Chapitre 1 : 20 ans plus tard !

Par lindsay
Notes de l’auteur : J'attend un petit commentaire avant de poster la suite. ^^ Bonne lecture et n'hésitez pas à me faire des suggestions !!!

16 Mai 2019

Mya courait à vive allure. Elle avait encore une fois rêvé de lui. Cet homme mystérieux aux yeux bleus nuits. Comme à chaque fois, il lui était impossible de se rendormir. Elle avait pris l’habitude de faire son jogging au beau milieu de la nuit, afin de le chasser de sa tête. Son but principal était de s’épuiser, pour retourner dans la confortable chaleur de son lit, au plus vite. On lui avait répété à maintes reprises que l’on ne rêvait que de personnes que l’on avait déjà croisé dans sa vie. Pourtant, le visage de cet inconnu était d’une beauté inégalable. L’oublier, lui paraissait impossible. Afin de chasser ses pensées absurdes, elle se mit soudainement à sprinter. L’air glacial rougit son visage et rendit sa respiration saccadée. En fait, à chaque inspiration, elle avait l’impression que ses poumons étaient en feu.

Il n’y avait pas un chat à Hallstatt à cette heure-ci. Elle aimait ce silence, mais par-dessus tout, ce sentiment d’avoir le village rien qu’à elle. Le seul écho, qui se faisait entendre, était celui de ses foulées qui martelaient les pavés de la route principale. Alors qu’elle s’apprêtait à tourner à l’angle de la rue, un chat fit irruption devant elle. Ce dernier avait dû être aussi surpris qu’elle puisqu’il resta tétanisé sur place. Elle allait trop vite pour l’éviter, elle le savait. Ne pas réfléchir, sauter par-dessus. Sans un regard en arrière, elle reprit sa course énergique jusque chez elle. Son souffle était erratique, sa respiration légèrement sifflante. Ses jambes, quant à elles, se faisaient lourdes.

Doucement, elle tourna la poignée de la porte d’entrée, apaisée par sa sortie nocturne. La maison était dans la pénombre, silencieuse. Satisfaite, elle fit quelques pas dans le noir.

Soudain, la lumière s’actionna et Mya se figea sur place. Elle ferma les yeux brièvement et se tourna au ralenti vers la source de ce phénomène. Sa mère, Ambre Mayer, l’avait visiblement attendu, assise dans un fauteuil. Sa robe de soie rouge froissée, ses cheveux blonds en bataille et son air pincé, prouvaient qu’elle avait dû la réveiller à cause des vieilles marches de l’escalier de bois. Ces dernières grinçaient, et cela, ne faisait que démontrer l’âge avancé de cette demeure. Elle avait beau avoir vingt-et-un ans, sa mère la traitait, encore et toujours, comme une enfant. Ambre était une vraie mère poule et c’en devenait insupportable.  

— Tu ne t’attendais pas à me trouver ici, je me trompe ? déclara-t-elle.

Son ton sec cachait à peine son inquiétude, mais Mya n’était pas dupe. Agacée, elle se balança d’une jambe sur l’autre, les mains entrelacées maintenues nerveusement dans le dos. S’il y a bien quelque chose qui l’horripilait, c’était de se retrouver dans ce genre de situation. Elle tenta de dérider sa mère et opta pour la carte de l’innocente afin de quitter la pièce au plus vite.

— ­Tu souffres d’insomnie, toi aussi, ou espionner ta fille est devenu un hobby ? railla Mya.

— Mya, je ne te le permets pas ! s’écria-t-elle. Je t’ai déjà dit, à plusieurs reprises, qu’il est dangereux de sortir la nuit, et toi, tu ne trouves rien de mieux à faire que réaliser un jogging nocturne !

— Mais, quand te feras-tu à l’idée, que je ne suis plus une enfant ? se plaignit Mya exaspérée. Je suis majeure et vaccinée, je suis vigilante et tu le sais. Tu ne vas quand même pas me faire croire que le taux de criminalité est monstrueux à Hallstatt ! Dois-je te rappeler que nous ne comptons seulement que sept cent soixante-dix habitants ? Nous sommes dans un village ! Une simple minuscule bourgade ! Et, si on prend en compte, tout ce que je viens de te dire, c’est même miraculeux que j’arrive à y vivre de ma passion.

 — Même dans les plus petites localités, des crimes peuvent survenir, sinon pourquoi y avons-nous un commissariat, d’après toi ?

