« Tôt cette après-midi un objet non identifié s’est écrasé sur l’esplanade de la basilique Saint-Pierre de Rome. Sur une vidéo de la scène tournée par un touriste avec son smartphone nous pouvons voir une boule de lumière arriver à grande vitesse depuis les cieux et atterrir proche de l’obélisque. La vidéo coupe à l’impact de l’objet contre le sol, celui-ci ayant généré une onde électromagnétique suffisante pour couper le réseau électrique de toute la zone, zone qui depuis lors demeure toujours coupée d’électricité. Pour des raisons de sécurité la place a été évacuée immédiatement après l’incident et interdite d’accès depuis, des brises vues et des tentes ayant été installées dans d’importantes proportions sur l’objet. La communauté scientifique n’arrive toujours pas à expliquer l’apparition d’un corps céleste assez massif pour survivre à son entrée dans l’atmosphère tandis que l'État pontifical garde le silence sur l'événement depuis un bref communiqué indiquant un nombre de blessés nul … »
L’info a été reprise par toutes les télévisions et tourne en boucle aux quatre coins du globes. Même à la rédaction l’info a fait grand bruit, bousculant notre planning pour essayer de faire de l’audimat avec une édition spéciale. On m’a par la même gentiment indiqué que mon reportage serait passé un autre jour mais je ne me fais pas d’illusion, ils le diffuseront en pleine nuit ou ne le diffuseront jamais. Six mois de travail pour rien juste à cause d’une météorite. C’était le premier reportage en solo qu’on me validait et ma chance est passée comme ça, par une intervention divine. Je m’allonge sur mon lit, déprimé par la situation, m’imaginant déjà que je vais devoir me remettre à faire du café pour toute la rédaction. La fièvre des douze dernières heures finira bien par passer et je pourrais peut-être refaire du journalisme, en tout cas je m’accroche à cet espoir.
Cette nuit-là je fais des rêves étranges sans queue ni tête, je rêve que la météorite me fait voyager. Je me réveille pourtant toujours chez moi, toujours dans mon lit et dans mon petit appartement parisien. Je découvre que je n’ai pas imaginé la veille en trouvant mes affaires mal rangées à contrario de mon bureau bien en ordre lui, débarrassé de toutes les notes qui m'avaient servi à construire mon sujet. Après un petit déjeuné frugal et un café bien serré je m’habille, une chemise blanche avec un nœud noir au col et une jupe feront l’affaire. Une petite touche de maquillage plus tard, je suis sur le chemin du bureau après avoir pris mon sac à main. Par les fenêtres du métro aérien je vois défiler une partie de Paris sans trop y faire attention, a vrai dire j’ai tellement souvent pris ce trajet que je pourrais le dessiner de mémoire. Quelques arrêts plus
tard, je descends de la rame pour finir le trajet à pied. La fin de l’été donne à Paris un temps agréable, ce n’est déjà plus la canicule d’il y a quelques semaines.
Enfin je passe les portes vitrées du hall de la rédac où la réceptionniste me dit bonjour avec un grand sourire. Plus qu’à l’heure je vais direct à mon bureau et commence à classer les lettres que j’ai à traiter machinalement. Malgré l’agitation inhérente au bureau, je trouve qu’aujourd’hui nous sommes plus calmes. Il n’y a pas de grande clameur, plus de petites discussions dans des coins. Tout le monde à plus ou moins le regard rivé vers la salle de réunion, tout au fond de l’open space, où les grands pontes s’entretiennent avec deux inconnus. Je reconnais notre rédactrice en chef Laurence toujours impeccable avec à ses côtés l’un de nos envoyés spéciaux, un jeune parvenu qui s’il n’est pas dénué de talent en est arrivé là grâce à papa et maman. Même si on doit avoir le même âge, il me traite comme une collégienne en stage ce qui a le don de m’insupporter en plus du reste. Sans plus m’attarder à les observer, je continue ma basse besogne. Après une heure je me rends à la cuisine de l’étage pour me faire un café. En sortant les filtres d’un placard je ne peux que voir du coin de l’œil mon collègue sortir furieux de la salle de réunion, passant devant notre chef.
