Chapitre 1

 

« Madame, sous vos pieds, dans l'ombre, un homme est là, qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile, qui souffre, ver de terre amoureux d'une étoile »

Victor Hugo


 

On est à table, mon verre de vin est plein. Non pas que je ne l’ai pas vidé, mais on me l’a rempli. Plusieurs fois. J’ai chaud, et je suis à bout de nerfs. Ce qu’il peut m’agacer cet homme. Il est encore en train de parler de “ces étrangers qui polluent notre belle France”. La seule chose sur laquelle il a raison, c’est qu’il devrait aller vivre ailleurs. Au moins, je m’en porterais mieux.

Je porte un verre à mes lèvres, le vin est délicieux. C’est vrai que je ne peux pas le lui enlever, il a de bons goûts en vin. Je l’entends parler de l’autre bout de la table. L’homme à ma droite place sa main sur mon genou et serre délicatement le bas de ma cuisse. Je sais ce que ça veut dire, j’ai un peu trop bu. Je suis à mon combientième de verre ? Six ? Huit ? J’ai arrêté de compter après la côte de bœuf. S’ils savaient tous le montant du chèque qui m’attend à la maison. Ils en rougiraient d’envie. Le fruit de mon travail, récompensé. Un éditeur avait accepté de publier mon livre, qui faisait un carton d’ailleurs.

Je ne l’avais dit à personne, même pas à l’homme à ma droite, je voulais lui faire une surprise.

  • Chérie ? Tu irais chercher le dessert s’il te plaît ? 

Sa demande me tire de ma rêverie. Bien sûr que je vais aller chercher le dessert. Ce n'est pas comme si on était chez tes parents. Ce n'est pas comme s’il était 15 h 30, et que j’avais déjà préparé une grosse partie du repas, lancé et étendue deux lessives, vidé le lave-vaisselle, et nettoyé le jardin pour que toute ta famille puisse manger dehors.

Je me lève sans un mot et vais chercher le dessert. Et avec le sourire, je vous prie ! C’est que je l’aime vraiment mon Clément, pour me changer en femme de ménage, pour ses parents. Bon, je mange (beaucoup trop) et je bois (beaucoup trop) à l’œil. Et puis, je dors chez eux également.

Je prends les 15 parfums de glaces dans le congélateur, que je pose sur un plateau de service. Non seulement, il faut que j’aille chercher les pots, mais il faut aussi que je serve tout le monde. Je prends des bols, les cuillères à glaces, et je me dirige dans le jardin. Sans rien faire tomber. Tu m’étonnes qu’ils me gardent chez eux.

Je dis une fois tous les parfums, personne ne m’écoute à part lui. Je finis par devoir les répéter pour chaque personne que je sers. On n'est que 7 heureusement. Vanille, café, pistache, chocolat, framboise, noix de coco, madeleine, yaourt, myrtille, mangue, citron vert, noisette, chartreuse, rhum raisin ou praliné ? Une fois. Vanille, café, pistache, chocolat, framboise, noix de coco, madeleine, yaourt, myrtille, mangue, citron vert, noisette, chartreuse, rhum raisin ou praliné ? Deux fois. Vanille, café, pistache, chocolat, framboise, noix de coco, madeleine, yaourt, myrtille, mangue, citron vert, noisette, chartreuse, rhum raisin ou praliné ? Trois fois. Vanille, café, pistache, chocolat, framboise, noix de coco, madeleine, yaourt, myrtille, mangue, citron vert, noisette, chartreuse, rhum raisin ou praliné ? Quatre fois.

Et c’est la bonne, les trois dernières personnes à servir étant mon beau-frère, Clément et moi. Je me sers en dernier, puis, je file pour remettre les pots au congélateur. Je m’assois et je mange ma glace.

Je replonge dans des pensées qui n’intéressent que moi : je n’ai même pas conscience de la discussion qui s’anime aux alentours. J’ai hâte d’être à ce soir et de pouvoir annoncer la nouvelle à Clément. Être en tête avec lui s’est avéré très compliqué depuis qu’on était rentrés chez nos parents. Enfin chez ses parents. Puisqu’en quinze jours de vacances, on n’était allé chez les miens qu’une seule fois.

On débarrasse la table tous les deux, puis on va faire la sieste ensemble. Je suis épuisée, j’ai chaud, et j’ai besoin d’une douche bien froide, que j’espère ne pas prendre seule. C’est avec ravissement que j’entends la porte de la salle de bain s’ouvrir, puis celle de la douche se refermer. Il me colle contre son corps chaud, que la température de l’eau ne tardera pas à refroidir. J’ai le droit à un câlin. Ah ! Ces rares moments d’intimités que l’on s’accorde tous les deux quand on est en vacances. J’aime tant sentir ses mains sur mon corps, en particulier quand il m’enlace, enrobant de ses longs doigts mon petit ventre. 

C’est pourquoi j’aime tant quand on est chez nous. Dans notre appartement. Mais à chaque vacance, c’est la même chose, on revient chez nos parents et on s’embrouille encore plus que d’habitude. Mais on s’aime et c’est notre relation. On s’aime autant qu’on s’engueule : c’est-à-dire beaucoup et souvent. Plusieurs fois par jour, parfois.

Mais j’ai du mal à croire qu’un homme comme lui soit toujours là après tout ce qu’on a vécu. Tout ce que j’ai vécu.

