La fête battait son plein. L’Engagement unissait un couple de jeunes nomades ce soir-là. Un grand brasier avait été allumé pour l’occasion, au milieu du village : une construction pyramidale, décorée avec soin de fleurs et de cactus insensibles à la chaleur. Des langues de feu les léchaient avec application. Les rires, les danses et les conversations allaient bon train, et Sierra, placée un peu à l’écart du feu, épiait du coin de l’œil le comportement de tout un chacun. Le couple fraîchement uni était au comble de la joie. Les parents de Sierra et ceux des mariés discutaient avec enthousiasme. Le son des instruments à percussion emplissait l’air. Les enfants sautillaient partout, en lançant ici et là de petits cris aigus. Sierra s’amusa de noter la ressemblance entre les petits et ces minuscules chiens de prairie surexcités, qu’ils croisaient parfois sur la route - mais de moins en moins souvent, fut-elle forcée de reconnaître. Elle s’arracha à la contemplation de toute cette jeunesse en ébullition et chercha son frère du regard. Hiro, non loin d’elle, s’abîmait dans l’étude vaine d’une braise rougeoyante à ses pieds. Sierra savait ce qui le taraudait. La mariée, Méah, flamboyante jeune femme avec qui ils avaient grandi, incarnait la femme parfaite à ses yeux. Elle était son amour de jeunesse perdu. Hiro avait vécu toute sa vie aux côtés de la jeune femme, exactement de la même façon qu’il avait vécu avec chaque habitant du village nomade. Ils avaient joué ensemble, voyagé ensemble, grandi ensemble. Elle ne l’avait jamais repoussé, ni même ignoré. Elle en préférait simplement un autre, celui qui ce soir passait un bras autour de sa taille pour l’inviter à danser. Hiro s’en remettrait.
Sierra capta le regard de son frère alors qu’il sortait de sa torpeur. Assise en tailleur, elle se traîna sur les genoux jusqu’à lui, jusqu’à ce que leurs épaules se touchent. Amusé par le déplacement incongru de sa sœur, il ne put toutefois lui offrir qu’un sourire penaud. Elle posa sa main sur son pantalon de toile et lui offrit en retour une petite phrase, chuchotée au creux de l’oreille, réconfortante, autant qu’elle puisse l’être.
- Elle est heureuse, n’y pense plus.
Le jeune homme observa un moment de réflexion. Sierra le perçait à jour comme personne. Elle faisait partie de ces gens qui vous donnent l’impression qu’après tout, vous n’êtes qu’un homme, nu et errant dans l’immensité de la vie. Elle lui donnait l’impression, depuis qu’elle était née, qu’elle le dévisagerait toujours avec insistance jusqu’à décrypter ses moindres états d’esprit. Ceci étant dit, il ne savait jamais quand elle parvenait à le dévisager. Elle savait simplement trouver le comportement qui convenait à toute situation et les mots qu’elle venait de lui proposer étaient les bons.
Après quelques minutes de silence, il se leva et ébouriffa avec tendresse la crinière de sa jeune sœur. La mine outrée qu’il vit alors apparaître le fit sourire et contrebalança le fait qu’elle lisait en lui comme dans un livre ouvert. Il esquiva le croc-en-jambe qu’elle lui lança et s’éloigna vivement.
Une fois seule, Sierra sentit pour la première fois de la soirée deux yeux scintillants braqués sur son visage. Celui qui la détaillait, le faisait certainement depuis de longues heures. Isao, un jeune homme du même âge qu’elle. Elle soupira intérieurement et décida que la fête avait assez duré, en ce qui la concernait. Elle jeta un regard vers le centre du village, capta un sourire éblouissant de sa mère parmi la foule, et profita de l’invisibilité temporaire que lui prodiguaient deux adultes en dansant devant elle pour disparaître.
Sierra marcha vers les plaines de l’ouest pendant un long moment, rassurée par la nuit couleur d’encre qui l’enveloppait. Elle s’imagina la surprise d’Isao, lorsqu’il avait découvert qu’elle s’était évanouie dans la nature en l’espace d’une seconde. Elle lui prêta une moue enfantine, bouche bée, qui la fit sourire en coin.
