chapitre 1

 

Le corps de ferme délabré s'offrait au regard de l'homme. Écrasés par la chaleur et la lourdeur du ciel, ces bâtiments d'un autre âge trônaient au milieu de blé sauvage. Autrefois soigneusement cultivé, ce champ anarchique poussait en toute liberté, mais vivotait. Sans hésiter, il s'engagea sur une allée poussiéreuse. L'herbe jaunie craqua sous ses pas.

Lourdement chargé d'un havresac résonnant de bruits métalliques, il se réjouissait de sa moisson d'objets. La porte d'entrée s'ouvrit en grinçant. Il sourit à sa compagne dont la mine anxieuse se détendait.

— Tu étais inquiète ?

— Un peu, tu aurais pu faire une mauvaise rencontre.

— Aucun risque, Tu sais bien qu'ils ne sortent que la nuit.

— Ils pourraient changer leurs habitudes.

— Ils sont dénués d'habitudes, seule la sauvagerie les anime.

— Nous n'en savons rien.

— Tu vois toujours le pire.

Il passa le seuil sur ces mots. Fataliste, elle soupira puis le suivit et referma à double tour. Le cliquetis de l'antique serrure la rassura. L'homme longea un petit hall aux murs humides et dénués de décorations. Constellés de taches brunâtres et d'éraflures anciennes, on devinait que ce lieu exigu avait été le théâtre d'affrontements.

La femme sur ses talons, il arriva rapidement dans une pièce aussi dégradée que le couloir. Une banquette défoncée côtoyait des sièges écorchés sommairement réparés et un buffet massif et décati. Les volets tirés et consolidés de planches donnaient à l'endroit une ambiance glauque. Pas de fraîcheur ici, mais une lourdeur due à la canicule qui régnait sur la région.

L'homme vida le contenu de sa besace sur une table en bois bancale. Elle s'avança et examina avec perplexité les objets trouvés par son compagnon.

— Tout ceci ne vaut pas grand-chose !

— Ne sois pas si péremptoire.

Elle secoua la tête, lui aligna plusieurs dizaines de petits cylindres sur lesquels on pouvait lire : "WP15"

— Des contenants à énergie ? 

— Je le crois, il faudra les tester.

— J'avoue que ce n'est pas sans intérêt.

Il tria sommairement les ustensiles, pêcha dans le buffet quelques boîtes. Après les avoir rangées côte à côte, il commença à y répartir ses trouvailles. sous le regard de sa compagne puis elle se détourna.

— J'ai bien travaillé durant ton absence, j'ai réussi à réparer le transmetteur. Par contre, sa zone d'émission reste limitée.

Surpris, il releva ses prunelles anthracite sur elle.

— C'est une excellente nouvelle. Comment as-tu fait ?

— J'ai utilisé le matériel hertzien trouvé dans le hangar à notre arrivée ici. Primitif, mais en bon état. Je suis parvenue à le coupler avec le nôtre. Par contre, comme je te l'ai dit, le champ d'action est limité. Problème de puissance.

— Hum... Les conteneurs que j'ai dénichés permettront sûrement d'y remédier, je termine ça et tu me montres.

La femme acquiesça. Il poursuivit sa répartition…

*

Le soleil continuait sa course brûlante et asséchante. Pas un chant d'oiseau, à peine une stridulation d'insecte pour troubler la pesanteur de la saison chaude. Une plainte soudaine brisa le calme ambiant.

Un appel, une réponse, un appel, une réponse, un appel...

Bientôt, ce fut assourdissant, les modulations vocales envahissaient l'éther.

Un message circulait…

*

Dans la ferme, le couple se figea, leurs visages se tendirent, la peur les empoigna sans crier gare.

— Ils se manifestent tôt, parvint à articuler la femme.

— Je placerai le système de sécurité sous tension, dès que mon tri sera terminé.

— Fais-le maintenant, autant ne pas prendre de risque.

— Encore de l'énergie gaspillée, elle risque de nous manquer pour nos travaux.

— S'ils entrent ici, l'énergie sera le dernier de nos soucis.

L'homme cilla puis acquiesça, il laissa tomber son ouvrage et quitta la pièce. Cela ne lui prit que quelques minutes. À son retour, sa compagne assura :

— Je crois qu'ils parlent entre eux.

— Que vas-tu chercher là ?

— Pour moi, c'est l'évidence. 

Il la contempla, nota l'angoisse qui brillait dans ses yeux d'argent fondu, ses lèvres qui tremblaient légèrement.

— Je te fais confiance, mais j'espère que tu te trompes, de toute façon que peut-on faire, si ce n'est travailler le plus rapidement possible ?