- Sarah, dans mon bureau tout de suite, dit-elle en s’engouffrant dans ledit bureau.
Je suis surprise de cet ordre. A part il y a six mois lorsque j’avais réussi à décrocher mon reportage, je ne suis jamais allé dans le sacro-saint. J’en abandonne mon café pour aller la rejoindre et une fois rentré dans son bureau elle m’indique de fermer la porte et de m’asseoir.
- Vous êtes croyantes ? me demande-t-elle de but en blanc.
- Je … pas vraiment, je bafouille.
Qu’est-ce que c’est que cette question ? Elle réfléchit un long moment, me transperçant presque du regard, un regard derrière lequel je vois fuser milles questions, un instinct de journaliste de renom.
- J’ai un travail pour vous. Je viens de recevoir deux envoyés du Vatican et ils semblent que nous fassions partie des quelques rédactions à travers le monde choisi pour couvrir l’évènement d’hier. Je ne sais pas pourquoi, mais d’entre tous les reporters que nous ayons, ils ont choisi de vous sélectionner pour nous représenter. Vous n’avez pas d’expérience, mais je n’ai pas le choix, c’est soit vous soit personnes, ils ont été catégorique.
Cela fait beaucoup d’un coup. Je n’arrive pas à comprendre la situation moi-même.
- Et je ...
- Vous partez pour Rome dans deux heures, un avion vous attend à Roissy. Une voiture vous attend déjà en bas pour vous conduire faire vos bagages et ensuite à l’aéroport.
Voyant que je suis presque choquée devant tant d'informations, elle sort de son bureau un dossier que je reconnais immédiatement.
- Vous allez vous en sortir, vous êtes une novice mais j’ai entrevu un certain nombre de qualité dans ce reportage. Fait un travail équivalent sur place et ton avenir sera tracé dans notre rédaction. Je pressens un scoop, et ton nom y sera attaché.
Je ne suis pas rassuré pour autant mais je me sens déjà mieux. Un instant plus tard, je quitte la rédaction sous le regard de tous ses membres après avoir récupéré mon sac. Dans l’ascenseur puis dans le hall d’immeuble j’agis mécaniquement, mon esprit comme bloqué dans un maelstrom de réflexion. J’avais rêvé de couvrir l’information internationale, de courir le monde d’évènement en évènement. C’était il y a longtemps et je m’étais plus ou moins résigné à faire du travail de seconde zone. Mais même si je n’y crois pas encore, ma chance est là.
La voiture qui m’attend dehors est une berline dans laquelle je monte à l’arrière. Dans mon brouillard je donne mon adresse, pensant m’adresser à un chauffeur lambda.
- J’ai eu l’occasion d’apprendre par cœur ton adresse tu sais.
C’est mon patron ! A peu près quarante ans, les cheveux déjà grisonnants, c’est le rédacteur le plus important après Laurence. Je me sens stupide de ne pas l’avoir vu et d’autant plus de m’être mise à l’arrière.
- Monsieur Ter, je ne vous ai pas reconnu.
- On a réussi à négocier un accompagnant caméra et la timbale est tombé pour moi. Ça me changera de l’Himalaya. Et appelle moi Sam au passage.
Il essaie de me briefer durant le trajet, m’expliquant quelques ficelles et ce qu’il sait de l’état pontificale.
- C’est peut-être le saint siège de l’église catholique, mais c’est aussi une entreprise générant plusieurs millions. Elle a une image à défendre et à promouvoir, quoi que ce soit qui soit arrivé chez eux, ça ne peut être qu’une bénédiction pour leur communication.