Mais enfin, je monte dans le lit-mezzanine, et il me rejoint, on a déjà chaud, mais je mesure le bonheur de l’avoir encore près de moi pour quelques semaines. Avant qu’il ne parte à l’étranger pour deux ans. Oui, ce n’est que l’Espagne, mais il sera à plus de 800 kilomètres de moi.

Ça va être dur pour moi. J’ai tellement de chance de l’avoir dans ma vie. Je n’ai jamais rencontré d’homme aussi doux, aussi intelligent et aussi drôle. J’ai toujours pu compter sur lui, avant même que l’on soit ensemble. Il est mon pilier de vie, ma moitié, mon futur époux et le père de mes enfants : j’en suis sûre. Ce n’est pas toujours facile, on s’engueule beaucoup, mais on s’aime plus que tout.

Je me réveille vers 17 h 30, et je me colle à lui. Nos corps sont transpirants, comme seule la chaleur du sud de la France peut nous le faire ressentir. J’ai envie d’un câlin, mais une voix retentit dans l’escalier :

  • Clémeeeeeeent ?

Il répond de sa grosse voix, en hurlant un « Quoi ? ». C’est bon, je n’ai plus envie de câlin. 

  • Ton parrain vient dîner ce soir faut faire à manger ! Hurle-t-elle.

  • J’arrive !

Je regarde Clément abasourdie, elle siffle et il rapplique. Belle-maman appelle et je dis adieu à ce moment à deux. On s’habille rapidement, puis on descend. Elle commence à nous expliquer quoi faire pour ce soir, quand je me rappelle un détail : ce soir, nous ne sommes pas là. J’ai prévu une soirée en amoureux pour la grande nouvelle.

Je fais les gros yeux à Clément pour qu’il lui rappelle notre absence. Il n'a pas l’air de se souvenir, du coup, je lui glisse un « Ce soir, on est pris chaton ». Il comprend enfin, et il le dit à sa mère qui a l’air passablement déçue, mais qui nous souhaite une bonne soirée. C’était sans compter sur l'intervention de beau-papa. À force de culpabilisation, il obtient ce qu’il veut : on annule la réservation au restaurant, et on restera à la maison ce soir.

Il peut sembler égoïste que je me sente blessée, mais c’est comme cela. Comme d’habitude, je ne suis pas une priorité. Un jour il m’a dit qu’il vaut mieux qu’il se dispute avec moi qu’avec ses parents. J’ai l’air furieuse, et il le voit bien. On attend d’être dans sa chambre pour se disputer.

  • Tu te fous de moi Clément ? Commençais-je.

  • De quoi ? s’enquit-il. 

  • On a prévu une soirée en amoureux, depuis des jours ! Tu ne pouvais pas lui dire qu’on ne pouvait pas ! m’énervais-je. 

  • Oh, ça va, on la fera une autre fois, ta soirée.

J’ai l’impression de m’être pris une énorme gifle en pleine gueule. Il veut jouer ainsi ? Très bien !

  • Ramène-moi chez moi.

  • Pourquoi ? s’étonne-il.

  • Parce que je n'ai pas de voiture et que je suis très, très en colère contre toi. Je préfère passer la soirée chez mes parents.

Il hausse les épaules et il quitte la chambre, prend les clefs de la voiture, hurle qu’il revient dans 30 minutes, et on part.

Une fois garé devant chez moi, il me dit :

  • Quand même, tu ne fais pas d’effort, ce n'est pas tous les jours que je vois mon parrain, toi oui.

Je suis choquée par son manque de considération pour mes sentiments. Je n’arrive même pas à comprendre s’il le fait exprès, ou si son comportement lui semble normal. 

  • Le problème, Clément, c’est qu’il y a toujours une bonne raison, et que cette bonne raison ce n’est jamais moi. J’en ai ras le bol ! J’avais un truc à t’annoncer ce soir, mais puisque tu t’en fous, tu iras te faire foutre ! Lui lâchais-je.

Et je sors de la voiture en claquant la porte avant de rentrer chez moi. Mes parents ne sont pas là, j’avais oublié qu’ils partaient pour la montagne hier. SU-PER. Une soirée toute seule chez-moi, alors que je devais passer une soirée en amoureux. Je suis RA-VIE.

J’entends sa voiture démarrer. Il ne cherche même pas à me rattraper. Il s’en va simplement.

J’en ai marre de cette situation, où il ne s’impose même pas devant ses parents. Il ne me semble pas si compliqué de dire à ses parents qu’on a prévus quelque chose et qu’on n'est pas disponible ! Ou de simplement leur dire qu’on n'a pas envie de faire ça ou qu’on s’est engagé ailleurs. J’annule le restaurant étoilé, où je devais l’amener, je suis confuse, j’avais dû verser un énorme pourboire pour avoir une table aussi tard.

Je me cale devant la télé avant de sortir du congélateur une pizza surgelée. Génial comme repas.

À 2 h du matin, je reçois un message : « Tu dors ? »

Non, du con, je tricote des perles. Je réponds simplement un « Oui. ». 

Il m’envoie « J’arrive ».

Il sonne à la porte quinze minutes plus tard. Et je lui ouvre, en pyjama, démaquillé, et en colère. Il essaie de m’embrasser, je détourne la tête, et il se retrouve à embrasser ma joue.