La femme écarta les bras dans un geste d'impuissance. Il ne remarqua qu'à cet instant à quel point elle semblait lasse. En revanche, il ne voulut pas s'y arrêter, encore moins lui en parler. Détestant la faiblesse, avant tout la sienne, elle s'en serait offusquée. Il sourit, changea de sujet.

— Et si tu me montrais ce transmetteur ?

Sa conjointe ne se fit pas prier pour le guider dans une autre pièce.

*

Les prunelles opalines se fermaient, la face pâle et anguleuse se roidissait. À l'écoute du chant commun, la créature demeurait figée sur le seuil de la grotte. Pour empêcher la clarté flamboyante de l'atteindre, elle n'avançait pas. Cependant, elle se sentait fière de sa victoire sur l'embrasement diurne. Aucun au sein du groupe ne se risquait aussi loin lorsque la voûte brûlait.

C'était là son devoir en tant que sentinelle, cela ne changeait rien au prestige apporté ; bénéficier de privilèges adoucissait l'existence. L'être ne laissa pas l'orgueil primer sur sa circonspection naturelle. Il hulula sa réponse et recula prudemment. L'obscurité l'enveloppa en son cocon bienveillant, il devait à présent transmettre le message au clan.

La nuit, les ténèbres, la relative fraicheur, les troubles, s'accompliraient plus tard ; la créature serait prête. Les mélopées se turent, le monde retrouva son immobilité saturée de chaleur.

*

L'arrêt des déclamations soulagea le couple. À cet instant, la femme expliquait en détail la progression de ses tâches matinales. Lui, manipulait entre ses doigts un cube d'acier constellé de diodes lumineuses et hérissées de fils. En parlant, elle lui présentait un second objet creux et doré. Le compte rendu terminé, il glissa le sien dans la cavité, posa le tout sur un établi. L'ensemble irradia de lueurs bleues magnétiques ; le même sourire illumina le couple.

Mais le matériel commença à crépiter, à envoyer des étincelles, l'or et l'acier rougeoyèrent ; les visages se figèrent de surprise. Un arc électrique jaillit de l'appareil, traversa la pièce, frappa une fenêtre, dont le verre se brisa ; le bois de l'établi s'enflamma. Cela ne dura que l'espace d'un souffle, l'homme réagit très vite. À l'aide d'une vieille couverture qui traînait dans la pièce, il étouffa l'incendie naissant.

Elle restait immobile. le regard écarquillé, brillant de consternation, d'incompréhension.

Puis un rire nerveux la secoua, se changea en spasmes, en sanglots. Brusquement, elle hurla son désespoir !

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Edouard PArle
Posté le 19/09/2022
Coucou !
Premier chapitre assez étrange, j'ai encore une vision assez floue des personnages et de leurs objectifs, j'imagine que ça va se mettre en place dans la 2e partie. C'est sans doute dû au fait que tu ne donnes pas de prénoms, ce qui change de ce qu'on a l'habitude de lire.
Je rejoins les autres commentaires pour dire que tu as réussi à instaurer un petit côté angoissant à ton histoire, à voir si ça persiste.
J'ai beaucoup aimé l'écriture des passages en italique. La chute est très surprenante et donne envie de tourner la page.
Mes remarques :
"Le corps de ferme délabré s'offrait au regard de l'homme." -> un corps de ferme ? (vu qu'on ne sait pas de quoi tu parles)
"Sans hésiter, il s'engagea sur une allée poussiéreuse." j'aurais peut-être mis à la ligne pour introduire le narrateur, je trouve la transition un peu rude
"— Aucun risque, Tu sais bien" -> tu ?
"Fataliste, elle soupira puis le suivit et referma" virgule au lieu de "puis" ? puis et et dans la même phrase, je trouve que c'est un peu lourd
"à la canicule qui régnait sur la région." -> dans la région ?
"Elle s'avança et examina avec perplexité les objets trouvés par son compagnon." -> la femme ? le "elle" donne l'impression que tu gardes le narrateur de la phrase précédente
"Lui, manipulait entre ses doigts un cube d'acier constellé" je ne sais pas si la virgule est nécessaire, je trouve qu'elle casse un peu l'élan de la phrase mais c'est sans doute discutable.
Je poursuis !
Akiria
Posté le 19/09/2022
Hello,

