Les flocons tombaient lentement autour d'elle. Il ne neigeait pas tout le temps à Oilossë malgré le froid mais lorsque cela arrivait, elle pouvait passer des heures à regarder les minuscules cristaux de glace tomber du ciel pour s'amonceler en une fine couche de poudreuse sur le sol. C'est à peine si elle entendait la voix de sa mère qui l'appelait à travers la forêt.
- Elerinna ! Elerinna ! criait l'adulte avant de se rendre compte que la petite fille se trouvait en plein milieu de la clairière.
- La jeune femme se précipita vers sa fille et la serra dans ses bras, soulagée de l'avoir retrouvée.
- Elerinna ! la gronda-t-elle. Ne me fait plus jamais ce genre de frayeur ! C'est bien compris jeune fille ?
- Oui maman. soupira Elerinna. Je suis désolée...Je voulais consoler le ciel...Pour qu'il ne pleure plus...
- C'est gentil de ta part ma chérie. Je suis sûre que tu l'as beaucoup aidé. sourit la mère.
- Tu crois qu'il va arrêter de pleurer alors ?
- Oh oui ! Comment pourrait-il continuer à pleurer alors qu'une petite elfe aussi mignonne et gentille est là pour lui ? Allez ! Rentrons ma chérie ! Je vais te faire une infusion de valériane avec un peu de miel et ensuite au dodo !
Tenant la main de sa mère, la petite elfe de glace rentra chez elle, heureuse de savoir qu'elle avait calmé le ciel. Ce soir là, avant de s'endormir, la petite Elerinna, bien que somnolente réclama à sa mère la berceuse qu'elle lui chantait depuis sa naissance. D'une douce voix, la mère s'exécuta en souriant :
- Loin au loin de notre beau pays se trouve les êtres de feu.
Peut-être un jour nous délivreront-ils mais en attendant...
Dors mon enfant dors et rêve de ce soleil brûlant...
Sur nos peaux de glaces et soit heureuse petite sois heureuse.
Lorsque la mère s'arrêta, elle constata que sa fille dormait déjà. Elle déposa un baiser sur son front avant de sortir de la chambre d'enfant en regardant sa fille avec tendresse. Un jour, elle ferait de grandes choses. Elle le sentait.
***
- Elerinna ! Par tous les dieux de Taïdo ! Où est encore passée cette enfant ?
- Je suis là maman ! Fit l'adolescente en sortant d’une petite grotte non loin de la rivière gelée où sa mère la cherchait.
- Un jour tu vas finir par me rendre folle ! Et comment ça se fait que je ne t'ai pas vue tout de suite hein ?! Cette grotte est minuscule !
- Oh...ça...Il y a un petit tunnel donc j'étais dans le renfoncement.
- Je te jure ! Qu'est-ce que je vais faire de toi ? Soupira la mère en secouant la tête. Allez ! C'est l'heure de tes classes d'herbologie !
- Mais maman ! Tu sais très bien que je déteste ces classes ! Les filles me détestent toutes et j'en apprend bien plus dehors qu'en restant enfermée !
- Voyons ! Elles ne te détestent pas, elles te charrient c'est tout ! Allez ! Retournes-y et crois moi il y a des choses que tu apprendras dans ces classes que tu n'apprendras pas dehors !
Elerinna lâcha un petit soupir mais s'exécuta. Tête baissée elle retourna au village et suivi ses classes pour le reste de la journée en tentant d'ignorer les moqueries acerbes de ses camarades. Combien de fois avait-elle rêvée de s'enfuir à tout jamais...Des dizaines ? Des centaines de fois ?
Mais elle savait bien qu'elle ne le pouvait pas...Sa mère mourrait de chagrin si elle venait à disparaître. Elle restait donc sagement au village, se contentant de brèves escapades.
Elle ne comprenait pas pourquoi elle pouvait aller aussi loin : normalement selon ses calculs et ceux des anciens elle aurait dû se heurter au mur magique depuis bien longtemps et pourtant...
Tous les jours elle allait de plus en plus loin. Il lui semblait même qu'à chaque mètre gagné, le temps se réchauffait et le ciel lui semblait plus clair.
Bien sûr elle avait déjà pensé au fait qu'elle pouvait traverser la barrière mais se refusait à l'admettre : c'était ridicule ! Personne n'avait jamais pu traverser la barrière en plus de 30 ans...Alors pourquoi le pourrait-elle ?