Oui, je boude. Oui, j’ai l’impression d’avoir 8 ans, mais non je ne culpabilise pas. Je n’ai vraiment pas l’impression d’exagérer. Il sourit, il sait très bien qu’à force de bisous, je vais arrêter de faire la tête : le fruit de 6 ans d’expérience.

Je finis par esquisser un petit sourire, qu’il me rend au centuple, ça y est, il a gagné. Il sent l’alcool et a les lèvres rougies par le vin. Il s’allonge dans mon lit pendant que je rallume la clim. Et on s’endort.

 

Je me réveille bien avant lui, mais je suis toujours blessée, par son attitude. Ces petites crises me brisent un peu plus à chaque fois, et je perds confiance en sa parole. Petit à petit.

Je suis devant les Winx quand il se lève et pose un bisou sur mon front. Café. En priorité. J’ai pris le mien il y a plusieurs heures maintenant. Il vient se blottir contre moi, et me dit :

  • Ce soir soirée en amoureux, rien que toi, et moi. Tu pourras me dire ta grande nouvelle.

  • Mouais. Si le pape ne vient pas manger.  Mais ça ne pourra pas être où je le voulais. Il m’a fallu des jours pour avoir une table.

Il ne relève même pas mon sarcasme, il l’ignore, tout simplement.  

  • On n'a qu’à se faire un fast-food. Tu adores ça.

Oui, je les adore, mais je préfère me faire un restau étoilé, crétin! Je le foudroie des yeux, mais je sais que ça va finir comme ça.

  • Tu es sûr que tu vas avoir l’autorisation ? m’enquis-je. 

  • Arrête mon cœur… soupire-il. 

  • Je ne vois pas pourquoi j’arrêterais. Tu ne te rends pas compte à quel point ça me blesse quand tu fais ce genre de truc. J’ai juste l’impression d’être un truc à caser dans ton emploi du temps, et qui dégage quand tu n'as pas le temps.

  • Ce n'est pas du tout ça, mais tu sais que je ne peux rien leur dire, sinon j’en ai pour des jours de gêne.

  • N’empêche que tu préfères t’engueuler avec moi plutôt qu’avec eux. Ce n'est pas juste, tu comprends, couinais-je.

  • Oui, je comprends bébé, mais je n'ai pas le choix.

Affirmation. On parle avec une voix posée, dans les bras l’un de l’autre, et j’aime ça. Si seulement on pouvait arrêter de toujours s’engueuler pour tout.

Il est 11 h, et on rentre chez lui, et sa mère me demande si ma tête va mieux. Devant mon air perplexe, elle rajoute : « Clément nous as dit que tu avais eu une migraine hier soir. » Ah. Heu. Oui. Ça va mieux. Je le foudroie cependant du regard. Mon cul, la migraine.

Le repas est rapide, ils travaillent aujourd’hui : c’est lundi. On passe l’après-midi dans sa piscine, à bronzer, moi, je lis, lui, il écoute des podcasts.

Vers 18 h, on va se préparer. Il me dit de bien m’habiller, pour aller au fast-food c’est obligatoire hein. Je passe une robe rouge longue, dos nu que j’assortis avec mes meilleures tongs, avant de passer des talons rouges assortis. Je me maquille, en insistant sur un rouge à lèvre assorti à ma tenue.

Il écarquille des yeux en me voyant et j’en rougis de plaisir. Il prend le volant, et on se dirige vers le fast-food le plus proche. Je mets quelques minutes à me rendre compte qu’il ne s’y dirige pas, mais vers le centre-ville. Il se gare devant Le Poulpe, un restau chic, de la ville. Je le regarde sans comprendre. Il hausse les épaules et me dit simplement « J’ai fait jouer mes relations ». Les relations de Papa, oui. Mais je lui souris, je suis contente de l’intention.

Il commande pour nous deux, deux menus dégustation, pas moins de 8 plats et deux desserts. Toujours plus. Je râle en silence, mais en vrai, je suis heureuse, ça me fait du bien d’être là avec lui. Tous les deux. Tous seuls. Moi égoïste ? Peut-être. 

  • Alors qu’elle est ta grande nouvelle ?

  • Tu te rappelles quand j’écrivais mon livre ? Je t’ai dit que j’essayais de le faire publier ?

  • Tu as réussi ? s’émerveilla-t-il.

  • Oui, j’ai reçu mon premier chèque il y a trois jours !

  • Oh mon cœur ! C’est merveilleux je suis tellement content pour toi !

Il se lève et me prend dans ses bras sous les regards médusés des autres clients qui se mettent tous à applaudir.

  • Ce n’est pas ce que vous croyez ! Lance-t-il à la cantonade.

Les rires fusent et les applaudissements se taisent, et petit à petit les conversations autour de nous reprennent. Bien sûr que ce n’est pas ce qu’ils imaginent. Et pourtant, je me laisse guider par mon imagination : moi en longue robe blanche et lui une rose à sa boutonnière. Je lui explique que mon éditeur estime que ce sera vite un bestseller, et qu’il m’a proposé de publier deux autres de mes romans. Ce qui fait que mon premier chèque de paie est à cinq chiffres. Il commande une autre bouteille, on va devoir rentrer en taxi si ça continue !

Lorsque le serveur amène la note, je le vois bugger. Il me regarde et me dit : 

  • Dis-moi, J.K. Rowling, tu m’invites ?

Je pars en fou rire et je sors ma carte bleue, à quoi bon avoir de l’argent si ce n’est pas pour en faire profiter mes proches ?

