Chapitre 1

Par EmmaLy
Notes de l’auteur : Je vais alterner les points de vue entre deux personnages, Chloé et Théo. Ce chapitre est du point de vue de Chloé, j'indiquerai désormais simplement les prénoms au début de chaque chapitre.

Chloé            

Je souris en inspirant l’air frais et printanier de la montagne non loin. Les clochettes de muguet et leur tintement inaudible dans le vent avaient remplacées l’odeur sucrée du mimosa qui ornait encore quelques semaines plus tôt les bords des chemins. D’ici quelques jours, ce serait la tonte des moutons. Le mois d’avril touchait à sa fin et les températures pouvaient basculer d’un jour à l’autre. Je me réjouissais de bientôt pouvoir quitter la vallée pour les alpages, emmenant mes bêtes avec moi. Pas un seul jour je n’avais regretté d’avoir changé de vie.

A peine quelques années plus tôt, j’aurais ri au nez de celui ou celle qui m’aurai prédit cette vie. Après un bac résolument scientifique, mon parcours avait été on ne peut plus linéaire et classique. Licence, master, thèse. Un sans-faute. Et pourtant, du jour au lendemain je m’étais enfuie dans la montagne. J’avais trouvé refuge chez oncle José. Il était bourru et un peu rustre parfois. Il parlait peu. Mais j’avais découvert au gré des longues journées passées dehors à suivre les bêtes que le silence était rare dans les montagnes.

Les sons de la nature étaient devenus tellement habituels que je n’aurais plus pu m’en passer. Et c’était bien différent de ces petites boîtes que l’on vendait aux citadins pour les déstresser grâce au chant des oiseaux. Il y avait toujours quelque chose de nouveau. J’aimais cette symphonie imprévisible qui rythmait mes journées. Le chant du ruisseau se faisait parfois plus tumultueux lorsque là-haut la montagne pleurait. Les trilles des oiseaux changeaient de rythme de tonalité au gré des saisons et du défilé des espèces migratrices. Les cloches des bêtes qui tintinabulaient au rythme de leur pas placide ajoutaient encore à ce joyeux tintamarre.

De la même façon que le silence n’avait pas droit de cité entre les pins qui ornaient le flanc de la montagne, l’ennui se faisait rare. L’ennui qui, quelques temps auparavant était un de mes plus fidèles compagnons, semblait me fuir depuis que je passais mes journées au grand air. Non vraiment, pour rien au monde je n’aurais choisi de revenir en arrière.

Comme tous les samedis, je dévalais avec entrain le chemin pour rejoindre le village. Mon oncle aurait des croissants pour tremper dans son café. Le soleil se levait doucement, nimbant les montagnes d’une auréole rosée et veloutée. Je saluais d’un sourire les passants que je croisais entre les maisons de pierre. Ici tout le monde se levait tôt. Pas pour courir dans les transports, pas pour se plier à un rythme qui nous tuait à petit feu, simplement pour profiter de la belle journée qui s’annonçait.

Le boulanger avait par habitude préparé ma commande, je n’eus qu’à régler et pu ressortir rapidement. Je restais quelques instants devant la boutique, savourant avec joie le fumet de pain chaud qui s’échappait par les fenêtres entrouvertes. Il était encore tôt mais l'air qui s'échappait de la boulangerie était agréablement tiède. La chaleur près des immenses fours à pain devait déjà être étouffante. Je mordis dans mon croissant, savourant chaque miette sur ma langue, de la même façon que je savourais l’agitation douce du village qui s’éveillait.

Je jetais un œil vers la prairie qui montait en pente douce depuis le creux de la vallée. Les volets vert sapin de la petite maison d’oncle José étaient ouverts. Il fallait que je me dépêche si je ne voulais pas être obligée de lui porter son croissant et son bol de café au milieu des brebis. Je souris et me dépêchai de remonter jusqu’à la maison. Je m’engouffrai dans la cuisine au moment où mon oncle s’apprêtai à en sortir.

— Les croissants ! m’exclamai-je en les jetant sur la table.

Je ne pu m’empêcher de glousser devant le sourcil haussé de mon oncle qui fit demi-tour et retourna s’asseoir à la table qu’il venait de quitter. Il se servit un bol de café. J’étais arrivée juste à temps. J’avais presque l’impression d’avoir remporté une épreuve de Fort Boyard. Il n’y avait aucune logique dans les heures de réveil de mon oncle. Certains samedis, je n’avais même pas atteint le village qu’il était déjà parti au champ. D’autres fois, j’arrivais plus d’une heure avant qu’il ne se réveille. Il avait l’habitude de dire que ses brebis l’appelaient dans ses rêves lorsqu’il était temps qu’il aille s’en occuper. Il était un peu barré, mais je l’adorais.

— Les brebis sont matinales aujourd’hui ? demandai-je avec un sourire en coin.

