Chapitre 1

Notes de l’auteur : Cette version est un premier jet, et j'essaie de poster un chapitre tous les lundis.

J’adore le tonnerre. C’est rassurant : si tu l’entends, c’est que le pire est passé. Non, ce qui m’effraie, c’est le silence qui le précède.

Il tente de nous avertir que ce qui arrive est important, mais on ne sait que trop tard si ça va être beau, ou terrible. Une sorte d’écho, en avance sur l’avenir.

J’ai appris à me méfier de ces instants immobiles avant les coups, de la supplique dans les yeux de ma mère quand elle me suppliait de me taire, de ce foutu silence qui étouffait les cris que j’aurais voulu libérer pour elle. Le bruit ne vient toujours qu'après, trop tard, quand on ne peut que regretter de n’avoir rien fait pour l’éviter.

Tout ça parce que je ne suis pas censée être ce que je suis. Pas avec ce sang. Mais la mer a ses propres règles, et elle m’a choisie. Elle se moque du sang qui coule dans mes veines. Elle se moque de savoir que de ce côté des murailles de Marisol, les enfants ne sont pas censés pouvoir pour l’entendre. Elle m’a choisie, moi. Et elle a offert à mon père un outil, un pouvoir dont il a désespérément besoin.

C’est ce silence, saturant la nuit autour de moi, qui me tire du sommeil. Je tends l’oreille en enfilant ma tunique, effleurant du doigt les coquillages qui pendent à mes oreilles, puis sors sur le balcon en ruine. Le vent salé fouette mes cheveux et le ressac de la mer ne suffit pas à m’apaiser. Je glisse mes jambes entre les barreaux de bois qui entourent la terrasse et attends, les yeux perdus dans la nuit. Je tire sur la peinture écaillée, épluchant mécaniquement la villa d’un peu plus de son fard, de sa grandeur passée. Il ne lui restera bientôt plus rien de ses couleurs criardes, juste un bois brut, à nu, mais prêt à tenir tête aux colères de la mer.

J’arrache un grand éclat de peinture bleue. Il virevolte au-dessus de l’escalier qui serpente jusqu'à la plage de galets en contrebas. Ses marches sont usées, grignotées par la mer qui ne s’arrêtera que lorsqu’elle aura tout effacé, reprenant inexorablement la place qu’on lui a volée. Ceux qui exhibaient autrefois leur richesse dans ces villas ont fui depuis longtemps. La vue sur mer est moins séduisante quand elle décide qu’elle en a marre de faire le dos rond.

Ils sont tous partis se réfugier à Marisol, bien à l’abri derrière les hauts murs de Safeguard, là où la magie qu’ils volent à la mer les protègent de sa fureur. Là où les maisons se serrent les unes contre les autres, se soutenant tant bien que mal.

Ici, il ne reste que nous. Ceux qui n'ont pas le luxe de fuir.

Je lâche un nouvel éclat de peinture. Il virevolte, chute, et s’écrase aux pieds de mon père. Il se tient en bas de l'escalier, entouré d’hommes aux visages qui me semblent tous identiques, penchés sur une lourde caisse de bois sombre. Je n'ai pas besoin de regarder à l'intérieur pour savoir ce qu'elle contient. Toute la ville ne parle que de ça : du Safeguard qui disparaît toujours plus, des murs qui s’effritent, des vies qui ne survivront pas à la prochaine tempête.

Mon père lève les yeux vers moi, ses prunelles brillant d’une excitation à peine contenue. Je sais qu’il pense qu’il fait ce qu’il faut, que ce vol est un acte de justice. Je n’en suis pas si sûre.

Pas que je crois que les vies de ceux qui se cachent derrière les remparts valent plus que les nôtres. Mais les priver de la protection du Safeguard ne nous apporte rien de plus.

Je le regarde se détourner sans un mot et entraîner ses hommes à l'intérieur de la villa. Le silence est rompu par le bruit sourd de la caisse qui s'écrase sur la table, suivi par le cliquetis des bouteilles que l'on débouche. Un rire éclate, puis un autre, et bientôt, la villa résonne de leurs voix rauques, de leur satisfaction bruyante.

