Chapitre 1

Par Ety

Cité impériale d’Archadès – 6 Cancer 694

La cité d’Archadès s’étendait au cœur d’un empire prospère et imperturbable. Les différentes autres localités qui tentaient de rivaliser avec la capitale ne faisaient guère grande impression face à son ampleur et à sa richesse. En effet, cette immense ville regorgeait de biens en tous genres, fruits d’un commerce très développé grâce aux traités signés avec les nations environnantes, telles que la cité céleste de Bhujerba, dont les produits touristiques ne cessaient de ravir tant de nobles Archadiennes. Les moyens de locomotion que l’on trouvait à la capitale étaient en outre les meilleurs de l’Empire : l’on comptait pas moins de dix mille vaisseaux privés circulant chaque jour dans le ciel d’Archadès, survolant le désormais célèbre Train des Cieux. Quant aux esprits de ces citoyens bien nourris, vêtus, logés et aisés, ils bénéficiaient également de leur dose de culture : l’enseignement à Archadès attirait les étudiants des quatre coins d’Ivalice[Monde/univers de Final Fantasy XII]. Il offrait la satisfaction de chacun d’entre eux : magicien, tacticien, négociant, ou tout simplement érudit en quête de savoir dans les domaines de la science, la médecine, la littérature, l’histoire, le droit ou la nature. Une bonne dizaine d’écoles avait été construite durant les quinze années précédentes et une dizaine d’autres était en cours d’élaboration. Tant de connaissances avaient été élargies et touchaient à présent toute la nouvelle génération archadienne, sous la collaboration effective de Son Altesse Impériale, dignité culturelle de l’Empire et épouse de l’empereur Gramis d’Archadia. Cependant, l’établissement fétiche qui charmait tout l’Empire et gagnait tous les cœurs restait certainement l’Académie et le Tribunal militaires, véritable fierté des habitants, sans laquelle ce nom d’empire d’Archadia n’aurait point cette connotation de puissance et de sécurité qu’il possédait depuis sa création en 486 à partir de la seule cité d’Archadès. Ce bâtiment géant, bâti à proximité du Palais impérial dont il était séparé par la Route Glorieuse, comportait des milliers de soldats et des centaines de généraux, commandés par cette classe nouvelle de l’Empire qu’on appelait les juges[Personnages à la tête de l’Ordre des Juges, institution ayant en charge à la fois les affaires militaires et juridiques de l’empire d’Archadia], et était dirigé par celui qui occupait le poste de commandant de la deuxième division de l’armée et de conseiller militaire de l’Empereur, celui qu’on appelait le Haut Juge Bergan.

 

L’Ordre des Juges avait été créé au début du siècle, et le titre de Haut Juge était encore relativement récent à Archadia. En ce temps-là, l’Empire en comportait une dizaine, dont cinq prépondérants qui avaient mérité leur titre et leur grande influence par leurs qualités militaires et juridiques, ainsi que leur loyauté envers l’Empire et la maison de Solidor[Famille régnant sur Archadia (dont est issu l’empereur actuel, Gramis)], dont ils étaient garants, et qui régnait paisiblement sur le vaste pays depuis quatre générations. Ils étaient facilement reconnaissables à leur monumentale et très lourde armure, bien plus décorée que celle de simples soldats, ainsi qu’à leur longue cape rouge et noire portant l’insigne de l’Empire et à leur casque singulier, façonné différemment pour chacun d’entre eux, et comportant souvent des cornes plus ou moins longues.

