Plus tôt....
— C’est hors de question !
Le poing massif du dieu des calamités s’abattit brutalement sur la table de pierre y imprimant un réseau de craquelures. Il y eut dans l’assemblée des hochements de tête approbateurs mais aussi des soupirs résignés. Ce n’était pas ainsi qu’ils parviendraient à se mettre d’accord. Il apparaissait de plus en plus clair que le semblant d’unité qui avait jadis permis aux dieux de prendre des décisions n’avait pas survécu à leurs nombreuses années d’exil.
— Ce n’est tout de même pas la peine de se mettre dans un état pareil, risqua une jolie déesse dont les longs cheveux blonds coulaient jusqu’au sol.
— Si c’est la peine ! rétorqua Seth d’une voix terrible. Les hommes nous ont oubliés, moqués, ils ne nous craignent plus. Sans une bonne catastrophe, jamais ils ne nous respecteront de nouveau. De toutes manières, ils sont bien trop nombreux pour être dirigés comme autrefois.
Une femme au regard vert vif fendit la foule pour s’approcher et planter ses yeux durs dans ceux du contestataire.
— Mon cher ami, je souhaiterais vous rappeler une nuance que, dans votre emportement, vous semblez avoir oubliée. Il ne s’agit plus de diriger les hommes, de se faire obéir par la crainte, de les punir par des calamités, ou de réclamer des sacrifices. Eux-mêmes ont été capables d’évolutions parfois positives, nous n’allons pas revenir plus barbares encore que nous ne l’étions déjà autrefois. Jamais nous ne regagnerons leur confiance de cette façon.
Un éclat de rire tonitruant secoua Zeus, faisant sursauter bon nombre des dieux présents.
— Mais enfin Gaïa, tu prends le problème à l’envers. Il ne s’agit pas de confiance. Nous devrions prendre garde de ne pas froisser les âmes sensibles de nos propres créations ? Ce serait plutôt à eux de tenter de regagner nos faveurs. Comme toutes les femmes, tu te laisses diriger par tes sentiments.
Cette fois ce fut au tour de la déesse de la Terre de rire, et ce faisant elle enfla et grandit jusqu’à dominer Zeus.
— Mon enfant, crois bien que si je ne m’étais laissée diriger par mes sentiments à ta naissance tu aurais fini dans le ventre de Cronos. Reproche-moi donc des excès de sensiblerie désormais.
Des rires parcoururent l’assemblée, et le regard foudroyant de Zeus n’y changea rien. C’est alors que s’avança Minerve qui, de façon tout à fait impolie, s’assit sur la table de pierre.
— Je ne doute pas que ma chère amie Athéna ne meure d’envie d’intervenir mais les règles de l’Assemblée sont claires, une même région n’a pas le droit de s’exprimer plus de deux fois à la suite, aussi vais-je vous dire moi-même ce qu’en tant que déesses de la sagesse nous pensons toutes deux. Il me semble, messieurs, que la dernière fois, nous suivions vos méthodes, disons-le, brutales et peu éclairées. Voyez donc où cela nous a menés ! Alors que les hommes évoluaient, repoussaient la barbarie, tentaient de se rendre dignes de l’intelligence dont nous les avions dotés, nous avons continué d’agir de la même façon, nous rendant monstrueux à leurs yeux. Beaucoup pensent que nous nous sommes retirés suite à ces progrès, laissant les hommes maîtres de leur destin, et que, ne nous voyant plus, ils ont cessé de croire en nous. Mais je pense que la vérité est bien moins flatteuse. Nous nous sommes retirés parce qu’ils ne croyaient plus en nous, voilà la vérité ! éructa la jeune déesse.
Des hurlements de protestation se firent entendre.
— Freiner le changement dont nous avons tous besoin par vos ronchonnements ne vous donnera pas gain de cause. Nous finirons bien par trouver un accord, reprit la déesse de la sagesse, élevant la voix pour se faire entendre.
De nombreuses déesses hochaient la tête. Elles avaient trop longtemps accepté les décisions des dieux masculins et en avaient payé les conséquences. Il était hors de question de continuer dans cette voie.
