«Et ma Sœur, verrais-tu un danger qu'il faudrait non seulement t'en garder, mais aussi en aviser tes Sœurs d'arme, car vous n'êtes qu'Unes, unies dans votre services à Déesse, et les protéger c'est te protéger toi même.»
Recueil édifiant des serments de Lévine De Saint-Renel, Abbesse et Grande Maîtresse des Sanctuaristes.
Cette phrase, issu d'un ouvrage que nous lisons toutes au temps de notre noviciat, n'avait à l'époque guère marqué mon esprit et en était vite sortie. Mais bien des saisons ont passé et alors que, pour tromper ma tristesse, je lisais et relisais, en ma cellule monacale, chaque ouvrage à ma disposition, mes yeux s'arrêtèrent sur cette adjuration et elle brilla alors d'un éclat renouvelé. Il n'est aucun doute que je ne suis à ce jour plus la même que j'étais il y a seulement une année de cela, et tout ce que j'ai vécu depuis lors éclaire le monde d'une lumière nouvelle. Il n'est donc point surprenant qu'un passage qui ne m'avait semblé, alors que je n'étais guère plus qu'une enfant, qu'un poncif de bon aloi, s'illumine à présent d'une insoupçonnée compréhension.
Je fus la témoin de bien des choses, terribles et malfaisantes, et je dois confesser que j'en fus aussi souvent la protagoniste. J'ai été prise bien malgré moi dans des cabales au plus haut degré de l’État, et je fus plongée dans les intrigues qui menèrent à l'assassinat de la très regrettée Thaïsse, Reine de Pont-Aulce. Je n'ai point encore toutes les réponses à mes questionnements et il existe encore bien des nœuds que je ne parviens à démêler, résistant encore et toujours aux assauts de ma logique, mais il me semble bien que je vis de près un de ces dangers contre lequel nous met en garde la Grande-Maîtresse Lévine. Je ne fais donc qu'obéir pieusement à ses exhortations en couchant sur le papier ces mots. Ils seront, je l'espère, lus par mes sœurs et frères de l'ordre qui y verront, je le crois, une grande mise en garde contre la traîtrise et la déloyauté, et pourront, avec l'aide des Divins, se garder de leurs effets néfastes.
Je ne suis guère scribe, poétesse ni moins encore chroniqueuse, et je sais que mes vieilles préceptrices qui eurent tant de mal à m'enseigner l'écriture, moi qui n'aimais rien plus que l'escrime, le tir et l'équitation, trouveraient bien divertissant de me voir en cet instant penchée sur mon lutrin, la main serrée sur ma plume, luttant contre ces mots qui me résistent tant. Mais, lectrice, lecteur, si tu pardonnes mon écriture inélégante, mon langage bien peu gracieux et les ratures et les taches d'encres qui émaillent ce manuscrit, tu découvriras en ces pages bien des mises en gardes et peut-être qu'elles te garderons d'un mortel péril.
Ce que je vais écrire ici devait rester secret, mais il me semble néanmoins que la vérité importe plus qu'un serment prêté à une personne à ce jour morte. Peut-être cependant que ces lignes causeront ma mort. Je ne la craint pas, car je suis une obéissante servante des Divins, mais je crains le mensonge. Ces pages ne sont que ma tentative de rétablir une vérité. Ne la juge, je te prie, lectrice, lecteur, comme autre chose.
*
Mon nom est sœur Madel, Sanctuariste de la commanderie d'Oultrebaie. Je suis née voilà vingt-deux années de cela, dans la maitresse-chambre du château d'Ivandry, demeure de ma lignée depuis plus de générations que je ne saurais compter. Devenue sœur Sanctuariste, cependant, j'ai renoncé à mon héritage et à mon titre pour trouver en mes sœurs et frères de l'Ordre une famille nouvelle.
