CHAPITRE 1

Montgey, Languedoc, 1674

 

En ce frileux jour d’avril, Édith de Franc, l’aînée du marquis de Montgey, seigneur de Cahuzac, dite simplement « mademoiselle de Montgey » était dans le bois en contrebas du village perché sur une petite colline verdoyante. Elle déambulait avec son amie Louisou qui la suivait en trottinant, les bras resserrés sur sa poitrine pour se réchauffer, le nez rougi par le froid mordant.

— Rentrons Édith, j’ai froid et l’heure tourne. Je n’aime pas les nuages qui s’annoncent dans le ciel.

— Voyons, prend courage et exemple sur le mien. Il ne pleuvra point, la mésange charbonnière n’est pas là à nous en avertir.

— Pourtant le chat de la bonne du curé a passé la patte derrière l’oreille ! Et trois fois ! Je l’ai vu avant de prendre l’allée des cyprès !

— Tatata, ne pleurniche pas, cela serait un comble ! Va, respire cet air pur ! Quand nous sommes au château, l’air est étouffant, les cheminées fument et mon père est trop préoccupé par autre chose pour s’en apercevoir. Il tousse et ose dire que c’est la poussière ! fit-elle en levant les yeux au ciel, désabusée.

— Oui, répondit Louisou en glissant ses mains dans son manchon de fourrure, votre père a la tête ailleurs… Il guette trop les valets qui partent au bureau des postes pour chercher ses lettres.

— Vrai ! Il n’y a pas le feu au lac pour les cheminées qui fument mais il surveille comme l’huile sur le feu les retours de nos gens ! répliqua Édith du tac-au-tac. C’est étrange...

Une branche craqua et la demoiselle fit volte-face, épiant le sous-bois d’un œil vif. Sa bouche se plissa en un rictus amer dès qu’elle discerna derrière un chêne, le drôle de perdreau qui avait pointé son nez et ramené son caquet. Heureusement le ruisseau qui coulait à ses pieds se dressait comme un rempart entre eux.

De l’autre côté de la rive se tenait Pierre Sornarut, le fils aîné du greffier, drapé dans son habit de bourgeois, qui la fixait avec une lueur railleuse dans le regard. Depuis que la famille d’Édith avait obtenu la jouissance de la seigneurie de la ville et racheté le titre de marquis de Montgey aux Albouy, la famille du greffier, la plus influente après celle d’Édith, leur menait la vie dure.

Jean de Franc (1), son père, avait tenté une réconciliation à l’amiable ; or, la famille Sornarut avait refusé tout net, se sentant d’autant plus outragée que le « petit seigneur de Cahuzac » comme elle l’appelait, se permît de croire que des pourparlers étaient les bienvenus ! La famille du greffier avait la haine tenace et la rancune pareillement et n’avait jamais digéré la perte de la seigneurie de Montgey, seigneurie qu’elle lorgnait depuis bien longtemps.

Faisant jouer leurs relations, les Sornarut, famille de vieux gratte-papiers aux bras longs avait porté un coup dans l’aile de la famille d’Édith par une vile bassesse...

Depuis, c’était la guerre froide.

Pierre Sornarut fit un pas vers elle, la mine chafouine sinon moqueuse. Édith ne prit pas même la peine de le saluer et attrapa d’autorité le bras de Louisou pour la tirer hors de la petite retraite boisée qu’elles campaient.

Le fils du greffier esquissa un sourire narquois, fit fi de gâter ses hauts-de-chausses et sauta le ruisseau qui les séparait.

— Lâche-la ! cria Édith en se retournant

Le mauvais diable avait essayé d’attraper le bras de Louisou !

— Nous connaissons le chemin du retour mieux que toi et puis, ta venue est étrange, tu apparais comme un voleur et ne dis rien en défense de ta présence ! lança Édith agacée.

— Mademoiselle, répliqua-t-il à brûle-pourpoint, ne voyez-vous pas les nuages qui arrivent…

— Il ne pleuvra pas ! coupa-t-elle tranchante.

— Si le ciel y consent, la colère viendra d’ailleurs ! se rebiffa-t-il aussitôt irrité.

