Chapitre 1

Par Ava
Notes de l’auteur : Voilà le premier chapitre de mon premier roman. J'avoue être très frileuse quant à l'idée de le poster. Je me pose beaucoup de questions sur son écriture : est-ce que ça respecte les 'codes' d'un roman, est-ce que l'histoire est assez intéressante? Je m'en remets à vos avis qui je l'espère seront indulgents et constructifs.

J'espère réellement que ce récit vous plaira!

Les cris n’avaient plus de saveurs depuis quelques temps. Esen les écoutait depuis son bureau, ils criaient encore et encore qu’ils n’avaient rien fait, qu’ils n’étaient pas ce qu’on prétendait d’eux. Pourtant, si au début leurs cris étaient emplis d’imploration, ceux-ci s’étaient transformés en rage au fur et à mesure des mois. Aujourd’hui tous ceux qu’ils attrapaient ne vivaient que pour la vengeance et la rébellion et alors qu’ils se criaient innocents on pouvait entendre dans leur souffle rauque qu’ils étaient bien les auteurs des crimes dont on les accusait. La torture n’y faisait plus et même lorsqu’on leur retirait leur atout le plus précieux ils ne donnaient aucune information intéressante. Les enquêtes piétinaient et on voyait de plus en plus de Passereaux s’endormir à la mi-journée sur leur bureau ou bien enchainé les tasses de café tout en trainant des pieds dans la brigade. Esen écoutait les cris de leur prisonnier pour retrouver un peu de consistance lorsque la journée se faisait trop longue ou bien trop rude. Parfois elle descendait jusque dans la fausse, regardait le sang couler, et se délectait des lamentations qu’elle entendait.

-Alors cette traque, tu en es où ? lui demanda Ansa en posant un gobelet de café sur le bureau

- Toujours rien, c’est comme si chaque fois que nous l’attrapons avec nos mains elle s’envole.

Un petit rire s’échappa de la bouche d’Ansa.

-C’est sûrement le cas ! Ce ne sont pas des Monarques pour rien !

-Justement, certaines pistes semblaient nous mener vers des pyrales mais nous les avons quand même suivies. Une fois là-bas il y avait beaucoup de preuves menant à la conclusion que l’Ordre y avait mis les pieds. C’est comme si la population avait de moins en moins peur d’eux et qu’ils commençaient à les aider dans leurs actions hérétiques.

-Esen, tu es sur cette enquête depuis des mois. Nous savons toutes deux que le Cardinal n’aurait pas dû te mettre dessus aussi vite après ta promotion. Il y a tellement de lieutenant qui se sont cassés les dents à essayer de la résoudre !

-Tu penses que je n’en suis pas capable ?! Répliqua Esen sur le ton de la défensive.

-Bien sûr que tu en es capable ! J’ai toujours été la première à supporter ta candidature au poste de lieutenant et tu le sais. Mais tu travailles jour et nuit ici et ton seul repos est de descendre dans la fosse, ce qui est, selon moi, tout sauf reposant. Je ne supporte plus leurs cris !

-On s’y habitue quand on y est. Ça fait du bien de voir que notre travail paye parfois.

-Très bien, mais ce soir pas d’enquête, pas d’Ordre et pas de réclamation du cardinal ! Ce soir, c’est toi et moi, au bar !

-Ansa, je…

-Non, je sais ce que tu vas dire et c’est non. Fais une pause, et demain je viendrais t’aider sur ton enquête. Tu as besoin d’un regard neuf !

Avant même qu’Esen ne réplique, Ansa la tirait déjà par le bras en direction la grande porte de la brigade. Esen eu à peine le temps de récupérer ses affaires qu’elles étaient déjà dehors en plein milieu de la foule sur les trottoirs. Un vent frais cueillit Esen sur le pas de la porte. Elle avait oublié que l’hiver s’était installé il y a maintenant un mois. La tête dans ses enquêtes elle faisait partit de ceux qui ne sortaient que très peu et dormaient sans arrêt à la brigade.