— Uniquement pour rassurer la population ou pour des litiges minimes, mais surtout pour aider les touristes, dit-elle. La majorité des commerces s’enrichissent uniquement grâce aux excursionnistes !

            — Et comme toujours, tu penses avoir réponse à tout, conclut Ambre, agacée.

— Les filles de mon âge ont soit quitté le village, soit le foyer de leurs parents et je me demande si je ne devrais pas en faire autant, par moments, répondit-elle d’un ton sec. Écoute, je ne veux pas me disputer avec toi, je suis épuisée.

Sans un mot de plus, Mya s’en alla prendre une longue douche chaude. Elle essuya la buée du miroir avec ses mains avant de fixer l’image qu’il lui renvoyait. Elle n’était plus une enfant… Elle secoua la tête et entreprit de coiffer son imposante chevelure ondulée brune en queue de cheval. Le contact de l’eau sur sa peau l’avait désengourdie. Mya s’habilla, mit en valeur sa silhouette élancée parée de formes avantageuses et réfléchit à la confrontation qu’elle venait d’avoir avec sa mère. Ses amies s’étaient gentiment moquées d’elle lorsqu’elle avait refusé leur proposition de cohabiter ensemble. Sur le moment, son excuse n’en avait pas été une. À la sortie de ses études, il y a un an de cela, elle avait créé sa propre agence de tourisme, grâce à l’aide de son père. Cela avait eu un coût.

Aujourd’hui, elle s’en sortait très bien. Elle vivait chez ses parents, non pas par nécessité, mais uniquement parce qu’elle était proche d’eux. Elle n’avait pas voulu être odieuse envers sa mère, mais cette surprotection l’étouffait. Elle attrapa son sac à main sur le bureau de sa chambre et jeta un œil à son réveil. Quatre heures ! Il n’était que quatre heures. Elle entendit un craquement sourd, sa mère remontait. Satanés escaliers ! Son ventre se noua, elle songea au triste regard que lui avait jeté sa mère avant qu’elle ne quitte le salon. Au moment où elle ouvrit la porte de sa chambre, sa mère passa devant elle.

— Je vais au travail. Tu sais, les responsabilités d’une jeune directrice, expliqua-t-elle, mal à l’aise.

— Bonne journée dans ce cas, murmura Ambre, peinée.

Elle n’avait pas eu le courage de la regarder, d’affronter de nouveau la peine et les reproches qu’elle avait entraperçus plus tôt. La voix de sa mère n’avait été qu’un murmure, elle l’avait blessé. Mais elle ne devait pas céder et la prendre dans ses bras. Mya se retourna discrètement pour la voir rejoindre son père dans leur chambre.

Elle décida de marcher tranquillement jusqu’à son entreprise, longea le lac saphir dont l’odeur salée avait toujours eu le don de la calmer. De nature discrète et rêveuse, elle se souvint avoir passé une partie de son adolescence assise sur un banc. Les yeux fermés, elle s’était imaginé mille et une chose, bercée par le cliquetis de l’eau. Elle s’évadait ainsi, dans des mondes imaginaires ou même parfois, tout simplement dans ses propres réflexions et en oubliait tout le reste. C’était l’un de ses endroits favoris. Elle y avait vécu énormément d’émotions : joie, peine, colère. Mais elle en repartait toujours sereine. Elle était différente des autres et l’assumait entièrement.

Mya posa distraitement ses yeux, d’une nuance d’un gris profond, sur les façades ocre et roses des maisonnées environnantes. Le village avait un charme particulier l’été, avec  les fleurs rouges et vertes qui pendaient des balcons des maisons. Ce village avait un côté romantique et comme elle aimait à le dire, était féérique en particulier dues aux montagnes majestueuses des Alpes Autrichiennes qui l’entouraient.

            Elle adorait Hallstatt. Elle avait vécu toute sa vie ici et n’avait pas l’intention d’en partir. Beaucoup de jeunes n’aspiraient qu’à s’en échapper et découvrir enfin la joie de vivre en ville, mais cette vie-là, lui paraissait triste et monotone.

Comme chaque lundi, arrivée à destination, elle s’installa à son bureau et mit le planning à jour. Encore une journée chargée en perspective… Entre son rôle de directrice et celui de guide touristique, elle n’avait plus une seule seconde à elle.