Elle plissa les sourcils et le scruta avec intensité.

— De quoi parles-tu ? dit-elle avec méfiance. Serait-ce une menace de ta part ?

Le fils aîné du greffier de Montgey pouffa et s’exprima après lui avoir offert ce rire qui avait tout le mordant d’un camouflet !

— Ne supposes-tu pas la raison de ma présence ? reprit-il à l’intention d’Édith qui le toisait encore.

Celle-ci détourna son regard et chercha dans les branches d’un chêne une mésange nonnette, en trouva une qui eut la bonté de voler à une branche plus basse et qui lui chanta son trille avec vigueur. Quand elle eut terminé, elle s’en repartit dans le ciel tandis qu’Édith se retournait vers Pierre qui l’examinait étrangement.

Sans se démonter, elle riposta !

— Mon père nous cherche, il fait grand bruit au château !

Le garçon la jaugea en silence quelques secondes, puis esquissa un sourire et applaudit. Il ne releva rien de cette démonstration de divination, il y était fort accoutumé puisque la famille du marquis de Montgey passait pour avoir un don...

— Oui, votre père vous cherche, il a reçu un pli qui le met dans tous ses états. Depuis qu’il l’a lu, il fait ratisser le village et les environs par ses valets. Certains ont poussé jusqu’au moulin pour vous débusquer ! Quand il m’a aperçu devant la porte de mon logis, il m’a appelé et envoyé comme un laquais vous dénicher quelque part !

— Comment nous as-tu retrouvées ? s’enquit Louisou avant de se mordre aussitôt la langue.

Le fils du greffier s’agaça et haussa un sourcil, moqueur.

— Tout le monde sait que vous êtes toujours fourrées là où il y a des bêtes… Rentrez avec moi, fit-il agacé, la nuit tombe et j’ai froid. Je viens de passer deux heures à ratisser les bois à cause de vous !

Alors sans bruit et sans amitié, ils s’en revinrent au village de Montgey.

En grimpant la côte, Édith ne put s’empêcher de songer aux ruines disparues d’un ancien fanum (2) romain dédié à Jupiter, sommeillant sous le château. Elle sourit en passant le porche qui donnait sur la cour intérieure car certains murs du château dataient encore de cette époque révolue…

GLOSSAIRE : 

1) Jean de Franc (1627-1680), marquis de Montgey.

2) Petit temple.

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Trankillah
Posté le 28/07/2025
Bonjour Adelys,

Ce premier chapitre m'a transporté immédiatement dans l'ambiance de l'époque. Le vocabulaire est riche, maîtrisé. Les descriptions servent l'histoire qui avance à un bon rythme.

Déjà, trois personnages que l'on sent peut-être importants font leur entrée.
Que dit ce courrier ? j'ai bien envie de tourner la page pour l'apprendre :D
adelys1778
Posté le 28/07/2025
Salut ! :)

Merci de ton retour :) Ahaha pour savoir la suite, il faut poursuivre l'aventure ! :D
D.D.MELO
Posté le 07/07/2025
Tout d'abord, je tiens à te dire que tu as une plume remarquable/remarqué.

Je me permets de commencer par quelques coquilles et fautes repérées :
- tac au tac sans les tirets (il me semble à vérifier)
- fit fit ? Je n'ai pas saisi à moins que ce soit faire fi de quelque chose donc fit fi ou... je suis passée à côté du sens.
- bRanche et non banche
- trille est masculin donc son trille
- retrouvées et non retrouvé il me semble car s'accorde avec nous et comme nous = 2 personnages féminines alors accord féminin pluriel

Ensuite, la ponctuation : il manquerait des virgules pour souffler, pour marquer les différentes parties d'une phrase, notamment lorsque tu insères des incises, pour clarifier les rapports logiques entre tes propositions. En plus, tu as pas mal de références croisées et simplifier ou diviser pourrait rendre le tout plus limpide.
La longueur de certaines phrases, un poil trop longues, à mon avis, surtout lorsqu'elles imbriquent plusieurs compléments. Tu gagnerais à les raccourcir, les scinder, les ponctuer, afin de nous permettre de mieux les savourer. Parfois, en les lisant, j'ai eu l'impression de faire une course. Si je les avais récitées à voix haute, j'aurais manqué de souffle.

