Chapitre 1

Notes de l’auteur : Vous allez bientôt rencontrer Line (en tout cas, c'est le prénom qu'elle s'est donné pour le moment) et plonger dans un univers où la magie permet d'Enchanter les objets et où des assassins sont à votre poursuite !
*
Cette histoire est une duologie : après une première correction du tome 1, je le publie tout en écrivant le tome 2.

Bonne lecture 🖤

Un grand merci à Amandine Peter qui a donné un visage à trois de mes personnages 💜

La gifle me sortit de l’inconscience avec une grande brutalité. QUI avait osé ?! Qui s’était permis de–

Non seulement je ne voyais pas mon interlocuteur, je ne distinguais pas non plus le paysage. Tout était plongé dans le noir. Un mal de crâne pulsait sur mes temps, j’avais mal partout. Et j’avais froid, si froid…

Des feuilles bruissaient autour de moi. Une forêt. Pourquoi étais-je dehors en pleine nuit ? Qui était le jeune homme – celui qui venait de me frapper – penché sur moi ? Pensait-il pouvoir abuser de sa position comme si j’étais une vulgaire paysanne alors que j’étais…

Mon cœur tomba dans ma poitrine.

Qui étais-je ?!

— Eh, tu m’entends ? me demanda l’homme.

Je mis une fraction de seconde à comprendre : il ne parlait pas ma langue maternelle. Du tibaraque ?

Au son de sa voix, il devait avoir une vingtaine d’années. Mes yeux s’habituaient petit à petit à l’obscurité et je distinguai des cheveux sombres, une carrure fine, son expression inquiète. Guère plus. Une impression diffuse de thé et de rire me traversa avant de disparaître tout aussi vite ; cela me plongea dans la plus grande perplexité.

— Eh, répéta-t-il.

Cette fois, il avança la main pour toucher ma joue – la même qui était encore brûlante du coup qu’il venait de m’assener. Je ne pus retenir un mouvement de recul et ma main frôla l’herbe humide sur laquelle j’étais couchée. Un éclair de douleur éclata dans mon bras, mes jambes et ma tête – trop bref et intense pour que je l’analyse. Tant de questions se bousculaient sur ma langue que j’ignorais par où commencer. J’étais sonnée. Il reprit en se redressant :

— Désolé de t’avoir frappée, je devais te ranimer. Tout ira bien maintenant.

« Tout ira bien » ? Comment pouvait-il dire ça ?

— Je ne me souviens de rien, coassai-je.

Il haussa les épaules et détourna la tête.

— C’est normal, répondit-il.

— Comment ça, c’est normal ?! Expliquez-moi tout de suite ce qu’il se passe ! Où est-on ? Qui êtes-vous ?

D’abord pleine de colère, ma voix avait grimpé dans les aigus sans que je puisse la contrôler : j’allais paniquer si je ne comprenais pas immédiatement ce qui m’arrivait et ce que je faisais allongée parterre en pleine nuit au milieu d’une forêt !

Il posa ses mains sur mes épaules et mon cœur se calma, alors que je n’aurais pas dû être rassurée par le contact d’un inconnu. Je crus sentir une odeur de cheval, ce qui m’interpella, mais que j’oubliai aussitôt qu’il prit la parole :

— Je suis désolé, je ne peux pas risquer d’en dire trop. Je dois partir.

Il se releva tout à fait et leva un bras vers le nord.

— À une heure de marche dans cette direction, tu tomberas sur une ferme. Elle t’attend. Elle prendra soin de toi le temps que tu te remettes de tes blessures et que tu trouves un travail. Tu dois absolument rester cachée pour l’instant. Quelqu’un veut ta mort. Je te promets que tu seras en sécurité si tu fais ce que je te dis.

— Vous–

— Une heure. Cette direction.

Avant que j’esquisse le moindre geste pour me lever, il était parti en courant entre les arbres.

 

Hébétée, je restai immobile de longues secondes à regarder l’endroit où il avait disparu, à l’opposé de là où il m’avait enjoint à me rendre. Un long frisson de froid me fit serrer les dents. L’impuissance se battait avec l’incompréhension ; la colère me donna enfin la force de me ressaisir. Il avait déjà disparu, impossible de le suivre. Quelqu’un veut ta mort. Et il avait pris la fuite, comme ça, sans une explication ?! Si je retombais sur cet odieux individu, il allait en voir de toutes les couleurs, me promis-je.

Bon sang, que s’était-il passé ? Pourquoi n’avais-je pas la moindre idée de qui j’étais ? Je levai la tête à la recherche d’un repaire familier. À travers le feuillage de hauts arbres, la première lune, Kaa, brillait dans le ciel nocturne. Ida, sa petite sœur, n’était pas encore levée : la nuit était jeune.