Sans me regarder, José secoua le sachet de croissants. Une pluie de miettes se répandit sur la vieille table de bois. Il savait que cela me mettait en rage. Les miettes se coinçaient dans les rainures de la table, et feraient le délice des fourmis qui n’allaient pas tarder à nous envahir. Il allait falloir que je fasse le tour de la maison et que j’asperge portes et fenêtres de ma tambouille spéciale à base de craie et de vinaigre. Sinon ces satanés insectes allaient prendre leurs quartiers dans la maison et il ne serait pas facile de les en déloger.

— C’est curieux. Depuis que tu habites ici, j’ai toujours des demi-croissants, plaisanta José.

Il saisit du bout des doigts celui que j’avais remis dans le sac à la va-vite avant de remonter à la maison en courant.

— Très drôle.

Je récupérai mon croissant, et lui tendis les deux autres, intacts. Il fronça les sourcils.

— Deux ?

Je haussai les épaules.

— Ca va. Tu peux bien manger deux croissants. Quand t’es au champ j’entends ton ventre gargouiller depuis la maison.

— T’essaie de faire monter mon cholestérol pour hériter de la ferme ?

Je sentis un sourire poindre sur mes lèvres. Connaissant oncle José, c’était à peu près un merci. Mais ce que je disais était vrai. Il était loin de manger assez. Il pensait qu’il était trop âgé et qu’il ne fallait pas dépenser trop pour se nourrir. Une habitude qu’il avait prise lorsque les temps étaient plus durs. Depuis que j’étais arrivée, il n’avait plus besoin d’avoir un salarié. Mes parents et mes anciens amis auraient été horrifiés de savoir que je travaillais sans être payée.

Mais je recevais largement assez. Mon oncle m’avait offert plus que tout ce dont j’avais besoin. J’avais eu un refuge où me replier lorsque les choses s’étaient gâtées. J’étais nourrie, logée, blanchie. Oh bien sûr, je ne faisais pas les soldes. Mais avais-je vraiment besoin d’autre chose que ce que j’avais déjà ? Pas tellement.

Je passais ma main dans mes cheveux courts et ébouriffés tandis que José m’expliquait ce que j’avais à faire pour la journée. Bien sûr, la répartition des tâches était marquée sur le petit tableau à côté de la porte d’entrée. Mais il aimait me répéter les choses au cas où. Au cas où j’oublie comment lire ? Au cas où je sorte par la fenêtre plutôt que par la porte ? C’était un mystère. Mais je ne le contrariais pas. A vrai dire, je ne lui accordai pas beaucoup d’attention non plus. Il le savait. C’était un petit rituel. Pourtant…

— Chloé ? Tu m’écoutes ?

Je détachai à regret mon regard de la fenêtre pour centrer de nouveau mon attention sur José. Il me fixait, les sourcils froncés.

— Oui, oui. Enfin, non. 

Je le vis secouer la tête sans comprendre pourquoi il était aussi contrarié. Il savait très bien que je ne l’écoutai jamais. Il avait soudainement l’air très préoccupé. Que pouvait-il bien avoir de si important à me dire ?

— J’ai reçu une alerte sur le groupe Facebook.

Je levais un sourcil. Le groupe Facebook, ça ne me disait rien. Pour une raison que j’ignorais, mon oncle s’était pris d’une grande passion pour les groupes de discussion. Il en fréquentait au moins une trentaine, si bien que je n’avais aucune idée de la façon dont il parvenait à ne rater aucune information.

— Quel groupe ?

— Celui des éleveurs du coin, tu sais.

— Okay, et ?

— Apparemment, des loups ont été repérés dans les alpages.

J’ouvris la bouche sans oser rien dire. Je savais confusément que les loups réapparaissaient sur le territoire français après des décennies d’absence. Mais, contrairement à ce que j’aimais prétendre, je n’étais pas une fille de la montagne. Je n’étais qu’une citadine arrivée deux ans auparavant. Une néo-rurale, au mieux, même si je détestais ce mot. Je n’avais aucune idée des implications de ce que mon oncle venait de me dire. Je n’étais plus une enfant, je n’avais plus peur du grand méchant loup. Mais si José était si préoccupé, cela voulait dire que ce n’était vraiment pas une bonne nouvelle.

— Et ? C’est un problème ?

Les yeux bleus de José se posèrent sur mon visage. Il y avait une dureté inhabituelle dans son regard. Je déglutis.

— On vous apprend quoi aux jeunes ? Quel gâchis, toutes ces études, tout ça pour ne rien savoir. T’as jamais lu la chèvre de monsieur Seguin ? Me dis pas que tu vois pas le problème ?

Je m’efforçai de ne pas me vexer. La nouvelle de la présence des loups avait véritablement bouleversé José, cela n'avait rien à voir avec moi.

— Les loups vont peut-être partir avant la transhumance ?

José me regarda comme si j’étais stupide. Je regrettai presque de lui avoir acheté un deuxième croissant.

— Tu crois ça ? Pff… T’es bien une fille de la ville. Le problème des loups, c’est que c’est finaud comme bestiole. Et encore, s’ils sont là alors que la dispersion va pas tarder, ça veut dire qu’on va en avoir plein la vallée.

Je m’efforçai de hocher la tête avec conviction, pour masquer le fait que je n’avais aucune idée de ce qu’était la dispersion.

