Je me demandais souvent pourquoi je n'avais jamais d'amis à l'école. On ne me jetait jamais aucun regard, sinon lorsque je passais une porte, ou me levais d'une chaise.
Alors on me jetait un regard horrifié, plein d'une peur que je ne comprenais pas.
Mais ce n'était pas grave. Je continuais de venir à l'école.
Ensuite je rentrais, seul. Et je vivais seul, horriblement seul, dans un appartement délabré, aux allures de maison hantée. Moi j'aimais bien, je passais mon temps sur une petite couchette au milieu du salon, à regarder le plafond, et à admirer le ciel étoilé, ou la lune depuis la fenêtre.
Ces astres étaient ma seule compagnie.
Ce soir-là, j'étais en train de réfléchir à ce qu'il pouvait y avoir dans le ciel. Je savais que le matin, il y avait des nuages, le soleil. Mais le soir, il y avait des étoiles, parfois la lune, qui changeait d'aspect au fur et à mesure que les jours passaient. Des nuages aussi, lorsqu'il ne faisait pas très beau.
Mais lorsque je pensais à ce qu'il pouvait y avoir plus haut, j'étais pris d'une immense curiosité. Alors je passais à la bibliothèque, sans que personne ne s'aperçut de ma présence - la nuit, le plus souvent. Et je lisais quelques livres.
On appelait cela l'astronomie, la science de l'Univers - qu'ils le nommaient. D'après ces mêmes livres, ils expliquaient qu'il y avait d'autres astres dans l'Univers. Et qu'il était infini. Que si je m'y aventurais, je m'y perdrais, longtemps. Très longtemps.
Et c'était longuement que je me perdais dans mes pensées jusqu'aux premières lueurs de l'aube.
***
Le soleil n'était plus souvent visible dans le ciel en ce moment. Il me semblait qu'on était en période d'hiver. Les passants portaient de grosses doudounes, des écharpes et bonnets. La nuit était assez mouvementée ces temps ci. C'était la période de Noël, car je voyais de gros sapins décorés de jolies lumières par-delà les fenêtres des familles. D'après les livres, il s'agissait de sapins de Noël.
Je décidai d'aller en cours un peu plus tard dans la matinée, car nous étions un mardi, jour du marché. J'adorais parcourir des yeux les longs étals riches d'objets, ou de nourriture en tout genre.
La respiration des passants formait une buée régulière, signe d'un froid à glacer les sangs.
Je déambulai, un pas après l'autre, me faufilant entre les individus, mes lèvres s'étirant à l'entente des cris des vendeurs, obstinés à vendre leurs produits.
Soudain, on me prit le bras, me tirant brusquement en arrière. On me traîna sur une longue distance, et je me débattis, d'abord sans comprendre que c'était le bras d'une jeune femme. Puis je me laissai faire, curieux avant tout, et m'arrêtai en même temps que l'individu feminin. Elle se retourna et me fixa dans les yeux.
C'était la première fois qu'on eut une interaction avec moi. J'en eus de l'eau qui apparut au coin de l'œil et coula le long de ma joue.
- Pourquoi pleures-tu ? s'enquit elle en observant mon visage, l'air interrogateur.
- Je pleure...? mumurai-je en touchant ma joue mouillée.
- Oui, tu as une larme qui coule, là.
- Une l- larme...? bégayai-je en essuyant d'un coup de main ma... larme, c'est-à-dire l'eau qui coulait sur ma joue.
- Suis moi, s'il te plaît.
Elle avait ordonné cela d'un ton bienveillant.
J'opinai et la suivit d'un pas rapide, un peu en retrait, les lèvres à nouveau étirées sur mon visage.
- Où sommes nous ? interrogeai-je intrigué.
- Cela s'appelle un cimetière.
Elle m'invita à la suivre d'un regard insistant. Nous nous dirigeâmes en face d'une sorte de plaque en pierre. Au dessus de celle-ci, était inscrit un prénom, et un nom.
Annie Syoka
Mes yeux s'écarquillèrent au fur et à mesure que je comparais la photographie en face de moi, et la jeune femme qui se tenait là, à mes côtés.
De mêmes yeux couleur d'eau. De mêmes lèvres fines et rosées, un même nez parfaitement moulé à son visage. Une même crinière rousse, et de mêmes joues criblées de taches de rousseur. La seule différence avec la photographie était qu'elle avait actuellement les cheveux attachés. Elle était jeune, sur la photo. Enfin... elle devait être décédée jeune...