Je fut reçue Sanctuariste après avoir effectué mon noviciat et ma militaria à la Commanderie de Sainte-Espérance-du-Lac. Puis, quand je fus en âge, je prononçai mes vœux définitifs à celle de Saint-Marien. Enfin, depuis près de trois années maintenant, je suis résidente en la Commanderie d'Oultrebaie, sur les rives de ce fier fleuve que l'on nomme Roux-Aillé. De cet endroit, j'ai appris à aimer la cadence régulière de ses jours et de ses nuits, des huit temps de l'office perpétuel que nous célébrons quotidiennement en son antique chapelle, de ses moments d'exercices à l'escrime, à l'équitation ou au tir qui me laissent brisée mais heureuse, du travail manuel que je goûte certes moins mais qui est essentiel dans la vie de toute moniale, de ses calmes repas, enfin, où seule la voix de notre lectrice désignée vient briser le silence du réfectoire.
Cependant, tout cela changea à la fin de l'hiver dernier. J'étais rentrée trois mois plus tôt d'une campagne tardive contre une troupe de pillards livristes qui semaient la terreur dans le Vétusson. Et si le gros de cette troupe s'était enfui de la région, nous avions déniché et occis une douzaine de ces païens restés sur place, dans une ferme fortifiée, avec quelque butin et de fortes réserves de poudre. Ils gardaient la place durant les mois de gel, et ne s’attendaient guère à ce qu'une légion comme la nôtre les en délogent si tard dans la saison. Lors de l'assaut, Sœur Rousse, qui nous dirigeait alors, m'avait donné le commandement d'une petite troupe qui devait les prendre à revers et pénétrer dans la cour de la ferme par une poterne dérobée. C'était une tâche périlleuse car nous étions à découvert durant notre progression et au moindre signal donné, nous nous serions retrouvées prises sous le feu d'une arquebusade mortelle mais, grâce en soit rendue à Déesse, nous ne fûmes pas vues. Nous surprîmes les livristes par l'arrière et à ma grande joie, aucune sanctuariste ni sergente ne trouva la mort en ce jour. Nous fîmes quant à nous six tués, deux blessés et une demi-dizaine de captifs, qui furent livrés trois jours plus tard à la justice de la Cité Royale de Vétusse. De nombreux habitants et habitantes de la ville avaient eu à souffrir des exactions commises par ces impies, et nous fûmes donc fêtées avec force reconnaissance. Le Premier Conseiller de la Cité nous rendit un vibrant hommage et l'Archiprètresse du somptueux temple-cathédrale des Trois Saintes-de-Vétusse fit dire une long-messe en notre honneur pendant tout le jour suivant.
De retour en notre commanderie, je fus félicitée par la commanderesse, mère Odelaine, pour le mouvement de la poterne, ainsi que pour avoir, durant la bataille, abattu d'un coup de pistolet une des bandits qui menaçait gravement la brave sergente Léanon. Ne pense point, lectrice, lecteur, que je rapporte ici cet épisode par vanité, mais bien parce que je crois que c'est pour cela que je fus choisie, quelques mois plus tard, pour une tâche bien ardue.
Mère Odelaine m'avait faite appeler, ainsi que sœur Damiette, peu de temps après le dîner. La midi n'était passée que de deux décans, et le froid soleil printanier ne parvenait guère à réchauffer les pierres du cloître dans lequel nous déambulions en silence. Notre mère commanderesse, l'air soucieuse, le front barré de rides, marchait sans dire mot, ne répondant guère aux saluts des sœurs et des sergentes que nous croisions. Elle tenait sous le bras un porte-document en bois d'où dépassaient de nombreux feuillets. Je ne pouvais m'empêcher de m'inquiéter de ce mutisme et je me voyais déjà châtiée pour quelque faute que j'aurai sans le vouloir commise, et, malgré le quiétude du lieu où les seuls bruits qui troublaient le silence étaient les doux chuchotements de quelques unes des notres qui discutaient à voix basse, l'angoisse me gagnait progressivement. Sœur Damiette, quant à elle, avait la mine sereine de celles qui accordent une confiance tranquille tout à la fois en les volontés de sa hiérarchie et dans les desseins divins, qui, nous enseigne t-on, vont toujours de paire. Je la connaissais bien et l'appréciais car, bien qu'elle fut par moment quelque peu sévère de mine et de geste, Damiette avait un grand cœur et avait été de celles qui, à mon arrivée en la commanderie trois hivers auparavant, m'avaient aidée par leurs conseils et leur amitié à faire de ces lieux une nouvelle demeure. Elle était encore vigoureuse malgré ses cheveux gris, et si sa vue déclinante l'empêchait de tirer au pistolet ou à l'arquebuse aussi bien qu'en sa jeunesse, elle restait une habille cavalière et possédait une autorité calme qui ne s'exprimait jamais mieux qu'en certaines situations périlleuse.