Le Haut Juge Zecht était plus ancien que ses collègues ; entré au service privé de l’Empereur voici près de trente-cinq ans, il était un homme d’ordre et d’application et se distinguait assez nettement de ses congénères, de telle sorte qu’on ne lui connaissait comme autre occupation que celles du Palais uniquement des affaires douteuses et nouées. Il avait le commandement, entre autres, de l’armée occidentale d’Archadia, qui se positionnait et s’entraînait à l’ouest de l’Empire, près des frontières rozarienne et nabradienne, et de la première division de l’armée, qui avait pouvoir sur toutes les autres. L’empire de Rozarria avait toujours été parmi les pires craintes de la famille gouvernante archadienne. Non seulement par son étendue encore plus grande que celle d’Archadia, mais également par ses troupes, autrefois à la tête de cette nation. On racontait que la maison Margrace, actuelle souveraine de l’empire rozarien et rivale des Solidor, possédait elle aussi une importante flotte militaire capable de déstabiliser très facilement l’imposante armada archadienne. Cependant, si les échos de celle d’Archadia résonnaient un peu partout en Ivalice, l’armée rozarienne faisait très peu parler d’elle. Néanmoins, Rozarria restait un empire très vaste et diversifié, dont la prospérité économique et politique concurrençait en tous points la majesté séculaire d’Archadia. Quant au petit royaume de Nabradia, il n’avait aucun point commun avec les deux empires. Ayant toujours vécu dans un conformisme sans nom, il était habité majoritairement par des paysans ou des chasseurs, demeurant peu riches et très heureux dans leurs logements rudimentaires ; la seule demeure fastueuse digne de ce nom étant le palais royal situé dans la capitale, Nabudis. La vie des Nabradiens était aussi rustique que celle des Archadiens était excentrique. Se contentant de leur tradition ancestrale, ignorant tout du modernisme, cette population entretenait pacifiquement ses guerriers ; et, malgré leur nombre, quoi qu’il en fût, les soldats nabradiens n’avaient aucun souci à causer à Archadia. Ce qui n’empêchait pas le juge Zecht de rester sur ses gardes.

Le Haut Juge Bergan commandait, comme précisé précédemment, la deuxième division, chargée essentiellement de la gestion de l’Académie Impériale Militaire, telle que l’exigeait l’exigeante et combative nature de son directeur. Très axée sur la force et la résistance, son idéologie du soldat archadien ne tolérait aucune forme de faiblesse. Plusieurs fois, une talentueuse recrue qui ne paraissait pas assez brutale aux yeux de Bergan était ainsi rejetée, cause de la perte dans les troupes impériales de nombreuses âmes douées. Cependant, un assez grand nombre de soldats parmi les meilleurs à ce jour fut soutenu par le juge Bergan, qui contribua à faire de l’armée archadienne une des plus, si ce n’était la plus redoutable du monde d’Ivalice.

La Haute Juge Drace, arrivée quelques années après Bergan, était à la tête de la sixième division, qui comptait parmi les plus discrètes mais pas les plus pacifiques pour autant. Drace était l’une des rares femmes à porter le titre de Haut Juge et semblait en être fière. Lors de ses journées de service, étant de loin le juge de l’Ordre le plus versé en droit, elle s’informait sur les audiences de toutes les cours, aidait ses collègues dans les tâches délicates que leur remettait la maison de Solidor, et participait – certes de moins en moins – à de nombreuses campagnes militaires qui lui avaient valu une haute estime auprès de l’Empereur et des moqueries hargneuses auprès de Bergan, qui n’avait jamais vu en elle une réelle combattante malgré toutes ses preuves sur le champ de bataille et en dehors. C’était le plus souvent à elle qu’étaient confiés les plus lourds dossiers incluant les Solidor ou encore les nobles familles archadiennes – les affaires nationales en général. Le juge Drace possédait en effet un sens désintéressé de la justice et savait protéger les intérêts de l’Etat comme du plus ruiné des commerçants d’Archadia. L’empereur Gramis avait en elle une entière confiance en ce qui concernait les procès judiciaires, qu’elle savait presque toujours mener judicieusement ; son éloquence travaillée n’ayant d’égal que sa profonde connaissance des droits et des lois de l’Empire ainsi que son courage qu’on disait peu féminin pour prendre d’éminentes positions. L’Empereur avait néanmoins compté sur la douceur et l’amabilité de Drace pour assister et veiller sur le futur enfant que portait son épouse, et implicitement sur les regards indiscrets que porteraient de mauvaises fois sur ce quatrième prétendant au trône, telles que celles du Sénat d’Archadès, par exemple.