Elle prit une grande bouffée d’air. Elle ferma les yeux pour ressentir à nouveau le pouvoir du grand air lorsqu’elle reçut une boule de neige en plein visage. Non loin Ansa riait à gorge déployée. Esen ne se laisserait pas faire ! Elle prit de la neige entre ses mains, en fit une boule et la jeta sur la tête de son amie. Leur bataille dura cinq minutes jusqu’au moment où la porte de la brigade s’ouvrit. Un homme grand, au regard dur en sortit. Il regarda les femmes qui étaient complétement hilares. Il toussota pour leur faire part de sa présence. Instantanément les rires se turent. Il s’agissait du général de brigade. A son habitude, son visage était crispé. Il avait deux petits yeux qui semblaient sonder les âmes. Esen ne mit pas longtemps à retrouver son sérieux. C’était comme si le froid de l’hiver avait entièrement pénétré son être.

- Rappelez-vous dont que notre temps n’est pas à l’amusement. Le régime est en guerre. En tant que lieutenant vous représentez le Régime. Faites donc honneur à notre Cardinal !

- Pardonnez-nous Général. Nous ne nous comporterons plus de la sorte, répondirent-elles tête baissée.

Sur cette brève altercation le Général leur tourna le dos et avança dans la rue le pas pressé. L’obscurité l’enveloppa tandis que le trottoir se recouvrait de neige.

-Le Général a raison, nous sommes le symbole de la grandeur du Régime, murmura Esen. Nous ne pouvons pas nous comporter comme des enfants. Nous n’en sommes plus.

-Esen, je sais que le Régime compte beaucoup pour toi. Mais tu viens d’avoir vingt ans. Je n’en ai pas bien plus. Peu importe ce que la guerre nous a fait subir, nous pouvons encore nous amuser.

-Pas lorsque nous portons notre uniforme. Rentrons nous changer.

Ansa passa son coude à l’intérieur du bras d’Esen et elles partirent bras dessus bras dessous en direction de l’auberge de la brigade. Celle-ci se trouvait à cinq minutes à pied. Tous les fidèles du Régime y avaient leur place. Du moins c’est ce que les affiches indiquaient. En réalité les conditions étaient assez précises pour avoir le droit à une chambre. Il fallait faire partie de la brigade des Passereaux depuis deux ans au moins, ou avoir participé à l’effort de guerre à un certain grade. Il fallait aussi être né de parents Pyrales. Esen n’avait jamais pu prouver ce dernier point et si elle avait obtenu une place c’était grâce aux nombreuses enquêtes qu’elle avait résolues et à une lettre de recommandation de la part de son amie. Le hall était souvent vide si l’on oubliait la présence du concierge chargé de noter toutes les entrées et les sorties des Passereaux. Il passait la plupart de son temps assoupi derrière le comptoir et laissait une feuille et un stylo pour que chacun note lui-même ses allers-retours. Cela faisait un petit moment qu’Esen n’y avait pas écrit son nom. Depuis le début de sa dernière enquête en réalité.

Les deux jeunes femmes notèrent leur identité et l’heure de leur passage puis grimpèrent les escaliers jusqu’à leur chambre respective. Celle-ci contenait le nécessaire pour faire sa toilette, ranger quelques bibelots et dormir. La chambre était austère, mal éclairée mais Esen se contentait de peu. Elle avait en pour seule décoration un dessin qu’elle avait fait enfant. Elle récupéra rapidement des habits de civils et les enfila tout en se regardant dans le miroir. Ses yeux étaient cernés et sa peau un peu terne. Ses cheveux faisaient pâle figure. Elle n’eut pas le courage de cacher sa fatigue à coup de maquillage. Elle prit quand même le temps de brosser ses cheveux et de les tresser. De cette façon ses cheveux auburn magnifiaient plus son visage. Une fois prête elle alla toquer à la porte de son amie. Celle-ci avait pris le temps de se maquiller et de se coiffer. Elle portait une robe bleue qui contrastait avec ses yeux bruns.

