Nous aurions pu vous présenter d’autres Meeryniens. Certains plus connus que d’autres, plus ou moins puissants, plus ou moins talentueux. Le choix était relativement vaste.
Alors que nous discutions à ce sujet, mon aîné me présenta cette petite étincelle naissante à la curiosité sans limite, encore bercée d’une naïveté insouciante mais pas moins intéressante. Il me fallut peu de temps pour aller à sa rencontre, et réaliser qu’elle serait l’hôtesse idéale pour une telle requête.
Bien entendu, nous n’interviendrons pas davantage au cours de cette première épopée. Nos capacités ne nous permettent rien de plus qu’entrevoir leur lendemain. C’est pourquoi nous savons qu’avec elle, vous serez très bien accompagnés lors de votre périple.
Prenez soin de cette jeune âme florissante, les sentiers qu’elle empruntera ne seront pas de tout repos. Surtout, faites attention à ne pas vous égarer. Les âmes vulnérables qui voyagent aux confins du royaume se retrouvent souvent dans l'Au-Delà.
ᛒᛦᚱᚠᛆᚿᚿᛚ ᚦᚠᚭ ᛁᚼᚼᚽᚱ.
***
— Thomas Moore ? hella une voix à quelques mètres du jeune homme.
La ruelle, perdue au milieu d’un dédale de maisons bancales, était presque vide. Pas un chat, ni même un pivron ne s’y trouvait, malgré le brouhaha de la vie active qui s’entendait à quelques rues à peine. Cette discrétion faisait partie des consignes de la rencontre qui devait s’y dérouler.
Thomas se détacha de la façade en pierre en attrapant son léger baluchon et se tourna vers les trois hommes qui s’avançaient vers lui. Il les scruta avec méfiance : rien ne lui disait qu’il s’agissait des hommes qu’il attendait. Comme la plupart des matelots, ils portaient chacun au moins un mousquet, ou une paire de dague. Le port d’arme sur Edimas étant totalement autorisé, il n’y fit guère attention et s’adressa à eux d’un air détaché :
— Ouais, c’est bien moi.
S’il s’agissait des bonnes personnes, alors ils étaient légèrement en avance sur l’horaire initial. Thomas n’allait pas s’en plaindre : il avait hâte de les suivre vers son nouvel emploi. Sa vie d’errant commençait à l’insupporter.
L’un des trois hommes se détacha du groupe pour le rejoindre, et tendit une main vers son baluchon d’un air confiant. Un léger sourire fendit même son visage balafré.
— Tu veux que je prenne tes affaires ? Nous allons t’escorter jusqu’au bateau.
À cet instant précis, le blond fronça les sourcils sans bouger d’un poil. Il avait été prévenu d’une affaire de mots de passe, et à l’instant présent, personne ne le lui avait soufflé. Méfiant, il serra son baluchon contre lui. Les embuscades étaient communes ici, à Edimas. Encore plus lorsqu’un pauvre garçon des rues méconnu comme lui était recruté par l’un des équipages les plus réputés de la V’Île. Des guets-apens se produisaient plus souvent qu’on pouvait y penser.
Avant qu’il ne puisse s’interroger davantage, le matelot qui s’était approché lui enfonça son poing fermé dans le ventre avec férocité. Thomas s’effondra aussitôt sur ses genoux en agrippant son abdomen, le souffle coupé. L’instant d’après, le même homme empoigna ses longs cheveux pour planter son regard glacial dans le sien :
— Quel est le mot de passe ? siffla-t-il en posant une autre main autour de son cou dégagé.
Thomas mit quelques instants à comprendre ce que l’homme lui demandait, les pensées embrumées par la douleur qui s’était réveillée dans son abdomen. Il ne demandait pas le mot de passe pour prouver son identité, mais bel et bien pour la lui voler.
Il était fait comme un rat : il aurait dû se méfier davantage, mais l’excitation et l’impatience avaient anesthésié tous ses réflexes de survie. Thomas planta son regard émeraude dans le sien avec énervement, sans trouver le courage de répondre. Il ne pouvait pas le donner : c’était la chance de sa vie, il avait besoin de ce mot de passe pour s’échapper de cette île de malheur. Il s’était promis de partir aussi vite que prévu, et cela faisait déjà une vingtaine d'années que Sorath le ramenait inlassablement ici, au point de départ.
— Allez crever, râla-t-il en toussant.
— Mauvaise réponse.
L’un des acolytes qui s’était avancé lui infligea un terrible coup de poing dans la mâchoire, qui, cette fois-ci, le fit gémir de douleur. Il se crispa et serra les dents pour ne pas montrer sa souffrance.
— Magne-toi ! s’impatienta le malfrat en tirant davantage ses cheveux.
Thomas grimaça en portant une main à son crâne endolori, et ferma les yeux le temps de trouver une solution à cette situation. Il en avait toujours trouvé, aujourd’hui ne serait pas une exception. C’était le point commun de tous ceux qui naissaient et grandissaient ici.
Lorsque son acolyte se prépara pour une nouvelle frappe, Thomas leva soudainement les mains en un signe d’abandon et s’exclama :
— Ok, ok, arrête !
Il sentit immédiatement la poigne de l’homme autour de son cou se relâcher, sans pour autant le lâcher. Le cœur battant de nervosité, il leva les yeux vers lui avec détermination, sans dire le moindre mot.