Sans que rien n'en indique la raison, Mère Odelaine prit soudainement la parole.
- Mes filles, connaissez-vous, de nom ou de réputation, le baron de Savançon, qui a ses terres à moins de deux jours d'ici ?
Damiette acquiesça d'un léger signe de la tête. Quant à moi, bien peu au fait du nom des nobles locaux, je répondis simplement :
- Non, ma mère.
- Il s'agit, expliqua-t-elle à mon intention, d'un jeune gentilhomme provincial comme il en existe tant, ni point trop riche ni trop pauvre, et ne jouit que d'un prestige local car je suis certaine que jamais son nom n'a été prononcé en la cour d'Ôrmenau. Seulement, celui-ci a deux particularités qui le rendent sinon admirable tout du moins singulier. D'une part, il est, par son lignage, le dernier Noble Conseiller de la ville de Girant, car tous les autres ont depuis bien longtemps revendus leur charge aux notables et bourgeois de la cité. Et il est d'autre part ouvertement livriste.
Elle avait prononcé ces derniers mots rapidement, et en baissant la voix, tandis qu'était furtivement apparu sur son visage une grimace de dégoût. Je dû quant à moi réprimer un hoquet de stupeur.
- Là où d'autres de sa foi se terrent de peur d'encourir le déplaisir royal, lui la professe à tout vent. Et, de fait, il a rallié autour de lui une petite bande de jeunes gens oisifs, quelques gentilshommes ou damoiselles hérétiques, mais surtout de riches enfants de bourgeois et de notables, qui forment ensemble le parti livriste de Girant. Réunis, ils font la vie dure à cette pauvre cité et à son Conseil qui a bien du mal à les tenir en paix. Savançon et ses affidés s'en tenaient à provoquer chahut et grand tapage en haranguant les foules dans de furieux sermons publics, ce qui est déjà une bien grande insulte à la face des Divins et de Leur Temple sacré, mais jusque là, ils ne causaient guère plus de troubles et la ville laissait faire, ne souhaitant être la cause de quelque provocation qui pût dégénérer en un bain de sang. Mais à présent, tout est changé. J'ai reçu une missive, dit-elle en fouillant son porte document et en en tirant trois feuillets couverts d'une fine écriture absconse, qui m'informe d'un grave incident.
Mère Odelaine nous rapporta que la lettre, envoyée par le conseil de Girant, exposait comment le jeune nobliau avait, avec ses sbires, conspiré pour prendre le contrôle de la ville. Il s'était nuitamment introduit, à la tête d'une petite troupe d'hommes et de femmes en arme, dans la Maison de Ville où logeait la première conseillère, une pieuse fideste. Il avait dans l'idée de la déposer de force afin de prendre sa place, et que, devant le fait accompli, de nombreux conseillers et conseillèrent se rallieraient à sa cause et renieraient leur foi pour se convertir à ses impies croyances. Ainsi, il s'imaginait dans ses plus folles rêveries sans doute, faire gagner à leur parti une ville importante et, de là, convertir la région, de gré mais plus probablement de force, en renverser les temples, en bannir le culte des Saintes et des Saints, en chasser le clergé et en abattre les monastères et notre commanderie.