J’essaie d’emmagasiner au maximum et je regrette déjà d’avoir oublié mon carnet de note sur mon bureau, il m’aurait été bien utile. Dans mon appartement, je prends ma valise et y met mon ordinateur portable sans compter des vêtements de rechanges variés que je sors de mes placards rapidement. Après un moment de réflexion, je refais une partie de ma valise pour y inclure des vêtements beaucoup plus habillés. Je ne pense pas pouvoir me présenter là où je vais en jeans et basket. J’emmène le seul tailleur et les deux seules robes de mon dressing qui me semble pouvoir passer. Si j’avais eu plus de temps je serais allé faire du shopping mais je n’ai pas ce luxe. Ma valise terminée j’ai du mal à la fermer tellement je l’ai remplie. Je peste sans raison contre moi-même de ne pas avoir été prête. Je cherche ma chance et pourtant je ne suis pas capable de partir en voyage dans l’heure. De retour en voiture, je m’assois à l’avant cette fois, même s’il ne s’en formalise pas, je trouve que ça fait mauvais genre de se mettre à l’arrière.
- Je n’ai pas de billet d’avion, je remarque soudain sur le périphérique.
- J’ai nos informations de vol, on retirera les billets au terminal m’assure Sam.
Une heure plus tard nous arrivons au terminal 2E où nous devons embarquer. « Sam » me sert de guide dans le bâtiment, fendant la foule comme du beurre mais même lui finalement n’arrive pas à trouver ou l’on nous envoie. Sam est sceptique, si nous allons en Italie nous aurions dû aller au terminal 2F, d’où partent les vols Schengen. Comme l’heure avance on en vient à demander à un bureau d’information qui après avoir pris nos informations de vols et nos identités nous confie à une hôtesse qui nous conduit vers un salon diplomatique.
Ce dernier est sobre mais luxueux, et nous y sommes les seuls passagers. Je ne comprends pas pourquoi nous avons été menés ici, pour moi il y a forcément une erreur, mais la responsable du Salon nous informe que tout est en ordre dans son uniforme impeccable. Sam s’étonne un instant avant de s’en accommoder, demandant un café à une nouvelle hôtesse, encore une, qui nous propose des boissons après nous avoir fait installer et laisser la charge de nos bagages à un porteur. J’aimerais avoir son habilité à m’acclimater n’importe où.
- C’est la première fois que l’on nous traite avec autant d’égard déclare-t-il en prenant ses aises dans l’un des fauteuils de cuir.
- C’est le journal qui …
- C’est signé soutane plutôt. Merci pour le café.
Avec son style de baroudeur, typé Indiana Jones il dénote bien plus que moi et c’est un euphémisme, je m’attendrais presque à ce qu’il ait un revolver à la ceinture, et cela même s’il
n’a pas le fameux chapeau. Il a la veste en cuir plus qu’usée en revanche ainsi qu’un appareil photo déjà prêt à l’usage. Comme on nous annonce une demi-heure d’attente avant de pouvoir embarquer, je profite de cet instant de répit pour envoyer un petit sms à mes parents, juste pour leur dire que je suis en déplacement professionnel et leur demander qu’ils ne s’inquiètent pas s’ils n’arrivent pas à me joindre.
Et enfin c’est le grand départ. Nous quittons le salon diplomatique vers un minivan Mercedes qui nous permet de traverser le tarmac vers notre avion en toute sécurité. Je découvre que notre appareil est un jet privé loin du gros airbus auquel je m’attendais. Cela doit faire partie du pack salon diplomatique me dis-je. Le vent qui souffle sur le terrain bétonné me force à la sortie du Van à foncer me réfugier dans la cabine, empruntant rapidement les quelques marches de la portière servant d’escalier et d’accès. L’hôtesse, à croire qu’avec assez d’argent on peut en faire collection, me souhaite la bienvenue à bord et m’invite à m’asseoir dans la cabine attenante. Avant de m’exécuter je lance un regard vers ma gauche où se trouve le poste de pilotage porte ouverte dans lequel je peux voir le pilote et le co-pilote s’affairent carnet en main devant assez de manette et de bouton pour m’en donner le tournis.
