Si seulement il avait su profiter de l’instant présent. Se déconnecter, accepter de lâcher prise. Mais non. Comme d’habitude, son anxiété l’avait poussé à être raisonnable, à s’organiser, à suivre les règles établies par on-ne-sait-qui mais suivies par tout le monde. Un week-end en chalet, ça se termine le dimanche soir. Le dimanche, on prend la route pour rejoindre le flot de voitures qui retournent s’entasser en ville. Qu’importe les bouchons, il voulait rentrer le soir même pour s’assurer d’avoir une bonne nuit de sommeil avant de démarrer la semaine.
Elle, au contraire, se sentait si bien loin de la ville, qu’elle avait proposé d’aller à contre-courant. Profiter d’une dernière nuit au chalet et repartir le lendemain matin, quitte à commencer le travail plus tard, mais le sourire aux lèvres et la tête encore un peu au milieu des bois. Et ce ne sont pas les arguments qui manquaient. Deux bouteilles de vin patientaient encore dans le frigo, au milieu des restes de raclette et de la tarte aux bleuets. Le temps était au beau fixe. La cheminée ronronnait doucement. Ils n’avaient pas à rendre les clefs de location avant lundi matin et l’équipe de nettoyage ne devait passer qu’en début d’après-midi. C’était le moment parfait pour s’accorder une soirée de détente supplémentaire. Ou une soirée plus coquine avant le retour du métro-boulot-dodo éreintant. Ce dernier argument l’avait presque convaincu, mais un coin de son cerveau lui chuchotait que s’ils rentraient ce soir, il aurait plus de temps pour terminer le dossier de l’investisseur russe. Déjà, le stress de son travail grignotait petit à petit le cocon bienveillant qui s’était formé pendant ce week-end en amoureux. Alors il avait insisté, malgré la tristesse qu’il voyait pointer dans le regard de sa femme. Il avait insisté, et ils avaient fini par prendre la route le soir même.
Sur la route, joli ruban blanc slalomant dans une forêt épaisse, il s’était même félicité de rentrer avant les chutes de neige qui avaient été annoncées pour le lendemain. Certes, ils avaient équipé leur voiture de pneus neige obligatoires, mais c’était autre chose de devoir manier son véhicule quand un rideau de neige déferle sur la route. Non vraiment, il sentait qu’il avait fait le bon choix. Il le répétait à voix haute, comme pour se convaincre lui-même. De toute façon, sa douce moitié s’était muée dans le silence, le cœur serré à l’idée de recommencer une nouvelle semaine aliénante. Il voulait lui prouver que c’était un mal pour un bien. Regarde, on va éviter le trafic. Ses doigts pianotaient sur le GPS de son téléphone intelligent et ses yeux, rien qu’une seconde, quittèrent la route pour vérifier l’heure estimée d’arrivée. Rien qu’une seconde. Quand la voiture se mit à déraper sur la neige, il serra les dents et se répéta que rentrer dès ce soir, c’était la bonne chose à faire. Puis il vit les phares, menaçants, aveuglants, qui venaient si vite vers eux, au bout du virage. Les phares étaient si lumineux qu’en tournant la tête, il put observer avec précision chaque détail du visage de sa femme. Sa peau, si douce et si blanche. Ses yeux, écarquillés par la surprise. Sa bouche, ouverte sur un cri silencieux.
Si seulement il avait su profiter de l’instant présent. Se déconnecter, accepter de lâcher prise. Mais non. Il avait insisté pour prendre la route, et il les avait tués.
Franchement, si après un début pareil, on ne continue pas de lire, ce n'est pas normal.
Je ne sais pas encore de quoi cette histoire parle que je suis déjà séduit et optimiste pour la suite.
Le dernier paragraphe est tout simplement magnifique. C'est même un exemple de relance.
Merci pour ce premier chapitre exquis !
J'ai hâte de lire la suite.
Merci encore !
Je vais voir la suite, un peu "à cause" de la dernière phrase, pour répondre à la question : "mais s'ils sont morts, alors de quoi parle l'histoire ? et pourquoi cette entrée en matière parle d'eux ?"
(hormis le tout début et la toute fin du chapitre, je trouve tout le reste très bien !)
J'espère que la suite du récit apporte moins de confusion et que tu auras envie de continuer ta lecture :)
Le reste de la narration 3ème personne fonctionne très bien. C'est juste quelques phrases qui sonnent "4e personne" (c'est pas Olivier qui raconte, mais toi, et tu juges ses actions). Tes intentions et opinions devraient, à mon avis, être quasi invisibles (ça rejoint le coup de la première phrase).