Je descends lentement l'escalier, l'odeur de l'alcool et du Safeguard m'accueillant avant même d'atteindre la grande cuisine. Quand j’entre dans la pièce, je les vois autour de la grande table en chêne, leurs visages éclairés par la lueur vacillante des bougies. Mon père est au centre, un sourire dur aux lèvres, une bouteille à la main. Il lève son verre, les yeux brillants. Les hommes trinquent avec enthousiasme, leurs rires couvrant le bruit des vagues au loin.

 

Je les regarde se vautrer dans l’illusion d’une victoire qu’ils n’ont pas méritée. Ils ne savent pas que sans moi, sans ce que je suis, ils seraient perdus. Mon père le sait, et c’est pour ça qu’il m’enchaîne à cette maison, à ce rôle que je n’ai jamais voulu.

 

Autour de la table, certains ont déjà les yeux mi-clos, leurs visages marqués par une expression béate, absente. Leurs mouvements sont lents, presque paresseux, comme s’ils flottaient dans une mer invisible, déconnectés du monde qui les entoure. Les bouteilles circulent, mais je sais que l’alcool d’algue n’est pour rien, ou presque, dans leur état. Bande d’abrutis !

Je ne saurais dire si je connais l’un d’eux. Peut-être que chaque don s’accompagne d’un prix, car ce que je sais lire de la mer me glisse entre les doigts comme du sable fin. Les visages, surtout, se brouillent, se superposent, et disparaissent dans un kaléidoscope de formes insaisissables. Pour moi, tout le monde se fond dans une même toile indistincte, où les traits se mélangent et les identités se dérobent. Je m’efforce de m’accrocher aux détails—la couleur des yeux, une démarche, des boucles de cheveux—mais une mèche de cheveux déplacée, et l’ami devient un étranger. Un simple changement de tenue, et je ne vous reconnais plus dans la foule.

Une femme laisse échapper un rire cristallin, presque enfantin. Ses cheveux tombent en mèches désordonnées autour de son visage lorsqu’elle s’effondre sur l’épaule d’un homme à la carrure frêle, ses doigts se crispant sur son bras comme si elle craignait de se noyer dans le vide qui l’entoure. Ses yeux, dilatés, sont fixés sur un point invisible, quelque part bien au-delà des murs de la villa. Elle n'est plus vraiment ici, dans ce salon qui se délite, elle est ailleurs, emportée par le Sifox dans un monde où la peur n'existe plus.

Mon père, au centre de la pièce, observe la scène avec un sourire satisfait. Il se tient loin du Sifox et se contente du vin fort et épicé. Je l’ai vu faire ça tellement de fois : les laisser se vautrer dans le poison tandis qu’il les observe avec une sorte de satisfaction à peine voilée. Je ressens un mélange de dégoût et de colère en les voyant ainsi, réduits à l’état de marionnettes, incapables de se rendre compte qu’ils sont déjà perdus. La première prise suffit pour les capturer, pour les enchaîner à cette substance qui, sous couvert de libération, les rend esclaves à jamais. Leurs corps sont ici, attablés autour de cette table de chêne, mais leurs esprits se perdent dans des rêves qu’ils ne contrôleront bientôt plus.

Un des hommes, trop jeune, se lève maladroitement, un sourire béat sur le visage. Il vacille, manque de tomber, avant de se rattraper de justesse à la chaise. Les autres éclatent d’un rire mou. Lui, il ne remarque même pas que ses mains tremblent, que sa peau est devenue pâle, presque cireuse. Il ne voit pas le vide dans ses yeux, un vide que le Sifox a laissé derrière lui, un vide qui ne fera que grandir.

Il m'attrape soudain par le bras, ses doigts serrant ma peau. Son haleine fétide effleure mon visage alors qu'il se penche vers moi. Je serre les poings.

— Lâche-moi.

Pas de réponse. Alors, je frappe. Mon poings s’écrase contre son nez avec un bruit sourd.

— Petite garce ! crie-t-il en reprenant son souffle. Il se redresse, la rage déformant ses traits. Je ne lui laisse pas le temps d’en dire plus, je brandis la crosse de mon couteau et le fracasse sur sa tempe. Il s’effondre à mes pieds.

Mon père se tourne vers moi, toujours ce sourire aux lèvres, et me tend une coupe remplie du vin épicé qu’il affectionne tant.

— Bois, Madalene. C’est une nuit de victoire.

Je croise son regard.

 

— La victoire, ce serait cette table couverte d’un festin.

