Chapitre 1.1 : Sierra

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                Sierra Niddril ferma les yeux. L’air était doux et pur en cette soirée d’automne où le soleil finissait lentement sa course et se coulait à l’horizon. Les hautes herbes caressaient ses jambes nues et une lumière dorée teintait sa peau d’ombres fauves. Elle renversa sa tête en arrière et étendit les bras de chaque côté de son corps. Rien ne lui importait plus à cet instant que de se concentrer, encore. Tenter de réveiller le cadeau qui lui avait été fait, était pour elle d’une importance capitale.

               Soudain, un bruissement d’herbe vint apporter une touche musicale au coucher de soleil.

                Sierra se retourne, sort son couteau effilé avec l’agilité d’un chat, et le place à quelques millimètres seulement de la gorge… de son propre père.

                La scène ne dura qu’une fraction de seconde, et Altan Niddril savait que Sierra n’aurait mis encore qu’une autre seconde à le tuer. Leurs regards se croisèrent et le couteau retrouva sa place habituelle, dans un silence parfait.

- Je ne savais pas que c’était toi, dit-elle en guise de salut, un sourire au coin des lèvres.

- Tu m’aurais décapité sans la moindre hésitation, petite louve, répondit-il en souriant à son tour et en appliquant un baiser au sommet de son crâne.

                De taille moyenne, mince et élancée, Sierra était l’harmonieux mélange physique de ses parents. Elle possédait le sourire de son père, franc et composé de dents étincelantes. Les yeux de sa mère, contenant toutes les teintes de vert possibles. Le visage ovale et avenant de son père. Les oreilles fines, presque pointues, de sa mère. Les cheveux, noir de jais, de son père, cascadant en longues et douces ondulations, tout comme ceux de sa mère. Son regard pétillait de malice et possédait un calme infini. Sierra était à la fois tout et son contraire.

                Le sourire qu’Altan offrait à sa fille était différent de tous. L’amour qu’il lui portait était incommensurable et sa confiance en elle était inébranlable. Hiro, frère aîné de Sierra, était conscient de la relation si particulière qui unissait son père à sa sœur. Il les observait en silence, à presque vingt mètres de là. Il n’était pas jaloux. La jalousie n’avait aucune place dans le cœur des nomades.

                Hiro avait la silhouette de ceux qui sont devenus des hommes depuis peu, solide mais dégingandée, les épaules carrées mais pourtant encore osseuses, souvenirs d’une enfance passée et d’une vie adulte à venir. Il possédait les mêmes yeux que sa sœur, assortis d’un sourire plus discret, apanage des grands timides. Son esprit vagabondait, au gré de ses envies. Il se sentait en parfaite harmonie avec tout ce qui l’entourait, et à ce moment précis, il était comblé par la vie. Une main vint se poser sur son épaule gauche, et un bras enserra son cou avec douceur. Des lèvres se posèrent sur son front, protectrices et maternelles.

                Puis l’étreinte se desserra, et Hiro regarda Mio, leur mère, s’éloigner sans bruit. Droite et fière, délicate et légère... Un sourire étira les lèvres du fils. Leur famille était l’une des plus soudée du village nomade.

- Je m’entraîne tu sais.

                Altan Niddril n’avait aucun doute sur ce qu’essayait de faire sa fille. Il était fier qu’elle ait été choisie. Elle ne le méritait pas plus qu’une autre, mais le Choix avait décidé d’honorer sa famille. Contredire le Choix était impensable.

- Est-ce que cela porte ses fruits ? demanda-t-il, déjà certain de la réponse.

- Non.

- Est-ce vrai ? s’enquit-il, étonné.

- Non.

Un léger sourire flotta sur les lèvres d’Altan.

- Explique-moi, dit-il.

- C’est une sensation étrange, commença-t-elle, hésitante. J’ai toujours besoin d’une concentration extrême. Le moindre son me fait perdre le fil. Je n’y arrive jamais entièrement.

                Les épaules de Sierra, d’habitude si droites, s’affaissèrent imperceptiblement. Elle savait pourtant qu’elle n’avait rien à se reprocher. Une note de musique traversa l’air. La fête allait débuter.

                Sierra fit mine de rentrer se préparer, mais n’en eût pas le loisir. Son père posa une main ferme sur son épaule, l’obligeant à rester, chassant toute l’amertume due à ses précédents échecs face au Choix.

- Demain, dit-il dans un souffle.

Sierra leva sur Altan un regard empli d’un espoir nouveau.

- Tout succès nécessite un entrainement, poursuivit-il. Je t’aiderais, demain.

                Les grands yeux verts de la jeune fille brillaient d’une flamme nouvelle, puis se détournèrent soudain. Redevenue malicieuse, Sierra se dégagea de l’étreinte de son père et lui proposa une course jusqu’au vieux chêne repéré quelques jours plus tôt, à un kilomètre de là.

                Après que le vent eût joué dans leurs cheveux, les emmêlant tout en rafraichissant leurs idées, la course s’arrêta dans un concert de protestations, chacun soutenant qu’il était arrivé une demi-seconde avant l’autre. Puis le silence se fit soudain. Laissant place au bruit caractéristique du vol désordonné d’une colonie d’omidiennes rousses, minuscules oiseaux des plaines.

                Altan les suivit des yeux quelques secondes et chercha la cause de la peur insensée qui avait saisi les volatiles… Sans la trouver pour autant. Son regard se déplaça jusqu’à l’horizon, à l’est du village nomade, et n’y remarqua qu’un léger nuage de poussière, qui aussitôt se calma pour ne redevenir qu’un avec le tapis de sable du désert.

                Perplexe, Sierra interrogea son père du regard. Il lui rendit un vague sourire, mais ne dit rien. Il la poussa vers le village, vers une soirée festive qui célébrait un Engagement.