Concentrée, Mya griffonna et ratura avec acharnement une feuille vierge. Aujourd’hui, elle avait un rendez-vous en visioconférence avec un gros client potentiel. Elle devait mettre toutes les chances de son côté. Les taches d’encre visibles sur ses doigts témoignaient de son travail consciencieux. Mya avait un défaut : le perfectionnisme. Elle n’était que rarement fière de ce qu’elle entreprenait. Même si elle y mettait tout son cœur, elle y trouvait toujours des améliorations à apporter. Puis, la fatigue l’emporta, le stylo encore dans la main.

Le tintement strident de la clochette de la porte d’entrée la réveilla en sursaut. Elle baissa les yeux et fixa, peu fière d’elle, le trait que son stylo avait réalisé sur la longueur de la page. Elle se maudissait de s’être endormie, Mya se releva en vitesse et tenta de défroisser ses vêtements. Elle avait des courbatures dues à la mauvaise position et passa rapidement une main dans ses cheveux, histoire d’y remettre un peu d’ordre. Un de ses deux employés venait d’arriver. Encore dans les vapes, elle se dirigea vers la salle de pause. Leny ou Félix ? Sûrement le premier, le deuxième n’étant que rarement présent.

Elle avait grandement besoin d’un café afin de reprendre contenance. Le chaud nectar lui fit un bien fou au point de ne pouvoir s’empêcher de pousser un petit gémissement de contentement. Un petit rire la fit se retourner. Un jeune homme, à la chevelure rousse, aux yeux verts pétillants, Leny, le visage sympathique, lui faisait face, accoudé à la porte de la pièce. Il lui présenta sans un mot une boîte de muffins et s’approcha d’elle, les yeux moqueurs.

— Les muffins de Madame Renner ! s’écria Mya, les yeux pétillants de joie.  Si je m’écoutais, j’avalerais toutes ces petites gourmandises sur le champ.

— Gourmande ! répliqua-t-il alors qu’il la dévisageait. Si je peux me le permettre, tu es surtout venue trop tôt. Tu travailles trop.

— Oh tu sais je n’arrivais pas à dormir, expliqua Mya, je n’allais tout de même pas rester chez moi à me tourner les pouces, alors que je savais qu’une ribambelle de tâches m’attendait ici.

— J’imagine que tu as fini par t’endormir sur ton bureau, encore une fois, renchérit Leny, ton visage est recouvert de traces.

Mya se dirigea aussitôt vers le miroir des toilettes, Leny sur ses pas. Elle se passa de l’eau sur le visage, après avoir vu les dégâts auxquels il avait fait allusion. Elle remercia ce dernier qui à présent s’éclaffait devant son visage dégoulinant. Il lui présenta une serviette afin qu’elle puisse s’essuyer. Elle se maquilla dans la foulée, légèrement. Mya était de celles qui ne déposent qu’une légère touche de couleur sur les yeux et les lèvres, elle préférait de loin rester sobre.

— Je me suis assoupie, avoua-t-elle, je préparais mes notes.

— Tu vas être époustouflante, comme d’habitude, la rassura-t-il. À quelle heure, doit arriver Félix, aujourd’hui ? 

Mya contempla le sol, nerveusement. Cette question avait toujours le même effet sur elle, l’incertitude, car elle n’en connaissait pas la réponse. Engager son cousin n’avait franchement pas été un choix très judicieux, surtout lorsqu’elle connaissait son passif. Après tout, il s’était bel et bien fait renvoyer de maints endroits. Mais elle avait voulu l’aider malgré tout et cette action se retournait plus contre elle qu’autre chose. Qu’était-elle censée lui répondre ? La vérité ? Qu’elle n’en savait strictement rien…

— Ne me dis pas qu’il ne va pas venir ! dit-il excédé. Tu sais ce que je pense de lui, Mya. Tu ne devrais pas être aussi douce et sensible. Qu’il soit un membre de ta famille n’y change rien.

Elle avait l’impression d’être une enfant qui se faisait moraliser par son père. Leny était beaucoup plus qu’un employé à ses yeux. Mya avait une affection particulière envers lui, presque fraternelle.

Mais le sujet à propos de Félix la rendait honteuse. C’était un des sujets qui avait le don de l’agacer. L’autre était les allusions quant à sa vie amoureuse qui d’ailleurs n’existait pas. Mya n’avait tout simplement pas pût se résoudre à laisser Félix dans le pétrin. Pour la simple raison qu’elle ne pouvait tout bonnement pas lui tourner le dos. Elle lui avait tendu la main et ne supportait pas l’idée de le mettre à la porte. Cette simple perspective lui brisait le cœur. Alors à chaque fois, elle lui trouvait une excuse et lui laissait une dernière chance, bien qu’il en ait eu plus d’un millier au compteur.