Je ne regarde même pas le montant et c’est, pour une fois, par plaisir. Après des années à galérer entre la fac et un, voire deux, emplois étudiants, et avoir raté mes concours après ma licence, c’est tellement jouissif.

En rentrant, il prend la route pour chez moi, mais il faut passer par la forêt. Je conduis, j’ai beaucoup moins bu que lui, même si je suis bien au-delà de la limite autorisée. Je vois un petit coin calme, je presse le frein du bout de mon pied. Lorsque je m’arrête, il me regarde d'un œil interrogateur. Je défais ma ceinture, sors en levant le bas de ma robe et fait le tour de sa voiture pour lui ouvrir la porte. Je lui tends la main, qu’il prend. Et je le guide à l’extérieur. Il a cette lueur dans l’œil, celle qu’il a quand j’arrive à le surprendre. En ce moment, on a du mal à avoir des relations sexuelles. Une baisse de libido de ma part, surtout, une incompréhension de son côté.

Depuis plusieurs mois, on a du mal, il faut l’avouer. Je n’ai que rarement envie de faire l’amour. Non pas que je n’ai plus envie de lui, je n’ai juste plus envie du tout. Il a du mal à l’accepter. Mais mes prises de poids successives m’ont rendue mal dans ma peau, je pèse près de 85 kilos, et je me sens tellement mal. Le traitement que j’ai pris, m’a certes, soignée, mais j’ai aussi pris 25 kilos.

J’efface toutes ces pensées parasites de ma tête et je commence à l’embrasser dans le noir de la nuit. Je le tiens contre moi et il semble réactif. Pour une fois, j’ai l’impression d’être sexy, ce qui est quand même rare. On s’embrasse longtemps et avec passion. Quand je baisse son pantalon, il commence déjà à gémir alors que je ne l’ai pas touché. Il m’attrape les fesses d’une main pendant que je le caresse. Ses lèvres descendent sur mes joues et mon cou et rien que ça, arrive à me faire mouiller. Il veut me lécher, je l’en empêche, j’ai jamais aimé ça. Il me retourne contre un arbre, et sans prendre la peine de m’enlever ma robe, il la soulève et entre en moi.
Je me sens complète à chaque fois qu’on le fait, les mouvements de nos bassins se coordonnent et sont de plus en plus rapides. Il finit en moi, comme souvent. Il m’attrape cependant, et me pose les fessses sur le capot de la voiture, et insère un doigt en moi. Puis deux, et finit par me faire jouir.

Il pose un baiser sur mes lèvres, et on se sourit timidement. On rentre dans la voiture et je remets le contact. On arrive chez moi, et on met la clim. Il a beau faire nuit depuis plusieurs heures, il fait encore plus de 30 à l’extérieur.

Le lendemain matin, je me lève avant lui, comme toujours, lorsqu’il ne travaille pas. Le réveil indique 10 h. Je descends à la cuisine pour me faire mon café au lait du matin. On devrait inventer une prière pour le dieu café du matin, celui qui me permet de ne pas égorger tout le monde, celui qui me permet d’affronter la vie, celui qui me permet d’être un minimum gentille, et qui recharge mes batteries de patience, qui sont de toute manière, très limitées.

J’adore le bruit de la machine qui chauffe l’eau, puis le léger clapotis du café qui se verse dans mon mug. Quand je le bois, c’est le meilleur moment de la journée. Avec celui où j’enlève mon soutien-gorge, j’avoue. Une fois le café avalé, je remonte dans ma chambre me blottir contre mon chéri, afin de le réveiller.

Quand j’ouvre la porte, je retiens un éclat de rire. Je suis partie à peine dix minutes, et sa grande carcasse est en diagonal du lit, les pieds dépassant de chaque côté, le coussin sur son visage et son bras par-dessus le tout. Je me glisse dans le petit angle laissé entrer sa jambe droite et son bras droit. Il me sent arriver puisque son bras et sa jambe gauche se renferme sur moi, aussitôt allongée. Je lui fais des petits bisous sur le torse, étant donné que c’est le seul endroit que mes lèvres peuvent atteindre. Ses poils me chatouillent le visage, mais j’aime bien poser ma tête dessus. Son cœur cogne contre mon oreille.

Il finit par grogner, puisque je le réveille, mais il finit par me faire des bisous dans les cheveux à son tour. J’ai même le droit à des papouilles dans la nuque, elles me donnent des frissons, mais j’adore ça.

On finit par se lever à regret, galvanisés par ce moment tendre, on part à la douche et sous laquelle on continue les câlins.

On se dépêche de rentrer chez ses parents, j’ai déjà la boule au ventre, avant même d’apercevoir la liste des tâches de la journée. J’ai bien conscience qu’elles ne me sont pas adressées. Mais Clément doit toutes les effectuer avant le retour de ses parents, et je pense qu’ils savent pertinemment que je suis trop polie, voire trop gentille pour le laisser se débrouiller, et se faire gronder une fois le soir arrivé parce que tout n’aura pas été fait. C’est pourquoi je conduis sur le retour, roulant bien plus vite que lui. La première chose qu’il fait en rentrant dans la maison, c’est se faire un café, lui aussi a besoin de courage. Moi ? Je fixe avec désarroi le mur ardoise de la cuisine. Faire les courses pour la semaine, passer au boucher, et au primeur, livrer les médicaments de la pharmacie, ranger ta chambre, faire à manger pour midi et ce soir, nettoyer la piscine, lancé et étendre la machine, puis la plier, vider le lave-vaisselle, faire le plein de la voiture et la laver.

