Isis :
Pourquoi fait-il toujours aussi froid dans les salles d’histoire ? Peut être que c’est seulement l’air glacial de Monsieur Sparf qui me donne la chair de poule. Comme à mon habitude, je suis assise dans les premiers rangs pour mieux écouter.
-Silence les secondes B ! Ce contrôle à été médiocre. Je suis déçu de vous.
Aïe, ça s’annonce mal. Même pour moi. Je me souviens de cette évaluation. Papa avait oublié de faire à manger et en plus je devais aider Thénaïs pour son exposé. J’avais révisé quelques minutes avant le début du contrôle, dans la cour de pause avec le bruit et les cris autour.
-T’as pas révisé ? m’ lancé Hotan
J’eu envie de lui répondre que ma seule occupation n’est pas de jouer à la console mais j’ai vite réussi à me raisonner en me disant qu’il est simplement en train de me poser une question.
-Un peu… et toi ?
-J’ai passé la nuit à réviser, je vais tout déchirer !
Je souris… un faux sourire je pense. Je ne me suis pas toujours bien entendue avec Hotan. Quand il est avec les autres mecs il peut être un vrai emmerdeur, avec moi, nous avons toujours pu discuter sérieusement. Je comprends ce qu' Anne trouve à ce garçon. On peut dire qu’il est assez mignon d’un certain côté, de l’autre, il reste le mec qui a brisé le cœur fragile et innocent - pas tant que ça en fait- de Anne ( qui l’a un peu cherché en draguant d’autres hommes, certes ) puis s’est remis avec elle. Bref, j’ai pris ma nouvelle résolution - en plein mois d’octobre, oui - d’arrêter d’essayer de comprendre les histoires de cœur de tout le monde. J’ai beau apparemment donner de bons conseils, je n’ai jamais été en couple. Tout ce que je sais, c’est grâce aux nombreuses romances que je lis quand je veux fuir ce monde.
Monsieur Sparf me sort des pensées qui se sont immiscées dans ma tête en nous proposant - contraignant - de participer à un quiz pour revoir les dates importantes du contrôle avant de nous rendre les copies.
Et merde, si ils voient que je me souviens de rien ? Comment je fais ? Et ma note !? une angoisse soudaine me traverse. J’aimerais pouvoir continuer de dormir sur ma table, capuche sur les oreilles, mais c’est impossible.
-Quelle est la date de l’abolition de la monarchie ?
Nina lève la main et donne la réponse à l’oral en même que le 21 septembre 1792 apparaît en énorme dans mon cerveau. La bonne réponse ! j’ai sous estimé ma mémoire. J'apprécie cette fille. Comme Luk, Maé, Brie et certains autres, elle fait partie de ceux que je connais depuis la maternelle.
-Bonne réponse Nina. Bien, continuons. En quelle année Louis XVI est-il guillotiné ?
Ce fut au tour de Thelyo de donner la bonne réponse. Encore lui qui a la bonne réponse. J’aurais pu participer, je l’avais aussi… Mais non, je me suis laissée rongée par l’angoisse de me tromper.
Thelyo est celui que je redoute le plus. Populaire, sportif et assez beau, ce qui me met en rogne sont ses résultats scolaires. Des 16, 17… et encore plus. Comme moi. Meilleur que moi… En se basant sur la moyenne générale, une seule fois j’ai été faible. Une seule fois il a réussi à gagner. Ce fameux deuxième trimestre de quatrième. Je me suis promis de tout faire pour que ça ne se reproduise pas. C'est pour cette raison que je déteste quand lui ou même Nina participent beaucoup. Ils montrent leur savoir à tout le monde. Les autres élèves qui retiennent leurs capacités mais le plus important… Le prof. Ce dernier accorde facilement plus d'intérêt à ce qui anime son cours. Ce n’est tout simplement pas la même attention entre le clown de service qui reçoit des regards meurtriers et nous, les “intellos”.
-Bataille de Waterloo ?
Facile. Sans même réfléchir à la réponse, ma main guidée par mon instinct se tend en l’air.
Monsieur Sparf m’interroge d’un coup de menton.
-1815.
Ma voix se fait hésitante et mon pied s’agite sous la table.
-Exact.