Félix lui en avait d’ailleurs été reconnaissant. Au début, son comportement avait été irréprochable, même exemplaire. Puis au fil du temps, ses attitudes avaient malheureusement changé, il manquait des heures et parfois des jours de travail. Durant ces moments-là, Leny et Mya endossaient des charges supplémentaires de travail à tour de rôle.

Bien entendu, elle n’avait pas prévu que les deux hommes, en plus de cela, s’exécreraient. Leny considérait Félix comme un bellâtre paresseux et un dragueur invétéré. Tandis que Félix le méprisait pour les remontrances et les ordres qu’il recevait de la part d’un prétentieux.

— Es-tu mon frère, mon père ou un employé ? dit-elle d’un ton taquin.

— Depuis quand as-tu un frère ? s’enquit-il un sourcil levé. Je suis estomaqué, parmi toutes ces propositions, il n’y avait même pas celle d’ami.

— Arrête donc tes singeries, dit-elle avant de lever les yeux au ciel. Va plutôt travailler avant que ta patronne ne te remette à ta place.

— Bien, chef !

L’heure de son entretien approchant, Mya s’enferma dans son office. Elle marcha de long en large et relut à voix haute les réponses à la multitude de questions que lui avait envoyées par email son interlocuteur. Nerveuse, elle décida de s’asseoir devant son écran et d’attendre l’heure fatidique. Elle joua avec ses cheveux et les entortilla autour d’un doigt.

Son entrevue lui sembla durer des heures. Mya posa sur la table toutes les cartes qu’elle avait en mains. Elle haïssait ces moments qu’elle passait à argumenter à travers un écran, pour réaliser un nouveau partenariat avec une nouvelle compagnie aérienne ou les autres sociétés. Savoir vendre son entreprise… Appâter quelqu’un… Peu importe dont on le nommait, pour elle ce n’était qu’une séance de torture où elle transpirait à grosses gouttes comme un bœuf.

Afin de le convaincre de choisir son agence plutôt qu’une autre, Mya choisit la transparence. Elle lui fit part du nombre d’offres de contrat qu’on lui proposait de signer. Est-ce qu’elle cherchait à lui mettre la pression ? Non, pas du tout. Là, n’était pas la question. S’agissait-il de bluff ? Aucunement, c’était sa botte secrète, sa marque de fabrique. En général, ça avait l’effet escompté.

Une fois l’entretien terminé, elle s’étira et sortit de la pièce, exténuée. Mya souffla longuement. Un sentiment d’extase s’empara d’elle. Néanmoins, elle s’abstint de réaliser la danse de la victoire. En tant que supérieure, elle se devait de rester digne, peu importait la situation. Elle rejoignit Leny à l’accueil pour lui faire part de la nouvelle. Ce dernier la sonda du regard, annota quelque chose dans le petit calepin du secrétariat avant de la dévisager. De toute évidence, il venait de répondre à un appel et le notifiait pour Félix.

— Tu jubiles ! s’exclama-t-il heureux. Ça s’est passé comme tu le souhaitais ?

— Si tu savais, il m’a demandé ce qu’une enfant faisait à la tête d’une industrie comme la mienne, l’informa Mya en grimaçant.

— Tu aurais dû lui dire que tu fais plus jeune que ton âge et que c’est flatteur.

— Sottises. Passons, je t’avoue que lorsqu’il a commencé à me parler de pourcentages, j’ai eu beaucoup de mal à réprimer un bâillement.

Les deux complices ricanèrent. Ça aurait pu être une catastrophe si elle n’avait pas réussi à se maîtriser. Elle avait bu de l’eau fraîche pour dissimuler son ennui. Heureusement, elle avait toujours une petite bouteille et un verre près d’elle, lors de rendez-vous de ce genre.

— Pourquoi suis-je aussi éreintée après une vidéoconférence alors que je ne le suis pas lorsque je fais de longues randonnées ? marmonna-t-elle. Tu aurais dû voir sa tête au moment où je lui ai parlé de ses concurrents, c’était extatique !

— À ce point ? Il était si mignon que ça ?