Elerinna soupira et se remis silencieusement à lire son grimoire d'herbologie, entourant méticuleusement les points les plus importants.
Elle aimait cette matière mais c'était la manière qu'avaient les autres de l'étudier ou de l'enseigner qui la rebutait : elle s'ennuyait à lire des textes entiers au lieu d'être directement dans la forêt à reconnaître les diverses plantes qui lui seraient utiles dans son futur rôle de guérisseuse.
La jeune elfe jeta discrètement un regard rêveur vers l'unique fenêtre de la salle de classe, couverte de givre. Peut-être neigerait-il aujourd'hui ?
***
Lorsque le coq chanta, Elerinna se leva d'un bond. Aujourd'hui c'était le grand jour ! Enfin ! Deux ans qu’elle attendait ce moment avec impatience ! Celui où l'on l'introniserait enfin dans le cercle des guérisseuses officielles.
La jeune femme aux longues oreilles pointues se précipita vers le bain et se vida le baquet d'eau glaciale sur la tête. Elle frotta vigoureusement sa peau bleutée jusqu'à lui faire prendre une teinte pourpre, synonyme d'un rougissement de la peau chez les elfes de glace.
Elle s'enduit ensuite le corps d'un lait de toilette purificateur qu'on lui avait remis la veille. Elerinna inspira longuement : les multiples herbes et huiles utilisées dans la composition de ce lait corporel lui donnaient une odeur puissante mais assez agréable.
L'elfe termina le rituel de la toilette en faisant doucement pénétrer la substance laiteuse à l'aide d'une serviette en grossière toile de lin.
Elerinna se rendit ensuite dans sa chambre où elle sécha méticuleusement ses longs cheveux blonds comme les blés. Elle les brossa, les sépara en trois sections égale et en fit une longue tresse qu'elle orna de petites fleurs que l'on ne trouvait plus qu'à Oilossë : les ruber stilla, autrement appelées « gouttes de sang » en raison de leur couleur rouge foncé.
Elle tourna ensuite le dos à la coiffeuse pour ouvrir sa penderie où sa robe de cérémonie l'attendait, sagement. Elle était faite dans un velours bleu foncé, et était ornée de dorures au niveau du col et du bas.
Ses longues manches se finissaient en pointe et étaient toutes deux pourvues à leurs extrémités respectives d'un trou juste assez large pour y enfiler le majeur. C'était un vêtement simple mais élégant.
A côté de la robe, sur un autre cintre, pendait la cape cérémoniale. Elle était également faite de velours bleu mais cette fois ci un peu plus foncé et était pourvue d'une capuche. Son encolure était bordée d'une douce fourrure blanche.
Elerinna ne savait pas trop de quel animal ou créature cette fourrure venait mais à cet instant précis, peu lui importait. Elle enfila avec grâce et délicatesse l'ensemble avant de se retourner vers sa coiffeuse.
Pas de maquillage ! Les guérisseuses se devaient être humble et pures. Cependant, elles avaient droit à un bijou : un seul qui symbolisait généralement une part de l'enfance qui leur était chère et qu'elles devaient prendre le temps de choisir avant d'offrir le reste de leurs ornements en offrande à la déesse de l'enfance Ginshi.
L'elfe passa de longues minutes à examiner la totalité de ses bijoux. Tous lui plaisaient et elle ne devrait en garder qu'un avant de se débarrasser des autres. Son cœur se pinça à cette idée mais elle se concentra et porta finalement son choix sur une paire de boucle d'oreille à plumes blanches. « Celle que je portais ce jour-là... » Se remémora-t-elle avec nostalgie.
Cela faisait six ans...Six ans que sa mère l'avait prise la main dans le sac au fond de la grotte près de la rivière gelée. Six ans que ses petites escapades avaient cessé par peur que l'on découvre qu'elle pouvait probablement traverser la barrière.
Elerinna soupira : même si elle se sentait heureuse de devenir guérisseuse, elle aurait donné n'importe quoi pour avoir quatorze ans à nouveau et s'échapper pour découvrir le monde.
L'elfe se leva et descendit l'échelle de meunier qui reliait sa chambre avec la pièce à vivre.
Sa mère l'y attendait, le sourire aux lèvres, les yeux pétillant de joie et le visage rayonnant de fierté :
- Regarde toi ma fille ! Tu es resplendissante !
