Chapitre 2

Lorsque j’ouvris les yeux, le soleil était déjà haut dans le ciel. Je grognai et rabattis la couette sur ma tête pour échapper à l’intense lumière qui se déversait dans la pièce. Pourquoi les domestiques n’avaient-elles pas fermé les volets ?

Le reste de la chambre laissait lui aussi à désirer : ma robe gisait froissée dans un coin et le globe bleu était encore allumé. L’extrémité du chiffon utilisé hier soir trempait dans la bassine, ce qui avait mouillé le parquet sur lequel je distinguai des moutons de poussière.

Mon estomac gargouilla peu gracieusement : avant toute chose, j’allais finir le pain, tant pis pour les convenances. Quand je le saisis, un détail sur ma main gauche attira mon attention : le petit losange noir tatoué sur la première phalange de mon majeur. Cela confirma mes impressions : je n’avais pas feint mes manières, j’étais bel et bien de noble naissance ! Ce symbole, qui avait grandi avec moi, était encré sur les enfants à leur deuxième anniversaire en Nouvelle-Lahod afin que quiconque sache que les attaquer signifiait prendre de gros risques et que les aider en cas de danger était prioritaire. On ne distinguait cependant pas la famille ou le domaine ainsi, je ne m’en servirai pas pour découvrir mon identité.

Mon regard s’attarda ensuite sur le globe, dont la lumière se voyait à peine de jour. Mon hôtesse pouvait-elle Chanter ou avait-elle acheté l’objet ?

Même si je ne pratiquais pas la magie, je connaissais la théorie comme tout un chacun. De plus, les globes lumineux étaient communs : c’était un Chant assez simple donc facile à transmettre et qui ne nécessitait pas d’endurance particulière.

La coutume voulait que les enfants lahodiens de haute naissance soient testés dans leur enfance pour déceler le don le plus tôt possible. Si un jeune n’avait pas encore fait montre d’un quelconque talent dans ce domaine, on le mettait en présence d’objets de toute sorte dans l’attente d’une réaction.

Aurais-je pu oublier que je pratiquais la magie ? Non, je le sentais, on m’avait martelé que j’en étais incapable. L’idée me traversa de tester à nouveau une affinité possible avec un métal, l’eau ou la lumière pour savoir si je pouvais la modifier mais je perdrai mon temps, c’était une certitude aussi solide que le granite.

Je sortis du lit, pressée de me mettre autre chose sous la dent et de trouver des vêtements propres. Ma robe – rouge à franges blanches, au bustier brodé de perles mais d’une coupe simple, maintenant que je pouvais bien la voir – n’était plus portable en l’état, déchirée comme elle était. De toute façon, porter ce genre d’habits en forêt avait été ridicule : quelle mouche m’avait piquée ? En revanche, j’étais sûre de pouvoir en découdre les perles et pierres précieuses pour m’en acheter une nouvelle. Il faudrait que l’on fasse venir au plus vite une couturière pour prendre mes mesures.

Décidée à obtenir des renseignements et un petit déjeuner copieux, je finis le pain d’une bouchée et ouvris la porte en chemise de nuit. Mon hôtesse avait déposé un tas de vêtements propres dans le couloir. Un pantalon de toile brune épaisse, une chemise beige au corsage lassé. Même les sous-vêtements étaient grossiers et tout était trop grand ! Sans oublier l’inconvenance de m’habiller comme un homme… Elle-même avait-elle porté ce type de frusques la veille ? Je n’y avais pas fait attention.

De plus, où étaient les crèmes, le maquillage, le savon parfumé, le dentifrice aux pétales de violette ?

Toutefois, ils avaient le mérite d’être propres et de sentir bon. Je les enfilai faute d’une toilette plus appropriée.

Je remontai le couloir vers les pièces que nous avions traversées la veille. Tout était silencieux. Où était la femme ? Vivait-elle seule ?

Les murs, de briques apparentes et de bois, étaient typiques de l’architecture de Tibar, à l’ouest de la Nouvelle-Lahod. Le bâtiment était tout en longueur, comme un corps de ferme. En tendant l’oreille, j’entendis en effet des poules caqueter dehors. Les meubles de bois et les épais tapis rendaient l’atmosphère chaleureuse. Il y avait même une couronne de fleurs séchées sur la porte et des guirlandes de feuilles et de minuscules fleurs blanches et jaunes aux murs. Très rustique, pensai-je avec dédain en tâchant d’en ignorer l’aspect douillet et agréable.

