Chapitre 1

Devant lui, un coucher de soleil. Les couleurs se mélangeaient harmonieusement, entourant cette énorme boule de feu posée sur l’eau qui le fascinait tant. L’odeur salée lui piquait légèrement le nez par moment, sans déranger sa tranquillité. Il écoutait avec attention les chants d’oiseaux, en essayant tant bien que mal de se rappeler quelques pages du livre qu’il avait lu à ce sujet. Assis sur le sable encore chaud, les pieds humides des va et vient de l’eau froide, il était hypnotisé par les vagues et l’écume blanche immaculée. Ses pensées s’égaraient parfois, alors il inspirait une goulée d’air et soufflait doucement par les lèvres, repensant à ces moments partagés qu’il ne pourrait jamais revivre. Mais ce paysage ne méritait pas des pleurs, alors il s’efforçait d’oublier les rires, les fleurs et les cris qui l’avaient tant fait souffrir, qui avaient brisé son cœur et rendu son âme noire comme du charbon.

Il commençait à faire frais. Ses vêtements -des claquettes, un short en jean large, un maillot de corps en coton, et des bijoux extravagants- n’étaient plus assez chaud pour la température ambiante, et pourtant il était en nage. Fébrile, il s’allongea, les cheveux plongés dans le sable. Il devrait les laver le lendemain matin, un rendez vous important l’attendait le midi et il devait être présentable. Il rencontrait une Cléopâtre moderne, unique dans ce milieu d’hommes: elle s’était présentée à lui comme la PDG d’une grosse entreprise, et implicitement, ils savaient tout deux qu’elle dirigeait le réseau illégal de trafic de drogue et d’armes le plus important du pays. Cette dame voudrait sûrement passer un marché avec lui et il comptait bien refuser. Pas question de tomber encore plus bas qu’il ne l’était déjà.

Le ciel fonçait de plus en plus, il était temps de rentrer. Il se releva, épousseta le sable de son dos façonné par des heures de sport. Et il commença à courir. Le chemin vers sa maison était long, et il l’utilisait comme séance de cardio quotidienne. Sur la route, il ne croisa personne; dans cette petite ville vivaient seulement des familles et des couples à la retraite. Enfin, il y avait bien ce petit groupe de jeunes collégiens qui s’amusaient parfois le soir dans les rues, mais il ne les avait pas vus de la semaine. Il arriva dans sa rue, tourna la tête devant la maison de son ami, puis celle de cette grand-mère qui mourrait bientôt, et il ralentit et s’arrêta devant la sienne.

C’était une grande bâtisse en pierres noires, qui détonnait à côtés des constructions modernes des environs. Plusieurs personnes en avait même peur et répandaient des rumeurs à son sujet, qui racontaient qu’elle accueillait les esprits les plus sombres. Classique. Ce genre de propos ne le dérangeait absolument pas; il aimait faire peur, qu’on parle de lui en mal. Depuis que le bien l’avait détruit.

Il grimpa lentement les escaliers escarpés qui menaient à sa porte d’entrée. Il ne fermait jamais à clé ; personne ne risquait d’y entrer. Il appuya délicatement sur la poignée, et la porte s’entrouvrit en grinçant quelque peu. Il entra et la referma derrière lui, puis attrapa son téléphone, qu’il avait l’habitude de laisser sur le meuble de l’entrée lorsqu’il sortait seul, ce qui arrivait souvent. Tout le temps, en fait : il n’avait qu’un ami, qu’il ne voyait jamais.

Il entra dans la cuisine et ouvrit le frigo pour se servir un verre d’eau pétillante. Il bu goulûment tout son contenu puis le posa dans l’évier parsemé de mosaïques colorées. Il rejoignit sa chambre, se déshabilla et souleva la couverture afin se glisser dans ce lit qui lui avait coûté une fortune. Son chat sauta sur ses genoux, et il attrapa son livre, apaisé par les ronronnements du félin et continua sa lecture de la veille. Quelques minutes plus tard, il éteint sa lampe de chevet et plongea dans un sommeil sans rêves.