Elle ne détestait pas Isao Dinhill. Elle le trouvait simplement arrogant et stupide. Arrogant, parce qu’il n’avait cessé de clamer que le Choix se poserait sur lui étant donnée l’intelligence sans limite dont il était pourvu. Stupide, parce qu’il s’était trompé quant aux intentions du Choix, prouvant ainsi que sa brillante intelligence était inexistante. Non, elle ne le détestait pas. Elle le méprisait, tout au plus. Qu’il veuille à ce point attirer son attention, maintenant qu’il savait que le Choix s’était porté sur elle, lui donnait envie de l’ignorer avec application.
Une fois arrivée au milieu de la plaine, hors de vue du village, Sierra s’y arrêta et se demanda pour la millième fois pourquoi elle avait été la cible d’une telle élection céleste. Elle n’était pourtant ni brillante, ni exceptionnelle. Peut-être un peu plus attentif et acéré que la moyenne, son cerveau était, pour le moins, normal.
Tous les nomades savaient que le Choix agissait selon sa seule volonté, et triait sur le volet les aptitudes présentes et futures du moindre être humain sur Anörre. L’Ancienne nomade avait prédit les changements qu’encourait leur monde. Elle avait conté, à qui voulait bien écouter, que de mystérieux phénomènes parcouraient sa surface et qu’une sombre menace déployait lentement ses ailes dans le cœur des hommes. Le Choix avait fait ce que seules les entités légendaires peuvent proposer aux Hommes : il avait sélectionné une personne en qui les peuplades - nomades ou non - pourraient fonder tous leurs espoirs. Une fois choisie, Sierra avait assimilé, non sans une terreur infinie, qu’elle devrait partir en quête d’une réponse que personne ne semblait détenir. Parce qu’après tout, dans sa tribu, nul n’avait été témoin des phénomènes relatés par l’Ancienne. Le terme de « sombre menace », dont tous usaient et abusaient, n’était jamais précisé. Seuls les récits avaient le pouvoir d’impressionner les plus superstitieux. Finalement, seuls des mots leur faisaient croire en n’importe qui.
Sierra lâcha un soupir contrarié. Elle était ce n’importe qui. Et plus encore à cet instant, alors qu’elle portait une robe tressée gênante, semblable à celle de toutes les jeunes filles de la tribu nomade à l’occasion de la fête. Seule la présence de sa lame à sa ceinture la différenciait des autres.
Apaisée par le contact du métal contre son poignet, elle ferma calmement les yeux et chercha refuge dans la faune sauvage environnante, riche du silence de la nuit. Toutes ses craintes quant à sa mission n’étaient formées que de ses échecs perpétuels à réveiller la Transformation.
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D’un seul coup d’œil exercé, Hiro constata que sa sœur avait profité de son absence pour se couler dans l’obscurité. Il la pista alors qu’elle marchait d’un pas décidé vers les montagnes de Thilia, à l’ouest. Il se fondit dans les hautes herbes en l’espace d’une seconde après l’avoir vue s’arrêter au centre de la plaine. Curieux, il l’observait en silence. Elle était effrayante d’immobilité et de calme. Malgré lui, il retint son souffle.
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Sierra l’avait senti bouger dans le tréfonds de son âme. Un imperceptible mouvement, une caresse feutrée, impossible mais pourtant bien réelle. Des frissons parcouraient sa peau tandis qu’elle se laissait aller. Jusque-là, le parcours de la Transformation lui était familier. Bientôt, des tremblements s’empareraient d’elle, avant que tout ne se termine brusquement, comme d’habitude. Une légère brise faisait danser les cheveux de la jeune fille. Puis une chaleur jusqu’alors inconnue se déplaça dans sa chair, réchauffant jusqu’à la moelle de ses os. L’espoir se fit tout à coup une place dans le cœur de Sierra. L’espoir qu’une victoire fasse enfin pâlir ses échecs et les fasse disparaître à jamais.
C'est étrange comme tu arrives à nous plonger dans l'histoitre, à nous imprégner des pensées de Sierra alors qu'on ne sait pas grand-chose - je veux dire qu'on ne sait pas quelle forme prend le Choix, on ne sait pas non plus quelle est cette Transformation... En tout cas je suis impatiente d'en apprendre plus. Quant à Sierra elle-même, j'aime beaucoup son côté calme et sage, ainsi que l'atmosphère un peu mélancolique que tu tisses autour de la soirée. On s'y croirait. La complicité qu'elle a avec son frère se confirme en tout cas !