Le Haut Juge Zargabaath avait fait son apparition dans l’entourage des Solidor juste après Bergan. Ses fonctions s’apparentaient à celles du juge Drace : peu présent à la guerre sans en perdre une miette, il se contentait d’exécuter les diverses besognes militaires et juridiques que lui confiaient l’Empereur ou ses collègues. L’empereur Gramis le voyait davantage dans l’armée que dans la justice ; notamment à cause de ses talents exceptionnels et son caractère précis et motivé dans les combats. Zargabaath connaissait de plus la géographie d’Ivalice mieux que quiconque car sa famille avait vécu du commerce entre pays, et il l’avait longuement accompagnée dans ses voyages avant d’entamer sa carrière de soldat. Aussi l’Empereur s’était-il dépêché de lui mettre entre les mains l’épée avant le maillet. La mission qu’il avait confiée dernièrement au juge Zargabaath reposait sur la surveillance des activités militaires du royaume de Dalmasca, situé au sud-ouest d’Archadia, et dont la vie ressemblait de près ou de loin à celle de Nabradia, avec laquelle les Dalmascans avaient par ailleurs beaucoup de liens. L’Empereur avait entendu parler de tensions anti-impérialistes montant de la capitale dalmascane, Rabanastre, et d’une redoutable armée que le roi Raminas récurait chaque jour plus affectueusement en attente du lancement du conflit. Gramis avait naturellement confié cette compromettante question entre les mains de Zargabaath, qui s’était empressé d’accepter la requête et de promettre de l’examiner avec la plus grande attention. C’était jusqu’à présent le Haut Juge entré le plus jeune en fonction, ayant montré dès sa plus tendre jeunesse une aisance et une brutalité exemplaires en matière de guerre, dans son temps de soldat ; ce qui lui avait valu un passage sans commentaires lors de l’examen-bourrin de Bergan qui était alors général. Il possédait néanmoins d’excellentes bases juridiques, au même titre que ses collègues Zecht et Drace, et aidait parfois cette dernière dans ses affaires les plus embrouillées. L’empereur Gramis appréciait l’aide précieuse de ce membre d’élite au-delà de son expérience de guerrier et son savoir de juge : plus qu’à tout autre, il avait foi en Zargabaath et était intégralement convaincu de la fidélité de celui-ci envers l’Empire. Certes, Zecht ou Bergan lui répétaient sans cesse leur conviction absolue des intérêts nationaux ; mais il voyait chez Bergan sa langue parler pour son estomac, et chez Zecht, une sorte de nostalgie étrange qui lui faisait légèrement douter de son honnêteté. Quant à Drace, ses discours à propos d’Archadia reflétaient parfois davantage une corvée de coutume que de la pure loyauté. Chez Zargabaath, sans que le juge ne montrât jamais un dévouement excessif, l’Empereur sentait une odeur de probité totale et de respect immaculé. C’était certainement de tous les juges celui qui lui vouait le plus de respect : cherchant toujours à satisfaire les ambitions de l’Empereur tout en exposant calmement ses idées politiques, il s’arrangeait d’une manière divine pour l’aider à prendre les plus sages décisions, de telle sorte que celui-ci ne remarquait même plus que ses idées de départ étaient contraires à ce qu’il venait de décréter. Il respectait certainement la personne de Gramis, mais également des autres Solidor, fils et femme ; plus particulièrement cette dernière. Il fallait que l’Empereur insistât pour que le juge Zargabaath acceptât sans balbutier de porter tel ou tel message à Son Altesse Impériale, qui reposait seule dans sa chambre. Il était par ailleurs, contrairement à sa collègue Drace, extrêmement silencieux. Pas un mot ne sortait de sa bouche sans avoir été mesuré. Zargabaath, Bergan et Drace avaient toujours été ensemble dès leur entrée au Palais. Bien que Drace fût entrée plus tard en tant que juge, Zargabaath et elle s’étaient tout de suite très bien entendus, malgré leurs opinions politiques différentes. Par contre, il avait senti chez elle une sorte d’incompréhension et de gêne lorsque lui avait été présenté son camarade Bergan. Le trio avait bien souvent été mêlé, à diverses occasions, à des plans militaires, des démêlés de haute importance ; et leurs performances triomphantes n’étaient dues qu’à leur union et à leur bravoure.