L'histoire est intrigante, une ambiance légèrement angoissante.
Le couple à l'air d'être assez distant ou plutôt se montre peu affectueux, sûrement la situation qui les rend ainsi, en même tps ce n'est que le 1er chapitre.
C'est bien écrit, j'aime bien cette phrase "Les prunelles opalines se fermaient, la face pâle et anguleuse se roidissait" Tu décris de façon courte et simple et presque poétique le comportement de l'ennemi.
Aramis
Posté le 12/09/2022
Coucou bealionne ! Je découvre ton récit qui se lit très facilement, et pose doucement des éléments qui forcent la curiosité ! Bien qu'il n'y ai que peu de descriptions, ton style étant assez factuel (moi qui aime la psychologie c'est vrai que de temps en temps j'aurais peut-être aimé être un peu plus dans la tête des personnages, mais c'est totalement subjectif et tes personnages n'accrochent pas moins malgré cela) j'ai réussis à me faire des images mentales de ton univers. Je vais poursuivre ehehe

Une petite remarque sur les dialogues : tu utilises très peu de verbes de paroles. Comme les personnages ne sont que deux ça ne gêne pas pour comprendre qui parle, mais préciser le ton d'un personnage de temps en temps aide à diversifier le rythme, de mon point de vue (hautement discutable cependant hahaha)

Aussi, un passage m'a semblé un peu forcé :
"— Je crois qu'ils parlent entre eux.

— Que vas-tu chercher là ?

— Je suis spécialiste en communication, donc je perçois la différence entre des sons sans sens et un langage réfléchi."

Ici j'ai eu l'impression d'une mise en scène à l'intention de nous, les lecteurs. Ca m'a paru franchement étrange que le mari, qui a l'air de côtoyer sa femme depuis quand même un certain temps, ait besoins de se faire expliquer sa spécialité.

Et voilà ! Au plaisir de lire la suite !
bealionne
Posté le 13/09/2022
Salut et merci de ton passage, je suis contente que ce début te plaise. Pour ce qui est de ta remarque, très pertinente d'ailleurs, je me la suis faite également. En fait, je suis quelqu'un qui essaie de jouer sur l'implicite. Exercice que je commence à peine à maitriser et qui permet de ne pas trop se répandre en incise par exemple. (j'essaie de les éviter au possible), d'où peut-être cette manie de trop expliciter mes dialogues (ce qui là est contre-productif). Mais tu m'as interpellé, je vais donc corriger cette réplique. Merci beaucoup encore du passage et bonne journée à toi.
Aliam JCR
Posté le 12/09/2022
Salut bealionne,

J'ai beaucoup apprécié ma lecture de ton chapitre. On rentre très facilement dans l'intrigue grâce à ton écriture fluide et le choix des mots ! J'ai hâte de lire la suite !
bealionne
Posté le 12/09/2022
Merci d'être passé, je suis heureuse que ce début ait accroché ton attention, j'espère qu'il en sera de même pour la suite. N'hésite pas relever les erreurs ou les points qui te paraitrait obscur. Bonne journée à toi
haroldthelord
Posté le 12/09/2022
Salut,
Ça sent l’angoisse, un peu flippant les personnages sont éloignés de tout.
Mais que va-t-il leurs arriver ?
Suspense, suspence !
Je suis intrigué.
C’est un bon début.
bealionne
Posté le 12/09/2022
Merci beaucoup, je suis ravie que ce début te plaise, j'espère qu'il en sera de même pour la suite. Pour le moment, je n'ai que huit chapitres de disponible, le neuvième étant en écriture. N'hésite pas à critiquer les points qui te paraitraient peu clair ou incompréhensible.
robruelle
Posté le 11/09/2022
Hello !
Tout d'abord, en première impression, on peut dire que c est bien écris
Les mots sont justes et bien choisis
Je n'ai pas encore bien saisi la relation qui unit l homme et la femme. Est ce deux protagonistes Unis dans la même galère ou leur relation est plus profonde. On verra bien j'imagine :)
J'ai trouvé intéressant ton choix d'exposer aussi rapidement les adversaires. Est ce une nouvelle ou un roman que tu prévoies d'écrire ? J'en conclu que tu ne comptes pas faire mystère de leur existence et que tu veux avancer vite sur un thème plus précis ?
En tour cas j'ai hâte de lire la suite !
A bientôt
bealionne
Posté le 12/09/2022
Hello et merci de ton passage. Pour ce qui est de leur relation, ils sont unis dans la même galère, mais également ensemble. ceci dit, leur relation se complexifiera tout au long du récit. Mon choix de présenter l'adversaire est voulu. Ceci dit, est-ce le véritable adversaire ? 😉
Au départ, ce n'était qu'une nouvelle, mais en définitive, j'ai décidé d'écrire un récit plus long. Pour le moment je n'ai écrit que huit chapitres et le neuvième est encore en construction.
Voilà, merci encore de ton passage, bonne journée et à bientôt.
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