J’ai l’impression d’être Cendrillon et je ne suis même pas chez moi. Il pose sa tête sur ma tête, et fixe la liste avec dégoût. Bon. On se répartit les tâches : je vais faire les courses, je fais à manger, m’occupe de la machine et vide le lave-vaisselle. Il fera le reste. Je prends la voiture en premier pendant qu’il nettoie la piscine. Je cite le nom de famille de mon chéri, pour me présenter, et ça agit comme une formule magique : on m’offre des saucisses, des tomates et un melon. Je lui rends la voiture pendant que je range les courses, pour qu’il aille livrer les médicaments. Je lance une machine, et à 11 h 45, je mets un grill à chauffer et une marmite d’eau à bouillir, pendant que je découpe des tomates pour l’entrée. Je mets la table et vide le lave-vaisselle et à 12 h 05, Clément et sa mère arrivent, il est passé la chercher à sa pharmacie, évidemment. Les pâtes sont cuites et la viande aussi : parfait. C’est que je deviendrais forte à ce jeu-là. En 10 minutes, le repas est plié. Je vais étendre la lessive pendant qu’il débarrasse la table. J’en lance une autre.

On part faire la sieste, et quand je me lève 30 minutes plus tard, je suis bonne pour étendre la seconde lessive. Il part laver la voiture et faire le plein, et moi, je profite de me reposer puisque je travaille ce soir.

Je suis serveuse en extra dans plusieurs restaurants du coin, histoire de gagner un peu d’argent. Maintenant, que je gagne ma vie, cela devient dérisoire, mais je me suis engagé auprès de mes patrons et je tiens toujours mes engagements. Et puis ça me permet de voir du monde. À 17 h, on prend la voiture et il me dépose au travail promettant de venir me chercher à minuit : 

  • Comme Cendrillon ! me dit-il avec un clin d’œil. 

Vu mes journées en ce moment, la blague ne me fait même pas rire.

Il est minuit quatorze quand je finis le travail et que j’attrape mon téléphone. C’est alors que je vois un message de mon chauffeur de taxi : « On est allé au restaurant, je n'ai pas de voiture. ».
Attends. Quoi ? Serait-il en train de me dire que, encore une fois, il m’abandonne au profit de ses parents ? 

Je sais que ma réaction est purement égoïste, mais j’ai l’impression d’être trahie. Encore une fois, il rompt une promesse qu’il m’a faite. Encore une fois, il me prouve qu’il n’est pas digne de confiance. Encore une fois, il me laisse au profit de ses parents.

Je l’appelle. Bien évidemment, il ne répond pas. Je le rappelle, les tonalités sonnent dans le vide. Il est plus de minuit, je me retrouve sans argent, sans voiture, et je suis à plus de 45 minutes à pied de chez moi, alors que je sors du travail.

J’ai envie de hurler, mais je suis tout simplement seule en ville. Mes collègues sont rentrés chez eux, et je suis vraiment dans la merde putain!

Je remets mon sac à dos sur mon épaule et je me mets en route. La ville est encore un peu active, mais les derniers bars ferment leurs portes, et le peu de personnes dehors sont alcoolisées. J’ai peur, mais la colère me domine. Je mets un pied devant l’autre. Gauche, droite, gauche, droite…

Au bout d’un quart d’heure, je quitte le centre-ville. C’est de plus en plus flippant, j’ai des envies de meurtres. Toujours aucune nouvelle de lui, il a intérêt à se faire rattraper ! Gauche, droite, gauche, droite... Encore un quart d’heure plus tard, je quitte la banlieue pour entrer dans la forêt qui sépare ma maison de la ville.

J’entends des bruits de la nuit, les animaux qui se déplacent, le vent dans les arbres et la lune éclaire les branches feuillues. La colère commence à tomber, et la peur à prendre le dessus. Je suis ce chemin que j’ai parcouru des milliers de fois au cours de ma vie, mais toujours accompagné ou de jour.

Au bout d’un moment, j’entends comme un moteur, j’accélère le pas, je suis bientôt arrivé. J’adresse une petite prière à Dieu « Faites que je ne meurs pas aujourd’hui s’il vous plaît ! ».

Des phares jouent avec les troncs. Bon dieu que j’ai peur ! « Faites que ce ne soit pas un taré, ou un violeur ».

La voiture ralentie à mon approche et je reconnais la voiture de Clément, avec un Clément tout content, sûrement alcoolisé au volant. Il me crie :

  • Monte !

  • Casse-toi ! Hurlai-je, les larmes coulent sur mes joues.

  • Ana, aller ne fait pas la tête.

Il a l’air tout penaud, il se fout de ma gueule ? C’est moi qui me suis retrouvée comme une conne, et c’est lui qui est triste ?

  • Va te faire foutre Clément !

  • Allez monte, ce n'est rien.

Pour le coup, je m’arrête de marcher et il arrête la voiture à ma hauteur. Je hurle à un point que la nature se tait autour de moi.

  • Ce n'est rien ? Ce n’est rien ? Pour toi, ce n'est rien, espèce de connard ! Tu n'as encore une fois pas respecté ta propre parole ! Merde ! Ce n'est rien de laisser sa copine rentrer à pied à plus de minuit ? Ce n'est rien de la laisser seule ? Ce n'est rien de la faire marcher trois quarts d’heure de nuit ? Va te faire foutre Clément ! Casse-toi ! Je veux plus te voir.

