Kohana, après sa courte trêve nocturne, s'attela à sa tâche. Elle focalisa son attention sur la pile de papier lui faisant face, ignorant les protestations douloureuses de ses doigts. La nuit passée avait été bien rude. Comme chaque fois, la bataille avait fait rage dans les rêves des enfants. Les petites grues, pilées avec tant de soin par leur créatrice, luttaient inlassablement contre les hordes venues hanter les rêveries de leur hôte. De ses cohortes de papier, comme elle aimait à les appeler, il n'en était revenu qu'une petite partie. Au-delà de la peine que lui causait la perte perpétuelle de sa progéniture, les maux qui en découlaient lui provoquaient des souffrances de plus en plus grandes. Elle prit pourtant une feuille carrée, faisant fi de son mal-être, et commença son labeur. Un pli. Deux plis. Trois plis... Ainsi en allait-il de sa vie, pliant et repliant les papiers, animant de ses mains ses compagnons qui voletaient de-ci, de-là, autour d'elle.
Une fois endormis, les enfants rêvaient. La milice de Kohana veillait sur les oniriques instants en tenant éloignés les Termites-mangeurs-de-rêve. Ces dernières s'aventuraient dans l'antre des esprits, transformant les bienheureuses situations en cauchemars sans nom. Il en était ainsi depuis la nuit des temps, hier comme aujourd'hui, aujourd'hui comme demain. Les petites grues en papier allaient, au quotidien, combattre les intrusions funestes, le plus souvent au péril de leur vie. Les survivantes regagnaient le giron maternel en lui effleurant le visage. Toutes celles qui ne revenaient pas lui creusaient un peu plus l'âme, permettant au poison des Termites de s'infiltrer dans ses veines. Elle devait donc recommencer, refaire encore et toujours ses origamis pour protéger les songes des enfants.
Malgré la besogne, Kohana ne perdait pas espoir. Une unique pensée pour son but lui permettait de tenir et de continuer. La légende des mille grues, guirlande composée de mille êtres de papier attachés entre eux par un fil d'espérance, lui offrirait le bonheur du Voeux. Un voeux unique qu'elle tenait là, caché au fin fond de son coeur : celui de bannir définitivement les cauchemars du sommeil des enfants. Il lui fallait réussir avant de s'éteindre. Petit à petit, le poison des Termites lui contaminait le sang, rendant son travail ardu, figeant ses doigts et empêchant peu à peu la virtuosité qui était sienne de se répandre. Sa fin était proche, elle le sentait, et il appartiendrait à son successeur de faire renaître du néant les pliages afin de contrer les Termites, toujours plus nombreux.
Le soleil se couchait sur la ville. Les ailes des grues battaient mollement l'atmosphère, puis elles s'agitèrent, leur garde débutait. Kohana se leva, son regard enveloppa ses précieuses créations d'une affection sans borne. Rassurée et encouragée, la nuée s'élança dans le ciel d'hiver, virevoltant à la rencontre des rêves. Leur mère, après un maigre repas, s'installa dans un confortable fauteuil. Elle attendait désormais que l'aurore lui rende ses filles, le plus possible tout du moins.
Un pépiement excité la tira de son assoupissement.
— Kohana ! Kohana !
— Oui, mes douces ? dit celle-ci d'une voix léthargique.
— Nous l'avons vu !
— Qui donc ?
— Le Samouraï Automate !
Kohana se sortit de sa torpeur. Le Samouraï Automate ? Elle laissa les origamis se frotter de façon câline contre sa joue, le temps de rassembler les bribes d'idées éparses qui flottaient dans son esprit. L'aube brillante délivrait ses premiers éclats, illuminant la pièce sombre. Les pertes n'étaient pas trop lourdes ce matin. Le chagrin l'envahit, puis, une fois prête, elle demanda :
— Racontez-moi, maintenant.
Les petites grues de papiers frémirent. Telle la lumière du jour qui s'était dès lors parfaitement invitée, un brouhaha tonitruant et confus emplit l'espace.
— Assez ! imposa Kohana. Pas toutes à la fois ! Et uniquement celles qui l'ont vu... ajouta-t-elle en adoucissant son timbre.
Une petite voix fine s'éleva dans le silence soudain.
— Je suis la première à l'avoir entr'aperçu. C'était au cours d'un songe en train de s'hybrider. Un Termite faisait son oeuvre.
Un tremblement parcourut la grue et toutes frissonnèrent en coeur.
— Continue, doucette.