 

Ma voix est un murmure, mais le silence qui suit est assourdissant. Il insiste, mais je repousse la coupe.

 

— Non.

 

Mon père se renfrogne.

— Madalene, ils méritent qu’on pille leur Safeguard jusqu’à la dernière miette. Qu’ils tremblent un peu comme nous le faisons tous les jours ! Qu’ils réalisent ce que c’est que d’avoir froid, d’avoir peur, d’avoir faim !

La table tremble sous son poing, et les hommes encore conscients autour de lui lèvent leurs verres avec des yeux fiévreux. Je ne laisse pas le silence retomber :

— Je sors, murmuré-je simplement en me retirant dans le couloir.

— J’aurais besoin de toi tout à l’heure.

Je serre les poings, le goût amer du silence sur la langue, et je laisse derrière moi les rires, les vapeurs d’alcool, et les illusions d’un bonheur qu’ils ne retrouveront jamais.

 

La mer gronde en contrebas et j’inspire profondément. C’est salé, brut, et ça écrase tout le reste. Rien n’est jamais plus fort que cette odeur-là, ici. Et c’est tout ce dont j’ai besoin.

 

Prudemment, je descends l'escalier usé, mes pensées s’échappant vers les vagues sauvages en contrebas. Sur la plage, je m'accroupis pour ramasser une poignée de galets, leur surface lisse et fraîche contre ma peau. Je me lève et les lance, un par un, dans la mer déchaînée. Les minuscules éclats sont instantanément avalés. J’attrape un nouveau galet et le lance de toutes mes forces.

— Allez, montre-moi ce que tu as, murmuré-je à l'horizon turbulent.

L'océan rugit en réponse et je lui souris. Je lance un dernier galet avant de détaler avec un peu plus de légèreté. Je m’éloigne de la ville, guidée par l’instinct. Les falaises se dressent devant moi, sombres et imposantes, mais je n'hésite pas. Je connais encore mal ces chemins, je n’avais pas besoin d’aller si loin, avant. Mais le rugissement de l’océan emplit mes oreilles, comme un appel, et je grimpe.

Je m'élance vers le bord, mon souffle saccadé, mes muscles brûlant. La falaise approche, le vide s'ouvre devant moi, mais je ne ralentis pas. Au dernier instant, je saute, mes bras fendant l'air avant de plonger dans l'océan.

L'eau m'enveloppe dans une étreinte glaciale, anéantissant le reste du monde. En dessous, tout change. La mer qui fait tant de bruit là-haut est ici d’un calme abyssal. Elle ne nous laisse pas oublier qu’elle est dangereuse, mais c’est comme si elle n’avait plus besoin de faire autant d’effort pour nous en persuader.

Je descends sous la surface, les yeux ouverts contre la piqûre du sel. Les courants sont plus forts près de la pointe de la falaise, et mon butin a probablement été emporté. Je plonge plus profondément, laissant les courants me guider. Les algues caressent mes jambes alors que je trouve enfin le casier coincé contre une épave rongée par le sel. Mon cœur rate un battement et je me concentre à nouveau. Ce genre de détail vous envoie au fond de l’eau, ici. La mer n’aime pas les mauviettes. La coque est grise, effritée, à peine reconnaissable sous les colonies d’algues qui s’y sont accrochées.

 

La silhouette élancée ne trompe pas, pourtant, et le sceau des Marins qui orne son flanc droit non plus.  Ces bateaux font la fierté de Marisol et celui-ci ne semble pas croire qu’il ait pu en arriver là. Malgré le mât brisé, ce qu’il reste des voiles se gonflent faiblement comme si elles essayaient toujours de le sortir de là.

 

Je m'approche prudemment, consciente que l'épave pourrait s’effondrer à tout moment. Mes doigts enserrent la corde qui maintient le casier en place. Je la tire doucement, testant la résistance des courants qui tentent de me l’arracher des mains. Mes bras brûlent de l'effort, mais je ne lâche pas. Finalement, avec un dernier coup de pied puissant, je parviens à le dégager de son piège sous-marin.

Je remonte, tirant le casier derrière moi, tandis que les courants faiblissent, comme si l’océan se résignait à me laisser partir. Un dernier regard à l'épave en dessous, et le monde en surface m'appelle à nouveau, bruyant et exigeant. Mes poumons brûlent, mais je garde mon calme, sentant le flux de l’eau s’adoucir, guidant mes derniers mouvements jusqu’au choc brutal avec l’air libre.