— Et puis, ils savent très bien que le bétail va pas tarder à aller paître. Ils vont pas s’en aller alors que la bouffe arrive ?

— Mais comment ils peuvent savoir ? Il n’y avait pas de loups l’année dernière.

José se gratta la tête.

— C’est pas sûr ça. Un ou deux avaient été aperçus. Mais tu sais comment c’est à chaque fois. Il y a ceux qui crient au loup et ceux qui répondent que c’est juste des gros chiens. Et pour peu que les associations de protection s’en mêlent, tu peux être sûre que quoi qu’il se passe, ce sera pas la faute du loup. T’avais qu’à mieux surveiller tes moutons.

Effectivement, je commençais à voir ce qui pouvait poser problème.  Avec un peu de chance, José s’inquiétait pour rien. Il ne se passerait probablement rien.

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LisbethBeaumont
Posté le 19/08/2024
Bonjour,
J'aime beaucoup ce début et le thème me plait beaucoup (le changement de vie après un parcours parfait résonne énormément chez moi, en plus d'être un thème d'actualité). Quant au loup, c'est intriguant !
Très tentée de lire la suite !
Iphégore
Posté le 03/08/2024
Coucou !

Voilà un récit d'actualité, avec ces loups qui remettent en cause la quiétude / l'abandon des troupeaux. Cela dit, ce troupeau-là a la chance d'avoir un berger et une apprentie bergère. Le fait qu'elle n'y connaisse rien nous permettra d'avoir les explications et un regard neuf sur la dure réalité du cycle de la vie. Elle a pour elle son bagage académique, j'ai hâte de voir son intelligence en action (et sa réaction au premier cadavre, niark niark).

Le cadre bucolique est posé, je trouve que le rythme est bon, on met un premier pas dans l'histoire.

J'ai noté divers trucs en passant, je te laisse me dire si ça t'intéresse ou si tu préfères juste un retour sur la sensation de lecteur ;)



les bêtes que -> bêtes, que (ça marque la subordonnée qu'on peut retirer de la phrase sans que la syntaxe soit cassée)

L’ennui qui, quelques années auparavant encore était un de mes plus fidèles compagnons, -> m'est avis que tu peux enlever le « encore » qui alourdit la construction, et si c'est du passé révolu, « avait été »

je dévalais avec un certain entrain -> je te laisse voir ce que ça donne sans « certain »

d’une auréole rosée veloutée -> théoriquement, il faudrait coordonner les adjectifs avec un « et » ; en pratique, ça dépend des goûts. Je trouve que ces deux mots sont difficiles à enchaîner

Il était encore tôt mais la chaleur près des immenses fours à pain devait déjà être étouffante. -> cette phrase est bizarre dans le déroulé de la narration, car on passe du constat à l'imagination, de la première personne à une impersonnelle. Il y a plusieurs possibilités pour le rattacher activement à son point de vue par la fenêtre, j'évite de faire une suggestion

Il fallait que je me dépêche si je ne voulais pas devoir aller -> m'est avis que tu peux alléger la formulation ;)

j’arrivai plus d’une -> arrivais

je l’adorai -> adorais

Tu aimes beaucoup falloir, ce qui implique que le personnage se sent obligé par l'univers/la vie et n'est pas maître de ses motivations. Ce n'est probablement pas important, mais je le souligne au cas où ça ne serait pas souhaité. Le nombre est assez faible pour que ça ne casse pas le rythme.

il ne serait pas facile de les déloger. -> les en déloger (verbe transitif (exigeant un COD) dans le sens de les pousser dehors)

lorsque les temps étaient plus durs -> avaient été (passé dans le passé)

Mais je ne le contrariai pas. A vrai dire, je ne l’écoutai pas avec beaucoup d’attention non plus. Il le savait. C’était un petit rituel. -> le contexte suggère plutôt une habitude, donc de l'imparfait que du passé simple. À goûter.

écoutai jamais -> écoutais. En cas de doute, tu peux conjuguer avec « il » : il l'écouta jamais / il l'écoutait jamais. Ça aide à trouver le bon temps ;)

facebook -> Facebook (c'est une marque)

les associations de protections -> protection
EmmaLy
Posté le 04/08/2024
Merci pour ce long message. Et bien sûr, toutes les choses que tu as noté m'intéressent puisqu'effectivement c'est un premier jet qu'il faut que je corrige. Je ne pensais pas avoir laissé autant d'erreurs, mais je te remercie d'avoir pris le temps de me les noter =)
Leyslav
Posté le 25/07/2024
Salut :)
Si dans ton histoire il y a plusieurs points de vue, tu peux juste mettre le prénom au début et le lecteur saura normalement. En tout cas j'ai hâte de découvrir la suite en plus je l'aime bien Oncle José :)
EmmaLy
Posté le 04/08/2024
Merci beaucoup, je pense que je mettrais juste le prénom effectivement, mais pour le premier, je préférais mettre un petit truc. Et merci, j'aime bien l'Oncle José aussi ! =)
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