— Si tu fais référence au fait qu’il soit imposant et à ses cheveux grisonnants, grimaça-t-elle, je te répondrai très peu pour moi. En tout cas, malgré ses agissements horripilants, nous sommes parvenus à un accord. J’ai donc le plaisir de te dire que l’on pourra ouvrir une bouteille de champagne ce soir.

— Qu’est-ce qu’il a fait au juste ? dit-il crispé.

— Il n’a pas arrêté de m’appeler « sa mignonne » ou fait d’autres sous-entendus similaires, répondit-elle vaguement, en levant les yeux au ciel.

— Il mériterait que quelqu’un le remette à sa place, s’énerva-t-il en serrant les poings.

— Ce n’est pas parce que je suis une femme qu’il faut voler à mon secours, déclara Mya en levant les yeux au ciel. Je sais me défendre toute seule.

— Oh, ça je le sais, fit-il avec gravité, je suis sûr qu’il a juste tenté de te déstabiliser et que tu n’as pas cillé d’un poil.

— Je vais vraiment finir par croire que tu me prends pour un animal, plaisanta-t-elle avec un sourire, ou que tu as disposé une caméra dans mon bureau.

Alors que Leny allait répliquer quelque chose, le carillon de la porte d’entrée le stoppa dans son élan. Ils tournèrent leur tête d’un même mouvement dans cette direction. Un beau jeune homme brun, les yeux noisette venait de faire irruption souriant de toutes ses dents.

— C’est à cette heure-ci que tu daignes arriver, Félix ? railla-t-il d’un ton hautain.

— Dis-moi, ma chère cousine, commença-t-il, suis-je le seul à entendre un étrange bourdonnement ? C’est perturbant.

— Où diable étais-tu encore fourré ? continua Leny énervé par son attitude.

Félix tourna la tête de tous les côtés comme s’il ne le voyait pas, puis posa son regard sur Mya l’air confus.

— Ce sifflement persiste. Il faudrait que je songe à aller consulter un médecin. Ça devient inquiétant.

Félix plaça ses mains sur ses oreilles avant de les enlever. Il répéta ce geste à plusieurs reprises. Son visage était si sérieux que l’on aurait pu croire qu’il était véritablement préoccupé pour son ouïe. Mya ne put s’empêcher de pouffer devant l’humour de son cousin. La prestation qu’il venait d’effectuer était digne d’un acteur, ce métier lui collait à la peau. Elle se demandait même, pour quelles raisons, il n’avait pas envisagé de réaliser divers castings. Il aurait été remarqué, à coup sûr ! L’œillade de Leny lui fit comprendre qu’il était vexé de sa réaction. En effet, on aurait pu croire qu’elle encourageait le plaisantin, par la même occasion. Elle souffla et haussa les épaules.

— Félix, on ne pourra pas toujours te remplacer, dit Mya sérieusement. Retourne à ton poste de secrétaire. J’ai une excursion avec un groupe de personnes qui ne devraient pas tarder à arriver. Je reviendrais pour la fermeture.

Ce dernier acquiesça et les étonna, lorsqu’il sortit de son sac à dos, une bouteille de champagne. Il stoppa son mouvement et dévisagea sa cousine. Elle était à la fois émue et surprise. Elle s’attendait à boire une bière sur la place du marché, ce soir. C’était devenu leurs rituels depuis quelque temps. La célébration s’effectuait toujours dans le même petit café.

— Ne me regarde pas avec cet air voyons, tu vas me vexer. Tu ne croyais tout de même pas que j’allais oublier que tu avais un rendez-vous ce matin ?

— Je ne vais rien prétendre, mais je suis touchée par ton geste.

Félix esquissa un sourire bien que ses yeux laissaient entrevoir de la peine. Il se dirigea vers la salle de pause pour mettre la bouteille au frais dans le réfrigérateur.

— On se demande pour qui il l’a acheté, railla Leny  avec un sourire mauvais.

On aurait pu croire qu’il était jaloux ou envieux de ne pas y avoir songé à sa place.

Quand allaient-ils donc agir comme des adultes ? Ils ne pouvaient décidément pas se supporter. Elle avait l’impression de vivre avec deux adolescents et de tempérer leurs scènes sans arrêt. Si au début, elle les rabrouait gentiment, elle en était maintenant excédée. Cette situation ne pouvait pas continuer indéfiniment. Un jour, cela finirait par arriver devant des clients. Par chance, jusqu’à présent il n’y avait pas eu d’incidents. Mais si cela venait à se produire, la catastrophe engendrée serait malvenue. Cela porterait préjudice à la réputation de la boite et le travail accompli aura été effectué en vain. Non, elle ne le permettrait pas.