Enfin, le Haut Juge Ghis était le dernier en date admis dans le cercle de l’Empereur, et de loin le plus jeune des cinq qui en faisaient partie. Cette année même, ayant brillamment réussi le test militaire du juge Bergan et le long interrogatoire juridique du juge Drace, il les avait rejoints dans leurs occupations journalières. Ghis était responsable de la onzième division, créée et taillée sur mesure pour lui, travaillant sans relâche du matin au soir jusqu’à accomplir tout ce qui était nécessaire. L’Empereur lui accordait sa dose de confiance et d’honneur, croyant en sa plus jeune recrue comme un paysan à la pluie. Il avait perçu en Ghis un espoir capable de fructifier ses industries et son armée très rapidement ; et ses espérances avaient porté leurs fruits. On parlait, autour des divisions, de confier à chacun d’entre Zargabaath et Zecht un monstrueux vaisseau de guerre, doté d’équipements nouveaux dont les plus prestigieuses écoles d’Archadès n’avaient jamais entendu parler. On disait également que ce geste servirait à affilier les deux juges à des corps importants de l’armée lors de sa future restructuration : Zecht dans la huitième flotte occidentale, Zargabaath dans la douzième. Ghis, qui voulait se battre en première ligne, n’avait caché à personne qu’un tel privilège aurait dû lui revenir, jusqu’à sa présentation officielle au Palais. Ce jour-là, Drace et Zargabaath, arrivés en avance, s’étaient amusés à parier sur la première phrase que prononcerait Ghis. Au même moment, le juge Bergan entrait dans la pièce, son armure brillant comme neuve et sa démarche irrégulière retentissant dans le silence peu commode, suivi de l’Empereur qui s’apprêtait à présenter le nouveau venu au reste des représentants de l’Ordre tandis qu’il s’empressait de lui parler des nouveaux vaisseaux. C’était dans de rares moments comme celui-là que les juges pouvaient se permettre un éclat de rire.

 

Ces cinq juges, main dans la main – ou plutôt fer contre fer – entamaient le travail de douze années de stratégies et de découvertes, œuvrant avec un intérêt variable selon qu’il s’agissait d’améliorer les performances des engins militaires ou d’accorder plus de libertés aux boutiquiers de la capitale. Dans la plupart de leurs projets de loi, le Sénat entrait en jeu, et les juges ne voyaient pas d’un doux œil cette intervention obligatoire. En effet, la chambre du Sénat n’avait jamais été très compréhensive avec la maison de Solidor comme avec ses cinq protecteurs ; et bien souvent les vieillards avides et malins qui la représentaient agissaient moins pour l’intérêt de l’État que le leur.

Car si l’économie archadienne florissait à la vitesse qu’elle avait, ce n’était pas dû à ses bonnes récoltes. Contrairement à Rozarria, Archadia possédait un territoire relativement ingrat, où pas une plante ne poussait correctement ; peu de bétail était élevé et aucune mine de pierres précieuses n’avait été décelée. Les Archadiens étaient donc contraints de vivre aux dépens des autres nations : les « paysans » pour la nourriture (entendre par là les deux royaumes) ; Bhujerba pour l’énergie et les produits de luxe ; et Rozarria pour son fer, nécessaire pour fabriquer les dix mille vaisseaux privés comme les cinq mille armures. D’autres accords avaient été signés et beaucoup restaient en cours de rédaction par les juges. De cette manière, on pouvait considérer que la belle vie des citoyens d’Archadia ne tenait pas à grand-chose ; et que si par malheur l’un des pays, particulièrement ceux des « paysans », décidait de cesser les exportations vers l’Empire, le vieux Gramis n’aurait pas trente-six hommes à qui s’adresser : le juge Bergan. Ainsi, la paix d’Ivalice se résumait à bien peu de chose, et c’était la raison pour laquelle l’Empereur archadien avait très tôt motivé ses magistrats à s’orienter partiellement vers des plans de guerre ; de cette manière, l’Empire était blindé, quoi qu’il arrivât, et particulièrement si le chef des affaires militaires s’appelait Bergan.

 