 

Je remonte à la surface, la poitrine en feu, et je prends une grande inspiration, remplissant mes poumons d'air salé. Les vagues me frappent de chaque côté, mais elles semblent presque amicales maintenant. La mer est la maîtresse des lieux, et pour l'instant, elle m’a épargnée. Je nage vers la côte, mon fardeau traînant derrière moi.

Je m’apprête à me hisser sur les rochers, le souffle court, quand une main surgit devant moi. Un homme se tient au-dessus de l’eau, un sourire éclatant déformant son visage. Il détonne complètement ici. Trop propre pour ces lieux. Trop lisse. À bien y réfléchir, cet homme ne va même pas avec lui-même. Un œil bleu, un œil vert. Comme si le ciel et la mer avaient tenté de se rejoindre, sans jamais y parvenir.

S’il me dénonce, je fini pendue au milieu de la place du marché demain matin. Je l'attrape et le bascule dans l’eau. La mer se chargera de faire le sale boulot. Mais avant que je puisse me hisser hors de l’eau, une main saisit ma cheville, ferme et déterminée. Je me laisse retomber, et dans un geste rapide, enroule la corde de mon casier autour de son cou, serrant juste assez pour qu’il sache que je ne plaisante pas.

Il émerge, toussant, mais toujours souriant. Ses yeux dépareillés brillent d’un éclat amusé, comme s’il n’était pas à deux doigts de finir par le fond. Il ne tente pas de se débattre et d’un geste entendu, il désigne le chemin qui serpente au-dessus de nos têtes. Je suis son regard et aperçois un jeune Marin, encadré de deux Enforcers, qui descendent vers nous.

Leur démarche est lourde, rythmée par le cliquetis métallique de leur équipement. Ils avancent en riant, leur attention fixée sur le chemin à leur pied. Sans perdre une seconde, je me jette à l’abri d’un rocher, le tirant avec moi, sans relâcher ma prise sur son cou. Il se laisse faire, avec un calme qui menace de me faire perdre le mien. Je resserre ma prise pour le dissuader de faire le moindre bruit.

Nous restons cachés, immobiles, tandis que les Enforcers et le Marin passent sans nous remarquer. Leurs voix résonnent faiblement, emportées par le vent salé. Quand ils disparaissent à l’horizon, je desserre lentement la corde, observant l’inconnu du coin de l’œil.

— Le phare de Gettrix est juste derrière cette pointe, murmure-t-il en se frottant la gorge. Tu es pile sur le trajet de la relève.

Je hoche la tête, hésite un instant, puis le relâche. Je me hisse sur les rochers, laissant l’air froid et humide s’emparer de ma peau.

Il reste dans l’eau, ses yeux dépareillés fixés sur moi, brillants d’une lueur énigmatique.

— Tu comptes rester là ? lancé-je, tentant de cacher la surprise dans la voix.

Son sourire s’élargit, révélant ses dents d’une blancheur éclatante.

— Peut-être que la mer m’aime plus que toi.

S’il y a bien une chose dont je n’ai jamais douté, c’est que la mer m’offrait une place qu’elle réservait à peu d’élus. Mais en voyant ce type se laisse porter, les bras tendus négligemment autour de lui, un sourire sur le visage, et je me dis qu’il a peut-être raison.

— Peut-être, murmuré-je. Tu ne ressembles pas aux Marins que j’ai croisé jusqu’ici.

— Parce que je ne suis pas un Marin.

Je manque une respiration. Seul un Marin, un élu choisi par la mer, pourrait se baigner dans ces eaux sans finir immédiatement par le fond. Est-il possible qu’il existe d’autres personnes, comme moi, qui ont été reconnu par la mer sans avoir une goutte de sang de Marins ? Je n’ai jamais rencontré d’élu hors de ces familles.

— Pas encore, du moins, on aime bien les destins tragiques dans la famille.

Mon espoir retombe douloureusement.

— Oh.

— Toi, par contre, je ne sais pas ce que tu es, murmure-t-il, et son apparente désinvolture ne masque pas sa curiosité. Tu ne ressembles pas à une fille de Marin… et pourtant…

D’un geste, il désigne l’eau qui coule à mes pieds.

— Tu ne ressembles pas non plus à un fils de Marin, rétorquai-je en désignant sa tenue. Il y a une raison à ça ?