T'as énormément d'expressions idiomatiques, perso, j'adore =) Tu as su très bien les placer, bravo. C'est à mon avis, un des plus de ta plume. Ton lexique divers, riche et imagé est un atout. Moi, c'est ma came, mais d'autres lecteurs.rices pourraient trouver les tournures syntaxiques trop complexes à comprendre.

Le rythme cassé en fin de chapitre : est-ce un effet de suspens pour la suite ? Si oui, l'intention est compréhensible mais ça casse le rythme et le chapitre se clôt sur une note pas très tendue. Par contre, je me demande si c'est le basculement, l'imprévu à prendre en compte pour la suite.

Ton atmosphère historique est bien implantée : c'est d'ailleurs ce qui m'a amené à cliquer sur ton texte. Je suis friande de romans historiques depuis des années. Et quand j'ai lu Languedoc, encore plus =) J'ai grandi dans l'Aude, donc c'est une région qui me parle. J'espère que le récit se poursuivra dans cette région =)

On capte bien qu'il y a des enjeux sociaux et de territoire, des rivalités, des tensions, des jeux de pouvoir, entre la famille d'Edith et celle du greffier. Edith parait bravache, fougueuse, piquante, dynamique et un brin ironique, donc un perso haut en couleur je pense. Le garçon devient-il l'antagoniste principal ? A voir.




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adelys1778
Posté le 08/07/2025
Coucou,

Je connais bien l'Aude ! :) c'est super d'avoir une compagne de région par ici !

Je te remercie pour ton retour, j'ai corrigé les coquilles ahah, en revanche, "tac au tac" jamais de tiret ;) Je suis contente que les expressions idiomatiques te plaisent et ceux qui ne les connaissent pas les découvriront :)

Je te laisse découvrir la suite à ton rythme et selon ton envie :)
Edouard PArle
Posté le 06/07/2025
Hello Adelys !
Je viens voir ce que tu écris et je note déjà que j'apprécie beaucoup ta plume. J'ai trouvé le style très fluide, avec un vocabulaire qui plonge dans l'ambiance de l'époque que tu décris. C'est important pour un roman historique.
Ce premier chapitre nous donne le contexte de vie global de la narratrice sans lourdeurs, on est pas perdus. Maintenant, hâte de découvrir les péripéties qui vont lui tomber dessus ! Est-ce que la dissension entre les 2 familles va prendre de l'importance ? Curieux de tout ça (=
Petite remarque :
"drôle de perdreaux qui avait pointé son nez" -> perdreau ?
Un plaisir de te lire,
A bientôt !
adelys1778
Posté le 06/07/2025
Hello hello !
Heureuse de te voir ici :) ! Merci pour ton retour, il me touche beaucoup, effectivement le cadre historique est très important pour ce genre de récit et je le bichonne beaucoup :)
Effectivement, tu as raison pour "perdreau", le "x" est de trop ! Je le corrige tout de suite ! Merci beaucoup pour cette notification !

A bientôt aussi !

(Après, c'est un récit à destination ado: young adult, de fait, il sera moins poussé qu'un roman adulte, je le redis si jamais cette mention avait échappé :) )
RosePernot
Posté le 06/07/2025
Beau début d’histoire, le langage employé correspond bien à un roman historique et à l’époque à laquelle tu as decidé de t’attaquer ;-) Ce n’est ni trop lourd ni trop familier. Ma seule petite remarque c’est que l’on n’a pas encore beaucoup d’informations sur la jeune fille dont on va suivre la parcours à part sa famille. En tout cas j’ai hâte de lire la suite et de découvrir le caractère de la personnage principale. Belle continuation !
adelys1778
Posté le 06/07/2025
Merci de ton retour et ravie de te voir embarquée dans l'histoire :)
L'absence d'informations sur elle est entièrement volontaire, au lieu de vous faire un pâté descriptif, autant vous laisser le plaisir de la découvrir au fil des chapitres :) patience, patience :)
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