Je ne reconnus rien d’autre et un grognement de frustration m’échappa.

Je savais que ma famille vivait en Nouvelle-Lahod. Qui en étaient les membres, où était notre domaine, en revanche, mystère.

Et peut-être y aurait-il un moment plus opportun de le découvrir ! Et, avec un peu de chance, je m’étais juste cogné la tête contre une branche au fond de ma propriété et on me retrouverait bien vite. Après tout, je ne pouvais pas vraiment être en danger, ça n’avait pas de sens. Oui, l’inconnu était un illuminé qui s’était amusé à m’effrayer, rien de plus. Et mes douleurs n’étaient que des courbatures.

Je serrai les dents pour ravaler mon angoisse et mes questions et repris mon analyse : j’étais vêtue d’une robe rouge légère, complètement incongrue en ce lieu, et de bottines confortables. L’herbe sur laquelle j’étais assise avait trempé le tissu. Mais il y avait aussi d’autres taches, plus sombres, et une vive douleur dans mon bras droit confirma mes soupçons : quelque chose m’avait coupée peu de temps auparavant.

Les arbres autour de moi étaient nombreux mais impossible d’en déterminer l’essence en pleine nuit. Ceci dit, c’était des feuillus : encore un signe que je ne devais pas être trop loin de la Nouvelle-Lahod – voire même encore dedans, malgré l’accent de l’inconnu !

Me raccrochant à cet espoir, je me relevai sans pouvoir retenir un gémissement de douleur.

Ne geins pas, tu n’es plus une enfant !

Une vague de souvenirs fragmentés me frappa : une odeur de fleurs fraîches, la couleur rouge, de la peur, des cheveux blonds. J’en vacillai de surprise. Qui avait prononcé cette phrase ? Je savais l’avoir entendue souvent, mais de la bouche de qui ?

La sensation s’était évaporée comme un rêve au réveil.

De frustration, je frappai du pied le tronc le plus proche et ne réussis qu’à me faire mal.

Je me concentrai sur ma respiration, les yeux fermés. Inspiration. Expiration. Inspiration, expiration… Je rouvris les yeux. Mon environnement ne m’apprendrait rien de plus. Je pouvais soit me rendre à la ferme indiquée par l’inconnu, soit choisir une autre direction.

Le moyen le plus rapide et le plus sûr de voir le jour se lever était d’obéir. Il avait dit que je devais rester cachée et que je serai en sécurité : qui donc me menaçait ? Qui m’avait coupée – car c’était bien une lame qui avait tranché le tissu et la peau de mon droit bras. Heureusement, ça ne saignait plus – ? Qui me cherchait ? L’homme qui sentait les fleurs fraîches ?

C’était trop tôt pour le dire. Constater que des bribes de mémoire me revenaient me rassura : celle-ci n’était donc pas totalement perdue. Peut-être allais-je même me réveiller le lendemain matin fraîche comme une rose et mes souvenirs intacts ? Sinon, il pouvait y avoir un moyen de la retrouver. Il devait y avoir un moyen.

Maudissant à voix basse l’inconnu, le rouge, la forêt et la nuit, je me mis en route vers le nord.

 

Au fur-et-à-mesure de ma marche, mes blessures se précisèrent bien malgré moi. Ma coupure au bras poissait ma robe à un rythme soutenu avec mon cœur qui battait la chamade, ma tête me lançait de plus belle et mes jambes étaient de plus en plus lourdes. M’avait-on frappée, lui ou les visages invisibles qui me pourchassaient ? Étais-je tombée ?

Alors que je me prenais les pieds une énième fois dans une racine et que j’écartai d’un geste manquant de vigueur une branche de mon visage, au bord des larmes, une lueur apparut sur ma droite. Je marchais depuis au moins deux heures, Karak fasse que ce soit enfin ma destination ! Je repoussai une énième fois les longues mèches châtaines qui me bouchaient la vue et accélérai grâce aux dernières miettes d’énergie qu’il me restait sans cesser d’invoquer le dieu des batailles. Je faillis crier à l’aide mais me retins : d’abord, je n’étais pas sûre que ce soit une bonne idée, ensuite car j’allais arriver la tête haute et le dos droit, je n’étais pas une paysanne.

Je corrigeai ma trajectoire. Il me fallut encore vingt bonnes minutes pour sortir des bois en suivant la lumière. Toute prudence balayée par l’épuisement, je franchis l’orée et, pantelante, avisai les environs.

Derrière une maison de plain-pied, de petites taches lumineuses signalaient des villages au milieu de champs plongés dans l’obscurité. En toile de fond, se détachait sur le ciel maintenant piqueté d’étoiles la grande bande noire de la chaîne de montagnes que je connaissais… ou croyais connaître : son découpage me laissait une impression étrange. De décalage.