— Ça suffit Leny, dit-elle agacée, ne dépasse pas les limites ! Il me semble que de la besogne t’attend.

Il la toisa puis partit tête baissée vers son bureau. Elle soupira et attrapa son sac à dos qui contenait tout le matériel pour la journée. Si seulement un jour, elle pouvait arrêter de faire la police dans son établissement. À peine Félix revenu derrière le guichet d’accueil, qu’un groupe de douze personnes attendait à l’extérieur de l’agence dont trois enfants.

Mya prit son manteau et alla à leur rencontre, ces étrangers lui semblait surexcité. Ils avaient tous, sans exception, un appareil photo en main ou autour de leur cou.

Une majorité de la population des visiteurs était d’origines asiatiques. Et lorsque ce n’était pas le cas, elle s’amusait toujours à essayer de deviner d’où ils venaient. S’ils étaient issus de pays froids, leur peau était loin d’être blanche. Dans ce cas-là, ils avaient sans doute séjourné dans un pays chaud ou fait un séjour dans un institut. Après tout, maintenant avec la technologie, il était possible de bronzer sans soleil, sans UV et sans autobronzant. Une de ses amies avait en effet eu recours à un activateur, de mélanine d’origine végétale, diffusé par micro-brumisation.

Pourtant, leur bronzage n’était pas uniforme. À les voir ainsi, elle ne pouvait s’empêcher d’imaginer ses clients en chemise hawaïenne avec un chapeau de paille et des tongs. Une image d’eux vint à son esprit, ils étaient assis sous des palmiers et sirotés leur boisson à la paille dans une noix de coco. Elle chassa, cette pensée de sa tête. Le moment, n’était pas fait pour les spéculations.

Elle aimait son métier et adorait partager ces moments avec les touristes. Voir leurs joies se répandre sur leurs visages, était un pur régal. Pourtant, elle avouait qu’être guide touristique n’était pas rose tous les jours. Les personnes face à elle semblaient être bienveillantes. Mais il lui était déjà arrivé de se retrouver avec des personnes grossières qui se croyaient tout permis. Parfois, elle avait envie de les remettre à leur place avec un bon coup de pied dans leur derrière. Mais elle restait toujours maîtresse d’elle-même, autoritaire et douce à la fois.

Il y avait des jours où elle rentrait au bord de la crise de nerfs ou exténuée comme si elle avait couru un marathon. Canaliser certains, était parfois un énorme challenge à relever. Fréquenter ce genre d’individus pendant une journée, la rendait folle.

Cependant, la plupart du temps, elle retournait à son bureau le sourire aux lèvres, heureuse. En fait, en un coup d’œil, Mya savait dans quel état elle rejoindrait ses collègues le soir. Elle cernait rapidement les personnalités des personnes qui l’entouraient. Un don en quelque sorte. En tout cas, aujourd’hui, elle reviendrait sereine.

Avant de débuter leurs parcours, Mya donna à chaque personne une petite carte de son agence qui comportait entre autres son numéro de portable et l’adresse de son entreprise. Il lui était déjà arrivé de perdre des personnes et ne souhaitait pas revivre l’expérience. Il suffisait qu’un des touristes ait l’attention accaparée par quelque chose qu’il en oubliait les autres. Elle avait déjà dû, une fois, rembourser une partie du tarif au à ses clients, car ils n’avaient pas pu réaliser leur parcours en entier.

Une fois cela effectué, elle commença son discours habituel. La journée en leur compagnie allait débuter. De son point de vue, Hallstatt était un village de contes de fées. C’était l’un des plus beaux sites à visiter en Autriche. Puis, il était classé au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1997, pour son passé historique que ce soit au niveau du patrimoine archéologique ou de la production de sel. Ce qui, autrement dit, n’était pas rien.

Les enfants semblaient émerveillés par le flot de paroles que débitait Mya et marchaient tous à son niveau. Elle les préférait de loin, car en général ils étaient vifs d’esprit et posaient des questions pertinentes, ce qui démontrait leur intérêt et leur curiosité. Tandis que les adultes, la suivaient plutôt bêtement, attentif, heureux, mais en silence. Il était rare que l’un d’eux ne cherche à l’interrompre.