Je ne venais pas de ce milieu et je ne devais surtout pas m’y habituer. Je recueillerai des informations sur l’inconnu, sur cet endroit, et rejoindrai vite des contrées plus civilisées.

Enfin, un bruit de terre grattée me parvint. Je franchis la porte et me retrouverai à contempler le dos musclé de mon hôtesse qui bêchait son carré potager avec conviction. Elle se retourna et m’observa. Elle hocha la tête en constatant que j’avais mis son pantalon.

Je pus la détailler à mon tour : elle avait le teint mat typique des tibaraques, peut-être même encore plus foncé, des lèvres pleines et de longs cheveux raides et nattés. Ses vêtements – dont un pantalon – étaient pour l’heure tachés de terre ; elle les épousseta de ses larges mains en se redressant.

— Je suis Hestia, dit-elle simplement en tibaraque. J’espère que tu as fini ton pain car tu vas devoir aller en refaire.

Moi, faire du pain ? Quelle idée saugrenue.

— J’aimerais d’abord savoir où je suis et qui m’y a amenée. Ensuite vous appellerez une couturière et–

— On discutera ce soir. Là, j’ai du travail et toi aussi.

J’écarquillai mes yeux gris, ce qui m’éblouit.

— Comment ça ?! Il est hors de question que je fasse la cuisine !

Elle eut un sourire en coin :

— Dans ce cas, j’espère que tu n’as pas faim. Parce que sans pain, pas de repas.

Mon souffle se coupa d’indignation. Où étais-je tombée ?! Hestia se rendit compte que j’allais sans doute proférer des menaces que je regretterais ensuite car elle me coupa à nouveau :

— Cha, je t’aiderai du mieux que je peux et je te dirai ce que je sais. Ce soir, précisa-t-elle à nouveau d’un ton sans réplique.

Je faillis lui demander si elle connaissait mon prénom avant de me rappeler que Cha n’était qu’un surnom affectueux en Tibar.

— Je… commençai-je.

Ma fierté m’interrompit et je tournai les talons. Nous verrions bien qui serait la plus entêtée de nous deux !

 

Une demi-heure plus tard, je le savais et la réponse ne me plaisait pas du tout. Hestia avait passé tout ce temps les mains dans la terre ; elle passait parfois la tête par la fenêtre pour me tenir à l’œil et alternait entre amusement et exaspération. Je m’étais assise à la table de la cuisine baignée de soleil, le dos bien droit et le port altier, décidée à ne pas céder. Je ne m’étais jamais autant ennuyée de ma vie.

Parfait ! Puisque c’est comme ça, je me débrouillerai toute seule.

Je n’allais pas m’abaisser à la questionner. En revanche, j’avais besoin de trouver des réponses, peu importe comment. Fouiller la forêt ne devrait pas représenter une tâche trop longue. J’allais devoir retrouver l’endroit où je m’étais réveillée puis suivre les traces de l’inconnu. Hestia tourna à peine la tête dans ma direction quand je passai le couvert des arbres. Certes, elle ne possédait sans doute pas de calèche, mais elle aurait pu mettre un cheval à ma disposition !

J’allai lui montrer que je n’avais pas besoin d’elle.

Au bout d’une heure à avancer, pour ce que j’en savais en ligne droite, sans rien trouver, j’étais prête à admettre – en mon for intérieur, pas à voix haute – que je m’étais trompée. Tous ces fichus arbres se ressemblaient, aucune trace n’était discernable sur le tapis d’herbes.

J’avais faim, mal aux jambes, j’en avais assez. Tout ce que je savais, c’était que le sol montait en pente légère, ce qui n’arrangeait en rien mes courbatures. Au moins, je savais dans quelle direction repartir ; il ne manquerait plus que je ne retrouve pas la maison d’Hestia…

Alors que j’étais sur le point de repartir, un éclat de lumière attira mon attention entre les arbres. Je me figeai, le cœur serré par une impression de danger imminent.

Je posai la main sur un tronc à ma droite et inspirai profondément. Le courage me revint. Je m’approchai à pas de loup.

À l’orée d’une clairière baignée de lumière, suspendue par un vêtement – une chemise nouée aux manches ? – à une branche, une lame d’acier tournait dans la brise. Elle projetait les reflets du soleil dans toutes les directions, comme un phare. Le couteau était long, solide et lourd, la lame à double tranchant. Une arme de professionnel, réalisai-je avec un frisson.

