Avant même d’ouvrir les yeux, Olivier sent que quelque chose ne va pas. Une odeur métallique envahit ses narines et une fumée épaisse le fait tousser, réveillant une atroce douleur dans ses côtes. Son cerveau met du temps à retracer ce qu’il vient de se passer, mais quand enfin ses neurones se connectent, il sait qu’il n’a plus envie d’ouvrir les yeux. La dernière chose dont il se souvient, c’est d’avoir vu le visage de Maude se déformer face au drame à venir. Un visage si lumineux.
Un gémissement, son propre gémissement de douleur, finit par le ramener totalement à la réalité. Il ouvre les yeux, et sans bouger la tête, essaie de faire le point sur la situation. Devant lui, un airbag couvert de sang se dégonfle doucement, révélant un tableau de bord très enfoncé. Derrière le tableau de bord, il distingue une partie du moteur et de la tôle froissée. Toujours sans bouger la tête — ce n’est pas qu’il ne peut pas la bouger, c’est qu’il ne veut pas, pas tout de suite —; ses yeux parcourent la scène, de gauche à droite. Ils sont au bord du fossé, et le véhicule qui les a embouti est devant eux, sa carcasse métallique presque fusionnée à celle de leur voiture. Olivier comprend qu’en essayant de les éviter, le conducteur a dérapé dans la neige, les frappant de plein fouet du côté droit. Maude. Il sait qu’il est temps de bouger la tête. Il est temps de faire quelque chose, d’agir. Mais il ne veut pas voir les conséquences de ses actes. Il ne veut pas voir ce que son impatience de rentrer a provoqué.
Il tourne la tête doucement et son cœur tombe au fond de son estomac. La portière côté passager n’existe plus, remplacée par le moteur fumant de l’autre véhicule. Coincée entre son siège et l’amas d’acier froissé, Maude est inconsciente, la tête penchée tout contre son torse. Du sang coule de son crâne, imbibant le haut de son chandail blanc. Il ne distingue pas ses jambes, mais remarque qu’un bout de métal s’est enfoncé dans sa hanche. Il veut crier, mais son corps est encore sous le choc de l’accident. Seule une larme coule le long de sa joue. Il faut qu’il se remue. Il se concentre pour bouger son bras gauche. Puis son bras droit. Tout fonctionne. Dans ses chaussures, ses orteils s’activent. Il n’est pas paralysé. Avec son bras droit, il tâtonne pour trouver son téléphone. Ironiquement, celui-ci n’a rien. Il est juste tombé entre eux deux, dans le porte-gobelet. Olivier s’empare du téléphone et compose 911.
Pendant un instant, il craint de ne pas entendre de tonalité. Comme dans les films, quand le héros se retrouve coincé dans les montagnes enneigées, sans réseau et sans nourriture. Heureusement, la première sonnerie résonne dans son oreille. Avant même la deuxième sonnerie, quelqu’un décroche. Olivier veut pleurer. Il veut dire à son interlocuteur qu’il s’en veut. Qu’il aurait dû écouter Maude et prendre le temps. Mais l’interlocuteur prend la parole en premier pour lui demander ce qu’il se passe. Entre la fumée qu’Olivier inhale et les sanglots qu’il sent monter dans sa gorge, sa voix est rauque. Il parvient quand même à communiquer l’essentiel. L’accident. Sa femme inconsciente et en sang. Leur position approximative. La fumée. Et le sang. Tout ce sang.
Au téléphone, on lui demande s’il peut bouger. Doucement, pour éviter les faux mouvements. Olivier essaie d’ouvrir sa portière, mais elle est bloquée. Il est coincé. Et sa femme, est-ce qu’elle respire ? Il tourne la tête vers elle, fixe sa poitrine, se concentre sur les fibres imbibées de sang. Il voit le tissu se lever faiblement. Entre ses larmes, il rit, soulagé. Elle respire. On lui dit de tenir bon, que les secours arrivent. Mais il sent que son énergie diminue, que la montée d’adrénaline est terminée. La voix du téléphone semble lui parvenir de loin. Il cligne des yeux une fois, deux fois, et finit par s’évanouir à nouveau.
L'auteur a un véritable talent pour évoquer des notions commune en nous parlant d'une histoire standard dans son genre et réussir à nous toucher et à nous éveiller quand même.
Ça défit l'entendement.
Je reste captivé.
Personne n'a encore laissé de commentaire et je trouve cela dommage, car c'est une belle écriture que je découvre et que ce commencement est poignant. La description et le cadre sont réalistes. On en connaît encore peu sur les personnages, mais cela suffit à ressentir des émotions fortes et de s'imaginer à la place d'Olivier.
J'espère que la suite arrivera bientôt :)