Je ressens un soulagement immense. C’était si simple que ça. Le pire c’est que ces dates sont devenues un automatisme, même sans avoir révisé je les connais.
-Une dernière… Hum, plus complexe, la date du serment de jeu de paume. Je veux : jour, mois et année.
Aucun bruit. C’est le silence total. Même les plus bavards se sont tus. Certains pour observer tour à tour les meilleurs de la classe et prier pour qu’ils participent avant que ce ne soit à eux qui n’ont surement pas écouter la question de participer, d’autres baissent la tête pour ne pas se faire interroger. Je zieute Nina et Thelyo. Pas de réponse. Je sens le regard de Monsieur Sparf se poser sur moi. J’ai pas la réponse. La seule que j’ai pas… J’aurais dû mieux revoir l’été 89. J’aurais dû ne pas oublier mes cours de collège. Tout est de ma faute.
J’aimerais pouvoir envoyer mes pensées à ce prof, et lui crier de ne pas m’interroger, que je ne connais pas cette date. Mais ça ne marche pas comme ça. Je devrais le savoir depuis le temps.
-Isis, à vous je vous prie.
Il est si confiant. Je vais le décevoir, c’est sûr. je suis incapable de faire bien ce que j’ai à faire.
-Heu…le 24 juin 1789.
C’est faux. Je le sais, je le ressens.
-Ne confondez pas le jeu de paume et les Etats Généraux mademoiselle Sinclair ! C’était le 20 juin.
Je le savais… J’entend quelques cris. Le chaos dans la classe reprend avant que Hotan assis à ma droite ne se rapproche pour me parler sans que quiconque ne l’entende.
-Tu vois, tu peux pas tout savoir !
J’ai envie de l’étrangler… Je l’adore autant que je le déteste. Je ravale mes émotions pour ne pas lui crier dessus. De toute façon, face à mes camarades, je perd toute ma répartie et je ne veux pas que ma vie se transforme en l’une des dark romance que je lis. Je ne suis pas l'héroïne qui lance des répliques sanglantes, qui mène la situation… Je suis la fille paumée qui ne sait pas où se mettre et qui rigole pour combler le vide parce que le silence lui fait peur.
-Bien, maintenant les copies. Sachez que je suis très déçu… Par toute la classe.
Ça y est. C’est sûr, j’ai échoué. Mon pied tape frénétiquement contre le sol, ma main gauche tremble alors que je ronge mes ongles à droite.
-On peut pas être bon partout Isis… dit mon voisin de table avec un sourire en coin.
Ma copie se trouvant sous le tas de feuilles, je la récupère dans les derniers, alors que mes camarades ont déjà crié haut et fort leur note. 3; 8; 1; 4; 7;2; 0… beaucoup de zéro. Pour le moment, la meilleure note est obtenue par Thelyo avec son 11 sur 20.
Ma copie dans les mains… Je respire. Je ferme les yeux. j’ouvre mes paupières. Je regarde.
14…
J’ai 14.
J’ai eu 14.
J’ai eu 14 lors d'une évaluation d’histoire !
Merde.
L’information met du temps à être comprise par mon cerveau. Je regarde encore ma copie. Quatre fautes m’ont fait perdre, deux m’ont enlevé 1 point… et j’ai fait une erreur qui m’en a coûté deux.
-Isis, alors ? Du fond de la classe, Brie m’interpelle.
Je ne réponds pas tout de suite. J’hésite. J’ai peur. Au moment où je me tourne pour faire face à Brie, Hotan m'arrache la copie des mains avant de la fixés, ces yeux grands ouverts.
-T’as eu 14 !?
-Mouais. Tu sais lire non ?
Je vous avais prévenu. Ma répartie s’envole dès que j’ouvre la bouche. Je suis une gamine bordel.
-14 et madame n’est toujours pas contente ?
L’envie de prendre mes jambes à mon cou ne me manque pas. Je les embête déjà assez avec mes bonnes notes, je vais pas piquer une crise pour empirer la situation.
Hotan se retourne pour discuter. J'entends mon prénom sortir de sa bouche puis un chiffre. 14. Puis des rires, des cris. Mais la tête figée et les pensées embrouillées je sors de la classe.
Pourquoi n’ai-je pas eu une mauvaise note comme tout le monde ?