La cabine en elle-même se compose comme celle d’un TGV, avec des sièges de chaque côté d’une allée centrale. Sauf que bien sûr je ne suis pas dans un TGV, mais dans un jet, et que là nous dépassons carrément la 1ère classe de ces derniers. Les sièges sont en cuir blanc impeccable, il y a une légère moquette au sol blanche également et même les parois sont tendues de tissu blanc. Après quelques pas je me laisse tomber dans l’un des premiers fauteuils à ma portée et tente de discipliner mes cheveux précédemment battus par le vent. J’échoue lamentablement à cette tâche. Vent 1, moi 0. Je me rabats sur une queue de cheval en désespoir de cause.
- Bonjour monsieur, dit une voix inconnue lorsque Sam passe à côté de moi.
Je ne les avais pas vu mais il y a deux hommes assis un peu plus loin. Tous deux portent des costumes noirs, les cheveux courts. Je dirais que le plus petit avec ses lunettes rondes à environ soixante ans et le second en a la moitié. Je suis persuadé de les avoir vu à la réunion avec Laurence ce matin. Je me relève prestement pour venir m’installer en face de Sam, ainsi nous formons un carré avec eux. A peine assise je vois le plus vieux de nos nouveaux voisins me dévisager par-dessus ses verres de lunettes. Son regard est soit curieux soit sévère. Je pense qu’il m’en veut de l’avoir ignoré par mégarde.
- Bonjour, Sarah … mais je n’ai pas le temps de finir de me présenter qu’il ne se lève, son téléphone en main et ne se dirige vers le fond de l’avion.
Je me retourne vers Sam qui lui doit en savoir plus mais il ne dit mot.
- Monseigneur est un homme efficace ne s’étendant que peu en parole, dit le second homme, plus loquace avec son fort accent allemand.
Je me retourne vers lui. Je ne l’avais pas bien vu avant, mais de près avec sa coupe courte et son visage carré bien rasé, il a tout de la gravure de mode, même si son costume noir le rend un peu sinistre.
- Capitaine Steinhart, garde suisse, se présente-t-il en me tendant la main que je sers surprise avant qu’il ne la tende ensuite à Sam.
Un capitaine de la garde suisse et un monseigneur que je suppose être un cardinal. Je n’ai pas dû aller à l’église depuis mes douze ans et me voilà propulsé dans un avion avec un garde suisse et un prêtre de haut niveau tout cela direction Rome pour couvrir la chute d’un astéroïde sur la cité du Vatican. Pour moi, on marche sur la tête. Je n’ai clairement pas eu assez ma dose de caféine pour trop me prendre la tête sur le sujet cela-dit. Quelques instants plus tard, Monseigneur revient s’asseoir au moment où la voix du pilote commence à se faire entendre. Selon ce qu’il dit nous en avons pour deux heures et sept minutes de vol, avec un temps dégagé malgré de possible turbulence au passage des Alpes. Mais avant ça il faut décoller.
Au moment où l’avion prend de la vitesse sur la piste de décollage, je suis plaqué contre mon siège et l’instant d’après je découvre ce que c’est de voler. J’ai l’impression d’avoir l’estomac dans la gorge quelques secondes puis l’avion se stabilise et j’ai juste les oreilles bouchées.
- C’est la première fois que vous prenez l’avion ?
Je me retourne vers mon voisin qui me sourit et regarde mes mains qui sont agrippées à mes accoudoirs.
- Oui. Le plus loin que j’ai dû l’aller c’est à Londres, et c’était en train. Je n’ai pas beaucoup voyagé.