Ansa regarda Esen de la tête au pied. La plupart de ses vêtements semblaient être trop grands pour elle et son teint de cadavre n’arrangeait rien.

-Non ! non non non non non ! S’exclama Ansa. Tu ne sortiras pas affublée de cette manière avec moi. Entre, prends ça !

Elle lui tendait une robe bustier. Esen fit une grimace en voyant le vêtement. Elle détestait les robes. Pourtant le regard soutenu de son ami lui montrait qu’elle n’avait pas le choix. Elle la prit et alla dans la salle de bain pour l’enfiler. Elle se sentait affreuse. Avant même qu’elle ne puisse râler son amie la badigeonnait de maquillage pour lui donner bonne mine. En moins de temps qu’il ne fallait pour dire « ouf » Esen était totalement changée. Elle portait même des talons sur ordre de son amie. Ansa avait au moins eu le bon sens de ne pas défaire sa coiffure.

-Maintenant nous pouvons y aller, s’exclama t’elle fière de son œuvre.

Lorsqu’elles arrivèrent au bar les deux jeunes femmes étaient méconnaissables. De fidèles du régime elles avaient pris l’apparence de deux personnes insouciantes. Esen ne cessait de tirer sur sa robe pour la rallonger ou bien décoller le buste qui lui serrait beaucoup trop la poitrine. De son côté Ansa semblait être dans son élément naturel. Comme souvent. Elle entraînait son amie au milieu des hommes déjà trop alcoolisés. Il y avait peu de femmes dans ce bar. Le régime les considérait souvent comme de simples ménagères et elles n’avaient pas leur place dans ce genre d’endroit. Esen et Ansa faisaient parties des rares privilégiées à ne pas entrer dans cette case. Elles s’étaient fait un nom au sein du Régime et même si peu de personnes ne connaissaient leur visage la plupart des habitants avaient déjà entendus parler de ces deux jeunes femmes capables de tout bousculer pour aider le Régime. Les femmes qui n’étaient pas mariées et n’avaient pas eu la même chance qu’Esen et Ansa se retrouvait souvent dans une bien meilleure posture à satisfaire les besoins des hommes fiers de tromper leur femme.

Elles se dirigèrent vers le bar pour commander leur boisson. Eugène, le barman, les accueillit avec un grand sourire.

-Mesdemoiselles, un grand plaisir de vous voir ici ce soir ! s’exclama-t ’il. Cela faisait longtemps que vous n’étiez pas venue au Singe Bleu. Surtout toi Esen !

-J’ai été très occupée par le travail. Ce n’est pas toujours facile de faire partie d’une telle organisation. Dernièrement j’ai dû compiler…

Ansa ne laissa pas le temps à Esen le temps de continuer. Elle l’interrompit cri.

- Tu avais promis de ne pas parler du travail ce soir, s’écria-t-elle. L’affaire est au placard et nous au bar. C’est tout ce qui compte !

-Eh bien tu n’as pas perdu ton tempérament ma chère Ansa, constata Eugène. Heureusement que tu es là pour rappeler à certaine comment s’amuser.

-Je ne te le fais pas dire ! Si on écoutait Esen on se croirait encore en guerre !

Esen souffla en entendant ces mots. Il semblait que peu de personne se rappelait encore ce qu’avait été la guerre. Ils savaient tous que les Monarques existaient toujours et pourtant on aurait dit qu’une bonne partie de la population fermait les yeux sur ce qui avait pu se passer avant l’instauration du Régime. Elle n’oubliait pas le mal que les Monarques avaient proféré. Elle l’avait payé cher. Elle se tourna pour mieux voir les personnes dans la salle. Tous étaient ivres et chantaient des chansons paillardes. Leur insouciance lui donnait froid dans le dos. Comment pouvaient-ils se comporter ainsi quand le Régime entier se battait pour leur survie ? Elle était indignée de voir cela.