  • Tu sais que je n’ai pas eu le choix.

  • Mais bordel ! Arrête ! Arrête de toujours mettre la faute sur tes parents ! Est-ce qu’au moins tu leur as dit que tu devais venir me chercher ? Tu sais ce que tu es ? T’es un lâche ! Tu n'es pas foutu de faire quelque chose pour moi ! Rentre chez toi ! Rentre chez « ceux qui t’aiment ».

  • Ana, je sais, je suis une merde, un abominable connard, mais laisse-moi te raccompagner jusqu’à chez-toi. Regarde, je suis venu dès que j’ai pu. 

Je vois qu’il est mal, mais c’est trop facile pour lui, il n’a qu’à faire une tête triste et je suis toujours censée revenir à genoux. Mais j’en ai marre. Je n’en peux plus des coups comme ça, ce n’est pas le premier et ce ne sera pas le dernier. C’est donc avec toute la haine que je peux que je lui balance :

  • Tu as raison. Tu es une merde. Rentre chez toi. Je me débrouillerais sans toi. J’ai l’habitude !

Il arrête la voiture, probablement choqué par ma violence. Et je continue de marcher. Les larmes coulent sur mes joues, mais je ne peux pas opérer un demi-tour. Il ne me reste qu’une minute ou deux de marche, j’ai les jambes en feu, et le cœur déchiré. Je n’ai qu’une envie, c’est de rebrousser chemin et de le serrer dans mes bras. J’ai été violente, mais je me sens tellement mal à cause de lui, que je n'arrive même pas à m’en vouloir. Pourtant mon instinct, beaucoup trop présent, me dicte d’aller le réconforter.

Au loin, j’entends un moteur. Et j’aperçois enfin la maison de mes parents. Je glisse la clef dans la serrure et je claque la porte derrière moi. Je m’écroule en pleurs sur mon lit. Je ne me lève que pour aller me doucher. Puis je m’endors en pleurant ma peine et ma douleur.

Le lendemain, j’ai un message de Clément : « Je suis désolé, pour hier. Mais tu as été dure ». Il continue de se foutre de ma gueule, ce n'est pas possible. Je ne réponds même pas, tellement, je suis énervée. Ce ne serait que l’occasion de s’engueuler encore plus. Quelques minutes plus tard, nouveau message : « Tu veux bien que je vienne chez toi ? Il faut qu’on parle calmement. Après, on ira manger chez moi. Réponds-moi mon cœur, je t’aime. »

Il me prend par les sentiments, je réponds un rapide « Si tu veux. ». De toute manière, je n’ai pas le choix. Je vais me faire mon café au lait matinal, puis je monte dans la salle de bain. Pendant que je me brosse les dents, je me regarde dans le miroir. J’ai l’air… Éteinte. Éteinte, c’est le mot. Je n’ai plus cette étincelle de malice dans les yeux. Je n’ai plus de rose aux joues. Mes yeux sont cernés par la fatigue et les pleurs de la veille. Même mes cheveux roux sont ternes.

J’ai l’impression de voir un dessin de moi, un dessin très moche.

La sonnette retentit. Je descends les escaliers en attachant mes boucles dans un chignon rapide et désordonné.

Je lui ouvre la porte, je ne peux même pas le regarder dans les yeux. Il entre et va directement s’asseoir sur le canapé du salon. Il est à l’aise chez mes parents. Surtout quand ils ne sont pas là.

Je m’assois sur le fauteuil en cuir de mon père. Bien en face de lui. Il commence :

  • Ecoute, je suis vraiment désolé pour hier soir. Tu sais que je n’ai pas le choix avec mes parents. Je suis obligé de les suivre sinon à chaque fois, j’ai le droit à des jours où ils font la gueule et je n'ai pas envie d’être un sujet de dispute entre eux.

  • Je m’en fous, en fait, de tes raisons. Le problème, c’est que je ne suis jamais une priorité pour toi. 

  • Je suis obligé de les suivre sinon à chaque fois, j’ai le droit à des jours où ils font la gueule et je n'ai pas envie d’être un sujet de dispute entre eux. 

  • J’en ai marre de passer en dernier.

  • Mais arrête ce n'est pas vrai… Tu sais bien que tu es une de mes priorités. Je t’aime mon cœur…

  • Le problème Clément, c’est qu’à force de me faire des coups dans ce style, ta parole n’a plus aucune valeur à mes yeux, j’attends des preuves. J’attends que tu fasses ce que tu dis. Que tu t’imposes sur ce que tu penses et ce que tu veux.

  • Tu sais bien que je suis dépendant d’eux, je ne peux pas couper les ponts ou quoi.

  • Je ne te demande pas de couper les ponts avec tes parents et je ne te le demanderais jamais ! Je te demande juste de leur dire quand tu as déjà quelque chose de prévu ! Si je veux te voir, je suis obligée d’aller chez toi, on ne voit jamais mes parents. Tu comprends qu’à long terme ce n'est pas viable ?

  • Bien sûr, mais quand je serais indépendant, ce sera différent, me promet-il.

  • Permets-moi d’en douter. Quand on aura des enfants, ça se passera comment ? Je serais forcée de passer voir QUE tes parents ? Alors que mes parents sont dans la même ville ? Je ne le supporterais pas longtemps, je te préviens. Des coups comme ça, j’en veux plus jamais.