Mais leur cabale ne s'était point déroulée sans accroc, et, sans que le conseil n'en sache très bien les raisons, la première conseillère avait été tuée dans l'opération. Effrayés par les possibles conséquences de cet acte, les gentilshommes farauds et demoiselles vaniteuses qui accompagnaient le baron s'étaient enfuis comme une volée de moineaux, laissant Savançon seul, seulement épaulé de quelques mercenaires vénaux et valets fidèles. L'un de ces jeunes aristocrates défecteurs, moins sot mais plus lâche que les autres, espérant gagner l'indulgence de la justice, s'était empressé d'aller prévenir un des conseillers de Girant des manœuvres de Savançon. Celui-ci avait immédiatement ordonné à la compagnie de gens-d'armes municipale d'encercler la Maison de Ville pour en interdire toute fuite, puis d'y pénétrer. Il y eu combat et rapidement, les conjurés furent tous pris ou tués.
- Pleutre comme il est, fulminait mère Odelaine en nous rapportant ces événements, le Baron ne fut pas même blessé. Il s'était caché dès les premiers coups de feu et s'était rendu dès que l'occasion lui en avait été donnée.
Les girantois et girantoises, nous expliqua aussi notre mère commanderesse, effrayés par le tumulte de la nuit, s'étaient au petit matin massés, demandant qu'on les mis au courant des événements. Le conseil de Girant, anxieux des désordres que ces nouvelles eurent pu créer, n'en fit rien. Enfermés en la Maison de Ville comme en une forteresse, les conseillers et conseillères débattaient, sans relâche pour trouver un terme qui, enfin, serait à leur sens le meilleur. Il fût finalement décidé, au terme de deux jours pénibles pendant lesquels la curiosité de la foule se transforma en inquiétude, puis en colère, de dévoiler la conjuration, la mort de la première conseillère. Néanmoins, le conseil résolu de cacher la participation du baron. Celui-ci était gardé en secret, car les conseillers et conseillères craignaient que si sa captivité était sue, des émeutes n'éclatent en la ville et des luttes entre les factions ne fassent de nombreuses malheureuses victimes : les livristes voudraient sans aucun doute le délivrer tandis que les plus ardents fidestes ne désireraient rien de plus que le pendre sans procès, par vengeance.
Les hommes et femmes d'arme qui accompagnaient Savançon furent jugés rapidement par le conseil, et exécutés publiquement. Mais le conseil de Girant se trouvait bien ennuyé d'avoir en sa garde le Baron. Eut égard à sa noble extraction, ils n'osaient lever la main sur lui car jamais nulle conseillère ni conseiller de la ville n'a possédé le privilège de juger, et à plus forte raison d’exécuter, un gentilhomme, fusse-t-il assassin - seule la Couronne le peut - et ils auraient été bien imprudents de s'y oser, car la Justice Royale est immensément jalouse de ses prérogatives. Mais ils ne pouvait néanmoins point le laisser aller en paix, car il avait tué. Savançon resta donc engeôlé dans les caves du bâtiment et une missive fut envoyée en Ôrmenau afin de demander à la Couronne ce qu'il convenait d'en faire. La réponse se fit malheureusement attendre puisque l'hiver particulièrement rude rendait difficiles les déplacements. Or les sixaines passantes, la rumeur se répandit en ville : le Baron n'avait plus été vu en ses terres depuis l'échec de ce fameux complot, probablement était-il des conjurés, peut-être même avait-il été tué dans le chahut de la nuit ? Les artisans et les notables qui partageaient des sympathies livristes commencèrent à devenir remuants, exigeant du conseil de ville que la lumière fut faite sur la situation. Ce que celui-ci leur refusait net, se tenant à leur premier récit. Puis, les Divins seuls savent comment, la nouvelle circulât un matin que le jeune noble était encore vivant et tenu enfermé par le conseil. Dès que cela fût su, et comme le conseil le redoutait, des bandes des deux partis se rassemblèrent dans les rues, et rapidement, les esprits s'échauffèrent, les mains s'armèrent et il y eut des échauffourées. Le conseil, dépassé, était désespéré, quand la réponse de la Reine lui parvint enfin.