Je reçois encore un regard inquisiteur du Cardinal à lunettes. Il a l’air de prendre note de tout ce que je peux bien dire à mon sujet et ça me met plutôt mal à l’aise. L’invitation ne vient clairement pas de lui, il n’a pas l’air de me valider. Mais alors pourquoi moi plutôt qu’un autre ? Peut-être pour calmer la pression médiatique en mettant un os à ronger dans les mains d’une journaliste novice. J’espère que j’aurais l’occasion d’en discuter avec Sam quand nous serons seul à seul. En attendant, j'accepte la proposition de café de l’hôtesse. Tout est plus clair avec du café, c’est l’un de mes mantras.
Après avoir vidé la moitié de ma tasse je décide de passer à l’offensive. Mon instinct d’investigation s’est réveillé. Je suis là pour un article et je compte bien en écrire un.
- Vous pourriez peut-être commencer à me parler de ce qu’il se passe au Vatican Monseigneur ?
C’est reparti pour un petit coup d’œil par-dessus ses verres avant qu’il ne me réponde.
- Un astéroïde non détecté avant son entrée dans l’atmosphère s’est écrasé Place Saint Pierre. L’obélisque a été détruit sur son passage. Malgré l’ampleur de l’incident nous n’avons pas eu à déplorer la moindre victime.
Je reconnais immédiatement la même sauce que l’on nous sert en boucle depuis hier.
- Comment expliquez-vous le silence de l’état du Vatican à ce sujet ?
- Il n’y a pour ainsi dire rien à commenter. C’est à la communauté scientifique d’expliquer cette apparition. Des dizaines d'astéroïdes tombent quotidiennement sur terre, il n’y a rien d’exceptionnel à cet évènement.
- Ce qui n’explique pas que vous ayez cherché à le cacher.
Sam qui suit mon interview avec attention me lance un regard qui me dit que je suis peut-être allé trop loin.
- C’est pour des raisons de sécurité que nous avons fermé la place en accord avec la gendarmerie et l’état italien. Nous voulons éviter un mouvement de foule de curieux.
- Donc c’est parce qu’il n’y rien de particulier à signaler que vous m’avez choisi particulièrement pour venir couvrir l’évènement ?
- Je suppose que nous aurons la réponse à cette question en arrivant.
- Vous ne le savez pas ou vous ne voulez pas me le dire ?
- Tout ce que je sais c’est que j’ai été prévenu hier que je devrais faire en sorte de vous amener à Rome aujourd’hui, me répond-il, excédé par mes questions.
Deux pas en avant, un en arrière. J'apprends qu’il n’y a rien à voir et qu’il faut circuler et que je suis invité à un non-évènement, mais que j’y suis invité. Sam lève les épaules et le vol continu
comme si de rien n’était. Je ne cherche pas à obtenir de plus amples informations, je sens que Monseigneur n’est pas loin de briser les relations diplomatiques. Je remarque cependant que le Capitaine Steinhart, lui, est partagé.
A l’approche des Alpes Sam me fait signe que l’on peut voir les montages défiler par les hublots. Je vois les pics enneigés passer pendant quelques minutes puis nous arrivons en Italie. Encore environ une heure et nous serons arrivés.
En descendant de l’avion je découvre le même vent qu’à Paris qui essaye de me décoiffer, mais il ne peut pas grand-chose contre ma queue de cheval. Egalité. Nous découvrons que deux berlines nous attendent directement sur le tarmac et Monseigneur je-ne-sais-toujours-pas-comment nous quittes sans un mot de plus pour rejoindre l’une d’elle.
- Si vous voulez bien me suivre, nous annonce Steinhart en nous guidant vers la seconde voiture.
- Vous ne le suivez pas ?
- Non, j’ai l’ordre de ne pas vous quitter.
Et il s’installe à l’avant de notre voiture tandis que nous autres journalistes montons à l’arrière. Il échange quelques mots en allemand avec le conducteur puis il se retourne vers nous.
- Nous allons directement au Vatican.
- C’est si pressant que ça ? demande Sam.
