Chapitre 2

Par Rouky

Un mois plus tard

 

Il referme le livre. Lève son regard vers celui qui parle.

- Il paraît qu’ils se chient dessus dès que le roi les fait demander !

Le rire est gras, tonitruant. D’autres ricanements s’élèvent dans la taverne bondée. Au milieu de tout ce monde, un homme dans la force de l’âge est assis, une grande chope de bière à la main. Toutes les personnes présentes se sont rassemblées autour de lui, l’écoutant avec fascination.

En face de lui est attablé un jeune homme, qui le regarde avec un large sourire, son livre posé sur sa table. Un foulard délavé lui enserre le cou, malgré le temps clément.

- Pourquoi donc ? Demande-t-il avec un rire moqueur.

- Allons, mon garçon, reprend le villageois, ils ont beau être princes et princesse d’Aurea, ils n’en restent pas moins des enfants terrorisés par leur père ! J’ai entendu dire que le roi les battait souvent… Tu m’étonnes, ce porc a l’air aussi sadique que ses fils !

Nouvel éclat de rire dans la salle. Cet homme est visiblement connu des habitués. Une sorte de conteur, certainement.

- Vraiment ? Demande le jeune homme fasciné. Je suis nouveau dans la ville, je ne connais pas bien ce que l’on raconte au sujet de la famille royale… Pourriez-vous m’en dire un peu plus ?

L’homme, ravi que l’on s’intéresse à lui, se penche en avant sur la table. Le jeune ouvre ses grands yeux verts, prêt à boire les paroles du conteur, comme le reste des gens de la taverne.

- Il paraît, commence le narrateur, que l’un des princes est un bâtard. J’ignore lequel, mais je parierai sur le fils aîné, Hélion ! Après tout, lui et le roi se détestent, c’est évident ! Le roi l’a envoyé guerroyer dans le sud, et ça fait des années que le prince n’est plus revenu !

- Et pourquoi pas Lyron, le dernier ? Réplique une vieille femme. Il est le portrait craché de cette folle de reine, et n’a rien en commun avec le roi.

- Moi je dirai Dolor ! Reprend un autre homme. L’aînée de la fratrie, et qui plus est l’enfant que Chekib BriseTempête n’arrête pas d’ignorer ! S’il veut s’en débarrasser, moi je suis prêt à la prendre, cette donzelle !

Nouvel éclat de rire.

- Vous n’avez pas l’air de beaucoup les apprécier, observe le jeune homme sans se départir de son grand sourire.

- Et comment ! S’exclame le conteur. Le roi est cruel, la reine est folle, et les enfants ne valent pas mieux que des chiens de chasse ! Les six gamins sont sadiques et impitoyables. Tous, ils ne font que remuer la queue dans l’espoir de plaire à leur père, et pour cela ils rongent les os des pauvres paysans comme nous ! Ce sont des monstres, des chiens galeux dont il faut se méfier ! Un jour, je me suis retrouvé à quelques pas de l’un d’eux. C’était Nekros, le prince qui croit que les terres et les paysans constituent son terrain de chasse. Il était venu sur ma propriété.

Des “Vraiment ?”, “Qu’est-ce qu’il s’est passé ensuite ?”, “Comment tu t’en es réchappé ?” Fusent dans tous les coins de la pièce. D’un geste de la main, le conteur leur fait signe de se calmer.

- Je l’ai regardé droit dans les yeux, j’ai bombé le torse, et je lui ai dit « Tu as un problème, gamin ? Dégage de ma propriété ! ». Il a aussitôt déguerpi, la queue entre les jambes !

Nouvel éclat de rire.

- Dîtes-moi, commence le jeune homme, ces princes, les avez-vous déjà vus ?

- Ma foi, bien sûr ! Puisque je viens de te dire que je suis tombé sur l’un d’eux !

- Où l’avez-vous rencontré, ce Nekros ?

Le conteur ne saurait dire pourquoi, mais l’air lui semble soudain plus étouffant. Le jeune homme continue de l’observer avec son sourire béat. Le conteur remarque alors la dague qui pend à la ceinture de son interlocuteur, dont on discerne clairement un pommeau doré incrustée de pierres précieuses.

- Il était descendu à ma ferme pour me voler des chevaux, explique l’homme en reprenant contenance. Evidemment, je lui ai dit d’aller se faire foutre !

Encore cet éclat de rire si agaçant.

- C’est amusant, reprend le jeune homme.

- Pourquoi cela, petit ?

- Parce que je ne me souviens pas être descendu dans une quelconque ferme pour y voler des chevaux.

Tout le monde s’est figé. Le conteur écarquille les yeux. Le silence est glaçant. Le jeune homme, lui, continue de sourire de toutes ses dents en se levant de sa chaise. Habilement, il sort sa dague, révélant une lame noire, et l’enfonce sous le menton du conteur, avant de la retirer dans un bruit de succion. Le conteur est pris de soubresauts, avant de s’effondrer sur sa table.

La panique s’empare de la taverne. La plupart des clients accourent vers la sortie en se bousculant, d’autres se jettent à genoux en suppliant le pardon du prince.

Nekros BriseTempête retire le foulard délavé, révélant l’image d’un serpent noir gravé dans son cou. Il attend calmement que les gens sortent. Une fois fait, il se penche vers une vieille dame à genoux, et essuie son poignard ensanglanté sur la robe de la malheureuse.

Aux quelques clients prostrés en signe de soumission, il grommelle :

- Que cela vous serve de leçon. Les rumeurs ont un prix. Et ce prix, c’est votre vie. Le Serpent Sanglant, c’est bien ainsi que vous me surnommez, non ? Eh bien, je fais simplement honneur au titre que vous m’accordez. Qui sait, je deviendrai peut-être votre roi. Et alors... Nous commençerons vraiment à nous amuser.

Avec un dernier rire grinçant, il sort de la taverne.

A l’extérieur, sous le soleil éblouissant, son ami Astyanax l’attend sous un chêne. Lorsque le prince s’approche de lui, Astyanax lui tend sa cape verte, que le prince s’empresse de remettre sur ses épaules.

- Je n’ai jamais vu autant de monde courir de terreur, dit-il alors que le prince prend une grande goulée d’air frais. Qu’est-ce que tu a fait ?

- A ton avis ? J’ai fait taire les rumeurs. J’en ai assez de ces pouilleux qui salissent notre nom en propageant l’idée d’un bâtard...

- Et si c’était toi, le fameux bâtard ?

- Ne m’en déplaise ! S’exclame Nekros dans un grand sourire. Cela voudrait dire que je suis bien à part dans cette famille de fous. Mais, à moins que l’on ne m’apporte une preuve irréfutable, je reste un prince BriseTempête, et je ne mérite rien d’autre que respect et loyauté.

Astyanax lève les yeux au ciel, mais ne contredit pas son ami.

- La rumeur de ta présence va vite se propager, remarque-t-il. Il est temps que je te ramène au palais.

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