-Cul sec Esen ! Cul sec ! lui cria son amie dans l’oreille.

Esen sortit de ses pensées pour s’apercevoir qu’elle avait un petit verre de nectar dans la main. Elle soupira. Elle n’avait pas vraiment envie de boire mais son amie ne lui laissait pas le choix. Se serait le seul verre de la soirée se promit elle. Puis elle le but d’une traite avec une expression de dégout. Elle détestait cet alcool. Avant même qu’elle ne puisse protester un autre verre se trouvait dans sa main. La soirée promettait d’être longue…

*

Cela faisait un petit moment qu’Esen regardait son amie enchaîner les verres. Le nectar était un alcool de couleur bleue que consommait énormément les citoyens du Régime. Les effets étaient presque immédiats et quiconque en consommait entrait instantanément dans une étrange transe. Certains se sentaient plus apaisés comme si le monde était tout simplement devenu sans danger. D’autres avaient des hallucinations telles qu’ils pouvaient sauter d’un toit en croyant pouvoir voler. Dans les pires cas on retrouvait des personnes dans les rues incapables de retrouver leur maison et rester dans un état second pendant plus d’une semaine. Le Régime n’avait jamais essayé de l’interdire, beaucoup de soldats en étaient devenus accros pendant la guerre et il s’agissait souvent du seul moyen qu’ils avaient pour oublier les horreurs qu’ils avaient subies.

Ansa était le genre de personne qui ne craignait pas de consommer du nectar dans n’importe quelle occasion. Elle avait calmé cette consommation lorsqu’elle était entrée dans la brigade. Esen avait souvent eu peur que son amie ne devienne complétement accro. Mais finalement celle-ci s’en était bien sortie et n’avait pas gardé de séquelle de cette folle vie qu’elle avait adolescente. Malgré tout elle croquait encore la vie à pleine dent. Elle était en ce moment même en train de draguer un jeune homme brun aux yeux verts. Elle lui faisait les yeux doux et lui parlait tout près de la bouche, prête à l’embrasser à n’importe quel moment. Esen détourna le regard.

Elle en profita pour examiner une nouvelle fois les visages des autres clients du bar. La plupart étaient tellement souls qu’ils tenaient à peine debout. Certains commençaient clairement à vouloir remplir leur soirée avec une autre activité que celles de boire de l’alcool et s’en allaient pour aller trouver la maison close la plus proche. Ils s’écriaient haut et fort qu’ils avaient bien besoin de se vider. Cette phrase provoqua une grimace de dégoût sur le visage d’Esen. Les femmes étaient trop souvent considérées comme des objets dans le pays d’Ambrosie et elle détestait cela. Alors qu’elle continuait d’inspecter la salle elle aperçut un jeune homme encapuchonné sur une table du bar. Il semblait tout comme elle plutôt sobre ce qui contrastait énormément avec le reste du bar. Ses mains étaient croisées et il semblait réciter une prière.

Esen connaissait ce type de comportement. Elle avait face à elle un Monarque, cette espèce affreuse que le régime cherchait à anéantir. Elle tourna la tête pour demander à son amie de l’aide pour l’attraper mais celle-ci avait sa langue dans la bouche du jeune homme qu’elle draguait. Esen soupira. Elle se retourna pour mieux observer l’individu qu’elle avait repéré. Nulle trace de lui sur la table qu’il occupait un instant auparavant. Elle tourna la tête à gauche, puis à droite et toujours aucune trace. L’homme avait disparu. Alors qu’Esen commençait à s’énerver elle vit un papier tomber sur sa jambe. En l’ouvrant elle découvrit l’écriture suivante :

Tu n'es pas à ta place.

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