Une arme qui m’avait peut-être été destinée.

Qui avait imaginé cette mise en scène ? S’agissait-il d’un avertissement ?

Le sentiment de menace, malgré les trilles joyeux des oiseaux dans les arbres, ne me quittait pas et je tournai les talons sans demander mon reste. Peu importe à qui le message était adressé, décidai-je ; je n’avais pas envie de le découvrir tout de suite.

 

Quand je franchis à nouveau la clôture du jardin d’Hestia, il était plus de midi. Mon bras m’élançait douloureusement. Elle m’accueillit d’un signe de tête que j’ignorai pour aller boire une cruche entière d’eau dans la fraîcheur de la maison. Mon estomac grondait mais mon hôtesse ne semblait pas décidée à cuisiner.

Soit ! Faire du pain ? Très bien, je ferai du pain ! Peu importe que je n’en eusse jamais fait. Ça ne devait pas être bien sorcier, après tout.

J’ouvris les placards à la recherche de farine de blé et des autres ingrédients. Comment faisait-on la pâte ? De l’eau et un peu de sel, mais ça ne pouvait pas être tout… Où étaient les céréales ? Dans quelles quantités devait-on les mélanger ? L’ordre de mélange était-il important ?!

Je me rendis bien vite à l’évidence, j’étais ignare en la matière…

Cependant, je ne m’avouai pas vaincue. Je fouillai à nouveau, cette fois à la recherche d’un livre de recettes. Le souvenir fugace de biscuits dorés en forme d’étoile, préparés pour le passage à la nouvelle année lors de la nuit la plus courte, me frôla. Nous avions été plusieurs à cuisiner, ce jour-là. Qui ? Ma mère ? Avais-je des frères ou des sœurs ?

J’ouvris le dernier placard d’un geste agacé et attrapai le premier livre à ma portée : le titre était illisible. Rien, je ne savais rien ! J’eus soudain envie de pleurer. Mes souvenirs me manquaient. Ma famille, mon domaine… Tout ignorer laissait un vide abyssal dans ma tête et ma poitrine.

Pire, ce vide m’aspirait. Les murs se refermaient sur moi à chaque battement de cœur plus frénétique que le précédent. Je n’ai plus rien ni personne. J’avais chaud puis froid, envie de vomir puis la tête lourde. Je ne les retrouverai jamais. Le sang pulsait sur mes tempes. Je n’obtiendrai pas les réponses.

L’ouvrage tomba sur le carrelage dans un fracas de feuilles volantes. Le bruit me ramena sur terre. Le texte était en tibaraque : bien sûr que je pouvais le lire. Et je recouvrerai la mémoire, il n’y avait pas d’autre issue possible.

Je contemplai la pièce. En plus des fleurs, des pots de miel fermés par des rubans colorés, des bols gravés, un nom peint en lettres dorées sur une assiette et des dessins d’enfant délavés peignaient les lieux de multiples couleurs. Cette maison vivait. Je pris une longue inspiration et laissai les souvenirs d’une autre famille que la mienne me combler.

Apaisée, je me résolus à demander de l’aide.

 

— Hestia ?

— Mmh ?

La fermière était toujours dans son potager, le front couvert de transpiration. Je n’avais pas remarqué combien la maison était fraîche : le mois de juin était bien entamé et le soleil se faisait sentir.

— Je ne sais pas faire de pain.

Elle se retourna et me toisa, l’air peu amène. S’attendait-elle à une crise de colère ? Mais non, j’étais sincèrement curieuse.

— Pourriez-vous m’apprendre ?

 

Deux heures plus tard, j’avais les bras en compote à force de pétrir. De petits tas de pâte de tailles plus ou moins semblables trônaient un peu partout dans la cuisine, entre les bocaux de levain, le sel et la farine.

Je m’étais prise au jeu et avais pour un temps oublié mes questions. Un sentiment de satisfaction m’étreignait à chaque étape franchie.

Quand Hestia rentra du jardin, des légumes dans un panier, de la terre jusqu’aux coudes et les cheveux en bataille, elle me trouva couverte de farine en train de vérifier le gonflement de mes pâtons.

Bien que peu bavarde, elle ne put retenir un sourire à la fois circonspect devant le désordre et attendri devant ma fierté.

J’eus envie de rire : ce que j’avais tant peiné à faire constituait son quotidien et elle avait sans doute appris à faire des pains meilleurs que les miens à la moitié de mon âge.