Aujourd’hui, le programme n’était pas si chargé que cela. Ils débuteraient par une visite au musée de la ville, étape indispensable. Puis, afin de divertir les plus jeunes, elle avait prévu de leur faire découvrir la ville via une chasse au trésor. Suivi bien entendu, de l’attraction phare d’Hallstatt, la visite de la mine de sel qui était toujours en activité depuis plus de sept mille ans et était la plus vieille au monde. Elle avait prévu de leur faire parcourir, par la suite, une grotte de glace. L’endroit était préservé naturellement, seuls quelques effets de lumières avaient été ajoutés au lieu. Cela rendait les concrétions de glace relaxante et envoutantes à la fois. Puis, pour finir la journée en beauté, elle avait prévu de les emmener à la fameuse vue panoramique à 360°.

Le soir, après s’être séparé de son groupe, Mya songea une fois de plus qu’elle ne s’était pas trompée. Cette journée avait encore été parfaite. Une envie subite de rêvasser près du lac, s’empara d’elle. Elle aurait adoré s’asseoir sur un de ces bancs et y rester afin d’observer le coucher du soleil. Mais, elle ne pouvait pas se le permettre. Une montagne de besognes l’attendait, de la paperasse entre autres. Pourtant, elle hésita quelques instants avant de se décider à prendre le plus long chemin pour rentrer. Flâner un peu dans les rues ne lui ferait pas de mal.

Lorsqu’elle poussa la porte, Félix était au téléphone et lui fit un petit signe de la tête auquel elle répondit. Elle passa devant le bureau de Leny et le vit tenir des dossiers d’une  main et se frottait la tête de l’autre. Il réfléchissait sûrement à de nouvelles offres de prestations de service. Au moins, en son absence, chacun s’était remis à ses occupations dans son coin. En réalité, parfois, elle se demandait s’ils étaient exécrables l’un envers l’autre quand elle était absente, puis qu’ils reprenaient tranquillement leur poste comme si de rien n’était pour ne pas l’inquiéter lorsqu’ils savaient qu’elle allait arriver. Elle devait bien admettre que l’idée de disposer des caméras dans son établissement lui était venue à l’esprit, mais ça lui avait paru farfelu. En tout cas, elle préférait de loin les retrouver ainsi.

Lorsqu’elle atteignit son bureau, elle libéra d’une main sa tignasse et fit un mouvement circulaire de la tête. Une douleur cervicale apparut, résultat de sa courte nuit. Elle s’assit au fond de son fauteuil et se permit de fermer les yeux durant quelques minutes avant de se masser les tempes. Elle répondrait aux emails plus tard. Elle s’accordait pour le moment une pause amplement méritée.

Le bruit phénoménal de sa porte qui s’écrasa contre le mur la fit décoller de son fauteuil. Elle s’était, une fois de plus, perdue dans ses réflexions et avait perdu la notion du temps. Sur le seuil, ses deux collègues se mordaient les lèvres. De toute évidence, ils ne s’étaient pas attendus à la trouver de cette façon. Félix fut le premier à réagir, il tenait dans sa main la bouteille de champagne qu’il secoua légèrement avant de l’ouvrir. Leny déposa, quant à lui, les trois verres prévus à cet effet sur la table basse de la pièce.

Elle mit un moment à se ressaisir, elle avait eu l’impression de se faire prendre sur le fait. Mais s’ils étaient là, cela signifiait qu’il était l’heure de la fermeture. Elle les rejoignit dans l’un des canapés et trinqua avec eux. Ils dégustèrent le délicieux breuvage avec bonne humeur. Ses deux compagnons lui firent un résumé de leur journée tout comme elle, cependant elle n’arrivait pas à oublier la tonne de choses qu’elle avait encore à effectuer. Durant une fraction de seconde, la pensée de revenir plus tôt le lendemain matin lui vint à l’esprit, mais elle la chassa d’un claquement de doigts.

— La journée a été extraordinaire, les informa-t-elle heureuse. Je n’arriverais pas à redescendre de mon nuage, aujourd’hui.

— En même temps, il ne te reste que quelques heures pour arriver à minuit.

Mya et Leny s’exprimèrent en même temps. Ce dernier qui était assis à côté d’elle, lui fit face étonné.

— Félix…, gronda Leny.

— Je tenais à remercier les deux petits lutins que vous êtes à rester auprès de moi, déclara Mya en interrompant Leny volontairement. Je n’aurais jamais réalisé la signature de ce matin sans vous.