- Enchantée, je m'appelle Annie.
Déboussolé, ma respiration s'accéléra et je jetai un regard perdu autour de moi.
- Mais... tu es morte, précisai-je avec hésitation.
- Oui.
- Mais... alors...
Elle hocha la tête, sa queue de cheval orangée légèrement secouée par ce mouvement.
- Laisse moi me corriger. Je suis l'âme d'Annie.
Je fixai le sol, les yeux écarquillés au maximum. Je la voyais. Je la voyais trop bien même.
Mais que se passait-t-il, enfin ?
- Et toi, sais-tu comment tu t'appelles ? demanda la jeune femme, interrompant mes pensées.
- M- Milan.
Elle me lança un regard calme et tendre. Ma main se posa immédiatement au niveau de mon ventre. Celui-ci avait eu une étrange réaction.
- Pourquoi j'arrive à vous voir ? questionnai-je.
Un ange passa.
- Partons, murmura-t-elle d'une voix hésitante, posant une main sur mon épaule.
Je tressaillis à ce contact, et ne voulus pas insister. Elle ne savait peut-être pas.
Nous nous dirigeâmes vers la sortie du... cimetière, oui. Et nous marchâmes côte à côte, le pas régulier.
Je ressentais une drôle émotion. Il me semblait que sa cause fût la présence d'Annie. En l'observant de plus près, je constatai certaines choses. En effet, elle n'était pas plus grande que moi, et j'appréciai beaucoup les traits de son visage, en particulier ses yeux couleur d'eau.
- Tu sais, je suis désolée de t'avoir tiré aussi fort, tout à l'heure.
La jeune femme me lança un rapide coup d'œil, avant de reporter son attention ailleurs.
- J'ai été surpris, j'avouai d'une petite voix.
- C'est la première fois qu'on te touche n'est-ce pas ?
Comment le savait-elle ?
- Vous vous souvenez... ? De comment vous êtes... tentai-je.
Elle s'arrêta.
- Où vis-tu ?
Sa voix était fermée. Elle ne voulait pas en parler.
- Derrière la place du marché, murmurai-je en pointant du doigt devant nous.
- Est-ce que je peux te poser quelques questions en te raccompagnant ?
Elle avait retrouvé ce ton chaleureux et bienveillant. Alors je hochai lentement la tête.
- Tu n'as qu'à répondre par oui ou non. Est-ce que tu connais ton âge ?
- Non.
Elle hocha la tête, l'air de comprendre.
- Je t'estime dix-huit ans.
- Et vous ?
- Je suis décédée à vingt ans.
Je savais déjà que ce n'était pas son réel âge. J'étais nerveux à l'idée de me dire qu'elle devait être plus vieille que cela. Je n'avais pas assez prêté attention aux inscriptions sur la plaque de pierre d'Annie.
- Je sais à quoi tu penses. Je ne suis pas centenaire calme toi.
Je regardai devant moi, aussitôt calmé. La dame à côté de moi éclaircit sa gorge.
- Connais-tu ton nom complet ?
Je secouai la tête, d'un signe de négation.
Très vite, au fil des questions, je me rendis compte que je ne connaissais réellement de moi que mon prénom.
Milan. Je m'appelais Milan.
Très vite également, nous arrivâmes devant mon habitation.
- Vous... partez ?
C'était la première fois que je ressentais l'envie de rester aux côtés de quelqu'un.
- Je dois y aller, répondit-elle le regard ailleurs.
- Pour toujours...? hasardai-je, la voix triste.
Elle se contenta de poser une main sur mes cheveux, de les caresser lentement. J'en ressentis un bien extrême.
- Veux-tu en savoir plus sur toi ? murmura-t-elle en retirant sa main.
J'opinai du chef vigoureusement.
Je ne m'étais jamais demandé quel était mon âge, ou mon nom complet. Si cela me permettais d'avoir de la compagnie, je n'étais absolument pas contre.
- Alors on se reverra.
Et comme cela, dès qu'elle eût fini sa phrase...
Elle disparut, me laissant les bras ballants et le regard vide.
J’ai vraiment hâte de découvrir la suite de ton roman :)