  • Je comprends mon cœur.

Je pleure. Évidemment que je pleure, j’ai l’impression de perdre une part de moi à chaque fois qu’il me fait des coups foireux. Je suis dans ses bras, et pour une fois, on n'a pas hurlé. Ça fait du bien de parler, sans hurler. Ça repose la voix, mais ça n’adoucit pas le cœur. J’essuie les larmes à mes yeux et on se prépare pour aller chez lui. Je passe un short de sport et un débardeur et on va chez lui.

Une fois à table, sa mère nous parle d’un super bon restaurant, pour fêter le départ de Clément à l’étranger. J’avais reculé cette idée au plus profond de moi, tant l’idée m’angoissait. Clément qui part deux ans dans un autre pays, à 800 km de moi. La séparation physique allait être très difficile. Mais il n’avait pas le choix pour valider son diplôme

  • Tu viens, Ana, bien sûr ?

  • Avec plaisir ! Lui répondis-je.

On pourrait croire que je n'aime pas ses parents, mais ce n’est pas le cas. Je les aime beaucoup et les considère vraiment comme ma famille. Ce que je ne supporte pas, c’est leur habitude de tout tenir pour acquis. Même Clément. Même moi. La réalité, c’est que je sois là, ou pas, pour eux c’est la même chose. Je suis un accessoire à leur fils. C’est ça, je suis un sac à main ! En attendant, ils ne m’ont jamais rejeté ou critiqué et je pense qu’au fond, ils m’aiment bien.

  • Vendredi, ça te va ? Continue-t-elle.

  • Oui parfait.

  • J’appellerais le restau ce soir.

Parfait, j’ai toujours rêvé d’aller dans ce restaurant, mais il est impossible d’avoir une table et c’était beaucoup trop cher pour moi. Il s’agissait d’une salle en haut d’un phare, avec une vue imprenable sur la Méditerranée.

 

Tout se passe bien, jusqu’à vendredi midi. Clément m’annonce une surprise qui confirme mon aversion pour celles-ci : le restau n'avait que 5 places. Du coup, ses parents iront manger avec leurs trois enfants.

Je suis désinvité, 7 h avant le repas.

Mon regard interloqué doit en dire assez. Il se lève et me prend la main pour m’accompagner à l’étage. Je me sens tellement vide, je suis en colère. J’attrape mon sac, et il comprend. Il a déjà les clefs dans la main quand j’ouvre la porte. Le trajet se passe en silence. Il a fini par comprendre que quand je suis en colère, il faut me laisser respirer. Et là je suis tellement en colère que plus rien ne m'atteindra.

Il me pose chez moi, je rentre à l’intérieur avant de hurler un grand coup.

Je hurle à en vomir pendant plusieurs secondes avant de voir passer deux têtes au coin du mur : mes parents sont rentrés.

  • Papa ! Maman !

Je me jette dans leurs bras, avant de me mettre à pleurer de soulagement de les voir. Ils ont un mouvement de recul, mais je les comprends, les effusions de sentiments ce n'est pas tellement notre tasse de thé à tous les trois. On est plutôt réservé sur ça.

Je me mets à leur expliquer toute la situation, à la fin, mon père me dit simplement « Chérie, fait les choix qui te permettent de vivre la vie que tu veux », et il monte à l’étage. Au bout de quelques minutes, on entend un saxophone jouer. Ma mère, elle, essaie de me remonter le moral, rien n’y fera, si Clément ne veut pas prendre ses responsabilités, cela semble compliqué de s’engager avec lui.

Je sais qu’elle a raison, mais je l’aime. Je l’aime, mais en même temps ma confiance en lui disparaît peu à peu. Je me remémore malgré moi, la trahison qu’il m’a faite au mois de janvier dernier. Cela faisait plusieurs mois qu’on parlait de son départ, que je vivais plutôt mal. Il me répétait sans cesse qu’il n’avait pas le choix, que partir deux ans allait lui permettre de valider son diplôme. Je n’avais pas le choix non plus d’ailleurs. On cherchait des options pour se voir, malgré les 800 kilomètres qui allaient nous séparer. J’irais le voir une semaine par mois et ça irait. On allait s’habituer.

Finalement, je m’y étais faite. Jusqu’à ce que Romain, un collègue de son école, me demande comment je prenais le choix de Clément. Je me vois encore lui demander :

  • Quel choix ?

  • Bah, tu sais, celui de partir deux ans.

Mon monde s’était écroulé. Il finit par m’expliquer plus ou moins en panique devant mon visage qui se décomposait au fil de ses mots, que Clément n'aurait pu partir que 6 mois. J’avais envie de hurler. Heureusement pour Clément, je ne suis pas du style à faire des scènes en plein milieu des soirées. Je revois toute cette scène, la musique qui passait, le verre d’alcool que j’avais vidé d’une traite, la compréhension dans son regard quand ses yeux ont croisé les miens.

Ce mensonge avait mené à notre « Pause ». J’avais passé des semaines à me demander si cela valait vraiment le coup de rester avec lui. Jamais je n’avais douté de sa parole. C’était d’ailleurs ce que j’aimais le plus chez lui, cette capacité d’écoute et de dialogue qui faisait que j’avais autant confiance en lui.