Ils levèrent leurs verres à l’unisson et finirent leur coupe dans une ambiance joviale. Les discussions reprirent joyeusement. Mya, qui n’avait mangé qu’un maigre sandwich en guise de déjeuner commença à sentir la faim poindre le bout de son nez.

— Qui a envie d’une pizza ? proposa-t-elle soudainement.

— Tu avais prévu de dîner ici ? dit Leny les yeux écarquillés. Ma femme m’attend. Une prochaine fois ?

Mya ferma les yeux et se gifla mentalement. Sa femme ! Elle l’avait oubliée sous le coup de l’excitation.

— Oh, je comprends, je n’ai pas spécialement faim non plus, se ravisa-t-elle mal à l’aise. Passe le bonsoir à ton épouse.

Comme si sa phrase avait été le signal qu’il attendait, Leny bondit hors du canapé attrapa son manteau et son porte-document, puis serra ensuite Mya brièvement dans ses bras. Félix, quant à lui, ne bougea pas et la dévisagea étrangement.

— Je n’y manquerais pas, répondit-il. Bonne soirée.

— Très bien, tu peux rentrer chez toi, Félix.

— Tu ne viens pas ? s’enquit-il. Je pourrais te raccompagner.

— Eh bien, avant que vous ne débarquiez ici, j’avais l’intention de faire deux ou trois choses, avoua-t-elle. Je n’ai pas envie de me lever trop tôt demain.

— Dans ce cas, je peux t’attendre, répliqua-t-il aussitôt.

— Je risque de finir tard, tenta Mya gênée.

— Je vois…, souffla-t-il déçu. Tâche de ne pas passer la nuit ici. À demain.

— Ne t’inquiète pas. À demain.

Une fois Félix parti, elle soupira et fixa le contenu de sa table basse. Elle s’empara de la bouteille vide et des trois verres. Décidément, ces deux-là se ressemblaient plus qu’ils ne le croyaient. Ils lui laissaient toujours les tâches ménagères à effectuer après leur passage. Elle lava, rangea, et essuya les verres avant de jeter la bouteille dans la poubelle. Elle s’empara ensuite de son portable pour prévenir sa mère afin qu’elle ne s’alarme pas. Ensuite, elle s’installa de nouveau devant son ordinateur. Elle risquait de passer, une fois de plus, la nuit à son travail. Plus les heures passaient et plus elle luttait contre le sommeil.

Mya avançait dans un long couloir blanc. Que faisait-elle ici ? Où était-elle ? Cela ressemblait vaguement à l’idée qu’elle se faisait d’un asile de fou. Le silence régnait en maître dans cet endroit. Elle se sentait angoissée. Oppressée. Comme si elle ressentait un danger imminent ou que le mal en personne était près d’elle. Le fait de ne croiser âme qui vive augmenta ses ressentis. Elle continua néanmoins sa progression. Au bout du corridor se trouvait une porte. Une unique et inquiétante porte noire. Le plus déconcertant était qu’une force l’attirait. Comme si elle était dans l’obligation de l’ouvrir. Qu’il n’y avait pas d’autre choix possible. L’écho de pas précipités se fit entendre, ils venaient dans sa direction. Elle se retourna et observa son mystérieux inconnu, dont ses cheveux blonds flottaient derrière lui au rythme de sa course effrénée. Encore et toujours lui. Cependant pour la première fois, il lui parla. Sa voix lui parvint alors distinctement :

— Tu es en danger, il t’a retrouvé, l’informa-t-il. N’ouvre pas cette porte !

Elle tenta de lui répondre, ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit.

Poussée par la curiosité, elle posa une main sur la poignée et l’actionna. La résonance d’un étrange sucement parvint à ses oreilles. C’était horrifique ! La jeune femme brune était glacée d’effroi. La pièce dans laquelle elle venait de faire intrusion était rouge. Rouge comme l’hémoglobine. Elle se sentit défaillir. Pourtant, elle n’était pas de celles qui s’évanouissaient à la vue du sang. Elle plissa les yeux et remarqua cette chose singulière. Une étrange forme menaçante se situait dans un coin reculé de la pièce. La monstruosité venait sûrement de remarquer, à ce moment précis, sa présence dans la salle et bondit vers elle. Son hurlement resta coincé dans sa gorge. Elle ne pouvait plus rien faire. Elle allait mourir sous les griffes de cette bête.

 

 

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