Archadès vivait de cette manière, craintive et confiante à la fois. Sa seule consolation était de voir des savants accourir de toutes parts vers ses écoles, et ses ouvriers travailler activement dans ses usines ; car si l’agriculture et la sidérurgie manquaient de façon alarmante dans l’Empire, les très nombreuses industries de transformation installées un peu partout sur le territoire contribuaient à renflouer les caisses de l’Etat, criblées de dettes par l’achat sans retenue de denrées aux peuples avoisinants. Le plus grand nombre d’usines, accompagné des plus grands espaces commerciaux, se trouvait dans la province de l’Argyllshire, au nord d’Offaly où se trouvait la capitale. Les conquêtes du siècle, à savoir le rattachement des provinces de Bó et de Landis, avaient amené plus de main d’œuvre et ouvert l’accès à davantage de ports. Le travail imposé par la loi chacun des dix jours de la semaine, les (autour de) trois semaines du mois et les douze mois de l’année, permettait à Archadia de se distinguer économiquement, par rapport aux autres pays d’Ivalice qui tous autorisaient un minimum de repos. Nobles et paysans étaient logés à la même enseigne sur ce point ; les étudiants, eux, avaient classe un jour sur deux afin de pouvoir réviser leurs leçons, préparer le prestigieux concours final des Académies Impériales, et s’impliquer dans la vie associative et politique du pays. Malgré des horaires allégés, les ouvriers chargés de construire des bâtiments toujours plus hauts et ardus souffraient particulièrement de leur travail, dont l’excellence était nécessaire pour conserver leurs droits citoyens. Les plus miséreux de ces petites mains de la capitale habitaient tous dans le quartier populaire qu’on appelait la vieille Archadès, siège de l’antique cité-État à l’origine de l’Empire, situé au pied des édifices ostentatoires de la capitale. La plupart d’entre eux, d’ailleurs, ne travaillaient plus ; expulsés par les nobles des hauts quartiers de la métropole, fatigués d’avoir servi dans les usines ou les armées sans rente pour finir leurs jours, ils se contentaient de sortir de leurs bicoques, en haillons, et de regarder d’un air hagard tous les étrangers qui se pressaient de traverser le sud d’Archadès afin de regagner le centre de la ville. Les plus curieux d’entre eux, cependant, avaient trouvé depuis l’existence de cette séparation une étrange occupation : la collecte d’informations. Aucune personne résidente au Palais n’était épargnée : on causait indifféremment de l’Empereur, de sa famille, des juges, des soldats, des chiens, des domestiques, des montures, ou encore de l’argenterie servie au repas « familial », cérémonie qui parfois incluait les Solidor et leurs juges lors d’un dîner de cérémonie. Et, lorsqu’on avait liquidé le sujet du Palais impérial, on passait à un autre groupe de personnes : les commerçants curieusement installés près des célèbres places de la capitale, les nobles retraités qui entretiendraient des relations louches avec Bhujerba, les étudiants qui avaient décidément un regard trop méprisant envers les pauvres gens comme eux, ou encore l’étrange personnage abandonné, d’un blond de poussitrice[Monstre rare dans Final Fantasy XII, équivalent au poussin, et dont la mère est la Poulatrice], qui le matin même avait déclaré à différentes personnes être le protecteur d’Archadia et de Dalmasca, en demandant poliment le chemin qui menait au Palais de l’Empereur. Chaque habitant de la vieille Archadès passait donc ses journées à sa façon, entre les briques, la terre, les tissus déchirés et les restes de pain, pour tuer le temps et ses crampes d’estomac.

Le quartier commerçant se développait, quant à lui, de part et d’autre du centre-ville, ponctué de splendides résidences appartenant aux propriétaires fortunés des principaux magasins qui fournissaient la cité en armes, protections, accessoires, et manuels de techniques ou d’incantations de magies. Des bibliothèques, des restaurants ainsi que des cabarets servaient de lieux de rencontre entre toutes sortes d’Archadiens, rencontres peu souvent profitables pour leur entourage. C’était le plus souvent de cette manière que l’un des membres d’une noble famille adoptait inopinément une idéologie fixe et captivante qui le conduisait à se séparer définitivement de ses proches.

Tous les Hauts Juges, sans exception, avaient ainsi choisi cette voie suite à des embarras familiaux : Zargabaath et Ghis, à cause d’un mariage arrangé ; Drace à cause de sa fâcheuse tendance à contredire ouvertement et violemment ce qui ne lui convenait pas, qui a eu pour résultat sa rupture de tout contact avec son frère ; Zecht à cause de la perte de sa famille ; Bergan sur les conseils de sa mère gourmande, qui le voyait bien commander une armée et ainsi tenir tête à son père qui détestait les militaires. Peu de jours auparavant, après que Ghis eut pris son poste, une visite inaccoutumée vint perturber la quiétude du Palais : celle de la prétendue promise du jeune juge, une grande fille blonde et niaise qui courait dans tous les couloirs en réclamant « son Ghis adoré ». Drace, Bergan et Zargabaath, cachant leur hilarité sous leur armure, s’en étaient rapidement allés quérir leur collègue qui, sans vouloir les croire, se risqua tout de même à patrouiller à la zone indiquée et, apercevant avec un masque d’horreur l’affreux personnage pour lequel il avait sacrifié sa carrière de maître artisan en échange de sa disparition de sa vie, s’était posément contenté de l’ignorer d’une manière si peaufinée que la jeune créature avait quitté la pièce, criant à l’outrage, et que plus jamais les juges n’eurent à se plaindre de visites aussi burlesques.