Dissimulées dans un coin, plusieurs immortelles aux regards luisants de noirceur semblaient se régaler de la discorde qui régnait. Dardant sur leurs lèvres leurs langues de vipère, les maîtresses du chaos, des maléfices et des ténèbres, se délectaient des désordres qu’allait causer la guerre. Car, cela ne faisait aucun doute, la guerre était la seule issue à ce problème. Intimidés ou écœurés par l’apparence répugnante de ces femmes, peu de dieux prêtaient attention à leurs murmures comploteurs. Une robe ondulante tressée de serpents entremêlés couvrait l’une d’elle, une vipère géante aux yeux ardents s’enroulait autour du bras de la deuxième. La plus effroyable sans aucun doute restait Hel, une moitié de son corps illuminée par la vie et l’autre dans l’ombre de la mort. La voyant du bon profil, on pouvait la trouver magnifique, mais lorsqu’elle détournait la tête avec un ricanement on ne pouvait qu’être saisi d’horreur en découvrant sa chair en lambeaux et l’orbite vide qui dévisageait son malheureux vis-à-vis. Et cette apparence monstrueuse n’était rien encore comparée à la puanteur que la déesse de la mort et de la maladie laissait dans son sillage, une odeur aigre et écœurante de poison et de chair putréfiée.
Dans le vacarme qui régnait au sein de l’assemblée, personne ne put jamais se rappeler qui avait jeté le premier cri. La rumeur enfla petit à petit. La guerre. La guerre était la seule solution. Deux camps se formaient peu à peu, se jetant des regards froids. Certains semblaient prêts à en venir aux mains. Mais l’arrivée avec fracas d’un nouveau groupe temporisa les choses. De nouveau des cris de protestation se firent entendre. La troupe hétéroclite qui s’invitait dans les négociations n’avait rien à faire ici. Le squelette en costume de soie qui les menait s’inclina en soulevant son chapeau avec un ricanement désincarné.
— Je sais. Nous savons. Les loas vaudou ne sont pas autorisés à participer à vos petits conciliabules car nous ne sommes pas exactement des dieux. Distinction qui, soit dit en passant, n’a pas lieu d’être puisque nous sommes bien plus puissants que certains d’entre vous.
Un éclair vola dans sa direction.
— Ne peut-on plus plaisanter ? ricana-t-il de nouveau. Bien, bien, bien. Je me prêterais volontiers à vos petits jeux, mais il se trouve que je ne suis pas ici pour ça. Peut-être pouvons-nous humblement vous proposer une solution ? Car je suis navré de vous le dire mais… Les loas ont peut être un statut moindre, mais nous sommes bien plus pragmatiques que vous. Guerroyez donc si vous en avez envie. Mais je ne vois ici que des immortels. Mis à part vous estropier, vous ne pourrez rien faire de bien productif. Je suis navré de vous l’apprendre, si vous n’y avez pas pensé vous-mêmes.
L’agacement des dieux était de plus en plus visible, la tension palpable.
La déesse Snotra, de la sagesse et du contrôle de soi, s’avança :
— Merci, Baron, mais nous le savions. C’est d’ailleurs bien pour cette raison que la guerre n’est pas une solution envisageable, et que nous devons trouver un accord, dit la déesse d’une voix forte.
Sous son haut de forme, la mâchoire décharnée du crâne sembla esquisser un sourire.
— Oh, mais ce n’est pas ce que j’ai dit. Je venais justement vous apporter une solution pour mener la guerre de façon efficace.
— Comme si vous étiez plus doués que nous tous, siffla Quetzacoatl, dieu de la connaissance, tout en hérissant les plumes qui couvraient sa tête.
— Oh, je ne prétendrai pas cela. Seulement, nous voyons les choses d’un point de vue… différent. Je ne puis que vous conseiller d’utiliser les Hommes, puisqu’ils sont le sujet de cette malencontreuse querelle. Que chaque camp élise une poignée de représentants. Chaque représentant choisit un humain et lui apprend ce qu’il souhaite. On laisse ensuite ces humains seuls sur une île. Leur nature charitable et paisible fera le reste, ricana-t-il de nouveau.
Des murmures se propagèrent dans la salle, chacun voulant donner son avis à son voisin. Mais la voix du squelette s’éleva encore.
— Le dernier vivant permet ainsi à son camp de l’emporter. Cela aurait de plus l’indéniable avantage de nous distraire un peu.
Avec un dernier clin d’œil, le Baron de la mort tourna les talons. Pour la première fois depuis de longues heures, le silence s’abattit sur l’assemblée.
Tu parviens à donner vie à une assemblée divine avec beaucoup d'intensité et d'humour subtil, ce qui rend ton récit particulièrement agréable à lire. J’apprécie ta façon de revisiter les figures mythologiques, en leur donnant une voix moderne, des motivations claires, et une véritable profondeur.
Le vocabulaire utilisé est riche sans être lourd, ce qui aide à visualiser facilement chaque scène. J'ai particulièrement aimé la description d’Hel, puissante, marquante, et très sensorielle
David