Je compris que je ne la voyais pas du même point de vue que d’habitude. J’avais bel et bien quitté mon pays. Cela aurait dû m’inquiéter ou me faire tempêter, mais j’étais fatiguée, si fatiguée… Au-dessus de nous, la constellation d’Aztariss, elle, était bien là, brillant de mille feux : il ne m’avait donc pas laissée à l’autre bout du monde, au moins.

Mon regard redescendit vers la maison et la femme qui, sous le porche de bois, me détaillait autant que je le faisais.

Elle était grande et musclée, ses épaules larges et sa poitrine opulente recouvertes d’une couverture, ses courts cheveux noirs striés de blanc. Les sourcils froncés donnaient à son visage un air sévère.

Il restait une cinquantaine de mètres à parcourir jusqu’à la clôture de son potager, où elle m’attendait, un globe lumineux Enchanté à la main. En temps normal, je savais – enfin, j’étais presque sûre – que j’aurais été vexée qu’elle ne se montre pas plus accueillante. Cette nuit, peu m’importait. Elle m’aurait tourné le dos que je me serais endormie dans le jardin, une salade comme oreiller.

Quand je fus presque à son niveau, tremblante, sale et frigorifiée, elle ne dit pas un mot. Toute ma bravade s’évapora comme neige au soleil. Au diable la dignité, je voulais manger et dormir. Enfin, son expression s’adoucit et elle s’écarta pour me laisser passer. Elle referma le portillon dans mon dos puis me passa à nouveau devant pour ouvrir la porte de sa maison.

Le malaise m’envahissait. Pourquoi ne disait-elle rien ? Était-il possible que je ne sois pas au bon endroit ? Mais si, voyons. Pourquoi serait-elle sortie à une heure pareille observer la forêt si ce n’est pour guetter mon arrivée ?

J’avais bien l’intention de batailler pour qu’elle m’offre l’hospitalité mais je ne pus m’empêcher de me sentir rassurée quand elle me fit signe de la suivre à l’intérieur. Une douce chaleur régnait dans l’entrée plongée dans l’obscurité. Je n’eus guère la possibilité d’admirer les lieux : le globe qu’elle tenait toujours allongeait ou annulait les ombres au rythme des balancements de son bras et je devais me concentrer pour ne pas trébucher. Nous franchîmes une puis deux pièces avant qu’elle s’efface de mon chemin et me fasse signe de passer une ultime porte. 

Elle donnait sur une petite chambre coquette aux murs blanchis à la chaux et au lit étroit recouvert d’une épaisse couette. Les ombres tanguèrent un instant et une peur enfantine me saisit une poignée de secondes. Mon hôtesse revint avec un autre globe, plus petit, à la douce lumière bleue.

Je lui tournai le dos pour la congédier, posai le globe sur la table de chevet et restai debout, gauche et hésitante. J’étais épuisée. Pouvais-je me glisser sous les draps sans autre forme de procès ?

Non, j’allais quand même au moins me déshabiller. La femme allait me faire couler un bain chaud sans tarder.

Au moment où je formulai cette pensée, j’entendis un coup discret à la porte. Le temps que je me retourne, la femme avait déjà tourné les talons. Elle avait laissé à mon intention une bassine d’eau claire, une chemise de nuit, une serviette et un morceau de pain.

Touchée malgré son austérité, rassurée, je refermai la porte. Une fois débarbouillée et bien installée dans les draps propres, délicieusement tiédis par une pierre Enchantée, j’eus à peine le temps d’avaler deux bouchées de pain avant que le sommeil ne m’emporte.

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blairelle
Posté le 23/10/2024
J'aime bien le fait de décrire les évènements du point de vue d'un personnage amnésique. Pour l'instant ça fait un peu cliché princesse en danger à sauver qui ne comprend pas ce qui lui arrive, on va voir ce que ça donne.
(Si ça se trouve c'est vraiment une paysanne XD)
A Dramallama
Posté le 16/10/2024
Coocooo!

Ah j'aime beaucoup ce premier chapitre, pour beaucoup de raisons! La première, c'est le personnage principale. Ce chapitre ne nous apprend rien de 'pratique' sur elle -qui est-elle? D'ou vient-elle, POURQUOI?- et j'adore! Ce n'est de plus pas pour autant que l'on ne découvre pas son petit caractère (tu as une écriture super expressive je trouve, c'est géniale)!

bref, je reviens dès que possible pour découvrir la suite.

à bientôt!
ClaraDiane
Posté le 17/10/2024
Helloooo ! Merci beaucoup pour ton commentaire ^3^ et pour ta remarque, ça me fait plaisir !
J'espère que la suite te plaira <3
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