Il hésite un instant avant de sourire.

— Je t’ai dis… j’aime les destins tragiques, dit-il en se laissant sombrer sous la surface de l’eau.

Je l’observe remonter lentement à la surface et n’insiste pas. Je sors deux poissons du casier et les lui tends. Il ne fait pas un geste pour s’en saisir.

— C’est mon prix, insisté-je.

Il secoue la tête, rejetant l’offre.

— C’est tout ce que vaut ta vie ?

Je hausse les épaules.

— Elle ne vaudra plus rien si je ne mange pas ce qui reste dans ce panier.

— Mange les tous. Je n’en ai pas besoin.

Rien n’aurait pu me confirmer avec plus de certitude qu’il n’était pas de mon monde. Je plisse les yeux en l’observant. Il y a quelque chose de réconfortant dans la singularité de son visage. Comme si, ce visage-là, pour une fois, je pourrais le reconnaître.

— Pourquoi t'as fait ça ? demandé-je en désignant la direction où les hommes ont disparu.

— Si la Mer décide de t’accepter, personne ne peut la contredire, murmure-t-il en fermant les yeux.

 

Et il reste là, à se laisser balloter par des flots qui devraient être mortels. Je secoue la tête et m’éloigne sans un mot.

 

 

 

Quand j'atteins la villa,

 

Un coup d'œil vers les portes fermées me confirme que tout le monde dort encore. Je laisse tomber mon sac de jute sur la table de la cuisine, puis commence à vider les poissons dans le grand tonneau de glace. Le froid mord mes doigts, mais je l'ignore.

 

J’attrape deux grandes casseroles en essayant d’ignorer l’immense caisse emplie de cristaux de Safeguard  qui trône au milieu de la pièce. On dit qu’ils naissent de la magie primaire de la mer et de minéraux uniques présents dans des fosses sous marines au beau milieu de l’océan. Leur magie est sacré pour les Marins. Nos anciens disent qu’elle est maudite. Dans un cas comme dans l’autre, elle n’a rien à faire au milieu de ma cuisine.

 

J’attrape un long couteau et coupe la tête d’un poisson. La caisse s’illumine de bleu dès que je mon bras effleure la caisse et je sens la chaleur familière m’appeler. Je jette un coup d'œil autour de moi puis l’ouvre doucement. J’attrape un crystal et le caresse doucement. Une douce lueur en émane, plus vive à mon contact, et je sens la chaleur familière se répandre dans ma main.

 

Un froissement derrière moi me fait sursauter. Un jeune homme, l'un des sbires de mon père, se redresse de la chaise où il était affalé, ses yeux fixant ma main avec une fascination glacée.

— Tu es… tu es une élue ! s’exclame-t-il, abasourdi.

Je le fixe, le cœur battant. Elue. Personne n’a jamais vraiment prononcé ce mot devant moi. Il avait toujours plané comme une menace silencieuse, une vérité à cacher. C’est une fierté pour les familles de Marins, une anomalie hors des murs de Marisol.

— Lâche ça, murmuré-je, essayant de garder mon calme.

Mais il secoue la tête, un sourire déformant ses lèvres.

— Montre-moi ce que tu peux faire, demande-t-il.

— Recule, murmurai-je, mais c’est moi qui fais un pas en arrière.

Il avance vers moi, ses yeux étincelants de curiosité mais aussi d’un désir que je reconnais trop bien. Ses mains se tendent, prêtes à s’emparer de moi, à m’enchaîner à un autre tyran.

Il me saisit le bras, forçant ma main vers la malle qui s’éclaire aussitôt. Je me dégage d’un geste brusque au moment où le parquet craque derrière moi. Mon père entre dans la pièce, son regard d'abord posé sur la malle scintillante, puis sur nous. Ses bottes résonnent lourdement sur le bois usé, chaque pas semblant plus lent que le précédent.

— Recule, Kuylor, dit-il d'une voix au calme glacial.

— Ta fille est une élue, Lothar ! s'écrie Kuylor, ignorant l'ordre. Imagine ce qu’on pourrait…

Lentement, il s’approche. Le silence s’installe.

— Je t'ai dit de reculer, répète-t-il.

