé que je ne la connaissais pas, apparemment j’avais tort. Je sens le souffle du jeune homme sur mon visage, alors que mon cerveau cherche une raison rationnelle au fait que des bribes de mon passé semblent disparues. Consciente que cet homme n’en sait pas plus que moi, je tourne négativement la tête, sans prononcer un mot. Il me regarde, déçu et acquiesce avant de partir en portant le second homme. Mon regard se pose sur ma sœur.
J’ai besoin de réponses, de comprendre. J’affiche un sourire qui se veut aimable sur mon visage, mais qui en réalité est plutôt hostile. Pourtant, elle me rend un sourire sincère qui laisse paraître un semblant de quiétude. J’ai espéré qu’elle soit plus bavarde, qu’elle ait quelque chose à m’annoncer... Comme une petite explication de la situation dans laquelle nous sommes. Mais aucun mot ne franchit ses lèvres. Elle se contente de fixer la pièce en faisant mine de réfléchir. Je suis totalement déstabilisée par toutes ces informations, d’un coup.
— Ça ne te fait pas trop souffrir ? finit-elle par me demander en pointant mon torse. Ma chemise est encore immaculée de sang.
— Non, me contenté-je de répondre.
— Tant mieux alors ! C’est que ta régénération semble déjà active, conclut-elle d’un grand sourire.
— Qu’est-ce qui s’est passé ? Qui sont ces gens ? Pourquoi tu leur fais confiance ?
Elle parait amusée de mon soudain débit de parole.
Me gratifiant d’un clin d’œil, elle s’installe sur un des lits et me fait signe de m’asseoir à ses côtés.
— À dire vrai, je n’en sais pas grand-chose, mais ton plan semble avoir réussi.
— Mon plan ?
— Bah oui, ton plan d’évasion. J’avais très peur quand je suis arrivée ici, comme tu étais inconsciente, mais finalement ils ont été très gentils et même en découvrant qui on était.
Un flash d’un homme d’une cinquantaine d’années, les cheveux grisonnants, un sourire malsain aux lèvres me donne un frisson au plus profond de mon être. Pourtant cette sensation de familiarité lui était adressée. L’envie de clarifier mes idées me brûlait les lèvres, mais pouvais-je clairement affirmer à ma sœur l’avoir complètement oubliée ? Combien d’années m’ont-ils échappé ? Le brouillard dont je souffre va-t-il se dissiper ? En proie au doute, je préfère garder le silence pour le moment. Pourtant il faut que je trouve un moyen de comprendre ce qui s’est passé et vite.
La nuit replonge la pièce dans une noirceur impénétrable et augmente l’aspect lugubre des lieux. Ma sœur, devinant mon trouble, se dépêche d’appuyer sur l’interrupteur.
— Ici, le soleil ou la lune n’ont aucune influence. Seuls les éclairages permettent de s’orienter dans l’espace-temps. Comme il fait nuit, ils sont devenus manuels. Au départ, on se sent un peu oppressé dans ces espaces sans fenêtre, mais tu verras, on s’y fait.
Les lèvres pincées et le nez retroussé, ma question est cinglante.
— Tu comptes rester ici ?
Elle baisse les yeux en prenant un air si penaud que je me sens m’attendrir immédiatement.
— Je sais que ce n’est pas ce qu’on avait prévu, mais je suis bien ici, et puis il y a Georges, je ne peux pas l’abandonner.
Gênée de ce nouveau nom inconnu, je détourne un instant les mirettes en tournant mon cerveau à plein régime.
— Parce que ? l’encouragé-je.
— Parce qu’il s’occupe de moi depuis mon arrivée, il est très gentil...
Elle s’interrompt et se balance d’un pied sur l’autre.
— D’accord.
À ce simple mot, elle relève la tête, les yeux pétillants.
— Je ne connais rien d’ici, alors je leur laisse une chance.
Et surtout s’ils enquêtent, c’est qu’ils ont déjà des informations. Heureuse, elle pose sa tête contre moi. Lorsque ses mains m’enserrent, je tressaille, mais ne fais rien pour défaire son étreinte.
Se retirant de notre accolade, elle mêle ses petits doigts dans ma main et m’extirpe de la pièce. On arpente des couloirs uniformes pendant un bon moment. Ces derniers, lugubres et tortueux, ne me revenant pas en mémoire ; me persuadent de ne jamais les avoir empruntés.
Ma sœur ne semble pas perturbée et les enchaîne sans décélérer le pas.
— Tu as l’air de bien connaître les lieux.
— Une semaine que tu fais ta marmotte alors j’ai eu largement le temps, me taquine-t-elle.
Elle s’arrête et entre dans une pièce. Je la suis et écume les lieux du regard.
Des matelas sont posés au sol et certains mannequins de combats sont installés au fond de la pièce.
Elle penche la tête d’un air innocent.
— La salle d’entraînement ! Je me suis dit que tu voudrais te dégourdir un peu.
Je lui lance un sourire avant qu’il disparaisse à la vue de quatre hommes se profilant à l’entrée de la salle.
Du coup, hâte d'en découvrir plus sur les protagonistes et leur histoire et savoir comment Méjaï c'est retrouver dans cette situation!
D'ailleurs, Méjaï c'est original comme prénom, ça à une signification particulière? ^^
"L’image de plusieurs militaires sous mes dents me revient à l’esprit, sont-ils là pour se venger ?"
La citation qui m'a le plus fait rire dans ce chapitre, l'image est marquante X)
C'est formidable pour toi! a tu le droit de communiquer dans quel maison d'édition tu sera publier?
Toujours aussi prenant. Très belle plume.
toujours aussi mystérieux, les chapitres sont très bien écris.
Puis il y a des militaires ... Tout plein j'adore vraiment ça.
En tout cas tu as une écriture vraiment superbe, j'adore ça. Tu écrit vraiment très bien.
Pour ce premier chapitre, il est mystérieux tout en nous donnant certaines informations petit à petit hâte d'aller lire la suite.