— Accouche ! s’impatienta ce dernier.
Pour être si pressé, il devait savoir qu’il n’avait pas beaucoup de temps pour lui soutirer le mot de passe. En outre, il devait être très bien renseigné pour savoir que l’équipe qui allait le rencontrer ne l’avait jamais vu, et donc qui leur suffisait du mot de passe pour se faire passer pour lui.
— Vous voulez quoi, merde ? Pourquoi vous voulez ce putain de mot de passe ? Ils sauront direct…
— La ferme ! gueula l’homme en lui infligeant un nouveau coup de poing dans le nez cette fois, qui le fit gémir de douleur.
S’ils pensaient réellement que les coups allaient le faire venir à bout, alors ils s’étaient mal renseignés à son sujet. N’importe quel enfant élevé sur Edimas s’était peu à peu endurci face à ce genre d’embuscade. Ils s’étaient confrontés à la mauvaise personne.
Sa tête fut brutalement redressée par la main qui tenait ses cheveux de paille et le visage de l’homme se retrouva à quelques centimètres du sien :
— Parle immédiatement, ou c’est ta famille qui en connaîtra les conséquences.
Un sourire espiègle étira ses lèvres lorsqu’il répondit :
— Renseignez-vous plus sur moi les gars, avant de venir me menacer.
— Putain mais ferme-la et répond !
Thomas ferma les yeux, prêt à encaisser un nouveau coup, mais un hurlement de douleur stoppa le geste de son agresseur. Ils tournèrent tous la tête vers l’entrée de la ruelle, d’où leur troisième acolyte venait de s’écrouler au sol, les mains posées contre son abdomen saignant. Autour de lui se trouvaient deux hommes beaucoup plus âgés dont l’un essuyait sa dague rougeâtre sur son pantalon sombre.
— Nous vous dérangeons ? demanda-t-il d’un air menaçant en ramenant des cheveux grisonnant derrière son oreille déformée.
À la lueur du soleil, Thomas aperçut un dessin le long de sa mâchoire. En y portant plus attention, il y découvrit les tentacules d’un Kraken, tatouées à même sa peau d’une encre sombre. Il sentit une vague de soulagement s’étendre dans sa poitrine : ils étaient là.
Sans attendre plus longtemps, il frappa de toutes ses forces l’entrejambe de son bourreau qui poussa un cri de douleur en s’affalant au sol. Immédiatement, l’homme qui le tenait sortit un poignard de sa veste et appuya la lame contre sa gorge frêle :
— Bougez pas ou il crève ! Reculez…
Il eût à peine le temps de finir sa phrase, qu’un coup de feu retentit et Thomas sentit l’homme derrière lui vaciller au sol et s’y écraser dans un râle d’agonie. Il se releva aussitôt en voyant une flaque de sang s’étendre vers lui, mêlée à une odeur de poudre. L’exécution avait été expéditive. Thomas attrapa rapidement son baluchon souillé et se tourna vers le pirate qui rangeait son mousquet dans son dos sans que personne ne l’ait vu dégainer.
C’était eux, il en était certain. Le tatouage de Kraken de l’un ne laissait aucun doute possible. Le cœur battant, Thomas s’approcha en enjambant le cadavre, qui s’ajoutait aux nombreux déjà présents dans les rues de la V’île.
— Le Kraken des profondeurs porte en lui…
— La fougue d’une grande famille de la surface, termina Thomas en laissant un large sourire étirer son visage meurtri.
Il essuya d’une main tremblante d’excitation le sang qui s’écoulait de sa narine. Le calvaire était enfin terminé. Il se trouvait entre de bonnes mains, celles qui allaient dorénavant diriger son destin.
— Approche petit, ne tardons pas davantage. La chaloupe nous attend au port est.
Il hocha la tête et les rejoignit, laissant derrière lui deux cadavres et un homme gémissant de douleur. Réjouis, Thomas étreignit son baluchon dans ses bras en suivant les deux matelots.
Une nouvelle aventure allait très bientôt s’ouvrir à lui.
J'ai beaucoup aimé la lecture, c'est une très bonne entrée en matière. Certaines phrases mériteraient d'être revues je pense. Par exemple :
"Il les scruta avec méfiance : rien ne lui disait qu’il s’agissait des hommes qu’il attendait."
... Peut se transformer en :
"Il les scruta avec méfiance : aucun indice ne lui indiquait qu'il s'agissait des hommes de son rendez-vous."
J'ai mis dans ma liste de lecture en tout cas !
En espérant que la suite te plaise,
Bonne lecture !
Nous n'avons plus qu'à lui souhaiter la bienvenue sur la fameuse chaloupe qui l'attend pour partir à l'aventure !
Ta scène d'action était fluide à lire et fort plaisante. J'aurais préféré qu'il se débatte davantage pour joindre les gestes aux paroles. Mais puisqu'il s'est bien rattrapé, il est tout pardonné :)
Pour le côté "se débattre plus", disons que le personnage s'y connait et sait que cela n'aurait servit à rien dans la position actuelle, mieux vaut attendre de l'aide ou ne rien lâcher ;)
Merci pour ton retour, j'ai hâte de vous faire découvrir la suite !