Je cligne rapidement des yeux et je reviens au salon, avec ma mère qui me regarde étrangement. Je sais que je ferais le même choix que pendant la pause, je resterais avec lui parce que je l’aime. Ses excuses n’ont plus de poids, mais je l’aime et je n’envisage pas ma vie sans lui.

Je lui envoie un message : « Je ne veux pas que tu partes, et qu’on se fasse toujours la tête, viens me voir après le restau stp. Je t’aime ».

J'ai reçu un message à 1h23 du matin. La sonnerie n’a même pas la joie de me tirer du sommeil. Je veille depuis des heures au-dessus de mon téléphone en espérant qu’il ne me fasse pas la tête. C’est tout moi, ça, en fait. C’est moi qui suis blessée à mort, et c’est moi qui culpabilise. 

Le message me dit « Je suis en bas ». J’essuie une paire de larmes à mes yeux et je me précipite dans l’escalier qui mène au rez-de-chaussée. Je dérape dans le couloir précédant la porte d’entrée en bois massif. Elle est légère dans ma main, et mon cœur s’envole quand je le vois se passer une main dans les cheveux en me souriant. Il est complètement saoul, je me demande même comment il a fait pour conduire jusqu’ici. Je regarde dehors et m’aperçois qu’il n’y a pas de voiture, on a dû le déposer. 

Il entre en titubant dans le couloir, et il éclate de rire lorsqu’il rate la première marche des escaliers qui mène à ma chambre. Je ris avec lui, en lui faisant baisser le son : mes parents dorment. Je l’attrape sous le bras et je l’aide à monter les marches une à une, comme je lui ai fait faire si souvent. Il est lourd mon chéri, 95 kilos pour 1,92 m, il est parfait tel qu’il est mais il est lourd sur mon épaule. Je suis sa béquille. C’est tellement révélateur de notre relation finalement. On est des béquilles l’un pour l’autre, on s’aide pour avancer, un jour après l’autre.

Je le couche dans mon lit et je lui enlève sa chemise, ses mocassins puis son pantalon de toile. Il se retrouve en caleçon sur mon lit et il me tire la main, pour me ramener à lui. J’ai tellement besoin de lui contre moi. Ces dernières heures sont précieuses à mes yeux. Il tire mon visage contre le sien et il pose ses lèvres sur les miennes. J’ai un feu qui s’allume dans mes reins immédiatement. Je suis à lui. Pour toujours, et il n’en sera jamais autrement.

On fait tendrement l’amour, et c’en est douloureux. Quelle douleur de savoir que mon amour s’en va loin de moi. Je quitte ces pensées qui me perdent dans mon bonheur. Je me repose dans ses bras chauds que j’aime tant. Ses bras chauds. Je suis heureuse à cet instant.

La réalité sera tout autre demain, je devrais l’amener à la gare, et il partira loin de moi. Pendant deux ans. Il me manquera, bien sûr. Mais ce qui me fait le plus peur, c’est de devoir apprendre à revivre seule. Il y aura les appels, sans aucun doute. Mais je devrais réapprendre à dormir seule, à gérer la maison seule, à me réveiller seule chaque matin. Pendant deux ans, jusqu’à ce qu’il me revienne.

Alors je colle mon plus beau sourire sur mon visage, et je le regarde par en dessous mes cils. J’ai envie de hurler de douleur de le voir partir loin de moi, et pourtant, je reste là à sourire comme un mannequin en couverture de magazines. Je donnerais tout pour le voir rester. Tout. Les chiffres qui s’amassent sur mon compte en banque, mon rein, mon âme. Mais il part et je ne peux rien faire à part bonne figure.

J’aurais aimé lui dire que ça marchera entre nous, que je n’aimerais jamais plus personne après lui, et que ce serait lui l’homme de ma vie. J’aurais aimé lui dire que plus rien ne comptait sans lui à mes côtés. Qu’il était le barreau de l’échelle qui me menait vers l’avenir, qu’il était le socle d’un avenir plus radieux. Mais je savais pertinemment que c’était faux. Une petite voix dans ma tête ne cessait de me hurler que c’était la fin de nous.

Je lui disais de se taire bien sûr, mais elle prenait de la puissance cette garce. Mais je me battrais. Et cette bataille commençait par un sourire collé sur mon visage, beaucoup trop grand et figé pour être vrai, mais assez pour faire illusion.

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Chapo
Posté le 07/04/2023
Un début très prometteur et qui donne envie d'aller plus loin pour savoir ce qu'il va se passer entre Ana et Clément, ce qu'il s'est passé entre eux pour en être là, et pourquoi Clément est si coincé avec ses parents ! J'ai hâte de lire la suite.
Sur la forme, ce premier chapitre est peut-être un peu long. Je me dis que pour entrer davantage dans l'histoire, un chapitre plus court serait plus accrocheur. Le contenu est toutefois suffisamment palpitant pour donner envie d'avancer. Mais peut-être que le chapitre coupé en deux ou raccourci permettrait de respirer un peu plus...
Coutumier du Fait
Posté le 04/04/2023
Bonjour,

"Je suis obligé de les suivre sinon à chaque fois, j’ai le droit à des jours où ils font la gueule et je n'ai pas envie d’être un sujet de dispute entre eux." apparaît deux fois dans le texte.

A part ça, j'ai envie de connaître la suite...
Barbara Quinn
Posté le 06/04/2023
Bonjour,
j'ai bien noté la répétition.
Je vous remercie de l'attention porté à mon premier chapitre, la suite arrive bientôt !
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