Les institutions officielles, dont l'incommode Sénat, se situaient au nord d’Archadès, et étaient également entourées de commerces. Les plus majestueux immeubles de la ville se trouvaient tout au long de cette ceinture de marchands ; ils avaient été conçus par des architectes de renom, travaillant tous pour le compte de l’Empereur ou de l’un des juges. On comptait notamment un jeune mog, qui avait pris l’habitude de travailler dans la fraîcheur des jardins du Palais impérial. La majorité des Archadiens étant constituée d’humains, on dénombrait peu d’autres êtres ; dans les royaumes environnants, la situation était bien plus équilibrée. Cependant, principalement dans certains magasins, on pouvait trouver des mogs à Archadès ; ou, sur les chantiers, des seeqs et vangaas, généralement moins bien payés que les humains. Les viéras étaient quant à elles rarissimes. La seule connue était celle qui travaillait dans le Palais, parmi les valets des Solidor.

 

L’empereur Gramis était très fier de son pays, il jugeait impeccable le travail réalisé par son équipe « infaillible » de juges. Seul, au milieu de son immense table de travail en bois de hêtre, il se tournait vers la baie vitrée derrière lui, de laquelle on pouvait voir les fameux jardins du Palais, entretenus chaque jour par une centaine de travailleurs.

Son bureau était situé au trentième étage, au-delà de la salle de cérémonies et au-dessous des somptueuses et gigantesques terrasses aménagées. Au pied du Palais, la salle de réception des invités de haute importance, et au vingtième étage, la salle de réunion des juges, comptaient parmi les plus riches et décorées qu’on eût vu à Archadès. Des dizaines de vases antiques, aux vertus magiques, accueillaient de superbes petites fleurs roses et rouges dont l’origine restait mystique et que la femme de l’Empereur affectionnait particulièrement. Les seuls autres endroits au Palais où l’on pouvait trouver un spécimen de cette espèce étaient la chambre et le bureau du troisième fils de l’Empereur, qui vouait une admiration unique et infinie à sa bien-aimée mère, ainsi qu’à tout ce qui pouvait plaire à celle-ci. Les deux énormes salles du Palais comportaient de plus chacune de très larges tables aux reflets acajou ; plusieurs de forme elliptique pour celles de la salle d’accueil, une seule rectangulaire pour celle autour de laquelle se réunissaient les juges ; recouvertes d’une nappe de soie et de dentelle beige, sur lesquelles étaient brodés les motifs traditionnels d’Archadia. Des tapis de laine fine recouvraient les côtés de ces pièces, et de majestueux lustres de diamant les illuminaient. Ces derniers étaient alimentés par des magilithes[Il existe 3 sortes de minerais renfermant l’énergie magique (le myste) dans Final Fantasy XII : les pierres, les magilithes et les cristaux (par ordre croissant de puissance)] de foudre bhujerbans ou des cristaux de foudre selon l’occasion ; ceux-ci servant toutefois davantage pour la salle de réception des invités, en raison de sa surface dix fois supérieure. Aux sous-sols du Palais dormaient les actives cuisines, qui se trouvaient au-dessus des étages réservés aux apprentis juges. Les Hauts Juges, eux, avaient leurs domaines très dispersés : Zecht et Bergan avaient officiellement leurs chambres juste au-dessous de l’étage réservé à l’Empereur, soit le vingt-neuvième, bien que Bergan passât la plupart de ses nuits hors du Palais, au fond de sa base militaire, époussetant ses canons et buvant en l’honneur de la force de son armée. Drace et Ghis, quant à eux, dormaient au vingt-sixième étage. Un très sophistiqué ascenseur de verre permettait d’accéder aux différents niveaux du Palais, du quatrième sous-sol aux grandes terrasses. Les corps d’élite de l’Empire étaient donc, en règle générale, logés aux étages supérieurs du Palais, à proximité de l’Empereur et de leurs lieux de réunion ; tandis que les grades inférieurs se contentaient d'étages similaires. Cependant, on y trouvait des exceptions étonnantes : le juge Zargabaath, ayant refusé vingt-cinq ans auparavant une somptueuse suite au-dessus de celles de ses collègues Ghis et Drace, occupait de tranquilles appartements situés au huitième étage, prétendant vouloir rester proche de ses hommes. Enfin, l’épouse même de l’Empereur Gramis passait ses étranges nuits dans une chambre du treizième étage, depuis plus d’une vingtaine années, sans qu’on n’en sût la raison ni le confort ; en effet la pièce était plus large que celle réservée à un Haut Juge, mais trop étroite par rapport à celle de l’Empereur, qui était deux fois plus étendue. Personne n’avait jamais réussi entièrement à déceler les secrets de son cloisonnement ni à comprendre la béatitude suprême qu’éprouvait la noble femme dans sa solitude, tout simplement due à la présence du domaine de son fils à proximité du sien, dans ce paisible et vénérable treizième étage du Palais d’Archadès.

