Chapitre 1 _ 1er octobre 1887

Par Rouky

La pluie tombait en rideaux glacés sous le ciel d’encre d’Aldebaran. Devant moi, l’université se dressait, majestueuse et sinistre, telle une forteresse de pierre noire. Ses vitraux flamboyants projetaient des éclats tremblotants sur les pavés détrempés, comme si même la lumière hésitait à pénétrer ces murs séculaires. Ici avaient étudié les plus grands noms de la science : botanique, zoologie, anatomie, chirurgie… Les génies de chaque discipline, tous, avaient foulé ces couloirs.

Pour moi, Lysandre Ashwood, dix-neuf ans, fraîchement arraché à la campagne, entrer dans ce temple du savoir relevait autant de l’honneur que du fardeau. Mes parents, fiers et radieux, voyaient en moi l’avenir que cette académie promettait. Mais ce que je ressentais, moi, c’était autre chose : une solitude écrasante au milieu de ces jeunes hommes élégants, qui semblaient nés pour appartenir à ce lieu.

La pluie redoublant, j’accélérai le pas et me réfugiai dans les corridors chauffés et lumineux de la grande école. Je rangeai mon parapluie, mes yeux d’un bleu incertain glissant sur les pierres lustrées, hésitants.

— Bonjour.

La voix surgit derrière moi, grave et profonde. Je me retournai brusquement. Un jeune homme se tenait là, souriant, ses dents blanches éclatant comme l’ivoire. Sa redingote d’un violet sombre contrastait avec ses cheveux blonds parfaitement peignés.

— Faites-vous partie des nouveaux arrivants ? demanda-t-il d’un ton assuré.

— Euh… Oui… balbutiai-je, mal à l’aise.

Son sourcil se haussa, comme agacé.

— Comment t’appelles-tu ?

— Lysandre Ashwood.

— Suis-moi, Ashwood. Je suis un étudiant senior. Je vais te montrer les lieux.

Il tourna les talons, disparaissant dans les couloirs bondés. Je m’élançai derrière lui, mais ses pas étaient larges, et j’eus du mal à suivre, encore trempé et frissonnant que j’étais. Autour de nous, les regards des autres étudiants se tournaient, intrigués, ébahis. Ce garçon devait sûrement être d’un noble lignage, pensai-je en observant la prestance qu’il dégageait.

Il me fit visiter les lieux : le réfectoire aux lustres d’or, les salles de cours ornées de portraits solennels, les bureaux de professeurs célèbres… Enfin, nous arrivâmes devant le pensionnat, dans l’aile est de l’université.

— C’est ici que tu dormiras, annonça-t-il. Deux à trois étudiants par chambre, en général. Seuls quelques privilégiés peuvent se permettre une chambre individuelle, comme moi.

Ses yeux clairs me sondèrent avec curiosité.

— Et toi, Ashwood ?

Je secouai la tête. Mon héritage m’offrait sans doute ce confort, mais je préférais rester économe.

— Non, murmurai-je. Je n’ai pas pris de chambre individuelle.

— Curieux… fit-il, moqueur, un sourire aux lèvres. Il suffit de te regarder pour comprendre que tu n’appartiens pas vraiment à notre cercle.

Je sentis mes joues s’embraser. Mes vêtements, simples mais propres, semblaient soudain dérisoires au milieu des étoffes raffinées des étudiants d’Aldebaran.

— Et vous… quel est votre nom ? osai-je demander.

Il s’avança d’un pas, ses yeux s’assombrissant d’une lueur menaçante.

— Pourquoi tiens-tu à le savoir ? Tu pensais me dénoncer au directeur, peut-être ? Quelle naïveté. Sache que le directeur est lié à ma famille. Quant à mon nom… tu le connaîtras bien assez tôt.

Sans un mot de plus, il tourna les talons et s’éloigna, me laissant seul dans les couloirs silencieux. La pluie, elle, frappait les vitres comme un avertissement à mon attention.

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