Mère Odelaine, arrivée à ce passage du récit, prit en son porte document une grande feuille qui était la copie de la missive de la Reine, et lu à haute voix.
Thaïsse, par la grâce de Dieu et la protection de Déesse Reine du royaume de Pont-Aulce, de la terre d'Ibois et de Gacille, au Conseil de notre ville Concédée de Girant, salutations.
Très chers et bons amis, nous avons su votre situation par le message que vous nous avez adressé et pour en connaître plus avant la vérité, nous sommes informée par delà. Ainsi, nous avons eu vent des troubles en votre pays et en votre bourg. Nous louons les cieux de votre prévoyance dans la sauvegarde de la vie du Baron de Savançon et désirons le juger nous même en notre conseil. Ainsi, nous vous mandons faire venir ledit Baron en notre ville d'Ôrmenau, avant le jour de la mi-clystre, vivant et en bonne condition, pour y recevoir jugement et punition. Sa vie et sa santé sont laissés entre les mains des Conseillères et Conseillers de la ville de Girant et c'est en personne qu'elles et ils en répondront.
Très loyaux sujets, nos Seigneurs vous aient en leurs saintes gardes.
Écrit et Signé en Ôrmenau, le douzième jour d'Orestan.
Je ne suis point familière des usages royaux, mais il me sembla bien que, malgré le ton courtois, la lettre laissait à entendre un certain agacement de la Reine. Elle confiait une tâche très malaisées, l'escorte d'un prisonnier, à un conseil de ville composé de juristes, de commerçantes, d'artisans et de bourgeoises qui ne disposaient pour cela que d'une petite garnison de gens-d'armes ne sachant rien de la chose militaire. De plus, sur la route de Girant jusqu'en Ôrmenau se trouve le massif de l'Echord, qui est, selon les rumeurs, fortement peuplé d'hérétiques livristes et où se trouvent, se raconte t-il, des villages entiers acquis à l'ignoble apostasie. Or, il ne fait aucun doute que dès que la nouvelle qu'un gentilhomme de leur foi passerait, captif, en leur pays, ses coreligionnaires s'organiseraient pour attaquer la troupe qui l'accompagnerait et l'en délivrer. Enfin, nous étions la quatorzième journée d'agmon, soit presque exactement un mois avant la date fixée par Sa Majesté, et si en temps normal cela était suffisant pour un tel voyage de plusieurs centaines de lieux, cette tâche devenait, à cause de toutes ces choses que j'ai dites, une gageure, une épreuve, une aventure ! Je souhaitais en mon for à celles et ceux qui en seraient chargé toute les bénédictions divines, car cela leur serait plus que nécessaire. J'étais quand à moi bien heureuse de ne point être affectée à cette besogne ingrate.
- C'est vous qui le ferez.
La voix de Mère Odelaine avait des accents de pitié, mais elle était ferme et ne souffrait d'aucune contestation.
- Sœur Damiette, Sœur Madel, vous allez transporter ce maudit baron de Girant jusqu'en Ôrmenau, en prenant soin de lui comme de votre vie.
- Bien ma mère, répondit calmement Damiette.
- D'accord, dis-je à mon tour, après un instant de surprise, mais... Pourquoi nous ?
Cette tâche n'était en effet point celle de sanctuaristes. Nous sommes les défenderesses et défenseurs de notre Foi Fideste, le bras armé de l'Abbassauté. Nous ne sommes ni des mercenaires que l'on paye pour leur protection lors d'un voyage ni des sergentes de ville à qui l'on confie habituellement la surveillance des captifs.