- Merci maman. Lui sourit-elle
- Je suis si fière de toi ma chérie ! Murmura la mère en l'enlaçant. Ton père l'aurait été lui aussi. Termina-t-elle en retenant un sanglot.
- Je sais maman. Répondit Elerinna en répondant à l'étreinte.
- Allez ! File ! Ils t'attendent.
Elerinna acquiesça et sortit de la maison. En effet, ils l'attendaient : deux soldats se tenaient à l'entrée du jardin, accompagnant le cheval qui transporterait la future guérisseuse sur la place publique où les anciens et la matriarche des guérisseuses procéderaient à son intronisation devant tout le village.
Elle s'avança jusqu'au cheval. Il était gris pommelé et dégageait une légère chaleur. L'elfe le caressa et se hissa d'elle même sur la selle. Elle s'installa en position amazone, laissa le cheval la guider et les gardes l'escorter.
Au fur et à mesure qu'elle voyait la place publique et la foule se rapprocher, Elerinna sentit son cœur battre de plus en plus fort. Maintenant, plus de marche arrière possible. La jeune femme elfe descendit de sa monture et fendit la foule jusqu'à arriver au centre de la place. Face à elle se trouvaient les six grands sages du village :
Falathar, surnommé « l'esprit de feu » en l'honneur de ses nombreux exploits et de son légendaire courage lors de la seconde salve, siégeait sur le fauteuil le plus à gauche. Il était considéré comme le meilleur des soldats qu'avait jamais eu Oilossë. Il était désormais le grand commandant de la garde du village et ses talents d'archer et d'épéiste le précédaient partout où il s'était rendu.
Il y avait à sa droite Milglia, dite « La douce ». C'était également la plus jeune des six. Milglia était considérée comme la jeune femme la plus pure du village. Quel que soit l'offense qu'on lui présentait : son seul souhait était de comprendre et pardonner. C'est donc sans hésiter qu'on lui confiait les affaires d'état les plus délicates. Les rares fois où Milglia décidait de condamner ou de punir, on savait qu'elle le faisait à contrecœur mais qu'il s'agissait de la seule solution.
Juste à côté d'elle, siégeait Lulla, la matriarche des guérisseuses. C'était la plus ancienne des sages et grâce à elle, de nombreuses vies furent sauvées lors de la grande tempête. Son talent était légendaire et ce, y compris au delà du village.
Juste après se trouvait Galbar. Dès son plus jeune âge, ce dernier avait toujours présenté un don et une habileté particulière à la magie. En grandissant, il devint de plus en plus doué et de plus en plus fort et ce, jusqu'au jour où il inventa son propre sort : « Magia Collecta ». Ce sort permis à de nombreux mage de survivre lors de la grande tempête. En effet ce dernier permettait de créer de la magie à partir de l'énergie des plantes autour de soi et ainsi permettre de jeter quelques sorts de plus lorsqu'on était à bout.
Ensuite, se trouvaient les jumelles Folliera et Deliarra. Ces deux elfes étaient les deux meilleures prêtresses du village. Folliera, était née avec le don de divination et Deliarra, pour sa part, était née avec ce que l'on appelait sur Taïdo « Le lien ». C'était un don très rare qui consistait en un lien énergétique privilégié avec un dieu ou une déesse voire, si l'on avait de la chance, avec deux d'entre eux. Il se manifestait principalement par des interventions du dieu à l'intérieur du corps du privilégié, comme s'il s'agissait d'un hôte. Bien entendu, ces dons faisaient de Folliera et Deliarra les prêtresses les plus demandées du village.
Le cœur battant et le ventre noué par le trac, Elerinna s'agenouilla face aux six. Mais alors que Falathar s'apprêtait à annoncer le début de la cérémonie, un cri de stupeur l'arrêta.
La foule se retourna afin de localiser la source du dérangement mais lorsqu'elle leur apparut, tous se figèrent et se turent. Un petit groupe d'aventuriers, composé d'un nain, d'un humain et d'une fée, se tenaient face à eux. L'impossible venait de se réaliser : la barrière avait été franchie !
La fin est très prenante et elle me pousse clairement à lire le chapitre suivant (j'ai presque entendu leur stupeur). Par contre, je me demande pourquoi, vers le début, elle pense à s'enfuir en sachant qu'il y a la barrière. Pour le coup, je crois que j'aurais adoré qu'elle se sente un peu plus piégé et qu'elle se pense moins capable de traverser la barrière, je crois qu'à sa place, je ne l'envisagerais même pas x)