Il tire sur sa chemise pas repassé en me faisant une grimace. Avec la chaleur il a retiré sa veste et je crois voir des auréoles apparaître sous ses bras. Après une petite vérification je me rends compte que j’ai les mêmes. Le soleil italien m’a eu en quelques mètres.
- Ce sont les ordres répond posément Steinhart.
Puis il se remet à converser en allemand pendant que la voiture quitte le tarmac pour la circulation bientôt agitée de Rome.
Nous suivons le Tibre jusqu’à ce que je puisse apercevoir le château Saint Ange par-dessus les bâtiments. Je ne sais pas si nous aurons l’occasion de faire du tourisme alors j’en prend plein les yeux autant qu’il m’est possible. Et puis de manière presque désagréable je vois la Basilique Saint Pierre se rapprocher sur la gauche. Nous passons devant la place entièrement fermée et gardée par des gendarmes. Je ne suis pas du bon côté pour voir précisément mais cela m’a l’air
encore pire que ce que je pensais. Les colonnades sont presque barricadées comme si le Vatican était en état de siège.
- Ce n’est pas un peu exagéré pour une simple chute d’astéroïde ? demande Sam sans obtenir la moindre réponse.
Nous passons la porte Sainte Anne et nous sommes sur le territoire de la cité-état. Dès que la lourde porte se referme derrière nous, et sur quelques touristes espérant sûrement pouvoir rentrer, Steinhart se retourne vers nous.
- Vous êtes attendu en audience par la curie, dit-il, mais voyant mon questionnement il rajouta, l’assemblé des cardinaux.
- Rien que ça, je réponds à mi-voix, incrédule.
Je suis venu en tant que journaliste, et même à ce titre je m’attendais à rencontrer le représentant des relations presses ou peu importe le nom de son équivalent au Vatican, mais c’est tout. Rien de plus. Je suis assommé par la nouvelle. Chaque nouvelle pièce du puzzle semble venir d’un jeu différent.
- Je prépare les appareils photos Sarah ?
Je lui réponds en hochant la tête, toujours dans mon brouillard personnel. Sam cache mal sa curiosité, il a dû flairer que quelque chose cloche. Je commence à me ranger à son sentiment ; même notre arrivée est attendue par un peloton de garde suisse. Ma portière est ouverte par un homme d’âge mûr, dans un costume identique à celui du capitaine Steinhart. Une fois descendu Steinhardt le salue militairement.
- Bonjour Mademoiselle Fontaine, Colonel Ehrlich.
De mieux en mieux. Je suis plus qu’intimidé par ce comité de bienvenu, même si le côté paternel que je devine chez mon interlocuteur me rassure un peu.
- Je … Bonjour.
Je bégaye comme une lycéenne, ce qui a le don de m’agacer. Il faut que j’arrête d’être impressionné, j’ai été invité ici quand même.
- Si vous voulez bien me suivre mademoiselle, le Capitaine Steinhart aura surement pris le soin de vous informer que vous êtes attendu.
Je suis prête à le suivre, juste parce qu’il incarne l’autorité, puis je me souviens que Sam doit récupérer les appareils photos dans le coffre du véhicule.
- Vous pouvez nous laisser un instant pour qu’on prenne notre matériel ?
J’ai dit ça sur le vif, mais je me rends compte que ce n’est peut-être pas bienvenu de faire attendre les cardinaux.
- Bien évidemment Mademoiselle.
Je ne sais pas s’il est confus ou s’il est incertain de ce qu’il fait mais je suis surprise de son choix. Je m’attendais à me faire trainer par la force si je refusais de le suivre de mon plein gré, mais il n’en est rien. D’un signe de la main il donne un ordre en allemand et deux autres gardes suisse, enfin je suppose qu’ils le sont, viennent aider Sam à porter son matériel. J’obtiens par ce tour de force un regard admiratif de Sam, ce qui n’est pas plus mal pour mon orgueil.
En avançant et montant vers le premier étage du Palais, entouré de tellement de garde en costume et cravates, j’essaie de réajuster au mieux ma tenue.