Kuylor hésite, mais l’envie brille toujours dans ses yeux. Il fait un pas vers moi, et dans l’agitation, son carnet tombe au sol. Des dessins en dépassent—des croquis de la mer, de bateaux, et de créatures marines. Si son visage m’échappe encore, je les reconnais immédiatement. Je me souviens de ce jeune homme, de ses rêves, de ses dessins. Il aurait voulu être un géant.

Je le propulse loin de mon père.

— Non !

Mais mon père ne s'arrête pas. Le couteau brille un instant avant de se planter dans la poitrine de Kuylor.

— Non ! criai-je, réagissant par instinct. Je me jette sur mon père, mon couteau à la main, et je le plante dans son flanc avec plus de force que je ne l'aurais voulu.

Le cri de mon père se mêle au fracas du corps de Kuylor qui s'effondre sur le sol. Le sang coule entre les doigts de mon père alors qu'il me regarde, choqué.

— Tu dois apprendre à être plus prudente, dit-il d’une voix faible.

Je regarde ses yeux, écarquillés, horrifiés. Mon père, l’homme que je n’ai jamais pu fuir, semble soudain si vulnérable. Un bruit, un cri, réveille les autres hommes dans la maison.

Le chaos éclate instantanément. Les hommes se précipitent vers moi, groggy et maladroits. Le désespoir me pousse à bouger, mais l'horreur de la situation me cloue sur place. D'un geste rapide, je récupère mon couteau, défendant désespérément ma vie. Je frappe l’un d’eux au visage, le repoussant contre deux autres.

Je saisis cette chance pour m'enfuir, mes pieds glissant sur le sol encore collant des débordements de la veille. Une main tente de m’attraper, mais je me libère de justesse. Je cours à travers la villa, chaque pas résonnant comme un tambour dans mes oreilles. Le souffle court, je jette un dernier regard en arrière. Mon père, encore debout, appuyé contre le mur, me fixe avec une douleur mêlée de fureur.

J’hésite un instant. Mais il ne dit rien. Silence. Je cours.

Je cours, mes jambes mues par une volonté désespérée. Je dévale les escaliers en ruine, le vent salé fouettant mon visage, mes larmes se mêlant aux embruns. Mes pieds nus frappent le sol inégal, esquivant les pierres et les débris. Derrière moi, la villa s’efface peu à peu, engloutie par le tumulte du vent et des vagues.

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Caribou
Posté le 24/08/2024
Hello Lisbeth,

J'ai beaucoup aimé ce premier chapitre. L'atmosphère est très bien amenée dès le début, avec de belles descriptions. Le moment où Madalene plonge pour récupérer son casier m'a particulièrement marquée, très fluide et immersif. La fin m'a laissé un peu plus confuse, notamment avec la mort de Kuylor.
Le garçon aux yeux vairons, l'épave et les pouvoirs de Madalene apportent aussi du mystère, et j'ai hâte de pouvoir lire les prochains chapitres pour en apprendre plus.

A bientot !
LisbethBeaumont
Posté le 30/08/2024
Merci beaucoup Caribou d'avoir lu ce premier chapitre et pour ce super commentaire !

Je note le manque de clarté de la fin et je vais retravailler ça ! Merci !
Bleiz
Posté le 22/08/2024
Salut Lisbeth,

Ce début nous plonge directement dans l'ambiance sans trop nous noyer (mauvais jeu de mots complètement voulu) d'informations. Madalene est pleine de vie, pourtant je la trouve assez mélancolique, porteuse d'un don qui la dépasse même si elle trouve dans la mer son véritable foyer. On sent dans tes descriptions un grand amour pour les océans ! Le jeune aux yeux dépareillés m'a bien plu aussi, clairement il vient d'un milieu aisé. Je me demande comment ces deux-là vont se retrouver !

À part ça, il y a quelques fautes de frappe qui seront faciles à enlever lors d'une relecture.

À bientôt
LisbethBeaumont
Posté le 30/08/2024
Merci beaucoup pour la lecture et ton commentaire très bienveillant Bleiz !

Bien noté pour les fautes de frappes, j'essaie de ne pas trop me relire car sinon j'ai tendance à tout réécrire en intégralité.

C'est un vrai (très très gros) défaut qui m'empêche d'aller au bout de mes projets et je me suis promise d'écrire tout mon premier jet avant de relire cette fois. J'espère que ça n'entache pa trop la lecture !
Makara
Posté le 20/08/2024
Hello Lisbeth !