Gramis pensait à sa femme, qui avait su fleurir comme les massifs de fleurs jaunes au soleil qui ondulaient le long de l’enceinte des jardins. En revenant à ses dossiers, il se demanda une dernière fois quelle était la qualité principale qu’il pouvait associer à chacun de ses juges. Plaçant sa main droite flétrie devant ses yeux, il replia chacun de ses vieux doigts en répétant : « Ghis, son efficacité ; Bergan, sa rudesse ; Drace, son courage ; Zecht, son sérieux ; Zargabaath, sa loyauté. »

 

Ce dernier passait justement dans le couloir, son pas lourd et régulier résonnant jusqu’au fond du bureau de l’Empereur. Il l’appela ; le juge se trouva aussitôt devant son souverain, s’inclinant profondément et attendant les ordres.

— Allez me chercher Sentia, lui dit le vieil homme. J’ai besoin d’elle. Et si vous voyez un valet sur votre chemin, demandez-lui de me préparer cette potion qui apaise le cœur ; je me sens plus faible que d’habitude, cet après-midi.

— Bien.

Zargabaath s’inclina une nouvelle fois et quitta la pièce en direction de l’ascenseur qui, sans attendre ses commandes, entama de lui-même la descente vers le treizième étage.

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R.Azel
Posté le 24/01/2024
Afin d'avoir "mieux ce début en tête, je me suis accorder le temps de le relire une nouvelle fois. Je pense que je suis maintenant prêt et paré pour me pencher sur la suite, sans revenir lorgner pour savoir qui sont les Juges et quelles sont leurs qualités ou défauts. ^_^
Aramis
Posté le 26/12/2023
Helllooooo
Je découvre ton début après avoir vu sur le discord que tu avais très peur de poster, donc bravo déjà d'avoir franchis le cap !

Ensuite, j'étais curieuse, j'avais commencé FFXII il y a longtemps mais je l'avais laissé de coté et c'est un vaste projet pour moi que de le reprendre haha, l'esthétique de cet opus m'avait bien marqué en tout cas.

