CHAPITRE 2

Au château, le soir

 

— Ma chère petite ! s’exclama le marquis de Montgey en voyant sa fille au pied de l’imposant escalier de pierre du vestibule. Vous voici, enfin ! Où Ciel étiez-vous donc ? Je vous croyais à vos travaux d’aiguille toute sage et mignonne dans le salon et voilà que quand j’ai besoin de vous y trouver, il n’y a personne ! Oh c’est affreux que votre longue attente ma petite, affreux, j’ai failli passer l’âme au Seigneur !

— Pardonnez-moi père, répondit Édith en muselant un sourire, j’ai eu les jambes qui me démangeaient et j’ai pris la poudre d’escampette avec Louisou. Pierre Sornarut nous a trouvé et ramené.

Louisou était rentrée chez elle une fois, revenue au village.

Édith et son père passèrent dans le grand salon, où étaient installés sa mère, Isabeau (1), et ses frères puînés : Vitalis, Charles, Étienne et Alexandre*.

— Ah ! Bien, bien, repartit-il accompagné d’un geste de main, pour une fois que la famille du greffier fait une bonne action…

— Père, répliqua Édith en le regardant mi-amusée mi-sérieuse, cette querelle est déjà trop présente à Montgey et je crois que vous avez quelque chose à m’annoncer.

Le marquis de Montgey sursauta, soudain tout hâtif, il tapa de ses mains les poches de son vieux pourpoint dans un style démodé mais fort coquet. À force de palper tous les endroits possibles qui constituaient des cachettes dans le vestiaire masculin, il dégota la lettre dans sa manche, glissée contre la doublure et sa chemise de corps et cela lui fit sauter le cœur de joie !

Il la dégaina d’un mouvement brusque et la déplia presque tremblant, tant il était secoué par sa précédente lecture.

— Ma chère petite, tenez, asseyez-vous sur un coussiège (2) et écoutez, oh oui écoutez chanter les anges !

En prenant place, Édith jeta un regard à sa mère qui ne pipait mot et conservait un petit sourire sur les lèvres.

Son attention fut reprise par son père qui se racla la gorge et commença sa lecture avec un entrain qui donnait à sa voix un aspect plus aigu, faute à l’émotion, sinon à la précipitation qu’il avait à instruire sa fille du fabuleux dessein qu’il y avait de retranscrit !

« À monsieur le marquis de Montgey, seigneur de Cahuzac,

— Voyez ma fille, dès le début, c’est enchanteur, l’expéditeur a bien précisé « MARQUIS de Montgey » et cela est gage de bonne fortune et de respectabilité… pas comme ces vautours du bourg dont le logement chatouille les murs du nôtre !

— Père, se permit d’intervenir Vitalis en lui tapotant la main, calmez vos ressentiments, la famille Sornarut est tranquille depuis quelques temps, présentement, elle ne vous fait rien et n’entend rien.

— Peuh ! répliqua le marquis de Montgey. Avec le don de commère du jeunot, dès ce soir, ils seront au courant pardi ! Avoir de l’intimité quand nous avons des fouineurs comme eux dans le plus proche voisinage, c’est impossible !

— N’oubliez pas que ma sœur est pareille à lui pour ce qui est de fouiner…

— Oh non, votre sœur Vitalis, elle ne fouine pas, « elle reçoit des nouvelles », c’est tout en brave fille qu’elle est !

L’intéressée réajusta sa robe et masqua un petit rire en tournant la tête côté fenêtre.

Inspirée, elle se permit d’ajouter avec ironie que son don avait néanmoins permis de damer le pion au greffier qui briguait un poste à Toulouse chez les Capitouls. En réponse, son père sourit béatement, prit un air rêveur et ajouta : « Ah ce coup-là, cette charogne ne l’avait pas vu venir ! »

— Ni celui que vous avez essuyé quand vous avez perdu un droit de messagerie (3) pour la route de Montgey à Toulouse, fit remarquer son épouse.

Le marquis de Montgey ravala sa joie et fit la grimace tant le rappel était douloureux !

— C’est vrai que celle-ci a été amère à avaler… Ah ces histoires de voisinage… Enfin, nous nous sommes égarés ! Plus de dérangement cette fois-ci, plus de dispersion, je ne le tolérerai pas et que diable, cela serait une offense trop grande pour l’ange qui nous écrit ! Je reprends donc, tiens, où en étions-nous ? Ah voilà, ici !

— Au début, chuchota ironiquement Édith à l’attention de Vitalis qui pouffa en venant s’asseoir sur un coussiège en face de celui de sa sœur.

Comme leur père n’avait pas remarqué leur manège, déjà tout absorbé par les bienfaits de sa lecture, il reprit en s’éclaircissant la voix.

« À monsieur le marquis de Montgey, seigneur de Cahuzac,

Monsieur le marquis de Montgey,

J’ai longtemps gardé en souvenir notre rencontre lors de la halte à Toulouse pour le mariage de Ses Majestés et la manière plaisante avec laquelle nos caractères se sont accordés dans l’amitié et le respect. Monsieur, vous savez ma solitude à la Cour et ma position, si mon rang me fait compter au nombre des invités dans beaucoup de déplacements et divertissements donnés par le roi, cela n’enlève guère l’épine du vide.