- C'est une demande qui émane directement de la commanderie générale de notre ordre, expliqua-t-elle en secouant un court papier frappé du sceau des sanctuaristes. Il semblerait que Sa Majesté la Reine ait pris, une fois sa missive partie, conscience du caractère pour le moins épineux de la tâche qu'Elle avait confié à un pauvre conseil de ville déjà fort ébranlé par les événement. Or, la libération ou la mort du baron de Savançon serait un grand dommage pour la paix du royaume, et les livristes auraient tôt fait d'en faire un héros dans le premier cas, et un martyr dans l'autre. Mais Elle ne pouvait revenir sur ses ordres sans avoir l'air indécise et faible. C'est le fidèle Maréchal D'aubiac qui, fin diplomate, Lui suggéra de demander à la Commanderie Générale de notre Ordre, de nous en charger, ce que la Reine accepta sur le champ, car Elle a grande confiance en nos capacités et forte amitié pour notre Grand-Maître qu'Elle connaît du temps de Son enfance. Nous sommes quant à nous la commanderie la plus proche de Girant, et naturellement, il nous est donc échu de mener cette pénible besogne à bien. L'expérience de Damiette, en qui j'ai toute confiance, ainsi que votre jeunesse et votre fougue, Sœur Madel devraient, je le crois, être suffisantes pour vous garder de nombreuses embûches. Je vais vous adjoindre deux sergentes et point plus, parce qu'il me semble que, plus nombreuses, vous attireriez une attention malvenue. Vous partirez dès demain matin, car toutes ces tergiversations du conseil de Girant et - les Divins me pardonnent - de la Reine, nous ont déjà fait perdre un temps inestimable.
En quittant la mère commanderesse, après quelques autres conseils et une bénédiction rapide, je me sentais pantoise. Si rapidement, en un demi-décan à peine, une affaire de si grande importance venait de nous être confiée, alors que jamais encore je n'avais exécuté de telles tâches, pas plus qu'il ne m'était arrivé de partir en campagne pour l'ordre au sein d'une troupe si réduite. Nous sommes des soldates de la foi et en tant que telles, c'est en troupe que nous combattons. Mais face aux volontées conjointes de ma Comanderesse, du Grand-Maître de l'Ordre, et de Sa Majesté, ces pauvres récriminations intérieures ne valaient que fiente de tourterelle. J'avais des ordres, il me fallait les honorer, comme mon serment le commandait.
Mère Odelaine avait décidé, et je l'appuyais entièrement dans ce choix, que ce serait Sœur Damiette qui prendrait la tête de notre expédition, eut égard à sa sagesse et sa piété. Celle-ci me souhaita la bonjour d'un air pensif et s'en fût, sans plus de paroles, distraite par les préparatifs qu'elle devait effectuer : sans compter ses propres armes et bagages, elle devait penser à quémander à notre sœur chapelaine des fonds, et à constituer avec la cellérière tout notre train, qui devait être suffisant pour le voyage sans être trop pesant pour ne point nous encombrer. Quant à moi, le décan de la Sonore étant passé, je me rendis dans ma cellule pour le temps de prière que, depuis mes onze ans, j'observais chaque jour.
Bon...On sent que les ennuis ne font que commencer pour soeur Madel. La conduite de ce baron risque d'être un peu plus difficile que prévu!
Bravo pour ta plume!
Mais ensuite... Il faut écrire l'histoire, et c'est là que les ennuis commencent...
j'aime beaucoup, l'originalité du contexte, sans être un fervent défenseur du féminisme absolu, il est décrit avec justesse sans tomber dans l'ostentatoire.
Félicitation, je poursuis ma lecture.
(Une petite note qui traduit mon impatience, et sera sans doute comblée par la suite, on imagine plus soeur Madel qu'on ne le voit, physiquement je veux dire)
Pour réponde à ta petite note, comme Madel est la narratrice et une religieuse, elle trouverait cela déplacé de se décrire physiquement : Elle verrait cela comme de la vanité, surtout dans un texte à l'adresse de ses sœurs. Du coup... Imagine la comme tu le veut (la seule chose qui est dite un peu plus loin est qu'elle est un peu plus grande que la moyenne).
Je te remercie pour ton commentaire, et j'espère que la suite te plaira autant.