— Pose tes pâtons au chaud sur la fenêtre et va te décrasser, m’ordonna-t-elle.

Nous déjeunâmes en vitesse d’un flan de légumes qu’elle avait sorti d’un placard réfrigéré. Cela m’étonna : c’était des appareils Enchantés qui valaient une coquette somme, pour ce que j’en savais. Était-elle secrètement riche ? Elle y ajouta du pain – pas celui que j’avais préparé ce matin, bien sûr : j’avais perdu trop de temps pour qu’il soit prêt – et des yaourts.

— Vous avez des vaches ? m’enquis-je car je n’avais pas vu de troupeau quand je passais le temps dans la matinée.

— Mon mari. Il les emmène vêler dans les montagnes au printemps et il rentre à la mi-été.

— Vêler comme… faire naître les veaux ?

Elle me regarda comme si j’étais une demeurée.

— Ben oui.

— Mais, bafouillai-je, confuse. C’est un travail de femme normalement, non ?

Elle sourit d’un air malicieux et me regarda droit dans les yeux :

— Ma cocotte, la seule qui a besoin d’un vagin pour vêler, c’est la vache !

Je devins rouge pivoine et Hestia éclata de rire. Comment osait-elle se moquer de moi ainsi, cette espèce de… sans gêne ?!

Elle reprit plus sérieusement et j’eus ainsi l’occasion de reprendre une carnation normale :

— Dans la noblesse, peut-être qu’on n’a que des femmes accoucheuses, ou alors c’est que chez toi. Mais à mon avis, si tu allais voir du côté des domestiques et du reste de la population, tu serais surprise. Quand il y a beaucoup de travail à abattre, on n’a pas de temps à perdre à se demander si on a ce qu’il faut entre les jambes pour en être capable.

J’en restai coite. Avait-elle raison ? M’étais-je seulement déjà posé la question ? Je finis par hausser les épaules et m’enquérir de la provenance des pots de miel pour changer de sujet.

Le reste de la journée passa plus vite que je ne l’aurais cru. Hestia comprit que j’avais « mis de côté mon aristocratie » et m’enseigna quelques techniques de jardinage.

Je dus reconnaître que je passais un agréable moment. Le soleil tapait fort mais Hestia m’avait prêté un chapeau à large bord pour protéger mes yeux et ma peau claire et elle m’autorisait des pauses fréquentes pendant lesquels je révisais mon vocabulaire dans cette langue qui m’était surtout familière à l’écrit. Le jardinage, le pain, puis enfin m’occuper des poules offrait une activité physique mais surtout accaparait toute mon attention : je n’eus pas le temps de ruminer.

Au dîner, épuisée mais ravie, j’avais beau être morte de curiosité, je savais désormais que l’inconnu n’avait pas voulu me nuire.

D’ailleurs, j’étais persuadée qu’il y était pour quelque chose dans ma perte de mémoire mais si je m’étais trompée ? S’il m’avait défendue, voire juste trouvée déjà amnésique ?

Dans ce cas, pourquoi m’avoir abandonnée ?

Une épaisse tartine de fromage à la main, je pressai Hestia de me dire ce qu’elle savait.

— Pas grand-chose, avoua-t-elle. Celui qui t’a indiqué la ferme est passé me voir quelques heures avant ton arrivée en me disant qu’une lahodienne en danger avait besoin d’être abritée quelques jours et qu’ensuite il faudrait lui trouver un petit travail, un endroit où se cacher. Je crois qu’il voulait que tu disparaisses de la circulation. Il ne m’a dit ni qui te mettait en danger, ni combien de temps tu devais te faire discrète mais j’ai eu l’impression que c’était une histoire de mois.

— À quoi ressemblait-il ?

— Jeune – pas tout à fait ton âge, je pense, dans les dix-huit ans – les cheveux noirs longs, la peau un peu moins foncée que la mienne. Les yeux bruns.

Jusque-là, un physique typiquement tibaraque, impossible de me baser là-dessus pour partir à sa recherche avec si peu de détails.

— N’avait-il pas un signe distinctif, comme une cicatrice, une manière de parler, un… style vestimentaire qui sortait de l’ordinaire ?

— Non.

Elle avait répondu tout de suite, presque trop vite. Je poussai un soupir, dépitée. Si seulement j’avais pu voir son visage !