- Nous ne risquons pas d’offenser la curie dans ces tenues ?
- Il n’y a aucun risque que les cardinaux fassent le moindre commentaire à ce sujet, que ce soit pour vous ou quiconque vous accompagne, sa sainteté a donné des ordres.
Je m’arrête au milieu de l’escalier et tout le monde m’imite comme d’un commun accord.
- Quoi ?
C’est sorti tout seul. Je vois le colonel chercher ses mots sans vraiment les trouver, une série de ride venant même barrer son front.
- Je vous prie de me croire mademoiselle qu’ils sauront vous apporter des réponses.
Je ne comprends rien, quelles réponses ? J’espère de plus en plus que ce n’est qu’une mauvaise blague. Je m’attendais déjà à avoir du mal à savoir comment faire avec un porte-parole, mais alors qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de la curie, je ne sais pas trop ce qu’ils vont pouvoir m’annoncer au sujet de l’astéroïde.
A mesure que l’on approche de la salle j’entends la clameur d’une assemblée en plein débat et enfin par-dessus l’épaule du Colonel je vois que nous sommes arrivés durant une porte massive, de six mètres de haut je pense. Elle est gardée par deux nouveaux gardes suisses dans leurs
uniformes renaissance que j’ai déjà vu à la télé, avec leur imposante hallebarde croisée en travers de la porte. Sur un signe de tête du colonel, ils s’écartent en nous ouvrant la porte.
La salle est immense ! Il y a des dizaines de cardinaux, formant une masse dont je ne vois pas la fin, et le brouhaha est encore plus intense. Le colonel ouvre la marche et les cardinaux les plus proches font silence les uns après les autres tout en s’écartant. La vague de silence atteint peu à peu l’autre bout de la salle lorsque je me retrouve au centre de celle-ci. Je ne peux m’empêcher de balayer l’assemblée du regard jusqu’à ce qu’il soit attiré par un homme plus âgé que les autres. Entouré de tant de monde debout, c’est le seul assis et je le vois qui agite son doigt vers moi. Je sens une goutte de sueur perlée dans mon dos alors que le silence s’étire.
- C’est elle ! hurle-t-il en se redressant.
Je recule instinctivement d’un pas, puis d’un autre. J’ai envie de leur dire qu’il se trompe mais encore une fois je ne sais pas de quoi il parle. Tous, ils se retournent vers moi, et ne pouvant maintenir aucun contact visuel je saute d’un regard à l’autre. Dans leurs yeux je vois le doute, la curiosité, l’intérêt, l’appréhension. Je ne suis pas là pour faire un reportage à leurs yeux.
- Mademoiselle Sarah Fontaine ? demande un homme qui s’est avancé. Il a l’air de vouloir vérifier mon nom plus que mon identité.
- Oui ?
Il continue à avancer vers moi. Ses grands yeux bleus à la pupille dilaté me dévisagent avec gravité. Je le vois maintenant, mais sa soutane est bordée de rouge, alors que celle de certains autres est bordée de violet il me semble. Je me raccroche à ce détail à défaut d’autre chose ça fait quelque chose sur lequel se concentrer. Il faut que je me ressaisisse, si ça se trouve je passe pour une idiote pour rien.
- Je suis la seule journaliste que vous avez invitée ?
- Oui.
- Pourquoi moi ?
- Nous avons tous pensé que vous seriez la plus à même de nous aider.
- Et pourquoi ça ?
- Il y a maintenant 24 heures vous n’êtes surement pas ignorante qu’un objet céleste est entré dans l’atmosphère pour s’écraser sur la place Saint Pierre. L’objet a été déplacé depuis lors en
la chapelle Sixtine où nous espérons que vous pourrez l’examiner. Nous avons appris que cet objet avait un rapport avec vous d’une manière que je pourrais vous expliquer qu’après que vous l’ayez vu.
