Chapitre 1

La mer ne m'a jamais semblé aussi belle, et le village de Pichifora, aussi calme. À bien y réfléchir, la vallée de Down entière n'a jamais été aussi paisible. Le calme avant la tempête ? Encore mon pessimisme qui parle pour moi.
Je retrousse habillement l'ourlet de mon pantalon en toile, pour laisser mes pieds patauger dans l'eau translucide. Ma peau se couvre d'un frisson à son contact. Elle est fraîche. Mais c'est normal, après tout, nous sommes en plein printemps.
Assise sur le ponton; je farfouille dans le coffret en bois qui ne me quitte pas plus depuis maintenant un an. Ma nourrice, Selena, me l'a donné quand j'ai eu dix-huit ans. La lettre qui surplombait la multitude de carnet était sans équivoque : mes parents étaient bel et bien morts.
J'avais dix ans quand la nouvelle m'était parvenue. À l'époque, je ne m'étais posée aucune question. Bien trop triste d'avoir perdu les deux meilleurs parents du monde. Puis les années ont passé, et en grandissant, je me suis demandée si un des villageois de Pichifora pouvait réellement savoir ce qui leur était arrivé. Même Selena, m'a toujours dit ne pas savoir. Ce qui n'est pas si étonnant. ils étaient toujours sur les routes du royaume de Tsaral, et pendant qu'eux vadrouillaient, je restais ici avec Selena. Mais je ne leur en veux pas. Quand on possède une soif d'aventures comme l'avaient mes parents, on ne reste pas enfermé dans un petit village de pêcheurs, aussi joli soit-il. Et puis, quand je regarde les croquis et les cartes qu'ils m'ont laissés, je les comprends. Ca donne envie d'en voir plus. Toutes ces créatures que l'on croise uniquement à des endroits précis, ces paysages qui ne ressemblent en rien à la vallée de Down... C'est dingue.
- Shira ! 
Un sourire étire mes lèvres lorsque le doux beuglement de Selena parvient à mes oreilles. Je sens que je vais encore me faire engueuler ! Je l'observe au loin courir vers moi, armée de son rouleau à pâtisseries qu'elle agite frénétiquement au-dessus de sa tête. Plus elle se rapproche, plus je distingue les taches de farine fraîches sur son tablier. Elle a du faire des tartes. À la crème d'amande et aux poires. Ou au citron. Elle sait que j'adore ça.
Selena s'arrête au bout du ponton les mains sur ses genoux, haletant et transpirant à grosses gouttes. Elle sort un mouchoir en tissu de sa poche et se tamponne le front. Je me relève à la hâte et m'avance prudemment vers elle. Tartes ou non, elle est quand même armée ! 
- Shiraïma Erwel !
Elle utilise mon prénom complet et mon nom... Je vais définitivement me faire tuer.
- Sais-tu depuis combien de temps je te cherche ? Je m'apprêtais à te réveiller quand j'ai découvert que ton lit était vide ! Il n'est même pas dix heures que tu me fais déjà des frayeurs !
Et c'est reparti pour le monologue de la nourrice.
- Je veille sur toi depuis ta naissance, tes parents m'ont toujours fait confiance en te laissant auprès de moi pendant leurs absences, alors maintenant qu'ils ne sont plus là...
Je l'interromps en déposant un baiser sur son front. 
-  Tout va bien, Selena. Ne t'en fais pas.
Son regard s'adoucit, mais mon instinct m'assure que ça ne va pas durer. Son attention se porte sur le coffre que je serre contre ma poitrine. Je suis foutue.
- Je me rappelle du jour où je t'ai donné ceci. Cependant, je n'aime pas que tu t'isoles comme ça. Tous ces manuscrits devraient reposer sur la bibliothèque de ta chambre.
- Je le sais bien. Mais je n'arrête pas de me dire que je pourrais suivre leurs pas. C'est ce qu'ils voulaient après tout, et j'ai dix-neuf ans. Je pense être largement capable de m'en sortir.
- Car tu n'as jamais mis pied hors de Pichifora. L'herbe n'est pas plus verte au-delà de la vallée de Down, sache le.
- Qu'est-ce que tu en sais ? Es-tu seulement sortie au moins une fois du village ?
Une des chose qui m'est insupportable est lorsqu'on veut m'influencer sans savoir ce que l'on avance.
- Tant que tu dépendras de moi, jeune fille, tu n'iras nulle-part, s'exclame-t-elle en agitant de nouveau son rouleau enfariné.
Ce qu'elle peut m'agacer quand elle devient surprotectrice comme ça !
-Techniquement, ça fait un an que je suis libre de faire ce que bon me semble, lachè-je d'un ton plus sec que je ne l'aurais voulu.
Son visage, passé de la nostalgie à la colère, commence alors à se masquer d'une déception effrayante. Crotte.
- Selena, je...
- Rentrons, je te prie.
Sans même m'attendre, elle décampe. Il faudrait vraiment que j'apprenne à tourner sept fois ma langue dans ma bouche avant de parler. Ce n'est pas comme si j'ignorais qu'elle rêve de partir d'ici. Mais je ne suis pas comme elle. Je ne veux pas m'enfermer dans cette vie monotone. Surtout pas maintenant que je sais ce qui se trouve au-delà des murs de Pichifora.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Cléooo
Posté le 04/04/2024
Bonjour Joanne !

Lecture de ce nouveau chapitre, je te fais quelques remontées :

- L'expression "en plein printemps" me fait curieux. J'avais entendu en plein hiver, en plein été, mais je trouve qu'en plein printemps sonne étrangement.

- "Je vais définitivement me faire tuer." -> me faire passer un savon peut-être ? je trouve l'exagération un peu forte ^^

- Je suis un peu surprise par le revirement de la fin ! La nourrice a l'air de vouloir rester dans ce village, mais elle rêve d'en partir en même temps ? C'est curieux.

Sinon de manière générale : je trouve le rythme bon, la présentation de ton héroïne intéressante. En peu de mot tu nous donnes un bel aperçu de ce qu'a été sa vie jusqu'à présent, c'est vraiment bien fait. On sent aussi le besoin, l'envie de partir à l'aventure, et on se doute que cela va prochainement arriver. Donc bien réussi selon moi !

À bientôt :)
Joanne April
Posté le 04/04/2024
Merci beaucoup pour ce retour :)
Vous lisez