— Il est arrivé avec son katana dressé devant lui. Je ne sais pas s'il m'a vue, en tous cas, il n'a montré aucun signe. Il a fait le tour du rêve, plus rapide que n'importe laquelle d'entre nous. Il a repéré le Termite et lui a... tranché la gorge. Je crois que d'autres l'ont croisé, n'est-ce pas mes soeurs ?
Les soeurs en question acquiescèrent, unanimes. Un souffle d'air créé par cette réponse se faufila dans les cheveux de Kohana.
— Il s'est encore montré, déclara-t-elle pensive. Il me faut le trouver. Ensemble, nous serions plus forts !
Un espoir plus grand encore que ce qu'elle avait connu jusque-là inonda son coeur. Sa foi dans le futur éveillée, elle persista dans le pliage de ses morceaux de papier, s'appliquant du mieux possible. L'essaim de grues s'agrandissait au fil des heures. Mais jamais leur nombre n'avait atteint les mille que requérait la légende. À la fin de la journée, elle transmit ses sentiments les plus sincères à ses protégées et s'habilla chaudement pour affronter le froid extérieur. Il n'était pas question qu'elle attende sans rien faire le retour de ses filles. Elle sortit de son appartement, empruntant les rues sombres et glaciales de la ville. Occupée par sa tâche, elle en avait oublié le bruit ambiant, entre klaxons et pots d'échappement, qui rythmait la vie de ses semblables. Elle s'autorisa un soupir de soulagement lorsqu'elle parvint à destination. Elle ne s'était pas rendu compte : toutes les devantures ou presque, devant lesquelles elle était passée, avaient changé. Au moins, son petit repaire n'avait pas bougé. La poignée de porte résista un peu à ses mains rigides et les néons agressèrent ses yeux. Tout était calme. Une ou deux personnes occupaient déjà des ordinateurs. Après un vague bonsoir murmuré, elle prit place devant l'un d'entre eux. En guise d'introduction, elle fit quelques exercices d'assouplissement pour ses doigts fatigués. Restait à présent à trouver le Samouraï Automate.
C'était ses filles qui l'avaient nommé ainsi. Leur pensée limitée ne leur autorisait pas l'utilisation d'un vocabulaire sophistiqué. Kohana avait reconstitué son profil d'après les fragments qui lui étaient rapportés. Plus grand qu'elle, dans un habit traditionnel, il agissait en solitaire, sabrant plus vite que son ombre. Il n'avait pas de consistance à proprement parler, elle en avait déduit, au fur et à mesure des propos parfois incohérents, que c'était un programme, un logiciel ou une autre virtualité du genre. Elle n'avait pas encore cerné quelles étaient ses motivations. C'est la raison pour laquelle elle devait établir un contact.
Kohana fit le vide en elle et laissa ses mains opérer sur le clavier. Elle avait conscience de la difficulté de sa quête, mais elle n'allait pas se laisser démonter. Ses connaissances en mathématiques et en informatique avaient fait d'elle une employée appréciée et performante. Depuis, qu'elle avait été choisie elle ne consacrait ses journées qu'à faire des origamis pour qu'ils combattent les cauchemars. Son ancien savoir n'était pas parti et attendait son heure au bout de ses ongles. Elle jeta un coup d'oeil aux alentours. Personne ne s'occupait de ses manipulations. Elle chercha, encore et inlassablement des traces du Samouraï. Vers deux heures du matin, le responsable de la salle lui demanda aimablement de quitter les lieux. Elle regagna son appartement et profita du peu d'heures de repos qu'il lui restait.
Plusieurs jours passèrent... Ils se transformèrent aussi vite en semaines. Les Termites polluaient invariablement les rêves. La nouvelle cadence que Kohana s'imposait l'épuisait à petit feu. Elle vivait son deuil quotidien, augmentait le mal qui la gagnait, pliait puis transposait son âme dans ses cohortes, vidait son énergie restante dans ses recherches et pour finir, tentait de se régénérer un peu afin de surmonter le lendemain.
Toutefois, un jour, elle eut l'intuition de trouver sa proie. Elle suivit de près les signaux et fut récompensée de ses efforts.
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Cette histoire est pleine de charme ; l’idée des origamis qui prennent vie et interviennent dans les rêves est poétique et originale (en tout cas de mon point de vue ; je lis peu dans ce registre).
Concernant le thème, je ne suis pas sûre que tu sois vraiment dedans. Le merveilleux est bien présent, mais je ne vois pas tellement l’aspect scientifique.
Ce récit est agréable à lire et l’écriture est fluide.