Pour ma lecture, sur la forme je n'ai rien a dire, ton style est claire est fluide, agréable à lire. Par contre, c'est très dense à mon goût ! Si je peux t'apporter mon point de vue (évidement subjectif et qui concerne mes goûts,) j'ai plus d'appétence pour un univers mis en valeur au travers du récit, plutôt qu'à la manière d'un livre de jeu de rôle (à moins de chercher à me renseigner spécifiquement sur le lore d'une franchise.) L'univers de ton récit est intéressant, mais à mon sens, il gagnerait à être explicités via des vecteurs narratifs mis en place par les situations et/ou les personnages. Ce n'est pas grave si on ne comprends pas tout tout de suite ! N'ai pas peur de perdre un peu ton lecteur, de le plonger dans ce nouveau système : les personnages sont aussi là pour le guider. Idem, tu n'es pas obligée de tout dire ! Si des aspects de l'univers restent inexpliqués, ce n'est pas forcément une mauvaise chose : tu peux avoir connaissance d'éléments qui ne sont pas utiles à l'histoire et donc qui ne méritent pas d'être explicites.
Je ne sais pas si mon commentaire fais sens, n'hésite pas si tu veux en discuter ! Je tâcherai de lire la suite pour plonger dans le coeur du récit !
Ety
Posté le 27/12/2023
Merci beaucoup d'avoir pris le temps de communiquer ton point de vue. Ce premier chapitre est en effet l'introduction de l'introduction, et écrit avec l'intention de montrer au lecteur où il se trouve (pas dans le monde réel). Pour les termes, je suis personnellement effrayée quand j'en vois sans explication en tant que lectrice (j'ai besoin d'en avoir au moins une idée grossière pour terminer la phrase). Certains autres retours ont été au contraire très rassurés d'avoir autant de matériel pour aborder la suite (de la part de connaisseurs de FF comme de néophytes).
Au final comme pour tout, c'est une question d'équilibre. Il est possible que je refasse une version où j'enlève presque tout, mais en gardant de quoi ne pas perturber le lecteur plus tard (nom des juges, du pays et de son chef d'Etat, mention de la semaine de 10 jours et du racisme). Faire une pause systématique à l'introduction de chacun de ces éléments par la suite, m'a paru le meilleur moyen d'alourdir toute ma direction (et le roman sera très long). D'un autre côté, tu as raison, si "trop c'est trop" pour un seul chapitre, quand bien même il permet à tous les autres de plonger dans les intrigues, alors il faut le dire et trouver une solution, parce que ça ne donnera pas envie de lire l'essentiel (la suite). Si tu as tout lu tu auras remarqué que tout le chapitre s'inscrit bien dans un récit : celui de l'Empereur qui pense à son pays et ce qui l'entoure, ça nous montre comment lui considère cette situation initiale et juge les personnes (le narrateur n'est pas externe). A la fin du chapitre c'est très clair car il y a un dialogue, mais il est là depuis le début.
Merci encore pour tes conseils qui vont m'aider. A bientôt :)
Plumedepie
Posté le 26/12/2023
Hello !
Je suis admirative de ta capacité à présenter un univers aussi complexe que FFXII avec autant de clarté. Ton écriture est agréable à lire. C'est clair et sans lourdeur, ni répétition.
Etant une grande fan des univers FF, j'ai hâte de découvrir la suite ! :)
Ety
Posté le 26/12/2023
Coucou!
Alors les notes à la volée et les quelques termes pas expliqués du tout ne gâchent pas la lecture?
C'est vrai que pour un incipit accessible à tous j'ai beaucoup insisté sur l'univers, que j'ai complété à ma façon, mais au final je l'exploite moins que ce qu'il y a à l'intérieur des êtres.
Merci beaucoup d'être passée :) (Màj chaque lundi soir a priori)
Plumedepie
Posté le 28/12/2023
Non ça ne m'a pas plus gênée que ça à la lecture. Ce serait effectivement un peu plus clair si elles étaient en bas de page, mais là ce sont les limites de l'outil.
Je me note le rendez-vous du lundi ! :)
plumedencre
Posté le 26/12/2023
Hello.
Ton écriture est très fluide et dynamique.
J'aime bien que tu prennes le temps de planter le décor.
J'ai une question: as tu penser à glisser ces nombreux détails dans le fil du récit?
Après selon la narration choisie ce n'est pas toujours possible.
Au plaisir de te lire.
Ety
Posté le 26/12/2023
Comme dit dans le sommaire, dans l'ebook ce sont des notes de bas de page. PA ne les prend pas en charge, donc j'éclaire la lanterne du lecteur dès qu'il voit un terme plutôt qu'à la fin du chapitre, ou bien le faire naviguer jusqu'à un glossaire qui serait à la fin de l'oeuvre. J'ai conscience que c'est moche, mais au bout de quelques chapitres au lieu de 5 ici on passe à 1 et le plus souvent 0 systématiquement. Je ne suis pas parvenue à les introduire dans le récit de manière fluide, sinon à rajouter un personnage pour avoir cet effet dans un dialogue forcé, ou bien abuser des appositions ou du ton scolaire, ce qui contrasterait l'effet très solennel de mon impérial perso de point de vue (seul chapitre de toute l'oeuvre où on a son PdV)!
Merci de ton passage. Je prévois un chapitre chaque lundi soir (j'en ai 57 actuellement, en comptant la suite).
plumedencre
Posté le 26/12/2023
Ok super je comprends tout à fait ton point de vue. En tout cas c'est chouette à lire.
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