Je vois dans ses yeux et dans son intonation qu’il élude une partie du problème et cela malgré l’incohérence de celui-ci. Qu’est-ce que je peux avoir à faire avec un morceau de cailloux venant d’ailleurs ? Je me rends compte que ce n’est pas moi qui marche sur la tête mais toute la curie. La goutte de sueur roule le long de mon dos et je pars d’un éclat de rire nerveux. Je me tords presque en deux devant l’homme qui ne perd pas de son sérieux.
- Mais bien sûr, malgré tout le respect que j’ai pour vous et votre église je pense que vous fait erreur, ou que vous vous moquez de moi.
Malgré cette nouvelle certitude je ne peux m’empêcher de regarder à nouveau l’homme m’ayant désigné du doigt, son accusation et son air de momie me fond toujours froid dans le dos. C’est le fait qu’il me regarde toujours avec le même air, comme s’il avait face à lui un fantôme, qui me fait me ressaisir.
- Je vous prie de m’excuser, monseigneur …
- Eminence … me souffle le colonel Ehrlich.
- Eminence, je me rattrape, mais je ne suis pas sûr de bien être capable de vous aider, mais j’accepte de jeter un coup d’œil, ça n’a jamais fait de mal à personne.
Son Eminence essaye de rester de marbre mais je vois bien qu’il est décontenancé. Chacun son tour je pense.
- Si vous voulez bien me suivre répond-il.
La foule de cardinaux s’ouvre devant lui jusqu’à une grande porte à l’opposé de la salle. Je n’imaginais pas que nous étions depuis tout ce temps dans le vestibule de la fameuse chapelle Sixtine, mais après tout je ne connais pas du tout les plans du bâtiment ce qui est loin d’être étonnant. La foule se masse derrière moi et n’est limité que par un cordon de la garde suisse qui ne me quitte toujours pas.
- Il vaut mieux que vous entriez seule, me dit son éminence une fois rendu devant la porte.
J’entre dans la chapelle, me demandant ce que je vais découvrir après ces révélations. La menton vers les cieux, je commence à détailler les fresques de Raphaël entre le plafond et les murs. Enfin, après quelques pas, je descends mon regard vers la fresque du jugement dernier ornant le mur derrière l’autel. Et c’est là que je le vois. Je sens mon cœur s'accélérer jusqu’à ce qu’il aille si vite que je le sente prêt à se rompre, avant que je ne m’évanouisse. En un regard j’ai vu le feu s’abattre sur terre.
Je suis très heureuse que ça te plaise ! L’attention du détail est très importante pour moi, et dans la limite de mes capacités je cherche toujours à me documenter un maximum sur les lieux et les usages qui me servent de toiles. Ça me fait énormément plaisir que quelqu’un salue mon travail à ce sujet.
Ce chapitre n’a pas forcément été écrit rapidement mais a sûrement souffert d’un mauvais passage à la moulinette de la correction. Je revérifierai tout ça prochainement.
J’espère que la suite t’apportera autant de plaisir à la lecture !
Ce sont de beaux objets célestes, les météorites, n'est-ce pas ? Le chemin sera long pour que notre petit monde de personnages hétéroclite comprenne ce qui va lui arriver, si seulement c'est à sa portée !
Je te remercie pour ton commentaire, j'espère que la suite te plaira autant.
Bon courage pour la suite !
Je te remercie beaucoup pour ton commentaire qui fait chaud au cœur ! Je ne m'attendais pas à tant d'éloges !
Je suis contente que les bases semblent saines avant que l'on ne rentre dans le vif du sujet.
J'apprécie également tes interprétations ... Peut-être trouveront-elles des réponses par la suite ?
Pour des mots posés il y a maintenant presque 4 ans, ils tiennent encore relativement bien la route, même si à la relecture je vois qu'il y a encore du travail. Ah la l ...
Bref, merci pour tes encouragements !
La suite d'ici quelques jours ?