Donc Sierra serait destinée à sauver l'humanité de ces "sombres menaces", quelles qu'elles soient ? Bah je comprends qu'elle soit un peu effrayée :P
Juste une remarque, c'est à propos du changement de point de vue dans la première partie de ton chaputre : si je ne me trompe pas, l'espace d'un paragraphe tu adoptes le point de vue de Hiro, et ça m'a un peu surpris !
A bientôt :D
Merci pour tes commentaires et pour la remarque qui concerne le changement de point de vue ! Apparemment, j'ai pas mal fait ça au tout début de cette histoire, on me l'a déjà fait remarquer et j'étais tellement dans le truc en écrivant que je n'y ai même pas fait attention. Je pense que ça sautera pendant la phase de correction intense que je fuis depuis très longtemps xD
J'espère que la suite te plaira, à très bientôt !
Qques petites choses que j’ai relevé, ou suggestions :
S’amusa de : s’amusa à ?
Je n’ai pas bien visualisé le déplacement de Sierra quand elle s’approche de son frère : si elle est assise en tailleur, comment peut-elle se trainer sur les genoux ?
son cerveau était, pour le moins, normal : j’ai du mal ce « pour le moins ». Tu veux dire quoi au juste ?
chercha refuge dans la faune sauvage environnante, riche du silence de la nuit. : ce n’est pas plutôt la flore que tu voulais dire ? (parce que chercher refuge dans la faune sauvage c’est un peu contradictoire, non ? )
Pour le "s'amusa de", j'ai essayé de remplacer avec ta proposition, mais je dois avouer que je ne vois pas trop la différence. Les deux me vont, mais tu as raison, une formulation doit certainement être plus adaptée que l'autre. Saurais-tu m'expliquer la différence entre les deux ?
Concernant le déplacement, c'est quelque chose que j'ai pas mal fait dans mon enfance, quand j'étais encore souple :D Il faut s'asseoir en tailleur, se hisser sur les genoux à l'aide des mains, et tenter de marcher dans cette position. Je ne sais pas comment mieux te décrire ce déplacement...
"son cerveau était, pour le moins, normal" : je voulais simplement dire que, en comparaison des autres personnes de son âge, Sierra n'était pas réllement plus intelligente ni plus intéressante. Je me suis peut-être mal exprimée, maintenant que tu le dis :)
Bien joué pour la flore ! À force de baigner dans ce que j'écris, je ne me rends plus compte des erreurs de ce genre !
Eh bah, j'aime toujours autant. La vie des nomades que tu développes dans ce chapitre dégage un certain apaisement. C'est très chouette à lire, ça change des quêtes impossibles et des héros torturés xD
Ta Sierra, je l'aime bien. En quelques mots, elle arrive à prendre vie, elle arrive à prendre une forme qui me plait. Bon, évidemment, il y a ces termes de Choix et de Transformation qui intriguent. Mais en fait, j'ai juste envie de me laisser me porter par tes mots. Je te fais donc confiance pour tout expliciter le moment venu.
Allez, j'ai encore un chapitre qui m'attend :P
Merci d'être revenue pour la suite et contente que cette partie t'ait plu ! :)
Je suis à fond dedans... Ton écriture est très claire, très souple et très agréable à lire, événements après explications, dans un ordre parfait.
Ce doit pas être confortable comme position, de porter l'espoir des peuplades de tout un monde. D'autant plus quand on ne sait pas contre quoi on est censé lutter ! Ca me renvoie beaucoup à mes rêves, où on me donne une mission totalement absurde et incompréhensible, que je suis incapable d'accompir. Heureusement que la Trasformation a l'air de marcher cette fois, Sierra s'en sortira mieux que moi :D
Une jolie deuxième moitié de chapitre ! Je crois que j'aime bien Sierra. ^^ Pourtant j'ai du mal avec les héroïnes dans les bouquins jeunesses en temps normal... Mais la tienne, je ne sais pas, elle dégage une assurance qui n'est pas feinte, elle semble posséder une certaine sagesse au vu des paroles qu'elle confie à son frère, elle est posée, elle semble avoir de l'esprit et de l'humour, de l'indépendance... elle me plait.
Son frère aussi à l'air sympa. En fait c'est toute la tribu de nomade qui dégage quelque chose de sympa ! (à ce propos... pourquoi ne pas parler de "tribu" plutôt que de "village" quand tu qualifies les nomades ? ça permettrait d'éviter la confusion que j'ai pu faire ^^')
C'est original également d'avoir une héroïne qui a ses deux parents. En général les héros ont souvent un parent en moins, voire les deux. Mais là du coup, qu'elle ait ses deux parents, et qu'elle ait l'air de bien s'entendre avec les deux, je trouve ça plaisant et original.