Bienvenue sur Plume d’Argent ! Je pense que tu vas pouvoir y faire ton nid tant ton texte a de magnifiques qualités !
J’espère que tu vas te plaire parmi nous !

J’ai beaucoup aimé ce premier chapitre et l’ambiance que tu as brillamment mise en place dans cet incipit. J’ai ressenti de la moiteur, une atmosphère humide et sombre, mélange de piraterie et de XVIII eme siècle. Alors bien sûr, je n’ai pas tout compris, certains mots propre à ton univers ne sont pas expliqués, mais je n’ai pas trouvé cela gênant pour le moment.
Ça rentre ton texte très énigmatique.
J’ai adoré la scène avec le jeune homme qu’elle essaie de noyer (même si j’avais un peu de mal à me représenter les choses).
Aussi à la fin, je n’ai pas forcément compris pourquoi le père envoyait tous les hommes se jeter sur elle à alors qu’il tue celui qui décèle sa particularité.
J’imagine qu’il veut trouver une justification à la mort de Kuolor, mais pourquoi réveiller tout le monde ? Il pourrait simplement lui dire de s’échapper et ensuite de lui faire porter le meurtre de cet homme lors du réveil des hommes ?

Sinon, ton texte est très bien écrit. Tu as une très jolie plume et il y a de très jolis passages comme ceux-ci que j’ai particulièrement appréciés :
« La mer qui fait tant de bruit là-haut est ici d’un calme abyssal. Elle ne nous laisse pas oublier qu’elle est dangereuse, mais c’est comme si elle n’avait plus besoin de faire autant d’effort pour nous en persuader »
« ll détonne complètement ici. Trop propre pour ces lieux. Trop lisse. À bien y réfléchir, cet homme ne va même pas avec lui-même »

Petit pinaillage:
Dans ce passage, est-ce qu’elle tue l’homme ? « Je ne lui laisse pas le temps d’en dire plus, je brandis mon couteau et le fracasse sur sa tempe » si ce n’est pas le cas, ce serait bien de mentionner que c’est avec le pommeau de la dague qu’elle l’assomme.
N’hésite pas à sélectionner dans les paramètres de ton histoire une tranche d’âge. A priori, je classerai au moins ton histoire en « interdit aux moins de 12 ans » car il y a déjà un meurtre dès le début (nous avons des plumes très jeunes parmi nous).

En tout cas, je suis vraiment séduite par ton debut ! Il y a du mystère, une atmosphère et de bons dialogues ! Bravo !

Est-ce ton premier jet ? As tu fini l’histoire ?

À bientôt,
Mak’
LisbethBeaumont
Posté le 20/08/2024
Hello Makara !

Merci pour ce super accueil, je suis sûre que je vais beaucoup me plaire parmi vous !

C'est exactement le type de commentaires constructifs que je cherchais et je suis super contente.

J'ai bien noté les incohérences, et besoins de précisions, que tu remontes et je vais intégrer tout ça. Et j'ai évidemment modifié le classement de l'histoire.

Pour répondre à ta question, il s'agit d'un premier jet et l'histoire n'est pas encore finie (j'ai un plan bien détaillé et un jet zéro - plus ou moins - rédigé) . Je cherchais à avoir des retours assez tôt et surtout à casser mes difficultés à avancer sur un texte imparfait.

Est-ce trop tôt pour poster ou c'est ok comme ça ?

Hâte de te lire à mon tour bientôt (j'ai tout juste commencé Le Tailleur d'images que j'ai ajouté à ma PAL).

A bientôt,

Liz
Makara
Posté le 20/08/2024
Re-coucou Lisbeth,
Super si tu es contente de ton premier retour ;). Ce fut un plaisir !
Hâte de découvrir la suite !
Alors, au niveau de la publication, il n’y a pas de règles ! Certain.es vont préférer publier dès qu’iels ont un chapitre de prêt (c’est mon cas), d’autres vont préférer finir leur jet ! C’est toi qui voit !
Je te conseille globalement de pas poster des chapitres de plus de 4000 mots ou de les diviser en deux si tu as de longs chapitres (partie 1, partie 2), c’est mieux pour la lecture sur écran !
N’hésite pas aussi à t’inscrire sur le forum pour te présenter, faire part de tes projets dans ton journal de bord :)
Au plaisir 😃
Mak’
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