"Vos sourires comme des étoiles"
Nous venions d’être confinés pour notre sécurité et celle des autres. La priorité étant devenue de réduire au maximum la transmission de ce virus , que l’on retrouvé dans chaque bouche, sur le bout de la langue prêt à revenir à la moindre conversation.Je n’étais encore qu’au lycée et je découvrais peu à peu ce que signifiait la notion de liberté. Ne plus se soucier du regard des autres et se sentir vivant à chaque instant. Pour la première fois, j’avais des amis avec qui je n’éprouvais pas le besoin de me cacher. J’étais excentrique, curieuse et j’avais l’ultime conviction que le monde m’appartenait. Dans notre groupe éclectique, j’avais ma place, une pour laquelle je n’avais pas eu à me battre. Elle était légitime, ma voix était écoutée et j’étais appréciée . Je m’habituais à l’idée que je pouvais être aimée sans avoir à le supplier. Il existait donc des individus qui voulaient évoluer avec moi sans que je ne change. Moi qui avant ne connaissais que la solitude, je voyais devant moi un monde nouveau, dans lequel je n’aurais plus jamais à être seule.
Nous étions un ensemble de jeunes, qui s’étaient, un jour, senti trop grands pour leur corps, trop grand pour leurs villes, trop grands. Nous n’avions pas vraiment de points communs, hormis le fait que nous étions seuls avant sans l’envie de l’être à nouveau. Aucun d’entre nous ne venait du même quartier ou du même village. Cependant, nous avions tous pris la décision de partir, avec l’espoir de rencontrer des personnes semblables dans la grande ville. Celle qui bercera les années les plus marquantes de ma vie. Toulouse, quand le sommeil me prend, je peux encore marcher dans tes rues, voir tes parcs et entendre la vie qui t’habite. Ma ville rose, je t’ai haï comme je t’ai aimé. Toi qui m’a vu aussi forte que misérable, tu resteras à jamais mienne. Quand ma campagne était trop étouffante, tu étais ma bouffée d’air frais. Aujourd’hui encore, dès que l’occasion se présente, je me précipite pour être à tes côtés. Sur cette place qui, quatre ans auparavant avait hébergé les aventures d’un groupe inconscient, qui changeront à jamais leurs liens d’amitié.
Ma rencontre avec ceux que l’ont appelait affectueusement les déchets, avait été au début virtuelle, mes souvenirs n’étant pas fiable je ne saurais dire comment. Du jour au lendemain, j’étais avec eux sur ce groupe chat à découvrir ce qu’était l’amitié. La solitude qui était ma seule compagnie fut remplacée par un entourage joyeux et curieux. Pour moi, ma vie était simplement passée de sans eux à avec eux. Nous n’étions pas tous scolarisés au même établissement, mais mettions un point d’honneur à nous parler quotidiennement. Nos conversations étaient autant constituées de bêtise, de ragots que des confessions, une fois le soleil couché. La distance imposée par nos téléphones nous permettait d’être plus honnêtes les uns envers les autres et ainsi de nous rapprocher. Nous dévoilions nos désirs de simples adolescents comme des craintes gravées en nous par notre passé. L’admission secrète de n’avoir jamais eu son premier baisé pouvait côtoyer celle de la peur permanente de l’abandon, dans la même conversation. Nous étions des jeunes portant un poids émotionnel d’adultes sans pour autant avoir eu les expériences pour en être un. C’était un paradoxe qui nous éloignait des autres de notre âge. Nous nous entions mature mais innocent à la fois. Prêt à tout pour grandir et combler cet écart interne. Pouvoir être entièrement adulte ou simplement lycéens, mais ne plus être les deux à la fois.
L’école qui était par le passé synonyme de tourment était devenue un réconfort. Un lieu où je pouvais me laisser être et apprendre sur moi, sur qui était Abigaëlle. Je l’avais perdue en cours de route, au détour d’une énième tentative de la façonner pour satisfaire les envies d’autrui. Un recours désespéré pour me faire accepter par mes camarades. Camoufler le vrai qui ne plaît à personne pour imiter ceux qui m’entoure et pouvoir faire partie du groupe. Quitte à oublier mes racines et la personne que j’étais avant. J’avais conscience que l’enfant que j’avais un jour été ne reviendrait pas et resterait à jamais hors de ma porté. Un simple souvenir, comme un tableau que je ne pouvais qu’observer, mais point toucher. Un être radieux que je tentais de réanimer. Celle qui fut un jour l’objet de tant d’affection et de fierté. Car je n’avais pas toujours été seule, lors de mes premières années, j’étais sociable, confiante et entourée. Je tenais dans mes mains les ambitions de ma mère et de ma famille. Une fillette avec un beau futur, qui à coup sûr sera une fierté. Dans les meilleurs de sa classe, passionnée de lecture et de théâtre. Elle était pour autant joueuse et avec un gros caractère. Souvent trop gros. Je lui demande encore aujourd’hui de m’excuser, je n’aurais jamais réussi à réaliser ses rêves de grandeur. Je n’ai pas su être à la hauteur de son image. Elle brillait trop fort, je sais depuis longtemps déjà que je ne serais qu’une déception en comparaison. Je le savais cet été-là, je le savais à mes quatorze ans et je le sais à mes vingt et un.
Pendant cette période, que fut mon entrée au lycée, je me sentais plus légère. Je croyais pendant un court instant m’être débarrassé du mal qui me hantait, mais celui-ci était déjà devenu une partie de moi et ne me quittera que lors de mon dernier souffle. Cette angoisse pesante qui m’accompagnait chaque jour, me murmurant dans l’oreille que je n’étais qu’une erreur qui ne ferait que décevoir ceux qui aurait pu croire en moi. Ma rencontre avec mes nouveaux amis, bien qu’elle ne fut qu’une coïncidence, avait nourri en moi l’espoir de devenir une personne à part entière et non pas l’ombre de mes pensées. Ils me donnaient de la force, comme un élan de vie et leur présence constituée mon univers. Mon système entier tournait autour d’eux et de nos moments partagés. Avec beaucoup d’insouciance sûrement, je pensais qu’ils resteraient à mes côtés. Que nous nous retrouverions dans nos vieux jours sur cette même place face à la basilique qui était le témoin de ma jeunesse. Que nous serions, à notre tour, les personnages des émissions qui avaient bercées notre enfance. Des trentenaires développant leurs vies ensemble, autour d’un verre à raconter leurs quotidiens. Je voulais vivre avec eux cet idéal que chaque personne porte de ses plus belles années. Celles-ci centrées autour de l’amour, des fêtes, du sexe et de la folie. Tout vivre avec ceux que j’aimais tant. Je leur avais offert une partie de mon âme et ils m’avaient offert une partie de la leur en retour. Ils ont gardé avec eux mes premiers baisés, mes premières sorties, mes premières expériences. Mes souvenirs les plus chers, qui quitteront leurs mémoires aussi vite qu’ils y sont entrés. Cependant, je chérirais au plus profond de mon cœur, l’image de leurs sourires cette fameuse nuit d’été.