Aussi, je souhaite que vous m’accordiez votre fille que je prendrai sous mon aile comme demoiselle de compagnie, que je chaperonnerai avec sérieux et rigueur afin qu’elle ne se perde point dans les vertiges de la Cour.

J’ai le sentiment navré, la joie s’écarte de mon humeur et la détient sous son joug d’afflictions et d’inquiétude au sujet d’une personne qui en tient trop une autre sous sa coupe… Je crains les excès d’emprise aux desseins malheureuxTout cela a plongé mon bonheur en défaite… Dès lors, si vous êtes une âme sensible à ce que je souffre avec dignité, envoyez-moi votre fille comme un secours amical à Dijon.

La Cour a prévu d’y prendre camp pour rester dans le sillon de Sa Majesté dans sa lutte contre les bastions espagnols.

 

Anne-Marie Louise,

Duchesse de Montpensier »

 

La lecture à peine achevée, le marquis de Montgey reprit sa respiration et parla d’une voix pressée mais nette :

— J’ai déjà posté la réponse. Édith, vous partez dans une semaine rejoindre la duchesse de Montpensier !

La sentence tomba comme la pluie drue en hiver et Édith ouvrit la bouche, sidérée. Quitter sa chère province natale ! Était-ce une mauvaise plaisanterie !

GLOSSAIRE: 

1) Isabeau de Rate (1639-1707)

2) Banc ménagé dans l’embrasure d’une fenêtre.

3) Sous l’Ancien Régime, la Messagerie était un service de transport en commun qui avait pour fonction de transporter des voyageurs et des petits paquets d’une ville à une autre. Certaines routes appartenaient à des particuliers ou à des institutions qui possédaient un droit de Messagerie, un droit de proposer ce service aux voyageurs.

* Vitalis, Charles, Etienne et Alexandre sont les véritables enfants du couple (il y en aura d'autres aha), seule Edith est fictive. 

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Edouard PArle
Posté le 15/08/2025
Coucou Adelys !
Ce chapitre continue de l'ambiance historique instaurée précédemment, tu gères bien le vocabulaire avec quelques mots inconnus mais qui ne gênent pas la compréhension.
Le personnage du père est très amusant avec ces grandes manières, les interactions avec sa fille sont plutôt marrantes et donnent un ton léger au chapitre. En même temps on se doute que la lettre va avoir un gros impact dont une petite tension s'installe...
Et ça se confirme avec ce changement de vie radical pour notre héroïne. J'ai un instant craint une demande en mariage, mais finalement ce sera demoiselle de compagnie. Ca promet quand même un beau chamboulement avec la découverte de la cour. Ca donne envie d'être suivi.
Mes remarques :
"nous a trouvé et ramené." -> trouvées et ramenées
"oh oui écoutez chanter les anges !" Virgule après oui ?
"votre sœur Vitalis, elle ne fouine pas, « elle reçoit des nouvelles », c’est tout en brave fille qu’elle est !" xD
"Était-ce une mauvaise plaisanterie !" Point d'interrogation plutôt ?
Un plaisir de te lire,
A bientôt !
adelys1778
Posté le 16/08/2025
Coucou !

Rabi de te revoir ici :) et bonne lecture !
RosePernot
Posté le 06/07/2025
L’intrigue est à présent posée, on sait ce qui attend la jeune fille dans les prochaines semaines. Toujours agréable à lire, j’aime bien le côté humoristique / sarcastique des sœurs. Hâte de lire la suite, sinon rien à redire ! Belle continuation !
adelys1778
Posté le 06/07/2025
Merci beaucoup <3
Théris
Posté le 04/07/2025
Honnêtement, j'adore !! L'époque du 17-18ème siècle m'a toujours intéressée alors je suis plus qu'heureuse de lire ce premier chapitre. La maîtrise du vocabulaire de cette époque est très agréable à lire -à conditions d'avoir quelques rudiments- et le glossaire avec de réelles personnes donne une dimension très réaliste à ton histoire. J'embarque pour les prochains chapitres avec plaisir !
adelys1778
Posté le 06/07/2025
Bonjour Théris, je suis ravie de lire ton message et je suis heureuse que tu embarques avec plaisir dans cette aventure :) L’époque moderne est une véritable passion pour moi et c'est avec un véritable dévouement et amour que j'aime à le reconstituer -dans la limite des besoins de l'intrigue, ahaha, ça reste un récit et non un livre d'Histoire-
Quant aux personnages réels, il y en aura plein ahaha, quant à la famille d'Edith, je ne l'ai pas choisi pour rien car tout ce qui est dit à son propos -hors tout ce qui touche le don de communiquer avec les animaux- est vrai !

A bientôt et au plaisir de te revoir en 1674 !
Vous lisez