Coquilles et remarques :
La nuit passée avait était bien rude [avait été]
venues hanter les rêveries de leur hôte [« rêveries » n’est pas un synonyme de « rêves » ; les rêveries supposent l’état d’éveil]
faisant fit de son mal être [faisant fi / mal-être]
Ainsi en allait de sa vie [en allait-il]
en tenant éloignées les Termites-mangeuses-de-rêve [éloignés/mangeurs ; termite est masculin / ici, on parle d’une espèce de termites : la majuscule est donc fautive ; les traits d’union sont inutiles, voire dérangeants]
Les survivantes regagnaient le giron maternelle [maternel]
lui offrirait le bonheur du Voeux. Un voeux unique qu'elle tenait là, [vœu ; là non plus, je ne mettrais pas de majuscule]
et il adviendrait à son successeur de faire renaître [« advenir » ne me paraît pas adéquat ici ; je propose « il incomberait » ou « il appartiendrait »]
afin de contrer les Termites, toujours plus nombreuses [nombreux]
Les ailes des grues battaient mollement l'atmosphère, puis, elles s'agitèrent [J’enlèverais la virgule après « puis ».]
Il était temps de débuter leur garde [le verbe débuter est intransitif ; voir ici : http://academie-francaise.fr/debuter-demarrer]
Oui, mes douces ? dit celle-ci d'une voix léthargique [Il manque le point]
Le Samouraï Automate ! [Là non plus, il ne faudrait pas mettre de majuscules]
le temps de rassembler les brides d'idées éparses [les bribes]
Le chagrin l'envahit, puis, une fois prête elle demanda [J’ajouterais une virgule après « prête ».]
P { margin-bottom: 0.21cm; } [J’ai comme l’impression que quelque chose a foiré...]
Et uniquement celles qui l'on vu [l’ont vu]
Je suis la première à l'avoir entr'aperçue [entr'aperçu ; si j’ai bien compris, il s’agit du samouraï.]
Une Termite faisait son œuvre [Un termite]
Il a repéré la Termite et lui a... tranché la gorge [le termite]
Je ne sais pas s'il m'a vu [vue ; la grue qui parle vient d’être appelée « doucette »]
plus rapide que n'importe laquelle d'entres nous [d’entre nous]
Je crois que d'autres l'on croisé [l’ont croisé]
que ce qu'elle avait connu jusque là [jusque-là]
L'essaim de grue s'agrandissait [de grues]
elle en avait oublié le bruit ambiant, entre klaxons et pot d'échappement qui rythmait la vie de ses semblables [pots d'échappement / je mettrais « entre klaxons et pots d'échappement » entre deux virgules.]
Elle ne s'était pas rendue compte [rendu compte ; dans cette locution, le participe passé « rendu » est invariable]
devant lesquelles elle était passées [passée]
Une ou deux personnes occupaient déjà des ordinateurs, après un vague bonsoir murmuré, elle prit place devant l'un d'entre eux [Je mettrais un point-virgule (voire un point) après « ordinateurs ».]
Leur pensée limitée ne leur autorisaient pas l'utilisation [autorisait]
elle en avait déduit, au fur et à mesure des propos parfois incohérents, que ce fut un programme [que c’était ; le passé simple n’a pas de raison d’être]
un logiciel ou une autre vritualité [virtualité]
Depuis, qu'elle avait était choisie [avait été ; la virgule est de trop]
et profita du peu d'heure de repos [d’heures]
et fut récompensée par ses efforts [des ses efforts, peut-être ?]
Dans des mots comme vœu, cœur , œuvre, sœur et œil, il vaut mieux écrire « œ » que « oe ». On peut les ajouter dans les options de correction automatique des traitements de texte (mais attention : ça ne fonctionne pas quand le mot est précédé d’une apostrophe).
Oh, je te remercie vivement d'être venue chasser toutes ces fautes... je savais que j'en avais laissé mais pas à ce point ! merci de fond du coeur :) Je vais les corriger au plus vite.
pour les oe, dans mon fichier ils sont bien collés, peut-être le transfère vers ici les a supprimé ?
Concernant le thème, si je puis me premettre d'argumenter un peu le pourquoi du comment, l'origami est une discipline donnant lieu à de nombreux parallèle et exercices mathématiques. J'ai choisi les termites pour l'aspect biologique (que je n'ai que très peu développé) et pour finir, l'aspect informatique est présent sur la fin. Mais cela est tout à fait tiré par les cheveux ! :) Je prends donc en considération que le thème n'est pas respecté et je vais voir comment retravailler tout ça. :)
En tous cas un grand merci pour ce passage.