— Et vous ne le connaissiez pas ? attaquai-je à nouveau. Un inconnu débarque chez vous et vous demande d’accueillir quelqu’un et vous ne posez pas de questions ?

— J’ai connu sa mère, il y a très longtemps, mais je ne l’avais jamais vu, lui.

— Sa mère ? Que faisait-elle ? Comment était son visage ? Où vit-elle ?

— Je ne sais pas. Et peut-être pas d’où tu viens, mais ici on rend service aux gens ! me rembarra-t-elle.

— Je ne sais pas comment ça se passe, d’où je viens, puisque je ne sais pas d’où je viens, rétorquai-je aussitôt.

— Oh, tu es noble, tu n’en as pas que le tatouage.

Je rougis : ce n’était pas un compliment, dans sa bouche.

— Que pouvez-vous me dire d’autre ? soupirai-je.

— Qu’as-tu appris, toi ?

— Pas grand-chose. Je me suis battue – et, de toute évidence, j’ai perdu. Je suis loin de chez moi. Je n’ai pas l’habitude de me faire à manger.

Je m’arrêtai là, abattue. C’était risible. Ne pas savoir qui j’étais me rongeait : j’ignorais si j’avais plus envie de rire ou de pleurer.

— Bon sang, gémis-je en me prenant la tête entre les mains, je ne connais même pas mon propre nom !

— Pour quelqu’un qui n’a pas l’habitude des travaux de ferme, tu ne t’en es pas trop mal sortie, me consola Hestia d’une voix douce. Et ton nom, ma foi, c’est l’occasion d’en choisir un ! Qui sait, il sera peut-être même mieux que l’original.

Les coins de mes lèvres se retroussèrent. Comme ce matin, j’eus envie d’en savoir plus sur sa vie, de remplir les vides dans ma tête avec la vie d’une autre.

— À qui appartient la chambre dans laquelle j’ai dormi ?

Hestia sourit d’une oreille à l’autre et entreprit de me parler de son mari, Alby, qui passait le plus clair de l’été dans les contreforts des montagnes avec le troupeau de vaches du couple et revenait fourbu mais ravi de lui parler des vêlages de l’année. D’Issa, sa fille, celle dont les dessins étaient accrochés derrière moi et qui était partie à la ville pour étudier le commerce. Du gamin qui leur livrait le journal et qui, amoureux d’elle, avait été dévasté en apprenant son départ. Du mage de lumière qui venait de temps en temps au village avec qui elle aimait discuter car il avait toujours des anecdotes croustillantes sur la capitale. À son dernier passage, il avait insisté pour qu’Hestia ne se déplace jamais sans arme. Les routes étaient de moins en moins sûres.

Le roi avait été renversé deux ou trois ans auparavant, me souvins-je. Les privilèges de la noblesse avaient été abolis, un régime parlementaire aurait dû être installé… mais cela tardait. Profitant du chaos ambiant et de l’incertitude, certains s’enrichissaient de rapines ou laissaient juste parler leurs bas instincts.

Hestia parlait toujours mais je ne l’écoutais plus. Pourquoi savais-je encore tout ça ? Pourquoi me souvenais-je de la politique des pays mais pas de mon lieu de naissance ?

Que s’était-il passé ? Si j’avais reçu un coup sur la tête, j’en aurais senti les séquelles. Le Chant n’était efficace que sur les objets ; il ne permettait pas d’agir sur les êtres vivants et encore moins leur mémoire ! Aurais-je pu être hypnotisée ? Un frisson me parcourut quand une autre hypothèse naquit : et si Hestia y était pour quelque chose ? Et si c’était de sa faute et que c’était pour se faire pardonner qu’elle m’avait recueillie ?

— Tu devrais aller te coucher, me dit-elle en remarquant que j’étais ailleurs.

J’acquiesçai et quittai la table.

— À demain.

Demain, je trouverai des réponses. Je fouillerai la maison jusqu’à trouver un indice, une piste, n’importe quoi.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
blairelle
Posté le 23/10/2024
Des royalistes sous la révolution ?
La héroïne va-t-elle choisir de s'appeler Napoléonne ?

Par contre pour les marques sur les doigts, je trouve que c'est une très mauvaise idée. Ça dit "attention, les parents de cet enfant sont puissants" mais ça peut aussi vouloir dire "hey, les parents de cet enfant sont riches, demande une rançon" ou "tiens, le gosse des salauds qui vivent dans le luxe alors que moi j'ai rien"
Vous lisez