La relation qu'elle entretient avec son frère est touchante aussi, même en peu de mot.
Ben j'ai hâte de voir en quoi consiste cette fameuse quête, et quel est ce sombre danger qui se profile !
Patience, patience, la suite mijote tranquillement mais tu sauras tout bien assez tôt ! Ton enthousiasme me fait chaud au coeur en tous cas :)
Je vais considérer ta proposition concernant l'appellation de mon village, je sens que ça te travaille particulièrement ! :P Plus sérieusement, c'est une bonne idée, en tous cas je trouve le terme "tribu" beaucoup plus agréable que "campement". Il faut que je m'y habitue avant de changer définitivement l'appellation originelle ! Merci pour ce conseil Neila !
J'espère que la suite te plaira, en tous cas j'y travaille corps et âme !
À très bientôt :)
Bon j'ai mis le temps, mais çà y est j'ai lu ce second chapitre qui est tout à fait plaisant. tu arrives à nous glisser dans l'histoire sans aucune difficulté.
Tu réussis à apprivoiser ton lecteur de la même manière que Sierra apprivoise Ulfur!
Bravo !!
Merci beaucoup pour ta lecture !
Tes compliments me vont droit au coeur :)
À bientôt !
J’aime beaucoup comment tu nous donnes des indices par petites touches. Le Choix et la Transformation m’intriguent de plus en plus. Sierra serait donc une sorte d’Élue qui aurait hérité d’un pouvoir magique ? J’ai bien aimé la phrase où elle pense être « n’importe qui », j’ai toujours aimé les histoires où le héros se retrouve investi d’une mission, alors qu’il n’avait rien demandé à personne ^^ Je suis curieuse de savoir où cette quête va la mener =)
Héhé, un pouvoir magique... on peut dire ça comme ça, oui !
Re-poutous et merci encore d'être venue me lire <3
à bientôt pour la suite.
Tu veux bien me prévenir pas message privé quand tu mets la suite s'il te plaît.
Je ne manquerai pas de te prévenir :)
Encore un chapitre passionnant. Ton écriture est très fluide, tes descriptions bien dosées et des personnages prennent de plus en plus de corps, quant à leur relations, elles existent parfaitement bien.
Quelques petites remarques cependant :
"Des langues de feu les léchaient avec application. Les rires, les danses et les conversations allaient bon train, et Sierra, placée un peu à l’écart du feu" : petite répétition (à l'écart des flammes ?)
"capta un sourire éblouissant de sa mère parmi la foule" : il me semble que capta le sourire éblouissant passerait mieux et positionnerait encore mieux la façon dont Siérra la perçoit.
"profita de l’invisibilité temporaire que lui prodiguaient deux adultes en dansant devant elle pour disparaître." : phrase un peu lourde : que lui prodiguaient les deux adultes qui dansaient devant elle, ... (?)
"Qu’il veuille à ce point attirer son attention, maintenant qu’il savait que le Choix s’était porté sur elle, lui donnait envie de l’ignorer avec application": excellente phrase !
Peut-être un peu plus attentif et acéré que la moyenne, son cerveau était, pour le moins, normal : acéré pour un cerveau me dérange un peu...attenti aussi d'ailleurs, ou alors mettre esprit à la place de cerveau (?)
alors qu’elle portait une robe tressée gênante : pourquoi gênante ?
Ce sont de toutes petites remarques, et tu n'es pas obligée d'en tenir compte (c'est toi l'auteure !) et sache que ce chapitre est vraiment bien et nous embarque encore plus dans la vie des Nomades.
Je trouve également que ton style s'affirme plus ici, même si on retrouve, dans les noms des personnages, leur "sonorité," la même influence que citée précédemment.
Encore bravo, je ne suis pas déçue de ma venue chez toi !
Concernant la robe tressée gênante... Sierra est une guerrière dans l'âme, les robes et les noeuds dans les cheveux : très peu pour elle ^^ Tu fais bien de me demander des explications, ce n'était peut-être pas très clair alors je vais tenter de reformuler cette phrase aussi !
Au plaisir de lire de nouveaux commentaires de ta part, aranck ! :)